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© Nicolas Dubosc
4 décembre 2020

Entretien : Étienne Daho raconte son nouvel album « Surf » perdu depuis 15 ans

par Benoît Carretier

On l’a connu pop star, tutoyant le dancefloor ou plus récemment psychédélique. En ces temps troublés, Étienne Daho revient tout en sobriété avec Surf, album de reprises chanté tout en anglais. Un disque perdu depuis quinze ans, qui a failli être définitivement effacé. Explications avec Monsieur Daho.

Aujourd’hui sort Surf, présenté comme un album perdu. Mais comment peut-on perdre un album ?

Simplement parce qu’il ne sort pas, on l’oublie et il disparaît des radars. Il y a tellement de projets, d’envie et de projections dans le futur que tout ce qui est du passé est condamné à y rester. J’ai travaillé sur Surf avec Ivan Beck à partir de 2004 jusqu’en 2005, par petites touches, puis de nouveau en 2006 avec un autre producteur, Nicolas Dubosc… Mais ça se passait un peu mal avec la maison de disques, c’était un peu compliqué. Ils n’étaient pas fans d’un album de reprises en anglais. Et puis j’en ai eu marre. Pourtant il faut se lever de bonne heure pour me déboulonner ! (rires) Je suis passé à autre chose, et cela a donné l’album L’Invitation. Et j’ai oublié !

 

Et Surf est revenu d’entre les morts…

On m’a proposé d’être le parrain de l’édition 2020 du Disquaire Day et on m’a demandé de sortir quelque chose d’un peu rare. Je ne savais pas trop quoi proposer et on m’a tout d’un coup rappelé l’existence de morceaux publiés à l’époque de L’Invitation sur l’EP Be My Guest Tonight. Donc je me suis dit que j’allais compléter pour aboutir à un album proche de mon idée de 2004, en utilisant même la photo prévue pour l’album d’origine. Je voulais recréer quelque chose qui n’avait jamais existé. Le vinyle Surf est sorti, les réactions ont été bonnes, et, saison 1 du confinement ! Je me suis retrouvé à faire du tri dans les disques durs et dans l’élan, j’ai failli en effacer un et que par chance j’ai ouvert. En fouillant dedans, j’ai trouvé des dossiers sans noms avec des pistes audio. J’ai pris rendez-vous avec un ingé-son dans un studio, on a écouté et en fait c’était tous les fameux titres perdus. Certains étaient guitares/voix, d’autres finalisés, mais qu’il fallait restaurer et mixer. Cela a abouti au vinyle Surf 2. Et comme l’accueil de ce deuxième volet, là encore a été bon, la maison de disques a considéré que finalement cela valait le coup de les compiler sur un seul disque.

« C’est très émouvant de ramener à la lumière quelque chose qui est perdu, c’est très particulier. »

 

C’est un disque à trous…

Tout à fait, c’est un truc miraculé. C’est très émouvant de ramener à la lumière quelque chose qui est perdu, c’est très particulier. Ce n’est pas un side-project pour moi, mais un véritable album. Il y avait même un single de prévu, « Son silence en dit long », qui est sorti il n’y a pas longtemps, la seule chanson originale et en français.

 

Etienne Daho

©Nicolas Dubosc

Quand vous avez attaqué Surf en 2004, vous aviez d’autres disques de reprise en tête,  comme le Pin Ups de David Bowie ?

Pas du tout. C’est un projet qui a commencé de façon impromptue avec le guitariste Ivan Beck. On gratouillait à la maison et on a jeté les bases de 45 titres, c’était un projet de longue haleine. Comme c’est une collection de chansons que j’aimais, il fallait que je me rende compte de la manière dont je pouvais les kidnapper et les faire miennes. Ce qu’elles racontaient me parlait et je voulais m’y glisser. Mais comment rentrer dans ces chansons et y apposer sa signature vocale, c’est un autre truc. J’ai essayé beaucoup de choses : des titres de Morrissey, Blur, The Ronettes… ça tapait dans tous les sens.

 

Celles-là resteront dans un tiroir ?

Ce sont juste des pistes guitares/voix, il faut vraiment être très fan pour vouloir écouter ça. Je les ai retrouvées sur un MiniDisc qu’il a fallu restaurer. Ce fut vraiment un travail de fourmi de retrouver toute cette matière première et de lui donner une cohérence.

 

Se glisser dans la peau d’une chanson, c’est de sonner Daho sans trahir l’esprit des originaux ?

C’est ne pas se laisser intimider par les versions d’origine. Surf est une production très modeste, avec très peu d’arrangements, ce qui permet d’avoir des versions relativement sobres et ne pas tenter de copier les morceaux d’origine. À partir des guitares/voix, on a essayé de bâtir quelque chose qui tendait vers mon style d’une certaine manière, mais en plus dépouillé que d’habitude.

« À partir des guitares/voix, on a essayé de bâtir quelque chose qui tendait vers mon style d’une certaine manière, mais en plus dépouillé que d’habitude. »

Sauf « Glad To Be Unhappy », qui dénote totalement…

Cette chanson a une histoire. J’ai beaucoup travaillé avec l’arrangeur David Whitaker, que j’adorais au-delà de tout. Quand on a enregistré L’Invitation , il m’a dit : « Je vais te faire un cadeau. Choisis une chanson qui te plaît, et quand on fait les séances de cordes à Abbey Road, tu chanteras. » J’ai cherché un petit peu, et j’ai trouvé « Glad To Be Unhappy », que je connaissais par Billie Holiday. Pendant l’enregistrement de l’album, j’avais un peu oublié, mais une fois finie la session d’enregistrement de cordes à Abbey Road, il m’a dit : « Ne bouge pas, ce n’est pas fini. Il y a ta chanson à faire. » Et il m’a demandé de chanter avec l’orchestre. C’était un moment intimidant, j’avais un peu peur de perdre la face. Déjà c’était en anglais, j’avais peur de chanter avec l’accent de Maurice Chevalier et je n’avais pas particulièrement répété la chanson. Mais je m’y suis collé et on l’a fait en trois prises.

 

Tous les titres signés Pink Floyd, Pet Shop Boys, Bowie, Air ou Hank Williams, qui ont fini sur Surf appartiennent à votre Panthéon. Comment a été guidé votre choix, par la faisabilité ou par l’amour des morceaux ?

Un peu des deux. Certains titres plus proches de moi sont restés à l’état d’ébauche, car il y a eu aussi des facteurs extérieurs qui ont pesé. Le temps, la motivation, en particulier celle du label, qui n’était vraiment pas emballée à l’idée d’un album de reprises, surtout en anglais. (rires)

« Les seules questions que je me posais étaient : « Est-ce touchant, est-ce juste ? » »

Des 22 titres de l’album, dans lequel a-t-il été le plus difficile de se glisser ?

« Come To Me Slowly » de Margo Guryan. C’est une chanson que j’adore, mais c’était peut- être la plus complexe, parce que la composition est tout bonnement complexe. Les autres n’ont pas posé de problèmes. Une fois qu’on est dedans et qu’on s’est débarrassé des arrangements et de la mythologie qui entouraient chaque titre, c’était simple à aborder. Les seules questions que je me posais étaient : « Est-ce touchant, est-ce juste ? »

 

Qu’est-ce qui lie les 22 morceaux de Surf , qui ont été enregistrés à des époques différentes ?

La voix bien sûr, mais est-ce une histoire d’état d’esprit, une couleur musicale ? La nostalgie de l’été ! Et très vaguement aussi le cœur brisé.

 

Il revient souvent ce cœur brisé dans votre répertoire…

Ah, mais les chansons ne parlent que d’amour ou de son absence. (rires) Quand ça va très bien, on n’a pas très envie d’écrire. Mais ça donne « Au commencement », et quand ça va mal, ça donne « La Vie continuera », qui est atroce et dure, ou « Un Merveilleux été ».

 

L'album Surf d'Etienne Daho

 

Le chant en anglais ne va pas perturber l’amateur de Daho, justement habitué à prêter attention aux textes ?

Peut-être. Je ne me suis pas rendu compte. J’ai déjà fait des reprises en anglais par le passé, comme « Arnold Layne » ou « Sunday Morning », mais sur un album entier, je ne sais pas comment cela va être perçu. Ce qui m’intéresse, c’est comment mes amis étrangers perçoivent mes tentatives en anglais.

« Quand on chante les autres, ça permet de montrer ses goûts, qui on est. »

Vous vous êtes très tôt plié à l’exercice de la reprise, dès 1985…

C’était d’abord pour me faire plaisir. Et quand on chante les autres, ça permet de montrer ses goûts, qui on est. Au départ, je reprenais les gens qui m’avaient construit et donné envie de faire de la musique. Aujourd’hui j’ai beaucoup montré qui j’étais, ce serait différent.

 

Et dans l’autre sens, que ressentez-vous quand on vous reprend ?

C’est génial, j’adore ça. C’est fantastique d’être repris. Que vos chansons aient soudainement un écho et prennent vie avec quelqu’un d’autre, c’est la consécration suprême ! Se faire reprendre est un mélange de plaisir et d’étrangeté. C’est toujours une expérience d’écouter ses chansons dans la bouche d’un autre.

 

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Revenons un peu sur le Disquaire Day, dont on parlait précédemment. Qu’est que cela a représenté pour vous d’être parrain de cet événement ?

Pour le coup je suis très content, car cela m’a permis de sortir un album perdu. Mais ça permettait aussi de soutenir un support que je trouve magique, indispensable. Un disque qui ne sort pas en vinyle n’est pas entièrement un disque pour moi. Il y a eu une période, entre les années 2000-2010, où les maisons de disques considéraient que le format était obsolète et très peu de vinyles étaient pressés. Deux de mes albums, Réévolution et L’Invitation ne sont ainsi pas sortis en vinyle. C’était très frustrant. Quand on a un album chéri, un album sur soi, c’est bien de l’avoir en physique. Et des albums qu’on aime vraiment, il n’y en a pas des millions dans sa vie. Ce n’est pas la même manière d’écouter qu’avec la musique dématérialisée… Déjà il faut se lever pour changer de face. (rires)

 

On est en ce moment dans la saison 2 du confinement, et la culture n’est pas vraiment soutenue. Au-delà des contingences sanitaires, comment vivez-vous cette situation ?

C’est le moins qu’on puisse dire qu’il n’y a pas de soutien. On le vit très mal, surtout dans la musique. Tout le monde a parlé des libraires, des disquaires, mais personne n’a parlé de la musique. C’est fou, la musique n’existe pas. C’est inexistant et pourtant on peut la trouver partout, gratuitement. C’est ça qui est compliqué pour les artistes, se faire déposséder et dépouiller à tous les niveaux. On est entré dans un système qui favorise les GAFAM, et aussi les maisons de disques, qui ont passé un accord avec eux. Tout ça sans que les artistes soient rétribués à la hauteur qu’ils méritent. On touche à l’absurde et en plus on cumule avec la fermeture des magasins de disques. On est dans un moment compliqué qui perturbe tout. C’est très frustrant. Je sais que la situation pénalise tout le monde, que l’on traverse ensemble une période complexe, mais vivement que cela s’arrête. Mais c’est mal parti. Il n’y a plus de concerts, c’est compliqué pour les nouveaux artistes, même cruel pour eux. Sans oublier le public, qui doit se sentir frustré. Je suis allé à l’Olympia en septembre voir Brigitte Fontaine. C’était la reprise des concerts. Et quand a retenti l’annonce rappelant l’interdiction de filmer et d’enregistrer, ce truc chiantisssime qui saoule tout le monde d’habitude, les gens ont applaudi, tellement heureux et émus de se retrouver dans une salle de concert. C’était à la fois irréel et assez beau d’ovationner cette annonce.

 

Pour finir avec le confinement, vous avez retrouvé d’autres disques perdus dans vos recherches ?

Ah non, un ça suffit déjà ! (rires)

Étienne Daho, Surf (Capitol/Warner)

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