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17 décembre 2014

Hors-série Kraftwerk : la chronique de Radio-Activity (1975)

par rédaction Tsugi

Article extrait de notre hors-série numéro 9 spécial Kraftwerk, toujours dans vos kiosques. 

Ralf Hütter a souvent évoqué l’idée de musique industrielle populaire (“Industrielle Volksmusik”) pour décrire des albums comme The Man- Machine, Trans-Europe Express ou Computer World. Mais l’expression convient sans doute encore mieux à cet album publié en 1975, Radio-Activity (Radio-Aktivität en allemand), qui illustre à merveille la manière dont Kraftwerk a chanté, entre candeur et distanciation malicieuse, les états successifs de la modernité industrielle et technologique au cours du XXe siècle.

Sur fond de chœurs synthétiques, de signaux et de bruitages sonores (code morse, compteur Geiger, bruit blanc, sonal, souffle et grésillements), le groupe évoque sous la forme de comptines synthétiques et mélancoliques, parfois chantées au vocodeur, la radioactivité et les transmissions radio, comme s’il célébrait la nature impalpable et éthérée des ondes. Outre le single “Radioactivity”, qui devint un énorme tube en France grâce à la promotion intensive qu’en fit Europe 1 en l’utilisant comme générique de l’émission Maximum de musique de Jean-Loup Lafont, l’album possède avec des titres comme “Radioland”, “Antenna” ou “Ohm Sweet Ohm” une tonalité froide, entre spleen et nostalgie, qui annonce à merveille la new wave.

KOSMISCHE & MOTORIK

Après “Autobahn”, leur premier tube international paru un an plus tôt, le groupe délaisse cependant les expérimentations parfois hasardeuses de ses premières années pour affiner la formule de pop synthétique qui fera son succès et l’imposera définitivement deux ans plus tard avec Trans-Europe Express. Radio-Activity est aussi le premier album entièrement autoproduit dans le studio Kling Klang de Düsseldorf et la première fois que la meilleure formation du groupe est réunie. À partir de 1975 et jusqu’en 1981, Ralf Hütter, Florian Schneider, ainsi que les deux percussionnistes Karl Bartos et Wolfgang Flür, composeront en effet un quatuor parfait et trouveront la formule idéale entre innovation sonore, bruitisme moderniste, mélodies entêtantes et rigueur percussive.

Lorsqu’il paraît en 1975, l’album incarne parfaitement l’image de modernité avant-gardiste véhiculée par les groupes allemands de cette époque. Si de nombreux classiques de la période dite “krautrock” sont déjà sortis, les productions de la seconde moitié des années 70 s’affranchissent davantage de l’influence du rock, du jazz et du psychédélisme, pour explorer le potentiel de la musique électronique. Parfois planante et méditative (on parle alors de “Kosmische Muzik”) à Berlin, à l’image de Tangerine Dream, Klaus Schulze ou Cluster. Parfois plus rythmique et pulsée (la critique parle alors de style “motorik”), du côté de Düsseldorf, avec des formations comme Neu!, Faust (plus au nord) et Kraftwerk donc, qui surclasse toutefois la majeure partie des productions de ses compatriotes. 

En 1975, l’Allemagne possède ainsi une longueur d’avance sur le reste de la scène pop qui, dans les pays anglo-saxons célèbre (malgré les innovations du disco) le métal d’AC/DC, Deep Purple, Alice Cooper ou le rock progressif de Genesis. Ainsi qu’une avance plus grande encore sur la France qui malgré quelques innovateurs (Jean-Michel Jarre, Alpes, Magma, Heldon) et malgré le triomphe que notre pays réserve à Radio-Activity, lui préfère souvent une variété de triste mémoire. Mais, au fond, ce milieu des années 70 est plus encore marqué par de nombreux soubresauts politiques : la tension de la guerre froide, le terrorisme des années de plomb ou l’opposition croissante à l’énergie nucléaire, portée en Allemagne par un puissant mouvement écologiste et pacifiste.

UNE VERSION REMANIÉE

Au sein de ce courant militant, prédominant au sein de la scène rock, les paroles du single de Kraftwerk (“Radioactivity, it’s in the air for you and me, tune in to the melody”), ainsi que leur ironie distante, passent mal. Surtout le groupe apparaît sur certaines photos de promotion, visitant une centrale nucléaire, équipés de blouses blanches ! Kraftwerk est accusé de faire la promotion réactionnaire de l’énergie nucléaire, ce qui pour une formation aussi perfectionniste en matière d’esthétique comme de communication, est considéré comme un échec. En 1991, à la sortie de The Mix, Ralf Hütter revoit entièrement les paroles. “Radioactivity” devient un titre écolo, techno et militant, porté par un beat plus appuyé, dans lequel il évoque les catastrophes de “Tchernobyl, Harrisburg, Sellafield” et “Hiroshima”, la “contamination et la mutation des populations”, le refrain étant même précédé d’une phrase sans équivoque : “Stop radioactivity”.

Plus récemment, Kraftwerk a entièrement remanié l’intro du morceau, qui, d’une voie robotique, alerte le public sur les dangers de la centrale britannique de Sellafield 2, porteuse d’une formidable puissance de destruction. Samplé par New Order sur leur célèbre “Blue Monday” en 1983, remixé par François Kevorkian et William Orbit en 1991, “Radioactivity” reste l’un des titres que le groupe a le mieux réussi à faire perdurer à travers les époques. Sa version live actuelle réussissant à marier à la perfection la langueur de sa mélodie originelle à tout un arsenal de pulsations synthétiques et modernistes. (Jean-Yves Leloup)

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