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Crédit : Antoine Dabrowski
3 avril 2017

En direct du Tao Festival en Thaïlande

par Antoine Dabrowski

Du 28 au 31 mars se tenait sur l’île de Koh Tao, en Thaïlande, la première édition du Tao Festival. Loin de la trance des Full Moon, quatre jours de fête dans des sites magnifiques entre garage rock, blues, reggae, hip hop et house. Le tout sous les palmiers à manger des noix de coco ! Dur…

Un festival c’est toujours un peu l’aventure. Et quelle aventure quand il s’agit de sa première édition et qu’il a lieu sur une île au beau milieu du Golfe de Thaïlande ! Après trois avions et un bus nous voilà donc lundi 27 mars à bord d’un speed boat, en compagnie d’un des co-fondateurs du Tao Festival, Eric Bochet, et de plusieurs artistes : Arrested Development, Santiago Salazar, Alex Barck de Jazzanova, Kevin Yost ou le Lyonnais Focal. Le bolide des mers bondit de vague en vague sous un orage tropical. On est secoués dans tous les sens et arrosés à chaque soubresaut du bateau. C’est sûr que ça change de la ligne 9 du métro parisien pour aller à Rock en Seine ! Une heure quarante plus tard, on débarque, trempés, à Koh Tao. L’île de la tortue (en français dans le texte) est la plus petite des îles thaïlandaises à 50 km au Nord de Kho Phangan et de ses Full Moon Parties. Au début des années 90, on s’y déplaçait encore à cheval et on vivait de la culture de la noix de coco. Depuis le tourisme s’est développé et les vacanciers affluent des quatre coins de la planète pour admirer les fonds marins magnifiques où il n’est pas rare de croiser quelques requins. « Koh Tao, c’est un peu la Corse de la Thaïlande », raconte Eric Bochet. Pas de fast-food ni de grande chaîne hôtelière, tout est aux mains des familles de l’île, enfin de quelques-unes. Mais certaines routes sont toujours non carrossables et dès qu’on sort des luxueux complexes hôteliers, on tombe à chaque coin de l’île sur des décharges à ciel ouvert. Eric Bochet et ses associés, Naruepon Charoenittikul et Phongchaloei Manantaphong, deux architectes thaïlandais, ont créé le Tao Festival pour offrir à l’île un événement culturel de qualité mais aussi pour sensibiliser locaux et touristes à la fragilité de l’écosystème de Koh Tao. Et donc, pendant trois jours, on boit dans des verres en bambou, on mange dans des feuilles de banane et il est même prévu de recycler les latrines du festival pour faire de l’engrais. Très COP 21 tout ça ! [Ecouter l’interview d’Eric Bochet]

Crédit : Antoine Dabrowski

Les pluies torrentielles qui se sont abattues sur la petite île, les deux jours suivant notre arrivée, ont forcé les organisateurs à reporter la première soirée. Ce n’est donc que le mercredi 29 mars qu’on a découvert les deux sites du Tao Festival. D’abord la plage de Cabana, lieu où se tenaient l’après-midi les beach-parties. Sont passés derrière les platines : Focal du label lyonnais Ultimae Records, l’Anglais Trus’Me, les Américains Kevin Yost et Francis Harris ou l’infatigable Gilles Peterson (que l’on a interviewé ici), à peine remis de la version hivernale de son Worldwide Festival à Leysin et en partance pour Hong-Kong et Singapour. On fait du paddle sur la mer, on boit des pintes de rosé (dans son verre en bambou), on se prélasse sur des transats, mais on ne danse pas vraiment. On ne voit pas beaucoup de locaux non plus. Et on se dit que ce serait dommage de ne croiser sur ce festival que des touristes ou des expatriés occidentaux. Mais on note déjà que le soundsystem est plutôt bon, ce qui est de bon augure pour la suite des festivités. Mention spéciale aussi pour « Narcose », le joli film sous-marin du champion du monde de plongée en apnée, Guillaume Néry, projeté à la fin du set de Peterson.

Crédit : Antoine Dabrowski

L’arrivée sur le site de nuit est une toute autre histoire. Le terrain est la propriété d’un certain Godouk, un mystique de l’île qui a mis à la disposition du festival deux hectares de cocoteraie situé sur la montagne qui surplombe la plage de Sai Nuan. On s’y rend grâce à des navettes qui vont se relayer toute la nuit pour transporter les festivaliers. Mais rien à voir avec le folklorique bus des Transmusicales : ici ce sont des pick-ups 4×4 aux jantes chromées comme on en voit dans les séries américaines. On s’entasse à dix (voire plus) à l’arrière, et c’est parti pour dix minutes de montée et de descente à pic à faire passer le space mountain pour un vulgaire tourniquet ! Malgré les sensations fortes, l’arrivée à Coconut Land fait grande impression. Le chemin d’accès au festival serpente entre les arbres, délimité par des lampes à huile posées sur le sable. Sur la droite, un éco-village tout en bambou, éclairé par des braseros. Au fond un autel en hommage au Roi Rama IX décédé au mois d’octobre, comme on en croise à tous les coins de rue en Thaïlande. On peut acheter des sabres et des couteaux artisanaux ou boire des rhums arrangés « bon pour faire boum boum ». Tout en regardant des démonstrations d’épée antique thaï. Dépaysement total !

Crédit : Antoine Dabrowski

La scénographie imaginée par Naruepon Charoenittikul réussit le tour de force de s’intégrer complètement dans ce paysage fait de cocotiers, d’arbres tropicaux et de sable, tout en offrant aux artistes une scène digne des plus grands festivals et au public des visuels splendides projetés en mapping sur cinq immenses écran au fond de la scène. Ce sont les œuvres d’Alex Face, Bordalo II, Cart’1, Monsieur Lupin ou Yukijung. Des collectifs thaïlandais, français, allemand et portugais à qui il faut ici rendre hommage.

Crédit : Antoine Dabrowski

Le son aussi est excellent. D’ailleurs, la plupart des groupes vont le souligner sur scène. Rasmee Isan Soul, jeune chanteuse originaire du Nord du pays, avec sa voix folk puissante et envoutante, ira même jusqu’à pousser : « Fucking good soundsystem up here ! ». Côté découvertes locales, les reprises en version ska de tubes anglo-saxons de T-Bone nous ont un peu laissé indifférents. On s’est plus laissé séduire par l’énergie revigorante du combo Paradise Bangkok et par le blues-rock spirituel de Khoon Sarman, un patriarche à grande barbe blanche. Mais en ce qui concerne les groupes locaux, c’est sans conteste Side Effect, un groupe de rock garage birman, qui nous aura le plus marqué. Originaires d’un pays encore sous embargo jusqu’en 2012 et où la musique était censurée, ces jeunes gens, qui ont déjà joué à Coachella et plusieurs fois en Europe, ont tout pour séduire les amateurs de rock : riffs de guitares, refrains accrocheurs et paroles engagées. Musicalement, la voix du chanteur et sa gouaille nous un peu fait penser à des Libertines de Rangoun, même si eux revendiquent plutôt être sous influence de Nirvana ou des Strokes. [Interview en anglais ici]

Rasmee Isan Soul / Crédit : Antoine Dabrowski

Paradise Bangkok / Crédit : Antoine Dabrowski

Sans oublier, bien sûr, Arrested Development et Speech (en interview ici), leur charismatique leader, qui n’ont pas bougé depuis presque 30 ans, malgré une carrière en dents de scie et le manque de reconnaissance dans leur propre pays. Et ça faisait finalement assez plaisir de retrouver leur hip hop militant, musical et très festif. Un des temps forts de ce festival si l’on en juge par la réaction de la foule. On aura aussi bien dansé avec le Japonais Toshio Matsura et surtout avec l’interminable set croisé entre le Californien Pillowtalk et l’Allemand Alex Barck de Jazzanova le dernier soir du festival, même si à ce moment-là les locaux venus en masse applaudir Side Effect avaient disparu, remplacés par un dancefloor plutôt blanc.

Arrested Development / Crédit : Antoine Dabrowski

Le pari était risqué. Organiser un festival sur une île aussi reculée, en croisant artistes locaux et internationaux. Monter une scène aux dimensions impressionnantes au beau milieu d’une montagne difficile d’accès. Tenter de faire un festival qui s’adresse autant aux touristes et aux expatriés, qu’aux locaux, Thaïlandais ou nombreux Birmans qui travaillent à Koh Tao. Ce sera sans doute notre principale critique : on aurait aimé que la programmation marie mieux groupes locaux et internationaux afin que la mayonnaise prenne entre deux publics qui n’auront finalement pas beaucoup partagé. Si la fréquentation n’était pas tout à fait au rendez-vous, il y a quand même eu de très beaux moments, qui nous font dire que le Tao Festival pourrait bien faire son trou. Gageons que fort de cette première édition plutôt réussie, ce sera encore mieux l’année prochaine. D’ailleurs à cause de la pluie, il y avait même de la boue, si ce n’est pas le signe d’un vrai festival ça ?! Allez : vous bloquez votre semaine de vacances pour l’année prochaine comme ça vous allez voir les poissons la journée et les concerts le soir ! Nous on y sera !

Meilleur moment : le Koh Tao mojito, un mojito avec du piment dedans. Et autant dire qu’après une semaine au régime thaïlandais, on a besoin de sa dose quotidienne de bouche en feu !
Pire moment : l’arrivée sur l’île sous une pluie battante alors qu’on pensait débarquer au paradis. Bon on vous rassure, tout s’est arrangé très vite !

 

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