En direct des Electropicales (Saint-Denis, île de la Réunion) : “On n’a pas de Rex ici !”

Avant que ne démar­rent les deux prin­ci­pales soirées des Elec­trop­i­cales, demain et same­di, on a ren­con­tré Blaise, Lan‑K, Nayah et Vodooman (ces derniers for­mant le duo Native Bros). Les qua­tre DJs, dans la quar­an­taine, exer­cent depuis des années sur l’île. La veille, à l’inauguration du fes­ti­val, les mélo­manes s’enthousiasmaient sur “la nou­velle scène élec­tro réu­nion­naise”, émer­gente et bouil­lon­nante. L’électro d’aujourd’hui, à la Réu­nion, c’est quoi ? Et celle d’hier ? De quoi se sou­venir que non, une fête sous les tropiques ne se résume pas au dance­hall. A la hardtek ? Peut-être plus…

Est-ce qu’il y a une nou­velle scène élec­tro émer­gente à la Réu­nion, selon vous ?

Lan‑K : Je suis là depuis 12 ans, et il y a tou­jours eu une grosse scène élec­tro à la Réu­nion. Mais spé­ci­fique : très tech­no, hardtek, trance…

Vodooman : Très underground…

Lan‑K : Oui, à l’ancienne, dans des endroits improb­a­bles ! Beau­coup de mét­ro­pol­i­tains sont arrivés il y a 10–15 ans en impor­tant cette cul­ture de la free par­ty. Quand je suis arrivé ici, j’étais à fond dans la house… Je me suis pris une grosse baffe !

Nayah : Je tra­vaille dans la musique depuis 4 ans : j’ai mon­té ma boite d’événementiel, con­sacrée 100% à l’électro. J’ai créé des rési­dences dans des hôtels 4 et 5 étoiles et en par­al­lèle je fais des soirées inter­mé­di­aires entre fes­ti­val et free. Comme dis­ait Alex (Lan‑K), les free avaient pris le pas sur le reste depuis longtemps. Depuis quelques années, grâce aux fes­ti­vals comme les Elec­trop­i­cales, il se passe plus de trucs à côté. Donc j’essaye de faire venir de plus gros artistes ici, comme récem­ment Jack de Mar­seille sur une péniche avec 250–300 per­son­nes. On con­state une aug­men­ta­tion pro­gres­sive du pub­lic élec­tro, même chez les locaux, alors qu’ils ne sont pas for­cé­ment habitués à cette musique.

Il n’y pas d’accrochages entre les free et les soirées house que tu proposes ?

Nayah : Quelques… expli­ca­tions on va dire. Je fais des soirées légales, déclarées, for­cé­ment il n’y a pas les mêmes attentes ou la même philoso­phie. A chaque fois qu’il y a eu des free en même temps que mes soirées, qui étaient prévues bien avant, j’allais les voir pour trou­ver des solu­tions. Il y a eu quelques incom­préhen­sions au départ, mais on s’en sort. Un respect s’est instal­lé, et on arrive à main­tenir une scène house, deep-house et tech­no en parallèle.

Le pub­lic n’est pas for­cé­ment le même de toute façon…

Nayah : 70% du pub­lic des free ne vien­dront pas dans nos soirées, les 30% restant si. Et vice et ver­sa. J’ai sou­vent des gens de free par­ty qui vien­nent dans mes soirées house parce qu’il leur manque par­fois ce côté “con­ven­tion­nel”, plus soft.

La cul­ture free est tou­jours aus­si présente à la Réunion ?

Lan‑K : Moins qu’il y a une dizaine d’années. Mais ça existe encore, sûre­ment plus qu’en métro­pole ! Il y en a encore eu une ce week-end, sur une coulée de lave dans l’est de l’île. Le col­lec­tif Trance­mis­sion, comme son nom l’indique, con­tin­ue à faire beau­coup de soirées trance. Les mecs qui aiment les free par­ty ne veu­lent pas s’enfermer dans un club, être cloi­son­nés et encadrés, donc dif­fi­cile de les empêch­er de faire la fête en extérieur, d’autant qu’il y a tou­jours de bon spots à trou­ver à la Réunion.

Blaise : Les autorités en métro­pole ont beau­coup resser­ré la vis par rap­port au free. Ici, tant qu’il n’y a pas d’accidents –et il n’y en a pas‑, ça passe.

Les anciens artistes de free se retrou­vent par­fois pro­gram­més dans les boîtes aujourd’hui. Ici aussi ?

Nayah : Beau­coup moins. Même pour pro­gram­mer de la house, je suis obligé de tou­jours pass­er par des loca­tions de la boîte. Un club n’ira pas pro­pos­er, de lui-même, de la tech­no ou de la house ici.

Blaise : Il n’y a pas de lieu spé­ci­fique à la house, il n’y a presqu’uniquement des clubs général­istes sur l’île…

Donc cette fameuse nou­velle scène élec­tro, c’est de la house ?

Lan‑K : Oui, mais c’est aus­si parce qu’on en entend plus par­ler, c’est plus offi­ciel. L’underground est bien présent quand même, mais for­cé­ment plus invisible.

Vodooman : La presse locale ne par­le jamais de l’électro, à part quand il y a des fes­ti­vals. Il faut dire que l’électro – et encore plus les free -, ce ne sont pas des choses qui font par­tie de la cul­ture réunionnaise.

Et qu’est-ce qui vous a fait tomber dedans alors ?

Blaise : On vient d’ailleurs (rires). Lan‑K et moi venons de métro­pole, et les Native Bros d’ici, mais ils ont voy­agé. Je suis orig­i­naire de la région parisi­enne, j’allais au Palace, au Priv­ilège… L’époque du garage !

Des jeunes pouss­es réu­nion­nais­es à nous conseiller ?

Blaise : Agrume. C’est plutôt deep-house.

Nayah : Pour l’instant, il com­pose dans sa cham­bre avec son Mac et ses écou­teurs de télé­phone. Pour­tant, ça sonne presque pro. Le jour où il aura son home-studio et un vrai envi­ron­nement de tra­vail, il va percer. À surveiller !

Vous pro­duisez aus­si ou c’est unique­ment du mix ?

Blaise : J’aimerais bien pro­duire. Mais je n’ai pas le temps, j’ai un tra­vail à côté. On est très peu à vivre de l’électro ici. A part Nayah (rires).

Nayah : Je com­mence tout juste à ren­tr­er dans mes frais ! C’est com­pliqué de trou­ver des spon­sors. A Mau­rice ou en métro­pole, des alcooliers se font de la pub avec des soirées élec­tro, mais ils sont beau­coup plus réti­cents à la Réu­nion, vu que, en dehors des free, c’est une scène encore verte.

Blaise : C’est la seule per­son­ne qui prend des risques à faire des soirées à la Réu­nion. Le col­lec­tif La Clan­des­tine en fait des sym­pas aus­si, tech­no et house, mais Nayah est le seul à ne pas tou­jours être au même endroit, à organ­is­er des choses un peu partout sur l’île. C’est d’autant plus dif­fi­cile qu’il n’y a pas beau­coup de lieux à inve­stir, à part peut-être les Pot’Irons à Saint-Denis. C’est la seule boite dans laque­lle je sors aujourd’hui, je bosse le lende­main mais j’y suis tous les jeud­is. C’est dom­mage qu’il n’y ait pas plus d’offre : je suis sûr qu’il y a un pub­lic à pren­dre en mon­tant un club spé­cial­isé, dif­férent de ce qu’il y a en général ici. On n’a pas de Rex à la Réunion !

Nayah : Je pense que ça va se dévelop­per. Il faut ! J’ai l’impression que tout est fait pour main­tenir les gens dans une cer­taine façon de penser… Et l’électro, ça ouvre les esprits. En tant que réu­nion­nais, la décou­verte du milieu élec­tron­ique m’a ouvert les yeux sur ce qu’il se passe en dehors de l’île. Les gens sont lobot­o­misés à coup de NRJ !

Vodooman : Les radios dis­ent pass­er de la tech­no… Sauf que c’est de l’eurodance, de la soupe en fait. Même la bonne musique locale est occultée par ces pro­duc­tions de daube, majori­taire­ment du mau­vais rag­ga dance­hall. Pour moi, faire de l’électro, c’est aus­si une résis­tance vis-à-vis de l’uniformisation qui est très présente ici.

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