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©Adriana Berroteran
4 décembre 2020

Inter[re]view : La Chica, mystique et nébuleuse dans cet album délicat tout au piano

par Léonie Ruellan

On ne connaissait pas encore cette facette sobre de La Chica. Après son EP Oasis (2017), puis son premier album Cambio (2019), La Chica nous avait habitués à une énergie chaleureuse et forte en couleurs, entre rythmiques latino-américaines, chants en espagnol et pop occidentale. Avec La Loba, deuxième long format qu’elle dévoile aujourd’hui, l’artiste franco-vénézuélienne montre son folklore sous un jour plus mystique et nébuleux, dans un album dédié à son frère disparu, où voix et piano dialoguent dans l’intimité. 

La Chica

©Adriana Berroteran

Ça faisait un moment que Sophie Fustec alias La Chica avait envie de faire un album plus éthéré et consacré au piano. Quand son petit frère est tristement décédé en juillet dernier, « tout ça a pris une autre profondeur« , nous confie-t-elle. Cet évènement est venu nourrir sa création, pour transformer ses « émotions en quelque chose, et ça a fait du bien« . La Loba est un album qui raconte la souffrance et l’au-delà, mais pour autant, il ne possède rien qui pourrait tenir du larmoiement fade et déjà-vu (et dont on n’aurait pas besoin en ce moment). Bien au contraire, c’est à travers des histoires magiques et inspirées du folklore vénézuélien que La Chica aborde ces thèmes, dans des chansons pleines d’espoir et de force. Un album qui s’écoute comme on lit un roman.

« La force de l’album, c’est de montrer qu’il y a de la beauté dans la tristesse, et que n’importe quelle expérience, aussi dramatique et dévastatrice qu’elle soit, peut se partager et générer de la force« .

« Agua », par exemple, est un « chant de rituel » dans lequel elle s’adresse à la rivière et lui demande d’emporter dans son flot ses peines et ses angoisses. « S’intéresser aux éléments de la nature est très récurrent dans le folklore latino-américain. Je me suis inspirée de ma culture, des rituels indigènes du Venezuela, pour créer mes propres chants de rituel. »

Elle reprend également le titre « Drink », déjà présent sur Cambio. « C’est mon chant pour les morts. Au Vénézuela, on célèbre la mort avec beaucoup de chants et de percussions, ça danse énormément et ça boit aussi beaucoup de rhum. On atteint une transe à travers la musique et l’alcool« . Le rythme entêtant et les percussions du morceau original sont échangés contre un piano pour une version acoustique : « Ça avait évidemment du sens de remettre ‘Drink’ dans cet album, mais je voulais qu’il ait une résonance plus apaisée. »

Chamanisme et féminisme

L’inspiration que La Chica avait en tête lors de la composition de ces sept titres, c’est Chilly Gonzales et sa série Solo Piano. Trois albums dans lesquels – comme leur titre laisse deviner – le producteur canadien se retrouve seul face à son piano. Tout comme La Chica dans La Loba. Mais elle y ajoute son chant, avec sa voix envoûtante, puissante, parfois semblable à celle d’une chamane déclamant des incantations, notamment dans « La Loba », le titre éponyme de l’album, qui signifie « la louve ». « La Loba est une légende mexicaine qui raconte l’histoire d’une sorcière mise en marge de la société. Elle a la particularité de chanter au-dessus des os et avec son chant, le tissu musculaire se reconstitue et le corps reprend vie. »

La Chica

Artwork / ©Adriana Berroteran

Ce morceau, comme les six autres, est empreint de magie et de mysticisme, ce qui se ressent jusque sur l’artwork du disque, issu d’une session photo au Mexique que La Chica (au milieu), son frère (à droite) et un ami (à gauche) s’amusaient à décrire comme « une séance de magie et de chamanisme moderne« .

« L’histoire de La Loba est très intéressante car elle dit aux femmes que même si cela fait des siècles qu’elles sont brisées, il n’est jamais trop tard pour raviver le feu et retrouver leur puissance.« 

Mais la légende de La Loba n’a pas inspiré La Chica que par sa dimension magique : elle a aussi une symbolique féministe très importante aux yeux de la chanteuse. « C’est mon chant pour les femmes, il résonne avec l’engouement extrêmement fort, puissant et palpable qu’il y a ces derniers temps pour les sorcières. Je trouve ça très important, ça me fait vibrer, alors j’avais envie de faire un chant qui aille dans cette direction, un chant pour encourager les femmes à garder le feu et leurs instincts. La légende de La Loba existe vraiment, elle apparait d’ailleurs dans le livre Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola Estés, ma bible depuis une dizaine d’années. Ce livre raconte des légendes sur les femmes à travers les âges et les cultures, et en fait une analyse qui montre comment elles ont été aliénées et éteintes par le système patriarcal. Dans l’histoire de La Loba, je trouve que la symbolique est très intéressante car elle dit aux femmes que même si cela fait des siècles qu’elles sont brisées, il n’est jamais trop tard pour raviver le feu et retrouver leur puissance. »

Dans son combat féministe comme dans son deuil, le message est le même : la force et le courage nécessaires se trouvent. « La force de l’album, je dirais que c’est de montrer qu’il y a de la beauté dans la tristesse, et que n’importe quelle expérience, aussi dramatique et dévastatrice qu’elle soit, peut se partager et générer de la force« .

La Chica sera – si tout va bien – en concert à la salle Gaveau de Paris le 29 janvier prochain, pour un live « intime et en toute simplicité« .

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