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15 mai 2014

En direct des Electropicales (Saint-Denis, île de la Réunion) : « On n’a pas de Rex ici ! »

par rédaction Tsugi

Avant que ne démarrent les deux principales soirées des Electropicales, demain et samedi, on a rencontré Blaise, Lan-K, Nayah et Vodooman (ces derniers formant le duo Native Bros). Les quatre DJs, dans la quarantaine, exercent depuis des années sur l’île. La veille, à l’inauguration du festival, les mélomanes s’enthousiasmaient sur « la nouvelle scène électro réunionnaise », émergente et bouillonnante. L’électro d’aujourd’hui, à la Réunion, c’est quoi ? Et celle d’hier ? De quoi se souvenir que non, une fête sous les tropiques ne se résume pas au dancehall. A la hardtek ? Peut-être plus…

Est-ce qu’il y a une nouvelle scène électro émergente à la Réunion, selon vous ?

Lan-K : Je suis là depuis 12 ans, et il y a toujours eu une grosse scène électro à la Réunion. Mais spécifique : très techno, hardtek, trance…

Vodooman : Très underground…

Lan-K : Oui, à l’ancienne, dans des endroits improbables ! Beaucoup de métropolitains sont arrivés il y a 10-15 ans en important cette culture de la free party. Quand je suis arrivé ici, j’étais à fond dans la house… Je me suis pris une grosse baffe !

Nayah : Je travaille dans la musique depuis 4 ans : j’ai monté ma boite d’événementiel, consacrée 100% à l’électro. J’ai créé des résidences dans des hôtels 4 et 5 étoiles et en parallèle je fais des soirées intermédiaires entre festival et free. Comme disait Alex (Lan-K), les free avaient pris le pas sur le reste depuis longtemps. Depuis quelques années, grâce aux festivals comme les Electropicales, il se passe plus de trucs à côté. Donc j’essaye de faire venir de plus gros artistes ici, comme récemment Jack de Marseille sur une péniche avec 250-300 personnes. On constate une augmentation progressive du public électro, même chez les locaux, alors qu’ils ne sont pas forcément habitués à cette musique.

Il n’y pas d’accrochages entre les free et les soirées house que tu proposes ?

Nayah : Quelques… explications on va dire. Je fais des soirées légales, déclarées, forcément il n’y a pas les mêmes attentes ou la même philosophie. A chaque fois qu’il y a eu des free en même temps que mes soirées, qui étaient prévues bien avant, j’allais les voir pour trouver des solutions. Il y a eu quelques incompréhensions au départ, mais on s’en sort. Un respect s’est installé, et on arrive à maintenir une scène house, deep-house et techno en parallèle.

Le public n’est pas forcément le même de toute façon…

Nayah : 70% du public des free ne viendront pas dans nos soirées, les 30% restant si. Et vice et versa. J’ai souvent des gens de free party qui viennent dans mes soirées house parce qu’il leur manque parfois ce côté « conventionnel », plus soft.

La culture free est toujours aussi présente à la Réunion ?

Lan-K : Moins qu’il y a une dizaine d’années. Mais ça existe encore, sûrement plus qu’en métropole ! Il y en a encore eu une ce week-end, sur une coulée de lave dans l’est de l’île. Le collectif Trancemission, comme son nom l’indique, continue à faire beaucoup de soirées trance. Les mecs qui aiment les free party ne veulent pas s’enfermer dans un club, être cloisonnés et encadrés, donc difficile de les empêcher de faire la fête en extérieur, d’autant qu’il y a toujours de bon spots à trouver à la Réunion.

Blaise : Les autorités en métropole ont beaucoup resserré la vis par rapport au free. Ici, tant qu’il n’y a pas d’accidents –et il n’y en a pas-, ça passe.

Les anciens artistes de free se retrouvent parfois programmés dans les boîtes aujourd’hui. Ici aussi ?

Nayah : Beaucoup moins. Même pour programmer de la house, je suis obligé de toujours passer par des locations de la boîte. Un club n’ira pas proposer, de lui-même, de la techno ou de la house ici.

Blaise : Il n’y a pas de lieu spécifique à la house, il n’y a presqu’uniquement des clubs généralistes sur l’île…

Donc cette fameuse nouvelle scène électro, c’est de la house ?

Lan-K : Oui, mais c’est aussi parce qu’on en entend plus parler, c’est plus officiel. L’underground est bien présent quand même, mais forcément plus invisible.

Vodooman : La presse locale ne parle jamais de l’électro, à part quand il y a des festivals. Il faut dire que l’électro – et encore plus les free -, ce ne sont pas des choses qui font partie de la culture réunionnaise.

Et qu’est-ce qui vous a fait tomber dedans alors ?

Blaise : On vient d’ailleurs (rires). Lan-K et moi venons de métropole, et les Native Bros d’ici, mais ils ont voyagé. Je suis originaire de la région parisienne, j’allais au Palace, au Privilège… L’époque du garage !

Des jeunes pousses réunionnaises à nous conseiller ?

Blaise : Agrume. C’est plutôt deep-house.

Nayah : Pour l’instant, il compose dans sa chambre avec son Mac et ses écouteurs de téléphone. Pourtant, ça sonne presque pro. Le jour où il aura son home-studio et un vrai environnement de travail, il va percer. À surveiller !

Vous produisez aussi ou c’est uniquement du mix ?

Blaise : J’aimerais bien produire. Mais je n’ai pas le temps, j’ai un travail à côté. On est très peu à vivre de l’électro ici. A part Nayah (rires).

Nayah : Je commence tout juste à rentrer dans mes frais ! C’est compliqué de trouver des sponsors. A Maurice ou en métropole, des alcooliers se font de la pub avec des soirées électro, mais ils sont beaucoup plus réticents à la Réunion, vu que, en dehors des free, c’est une scène encore verte.

Blaise : C’est la seule personne qui prend des risques à faire des soirées à la Réunion. Le collectif La Clandestine en fait des sympas aussi, techno et house, mais Nayah est le seul à ne pas toujours être au même endroit, à organiser des choses un peu partout sur l’île. C’est d’autant plus difficile qu’il n’y a pas beaucoup de lieux à investir, à part peut-être les Pot’Irons à Saint-Denis. C’est la seule boite dans laquelle je sors aujourd’hui, je bosse le lendemain mais j’y suis tous les jeudis. C’est dommage qu’il n’y ait pas plus d’offre : je suis sûr qu’il y a un public à prendre en montant un club spécialisé, différent de ce qu’il y a en général ici. On n’a pas de Rex à la Réunion !

Nayah : Je pense que ça va se développer. Il faut ! J’ai l’impression que tout est fait pour maintenir les gens dans une certaine façon de penser… Et l’électro, ça ouvre les esprits. En tant que réunionnais, la découverte du milieu électronique m’a ouvert les yeux sur ce qu’il se passe en dehors de l’île. Les gens sont lobotomisés à coup de NRJ !

Vodooman : Les radios disent passer de la techno… Sauf que c’est de l’eurodance, de la soupe en fait. Même la bonne musique locale est occultée par ces productions de daube, majoritairement du mauvais ragga dancehall. Pour moi, faire de l’électro, c’est aussi une résistance vis-à-vis de l’uniformisation qui est très présente ici.

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