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Crédit photo : Vincent Flouret
13 septembre 2018

Flashback : il y a 11 ans, Miss Kittin & The Hacker en interview pour Tsugi numéro 1

par Simon Brazeilles

Le 22 septembre, le festival Scopitone à Nantes accueillera un événement unique en France : la réunion de Miss Kittin & The Hacker. Près de quinze ans après leur séparation, ces deux Grenoblois auront toujours une petite place dans nos coeurs en tant que duo emblématique de l’électroclash mais surtout en tant que couverture du tout premier numéro de Tsugi. Depuis, il est épuisé et collector. Même nous, nous n’avons pas réussi à remettre la main sur un exemplaire non abîmé. Mais, à l’occasion de cette date exceptionnelle, nous vous proposons de lire (ou relire) pour la première fois en ligne l’interview exclusive de Miss Kittin & The Hacker, extraite du premier numéro de Tsugi en 2007…

Quatre heures du mat’, Bataclan. Premier samedi de septembre. La rentrée du clubbing parisien. Impatiente mais joyeuse, une foule piétine devant l’entrée. A l’intérieur, dans une atmosphère électrique et surchauffée, nous assistons à l’un de ces instants privilégiés où la fameuse “communion du dancefloor” prend tout son sens. Un moment rare. Qui donc provoque ce frisson extatique ? Ricardo Villalobos, venu vriller le cerveau à coup de fanfares lysergiques ? Richie Hawtin, l’icône minimale venue retrouver ses apôtres parisiens ? A moins que ce ne soit les hérétiques de Justice, qui n’hésitent pas à mixer Para One avec Daniel Balavoine pour le plus grand malheur des prophètes de l’électroniquement correct ? Pas du tout. Cette liesse d’un samedi soir pas très ordinaire est provoquée par la présence de deux trentenaires d’origine grenobloise : Miss Kittin & The Hacker. Eux qui avaient ces cinq dernières années écumé séparément les clubs de la planète retrouvaient le goût des prestations communes. Certes, ce soir-là, leur réunion tant espérée prit la forme d’un fulgurant ping-pong de quatre heures, mais un “live” est déjà sur la route, et après un maxi printanier prometteur, un album est en voie d’achèvement.

Pourtant, ces deux figures emblématiques de la scène techno hexagonale ont bien failli être englouties pour une histoire de malentendus. On pensait Caroline Hervé (Miss Kittin) et Michel Amato (The Hacker) enfants de Depeche Mode, ils ne rêvaient que de Dopplereffekt, mystérieuse entité à électronique variable. On les voyait en Eurythmics frenchies, ils frayaient avec les intrigants Adult. de Detroit. On les imaginait remixant Soft Cell, ils ne pensaient qu’à échanger des bons plans avec Anthony Rother, ombrageux seigneur électro-techno allemand. D’un côté la pop grand public, de l’autre l’underground exigeant. Deux (doux) raveurs photographiés par Karl Lagerfeld, exposés dans la presse mode anglaise, invités dans les soirées « jet-sex », punaisés aux murs des chambres d’ado grâce au pouvoir d’un mot inventé par Larry Tee, un retors organisateur de soirées à New York : électroclash.

Caroline : Nous avons eu envie de prendre nos distances par rapport à un mouvement qui nous a happés. Cela ne nous correspondait plus. La mode a récupéré le truc, cela a contribué à notre ras-le-bol. On a dit que nous étions les précurseurs de l’électroclash ou que j’en étais la reine alors que dans nos têtes nous nous sommes toujours sentis acteurs de la scène underground.

Michel : Fin 2002, après la tournée pour The First Album, nous avons fait un vrai break. Dans certains pays comme la France ou l’Angleterre, notre succès a été assez tardif et les gens ne se rendaient pas compte que nous jouions la même chose depuis cinq ans tous les week-ends. Il nous fallait prendre l’air.

Avez-vous eu des propositions affolantes juste après la sortie du premier album ?

M : Des mecs me contactaient depuis les Etats-Unis : « J’ai un projet, tu vois, avec une chanteuse… L’album va s’appeler Electroclash, ce serait bien si tu faisais la musique. » Je ne répondais même pas. On aurait pu faire aussi une grosse reprise bien facile qui aurait cartonné genre “Tainted Love” de Soft Cell.

C : David Guetta m’avait demandé aussi de chanter pour un morceau “eighties” qu’il venait de composer. C’était gentil d’avoir pensé à moi mais cela ne me correspondait pas. Je ne me serais jamais vue en une espèce de Kylie Minogue de la techno en mini-jupe, entourée par quinze danseurs sur scène. Je n’ai pas besoin d’exister de cette manière. Au contraire, pour moi c’est le non-bonheur absolu.

Comment en êtes-vous arrivés à mettre des paroles sur vos morceaux ?

C : Le morceau déclencheur a été “The Scientist”  de Dopplereffekt. C’est ce qui nous lie aussi à des gens comme I-F qui s’est pris une claque en écoutant ce disque, ou Adult qui venait enregistrer chez Dopplereffekt.

M : Lorsqu’on a entendu ce morceau, on a senti que nous faisions partie d’une bande qui allait dans la même direction. Au début, ce que j’aimais dans ce mouvement qui ne s’appelait pas “électroclash” mais juste “électro”, c’est qu’il y avait une vraie scène avec tous les artistes que Caro a cités. Pour résumer, je dirais que nous étions une version pop de Drexciya (mythique duo electro de Detroit, membres de la galaxie Underground Resistance, ndlr). Quand il y a eu l’explosion “électroclash” en 2001, c’était le  début de quelque chose pour beaucoup de gens, alors que pour nous c’était le début de la fin.

Qu’est ce qui vous a manqué le plus l’un chez l’autre depuis votre séparation ?

M : Ce qui m’a pesé, c’est d’être tout seul dans le studio, sans quelqu’un pour réagir à ce que je fais. J’ai de plus en plus de mal à faire de la musique en solitaire. Même si je ne suis pas toujours d’accord avec elle, sa présence me fait réfléchir et avancer.

C : Ce qui m’a manqué, ce sont ces moments en studio ou sur scène où il y a une alchimie particulière que je ne retrouve avec personne d’autre. Nous sommes super complices, ce qui n’empêche pas une sorte de distance. Je ne connais personne avec qui je m’entends aussi bien, tout en étant presque à l’opposé au niveau du caractère. J’ai été soulagée lorsque nous avons recommencé à travailler ensemble. Nous étions tous les deux à une période de nos vies où on se disait : “On va droit dans le mur là ? » On se faisait chier, on s’est rendu compte qu’en étant deux, tout redevenait possible.

Quand avez-vous décidé de retravailler ensemble ?

C : A mon retour à Paris, après nos albums solo. Ça a aidé.

M : En février, la proposition de faire un live au Pont du Gard pendant l’été a été déterminante. Nous avions déjà fait quelques morceaux mais il nous fallait une sorte de date butoir pour être sûrs de se concentrer dessus.

C : C’était aussi une proposition prestigieuse avec de gros moyens. Nous n’avions jamais fait de live dans des conditions techniques décentes. Pour la première fois, nous avons répété avant de jouer et nous sommes un vrai groupe maintenant.

M : En 2002, quand nous participions à de gros festivals comme Dour, les mecs hallucinaient car nous n’étions que tous les deux.. On se trimballait avec le synthé et le DAT sous le bras. Aujourd’hui, on a une équipe et ça enlève une tonne de stress. A la fin du live au Pont Du Gard, je commence à démonter mon matériel et Guillaume le régisseur qui bosse avec nous me dit : “Arrête-toi Michel, ça tu n’auras plus à le faire.” Ah bon c’est cool. (rires)

Avant le concert, il y a eu la parution de ce nouveau maxi…

M : Les deux morceaux du maxi sont déjà anciens mais ils tiennent toujours la route. “Dimanche”, on l’avait fait à Berlin chez Caro il y a un an, en rentrant d’after du Panoramabar où nous avions mixé jusqu’à 18 heures. Nous avions envie de faire un titre qui collait à l’ambiance de ce vécu, un truc trippé. Des mois plus tard, j’étais avec ma bande de Grenoble, Kiko conduisait, je lui mets le morceau et il me fait : “Oh c’est super bien ton truc, c’est le « I Feel Love » de 2010”. Il l’a mis vingt fois d’affilée. C’était un signe.

L’autre face, “Hometown”, c’est un hommage à Grenoble ?

M : Là encore, je l’ai fait il y a pas mal de temps, puis je l’ai donné à Caro.

C : L’an dernier, lors des dix ans de GoodLife (label grenoblois fondé notamment par The Hacker, ndlr), j’ai joué ce morceau en guise de surprise. J’ai pensé à notre ville natale, au label et aux amis. Je me disais que c’était un peu cheesy mais c’est bien passé.

M : La première personne qui l’a entendu était également dans le studio quand nous avions enregistré “Frank Sinatra” en 1997. Il a écouté ce morceau et il m’a lancé la même phrase laconique : « Ah c’est vachement bien !” Je me suis dit “C’est bon alors.” (rires).

Le fait d’être resté proche de votre bande de Grenoble, c’est important ?

C : C’est comme une famille, c’est difficile d’avancer dans la vie quand tu as une famille qui ne t’aime pas ou que tu n’aimes pas.

M : C’est très important d’avoir ces amis. Certains comme Kiko ou Oxia font de la musique mais il n’y a jamais eu de compétition entre nous, c’est plutôt de l’émulation positive.

C : Quand j’habitais Berlin, ça m’a manqué de ne pas avoir un groupe de potes avec qui tu as tes propres expressions, avec qui tu dis tes conneries. Il me manquait quelque chose.

M : C’est un peu pour ça que je suis resté à Grenoble. Pendant la période électroclash, retourner à Grenoble était un bon moyen de garder les pieds sur terre. Cela t’évite de prendre le melon : si tu n’es entouré que de gens qui te disent que tu es génial, tu finis par le croire. Quand je vais boire un coup quelque part, il y a des gens que je connais qui ne savent pas ce que je fais et c’est très bien comme ça. Attention, cela ne veut pas dire que Grenoble c’est génial. C’est très joli, mais c’est très chiant.

Vos sources d’inspirations ont-elles changé ?

C : C’est sûr. Au niveau des paroles, je n’ai plus l’innocence d’avant. Même si nous avions voulu faire la même chose, nous n’aurions pas pu. Par ailleurs, je vis assez mal le côté “fan”. Je sais que l’on a pas le droit de se plaindre quand on a du succès ou bien cela veut dire qu’on prend la grosse tête. Mais ce conflit-là m’inspire et Michel voulait que je l’explore.

M : Le fait de voyager, de rencontrer plein de gens m’a donné plus d’assurance. Il y a dix ans, j’étais quasiment jamais sorti de Grenoble. Les films de science-fiction un peu cheap des années 50, à la Ed Wood ou de la Hammer (studio anglais spécialisé dans le fantastique et l’horreur, ndlr) m’ont aussi pas mal influencé. J’aimais bien les musiques de ces films. Il y a aussi des nouveaux producteurs que j’apprécie comme Olivier Hunteman, Stephan Bodzin ou Sleep Archive mais ce n’est pas comme la première fois où j’ai entendu Kraftwerk et Dopplereffekt. Là, ça m’avait fait changer de cap dans ma vie. Ces influences sont toujours là mais elles sont mieux maîtrisées. Le First Album c’était naïf, tu pouvais piquer une rythmique de Soft Cell ou de New Order parce que personne ne l’avait fait. Maintenant, c’est ultra cramé.

Dans quelle direction s’oriente ce nouvel album ?

M : Nous en avons terminé une bonne moitié. C’est très épuré, très minimal au sens musical du terme. Je suis obsédé par les morceaux où il n’y a que quatre, cinq éléments, ça dure dix minutes mais ce n’est pas chiant. Caro intervient plus aussi dans la composition, ça c’est vraiment nouveau.

C : Après des années d’excès, de voyages, une vie sentimentale pas facile, tu deviens philosophe, tu vas plus à l’essence des choses, tu veux atteindre une espèce de “zenitude”. Musicalement parlant, ça se ressent, tu es plus épanoui, cela va sortir dans l’album et donner une très belle couleur à nos morceaux.

Quel regard portez-vous sur la nouvelle scène française, les Justice & co ?

C : C’est bien qu’il y ait un mouvement parce que ça veut dire qu’il se passe quelque chose. Après, c’est une question de goût, ça m’irrite un peu, je n’écouterais pas un album de Justice chez moi, il y a trop de “breaks”, trop de “cuts”.

M : Je vois d’où ils viennent. Je ne me sens pas en danger : on n’est pas dans le même créneau.

Vous n’avez peut être pas les mêmes références…

M : Ah si ! Il paraît qu’ils sont fans de Dopplereffekt mais cela ne s’entend pas trop dans leur musique. Le truc qui me dérange, c’est l’influence Daft Punk, qui est plus qu’énorme dans tous ces groupes. Mais bon, même si je ne le jouerais pas, je reconnais que “D.A.N.C.E.” est un morceau hyper bien foutu.

Cela remet aussi la musique électronique au premier plan.

C : Ça prouve aussi que la France est capable de sortir un mouvement. Et puis derrière, il y a une personnalité, c’est Pedro Winter. On ne peut pas lui enlever ça. C’est un mec très fort. Le maxi “Never Be Alone” de Justice, il est sorti chez Gigolosans faire le tabac qu’il a connu par la suite.

Justement, quels rapports avez-vous encore avec Gigolo, votre premier label ?

M : Ils sont plutôt bons. Il y a plein de rumeurs, plein d’histoires sur Gigolo. Si tu ne fais pas partie du truc, tu ne sais pas ce qu’il se passe vraiment. On ne sait pas trop où ils en sont aujourd’hui. Quand ça a cartonné, ils n’avaient pas la structure pour gérer le succès et ils ont été complètement dépassés. Imagine, en l’espace de six mois, ils ont sorti Vitalic, Tiga, Fischerspooner, Zombie Nation et nous.  Et il n’y avait qu’une personne en permanence au label. Elle était dépassée, ce qui est tout à fait normal.

C : En tout cas humainement, il n’y a jamais eu de clash.

Vous ne pensez pas aussi que DJ Hell (fondateur de Gigolo) a eu moins de flair ?

M : Un patron de label ne doit pas être aussi un artiste, ce n’est pas bon. A un moment de l’histoire, Helmut (DJ Hell, ndlr) s’est peut-être dit : “Quoi ? Mes artistes sont plus connus que moi ?”.

C : Il a toujours eu ce côté : “C’est mes poulains, c’est moi qui les ai faits…”

M : C’est vraiment dommage qu’il n’ait pas su structurer cette super équipe. On serait peut-être encore chez Gigolo. Un jour, j’étais avec David Carretta, et des gens qui voulaient qu’on se lâche un peu sur Hell et David avait dit : “Vous ne me ferez jamais dire du mal d’Helmut.” Et c’est vrai, malgré toutes les petites histoires qu’il y a pu avoir, je suis super content quand je le vois. Je ne peux pas lui en vouloir : il nous a signé à une époque où personne ne voulait de nous.

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