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1 juin 2018

Interview : Caballero & JeanJass ne sont pas venus pour blaguer

par Adrien Bertoni

Les meilleures blagues (belges) ne sont pas toujours les plus courtes. Depuis 2016, Caballero & JeanJass ont allié leur force pour donner naissance à l’un des duos les plus marquants du hip-hop actuel. Entre rap technique, égo-trip et second degré, les deux MCs ont su développer une formule qui mélange aussi bien des influences old-school que les sonorités du rap d’aujourd’hui. Caballero & JeanJass sont de retour avec un nouvel album pensé comme une conclusion à leur trilogie Double Hélice. Le duo y convie la crème du rap belge avec Roméo Elvis, Hamza ou Krisy et même Stromae que l’on retrouve à la production d’un morceau. Surtout, sur ce Double Hélice 3 Caballero et JeanJass continuent à peaufiner leur recette tout en prenant des risques et en s’essayant à de nouvelles sonorités.

Cela fait maintenant quelques années que vous êtes actifs. Au fil du temps on a vu de nombreux rappeurs très proches de vous, comme Nekfeu, Lomepal ou Roméo Elvis, avoir un succès grand public. Est-ce que ça a été une source de motivation pour vous ?

Caballero : Ça reste une source de motivation c’est clair. Après nous on veut le faire à notre sauce, on ne veut pas forcement avoir le même parcours que nos amis qui ont réussi. Mais évidemment on veut toucher un grand public et devenir plus gros. On est très ambitieux.

Si on regarde Lomepal ou Roméo Elvis, ce sont des artistes qui se sont détournés un peu du rap pour aller vers quelque chose de plus chanté. Vous, vous avez toujours eu une identité très rap. Est-ce que vous avez senti que ça pouvait vous freiner dans votre carrière et vous empêcher de passer à un niveau supérieur ?

C : Ouais clairement.

J : Après on a toujours été dans une logique de prendre des risques et de tester de nouvelles choses. Et c’est plus facile à deux, on a moins l’impression de se jeter à l’eau. Mais oui quelque part on essaie de rendre notre musique plus accessible sans enlever ce qui en fait son essence.

Est-ce que pour des artistes comme vous, qui viennent d’un rap assez technique, le chant c’est quelque chose de difficile à maitriser ?

C : En soit on a toujours essayé de placer un peu de mélodie ou de chantonner. Pas de manière aussi évidente que sur le dernier album mais on se lançait tout doucement. Je pense à mon morceau “Mérité“ sur Le Pont de la Reine et JeanJass a aussi pu le faire sur Goldman avec des refrains plus chantonnés. Donc oui c’est quelque chose qu’on a pu tâter doucement et que maintenant on aime clairement exploiter.

Avant la sortie de l’album, vous aviez dévoilé deux titres, “Chef“ et “Tu Connais Pas“, qui ne sont pas sur Double Hélice 3. Comment s’est fait le choix des morceaux sur l’album et la décision d’écarter ces titres ?

J : C’est surtout une question de productivité. Quand ils sont sortis on les imaginait un peu sur l’album et ils auraient vraiment pu finir dessus. C’est juste qu’on a fait plus de titres et on ne voulait pas en mettre trop. Comme “Chef“ et “Tu Connais Pas“ étaient déjà disponibles, les gens les écoutent quand même au final. D’ailleurs ils marchent très bien sur scène.

Sur le morceau d’ouverture de Double Hélice 3 on retrouve des extraits d’interviews du Roi Heenok. C’est une référence importante pour vous et en même temps beaucoup de monde le voit avant tout comme une blague, un personnage d’Internet, et non comme un rappeur. Vous pouvez revenir sur l’influence qu’il a pu avoir sur votre musique ?

C : En fait c’est souvent les gens qui ont pas assez creusé qui te diront que c’est un mauvais rappeur. Evidemment il a certaines petites lacunes mais tout le monde n’est jamais parfait. Dans ce qu’il raconte il y a des trucs super forts. Et sa façon d’utiliser la langue française est très inspirante.

J : C’est vraiment une rockstar, un personnage fascinant à tous les niveaux.

Dans l’extrait que vous avez mis sur votre titre, le Roi Heenok cite Prodigy du groupe Mobb Deep.

J : On a voulu rendre hommage à Prodigy. Quand on a appris la nouvelle de sa mort on était tous les deux attristés, comme si on avait perdu un proche ou un pote. Avec ce morceau on a pu rendre hommage à la fois au Roi et à Prodigy qui sont deux icônes pour nous.

C : On a fait d’une pierre deux coups.

Le rap new-yorkais est une influence majeure dans votre musique. Pourtant Double Hélice 3 avec des morceaux comment “Californie“, “A2“ ou “Bae“ en collaboration avec Hamza, semble avoir un esprit plus West Coast, ou du moins plus solaire. C’était une volonté d’avoir un album taillé pour l’été ?

J : Pas forcement. C’est vrai que le morceau avec Hamza a un coté plus funk y et on pourrait tout à fait l’entendre dans un bar branché de L.A. Mais c’était pas forcement voulu. D’ailleurs si tu regardes un morceau comme “La Lettre“, il est 100 % new-yorkais. On pourra jamais se détacher de ça car ça fait partie de notre ADN.

Sur de nombreux morceaux on sent aussi, notamment dans le travail des ab-libs (les sons, mots ou réactions ajoutés à la fin d’une phrase pour l’appuyer), l’influence d’artistes comme les Migos ou Travi$ Scott. Ce sont des rappeurs qui ont pu vous inspirer pour cet album ?

C : Clairement. Nous on est des geeks du rap donc forcement on écoute tout ce qui sort et on s’en inspire.

J : Et Migos c’est les meilleurs ambianceurs, les meilleurs ad-libeurs.

On a l’impression que les ad-libs sont devenus aussi importants que le rap aujourd’hui.

J :. Il y a toujours eu des gens qui ont été très forts pour ça. Busta Rhymes par exemple c’est quelqu’un qui a pu beaucoup m’influencer dans sa manière d’habiller ses morceaux. Aujourd’hui Anderson .Paak ou Kendrick Lamar le font très bien aussi. Mais c’est sur qu’avec Double Hélice 3 on a mis encore plus d’importance sur les ambiances et les ad-libs. Déjà avec le précédent disque, dans le refrain de “Sur Mon Nom“ par exemple, les “encore, encore, mets en plein, mets en plein“ ont autant fasciné les gens que le refrain en tant que tel.

JeanJass au début de ta carrière on te connaissait presque autant comme rappeur que producteur et j’ai l’impression que plus le temps passe moins tu produis. Comment tu expliques ça ?

J : Principalement parce que j’ai beaucoup moins de temps. C’est un peu le revers de la médaille comme on est très souvent sur la route ou en studio. Je suis du genre à me poser devant mon ordinateur et passer des heures à chercher des samples donc forcement là c’est assez compliqué. Mais je continue surtout à faire des prods avec de jeunes compositeurs comme ceux qui se retrouvent sur l’album, Dee Eye, BBL ou Sagittarius. C’est une formule qui va bien et je pense que je me remettrai surement à la production quand je serai un peu plus libre.

Depuis que vous avez débuté votre saga Double Hélice vous n’avez pas sorti de projet solo à coté. Est-ce que ça vous manque ?

C : Ça manque toujours un peu. On refera surement des albums solo mais on se met aucune limite. On n’a pas vraiment de règle, on ne se convainc pas de ne pas faire de solo pour telle ou telle raison. Si on a envie de le faire on le fera donc ça arrivera forcement un jour.

Est-ce qu’il arrive que vous ayez des prods ou des envies de textes qui finalement ne conviennent pas à l’autre et vous vous dites que vous les auriez bien mis sur un projet solo ?

C : Ça arrive souvent. D’ailleurs on continue à faire des morceaux en solo même s’ils ne sortent pas. On en a chacun pas mal en stock.

Quand on pense à votre style de rap il y a un mot qui revient souvent c’est ego-trip. Et pourtant si on regarde vos paroles sur Double Hélice 3, il y a évidemment cet ego-trip mais il y a aussi beaucoup de références et de pics à la politique. Est-ce que derrière votre image, vous ne seriez pas des rappeurs conscients ?

C : Probablement. On est un un bon équilibre, l’équilibre pas chiant.

J : Je crois qu’on devient de moins en moins bête aussi.

C : Moi je crois que je deviens de plus en plus bête.

J : C’est peut être ça en fait. (rires)

C : Dans la musique comme dans le monde, dans la galaxie ou dans l’univers, tout est une question d’équilibre. Pour que quelque chose soit réussi il faut le bon équilibre. On a pas envie d’être des rappeurs moralisateurs chiants et pas non plus les rappeurs les plus guignols. Il faut un peu de tout, une bonne salade avec tous les éléments.

Caballero et JeanJass se sont de vrais personnages. On vous retrouve sur vos albums mais aussi en dehors avec High et Fines Herbes, Check Food, etc. C’est important aujourd’hui de ne plus proposer juste de la musique mais aussi autre chose à coté ?

J : Oui c’est important. Le coté lifestyle c’est un truc qui commence à arriver dans le rap francophone mais les Américains le font depuis longtemps. Quant tu regardes toutes les émissions qui entourent les albums, tous les clips plus travaillés, il y a toujours eu ce coté plus visuel. Nous ça fait longtemps qu’on avait envie de le faire et on a juste attendu de rencontrer les bonnes personnes, les bonnes idées. C’est quelque chose qui prend beaucoup de temps et de travail. Mais on va continuer, on va bosser sur une saison 3 de High et Fines Herbes c’est évident.

Vous n’avez pas peur que votre musique finisse par être noyée par toutes les activités annexes qui l’entourent ?

C : Peur, non. C’est un risque à prendre sinon tu le fais pas. C’est mieux de le faire et voir comment ça se passe. Après c’est toujours clairement dit : on est des rappeurs qui faisons aussi autre chose. Si tu crois qu’on est des présentateurs etc. et que tu accroches à n’importe lequel de nos programmes, tu finiras forcement par découvrir qu’on fait de la musique aussi.

Est-ce que comme les Casseurs Flowters, vous avez déjà pensé à décliner les personnages de Caballero et JeanJass dans de la fiction ?

C : clairement oui.

J : Je pense que High et Fines Herbes, Check Food et tout ce qu’on a pu faire c’est un bon début, une amorce vers quelque chose de plus ambitieux.

C : On y pense fort en tout cas.

Comment vous voyez tous ces nouveaux venus, un peu comme Lorenzo en France ou 6ix9ine aux Etats-Unis, qui d’une certaine façon ne sont pas des rappeurs mais avant tout des personnages qui font du rap ?

J : Moi ils ne me dérangent pas. Pour être honnête je ne les écoute pas spécialement mais c’est intéressant.

C : Ce sont de nouvelles formules. Nous on vient d’une autre école, là il y en a une nouvelle qui s’est créée et c’est comme ça que ça marche. Mais je ne vais pas rager là dessus.

J : Moi déjà à l’époque de Fatal Bazooka je trouvais ça très drôle. C’était frais, les morceaux étaient bien travaillés, bien écris. Donc ce qui se passe maintenant ça ne me dérange absolument pas.

Vous avez une vraie réputation sur scène et vous avez déjà pu jouer dans de nombreux festivals. Est-ce que quand vous composez vos morceaux vous pensez à la scène ?

C : Pour certains morceaux tu sens qu’il y a une âme plus bordélique.

J : Un morceau comme “ALZ“ avec Sofiane on l’a écrit par rapport à la prod et clairement on s’est dit qu’il rendrait bien sur scène.

C : On fait au minimum trois à quatre concerts par semaine depuis un an et demi, deux ans. Donc c’est d’office quelque chose dont tu tiens compte vu que ça fait partie de ta vie.

On vous voit peu en featuring et à chaque fois ça reste avec des artistes proches de vous. C’est une volonté de ne pas trop vous mélanger ?

C : Vraiment pas.

J : C’est surtout que les autres ont peur comme on est trop forts. (rires)

C : On fait ça au feeling donc on n’a pas forcement eu l’occasion de croiser des artistes importants du rap français. Si il y a un feeling ça se fait, sinon tant pis.

J : En tout cas il y a beaucoup d’anciens, notamment des rappeurs qu’on apprécie, qui nous donnent de l’amour. Donc c’est vraiment pas un problème. Sur Double Hélice 3 on a eu Sofiane mais on aurait pu avoir plein d’autres artistes avec qui on a sympathisé et parfois commencé des morceaux. Après c’est aussi le hasard qui fait que ça aboutit ou pas.

Sur le morceau “La Lettre“ vous vous projetez quelques années dans le futur. Est-ce que vous vous imaginez continuer à rapper toute votre vie ?

J : Moi pas forcement.

C : Moi non plus. Et puis il y a d’autres choses à faire dans le rap que rapper. On peut continuer à produire de la musique, on a mis en place nos émissions, etc. On peut être présent sans être rappeur.

Vous pensez vraiment arriver à arrêter le rap un jour ?

C : Ça sera très dur mais le moment fatidique arrivera. Ou sinon je ferai des morceaux pour moi, sans les sortir.

J : C’est vrai que c’est jamais facile d’arrêter mais il faut savoir le faire à temps. Par exemple nous on voit Double Hélice comme une trilogie. Regarde Zizou, là il vient d’arrêter avec le Real Madrid. Tu gagnes trois fois la Champion’s League et tu t’en vas, c’est génial. Peut être que c’est un peu trop tôt mais mieux vaut s’arrêter trop tôt que trop tard.

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