ApreÌs sâeÌtre fait voler son mateÌriel et avoir publieÌ une anthologie de ses boucles eÌtranges pour tourner la page, Jacques est parti enregistrer au Maroc. Il revient avec LIMPORTANCEDUVIDE, un album excellent, mais pas du tout dansant.
Article issu du Tsugi 147 : Radio Activity, La folle histoire des radios musicales : des pirates aux webradios, disponible à la commande en ligne.
Il y a eu un malentendu lorsque Jacques est apparu sur la sceÌne il y a cinq ans. ApreÌs son premier EP, Tout est magnifique, et surtout les concerts quâil donnait en creÌant des boucles dansantes aÌ partir de bruits dâobjets, on a trop vite voulu en faire un nouvel espoir de la french touch alors que la house, le dancefloor, ce nâest vraiment pas sa culture, comme on lâa compris lors dâune rencontre organiseÌe avec Laurent Garnier pour le centieÌme numeÌro de Tsugi. Ceux qui ont eÌcouteÌ Â« Dans la radio » ne seront neÌanmoins pas surpris par lâorientation treÌs « chanson » de ce premier album reÌussi. Difficile de deÌfinir ce disque, ni pop anglaise ni chanson française. AÌ 30 ans, Jacques invente une troisieÌme voie pleine de fantaisie avec un album dont lâambition est de rencontrer un large public. On lui souhaite en tout cas.
Il y a quatre ans, tu disais vouloir enregistrer ton premier album aÌ la manieÌre de tes « lives » improviseÌs avec des objets. En deÌfinitive, tu livres un disque pop plus classique. Que sâest-il passeÌ ?
AÌ lâeÌpoque je disais quâil fallait que je fasse mon Homework. Je ne sais pas si jâai reÌussi, mais en tout cas jâai le sentiment dâavoir appris aÌ faire de la musique durant cette peÌriode dâisolement au Maroc. Une veÌritable meÌtamorphose. Mon deÌlire autour des objets et de lâimprovisation, câeÌtait super marrant, mais jâai fini par en percevoir les limites. Jâai longtemps travailleÌ aÌ une organisation me permettant de limiter au maximum le temps entre la naissance dâune ideÌe et sa livraison au public. JâeÌtais fascineÌ par la techno la plus pointue et la transe du dancefloor. Mais le processus pour faire de la techno avec des objets est devenu si lourd que jâai enregistreÌ des chansons paralleÌlement, comme une reÌcreÌation. Jusquâau moment ouÌ jâai compris que ces enregistrements, plus spontaneÌs, eÌtaient plus inteÌressants.
Tu as fini par admettre que la chanson te convient mieux ?
Jacques et la techno, cela a toujours eÌteÌ une fausse piste. AÌ lâeÌpoque, je nâavais pas assez confiance en moi et jâessayais de reÌpondre aÌ la demande. Je tirais dans tous les sens. Jâai galeÌreÌ longtemps avant de trouver ce truc des concerts avec des objets. Alors, quand lâaccueil a eÌteÌ positif, je me suis volontiers engouffreÌ dans la breÌche, mais rapidement je me suis vu donnant toujours dans vingt ans des concerts avec mes objets dans des salles des feÌtes. Câest aÌ ce moment-laÌ que je me suis dit que je devais changer de sceÌnario. Jâavais fait un hold-up suffisant pour avoir de quoi vivre et travailler tranquillement durant deux ans au Maroc. Sans ce break, je nâaurais pas pu faire cet album, je courais dâun live aÌ un autre. Je sentais que quelque chose clochait, mais je ne savais pas quoi.
Cela dit, apreÌs avoir eÌcouteÌ Â« Dans la radio » on nâest pas forceÌment surpris de la forme que prend ton album.
Si la forme a changeÌ, entre Tout est magnifique, qui mâa fait connaiÌtre, et LIMPORTANCEDUVIDE aujourdâhui, je raconte la meÌme chose. « Dans la radio » pointait deÌjaÌ dans cette direction. Ce qui est diffeÌrent câest que ma musique sâadresse doreÌnavant aÌ beaucoup plus de gens. Jâai fini par admettre que jâaimais la pop. Jâai arreÌteÌ de dire « le top 50 câest de la merde ». Jâai reÌaliseÌ quâen disant ça, je meÌprisais la plupart des gens. JâeÌtais snob dans un milieu de snobs. CâeÌtait bon pour ma carrieÌre, mais pas pour ma musique. Artistiquement câeÌtait steÌrile. Partir au Maroc mâa permis de changer dâunivers. Jâai enregistreÌ dâautres titres plus techno que je sortirai un jour, mais je pense quâil est plus inteÌressant de les faire exister autrement quâaÌ travers un album. Je ne suis pas encore pleinement satisfait par le mix entre ce que je faisais aÌ mes deÌbuts et ma musique actuelle. Il y aurait pu y avoir plus dâobjets dans ce disque. Je sais que je peux faire mieux, mais câest compliqueÌ de trouver le bon eÌquilibre. Jâai eÌteÌ treÌs inspireÌ, je dirais meÌme habiteÌ, par Sophie, surtout depuis son deÌceÌs. AÌ sa mort, jâai eu une sorte de reÌveÌlation Sophie, je lâentendais partout. La seÌparation des Daft Punk mâa eÌgalement marqueÌ. Cela a eÌteÌ deux eÌveÌnements qui mâont libeÌreÌ. MeÌme si mon album ne ressemble ni aÌ lâun ni a lâautre, jâai longtemps eÌteÌ inhibeÌ par la peur de copier des gens que jâaime. Depuis quâils ne sont plus laÌ, je suis habiteÌ par lâenvie de leur rendre hommage.
En parlant des Daft Punk, ton peÌre, comme celui de Thomas Bangalter, a eÌteÌ musicien lui-meÌme. Il tâa aideÌ ?
Mon peÌre sâappelle EÌtienne Auberger, il a sorti un album en 1987 (on trouve ses chansons sur YouTube, ndr). CâeÌtait de la varieÌteÌ avec un peu dâhumour, mais il nâest pas producteur et nâa pas joueÌ le roÌle du peÌre de Thomas. Il mâa influenceÌ neÌanmoins. Il a eu une expeÌrience musicale un peu malheureuse. Il eÌtait treÌs satisfait de ses maquettes qui lui avaient permis de signer un beau contrat, mais lors de lâenregistrement au studio du chaÌteau dâHeÌrouville, le producteur et les musiciens sont partis dans une direction qui ne lui plaisait pas. Il sâest senti deÌposseÌdeÌ de ses chansons. DeÌgouÌteÌ par ce milieu, il mâa eÌleveÌ dans une meÌfiance eÌnorme, jâai beaucoup de mal aÌ deÌleÌguer. Câest sans doute pour lui prouver que câest possible que jâai voulu faire ce disque entieÌrement seul, meÌme si en deÌfinitive je ne suis pas certain que cela soit une bonne chose. Jâaurais pu mâentourer de gens dâexpeÌrience pour mâaider. Dâune certaine manieÌre, je porte le fardeau de devoir « venger mon peÌre ». Cette expeÌrience lâa traumatiseÌ, il nâa plus jamais enregistreÌ. Je crois quâil a fait de la musique pour de mauvaises raisons. Il devait avoir quelque chose aÌ prouver, mais quand il sâest retrouveÌ aÌ la teÌleÌ, chez Jacques Martin, il sâest demandeÌ ce quâil faisait laÌ.
Câest aÌ cause de lâexpeÌrience de ton peÌre que LIMPORTANCEDUVIDE est un album autoproduit, sans deal avec un gros label ? Jâimagine que tu as eu des propositions, pourquoi les avoir refuseÌes ?
Lâalbum sort sur Recherche & DeÌveloppement, le label dâEÌtienne Piketty, qui faisait partie du collectif Pain Surprises avec lequel jâai deÌbuteÌ. Jâaurais pu sortir mon disque sur un plus gros label, mais cela ne me convient pas. Il y a un coÌteÌ industriel dans la musique aujourdâhui, avec des carrieÌres express et des gens qui se deÌpeÌchent dâavoir du succeÌs parce quâapreÌs 26 ans, câest mort. Je nây crois pas. Je veux partager des valeurs de sagesse plutoÌt que celles de la jeunesse et de la reÌussite. Jâai la chance de vivre deÌjaÌ de la musique graÌce au succeÌs de mes concerts, alors je preÌfeÌre eÌtre dans un label qui me laisse le temps de me deÌvelopper comme je le souhaite. Pas dâurgence + pas de proposition vraiment pertinente = autoproduction.
« On valorise la croissance, la richesse, la creÌativiteÌ, le phallus, etc. Alors que lâabsence, le manque et le rien sont toujours perçus neÌgativement. Il faut au contraire se souvenir de âlâimportance du videâ. »
En revanche, pour la sceÌne, tu travailles avec Talent Boutique, un tourneur treÌs professionnel. Pourquoi ce choix ?
Jâai rencontreÌ AEG, Live Nation et compagnie. AÌ lâeÌpoque, mon album eÌtait loin dâeÌtre acheveÌ et je leur disais que je voulais revenir en faisant une tourneÌe des EmmauÌs de France. Je pense quâau fond dâeux-meÌmes, tous les gens que jâai rencontreÌs eÌtaient perplexes, mais comme ils ont besoin de signer des jeunes, ils validaient le projet. Finalement, câest Talent Boutique qui mâa paru avoir lâeÌquipe la plus rationnelle. Ce ne sont pas les plus gros, mais ils sont seÌrieux et efficaces. Je nâai pas peur dâavoir de lâambition. Je veux avoir la bonne eÌquipe au cas ouÌ la tourneÌe marche comme je lâespeÌre. Chez Talent Boutique, ils savent faire les grosses salles comme les plus petites.

© Alice MoitieÌ
De quelle manieÌre vas-tu jouer cet album sur sceÌne ?
ApreÌs avoir reÌaliseÌ seul les maquettes de lâalbum avec la souris de mon ordinateur, jâai passeÌ quelques journeÌes en studio pour que des musiciens rejouent certaines parties. Arthur Vonfelt, le batteur de mon premier groupe devenu un multi-instrumentiste de folie, capable de jouer des percussions, mais aussi de la guitare et de la basse, est celui qui est le plus intervenu. Pour les concerts, la question dâavoir un groupe sâest longtemps poseÌe. Elle est enfin trancheÌe, meÌme sâil reste aÌ deÌterminer lâeÌquilibre entre le groupe et ce que je vais interpreÌter seul avec mes objets. Jâimagine que cela eÌvoluera en fonction du succeÌs de lâalbum. Si je seÌduis un nouveau public qui ne mâa jamais vu sur sceÌne, je vais privileÌgier le groupe. En tout cas, jâai maintenant un set-up optimiseÌ pour jouer avec des objets et improviser, meÌme si je me meÌfie de lâimprovisation qui ne donne pas toujours de bons reÌsultats. On sera quatre sur sceÌne, ma copine, ma sĆur et mon ami Arthur. Je ne voulais pas prendre des musiciens de sceÌne hyper rodeÌs. Quant aÌ moi, mes objets resteront mes instruments. On va pouvoir montrer ce que jâen fais avec une cameÌra. Les reÌpeÌtitions ont deÌbuteÌ.
Tu as pris des leçons de chant pour cet album, dans lequel la voix est centrale ?
Et des cours dâautotune aussi. (sourire) Miel de Montagne mâa conseilleÌ son prof de chant, avec qui jâai fait eÌnormeÌment dâexercices de musculation via Skype. Jâai aussi envie de suivre des cours de danse avant la tourneÌe.
Tout en eÌtant treÌs propre, le son de lâalbum « deÌrape » reÌgulieÌrement. Il y a des petites « folies » ici et laÌ. Quâas-tu chercheÌ aÌ faire ?
Assez vite, jâai compris que je ne voulais pas faire cohabiter techno et pop dans un meÌme album, car le dancefloor et le salon sont deux mondes diffeÌrents. Mais la pop aussi sâeÌcoute de deux manieÌres. Lâinattentive, celle des gens qui tombent sur ta musique par hasard et aÌ qui il faut offrir lâexpeÌrience la plus plaisante possible sans quâils puissent eÌtre deÌstabiliseÌs. Et celle des fans et des amateurs de musique aÌ qui on peut glisser des propositions plus originales. Jâai voulu faire un disque pop globalement normal, tout en glissant des bizarreries, sans que les deux eÌcoutes ne sâinterfeÌrent, que lâune ne nuise aÌ lâautre. JâespeÌre que les non- francophones qui ne vont pas comprendre les paroles se diront que je fais une veÌritable proposition musicale. Je pense aussi aÌ ceux- laÌ. Puisque je souhaite aller aÌ la rencontre du public, pourquoi limiter mon ambition aÌ la France ?
Dâailleurs, si LIMPORTANCEDUVIDE est un album de pop chanteÌ en français, je ne suis pas certain que la chanson française fasse reÌellement partie de tes inspirations.
Je dois reconnaiÌtre que jâai du mal aÌ citer des chanteurs français qui mâont reÌellement marqueÌ avant la sceÌne actuelle des Flavien Berger et autres Polo & Pan. Les noms auxquels je vais penser sont assez bateaux comme Gainsbourg ou TeÌleÌphone, mais câest plutoÌt un groupe de rock. En travaillant sur lâalbum, il mâest arriveÌ de penser aÌ Starmania ou au film Les Choristes pour le titre « Câest » avec sa chorale dâenfants, mais eÌtrangement câest souvent aÌ de la chanson pour enfants que mon disque me fait penser. Il a un coÌteÌ lunaire aÌ la Henri DeÌs. Mais il y a aussi des moments Thundercat, Frank Zappa, Aphex Twin ou Tame Impala…
DâouÌ vient cette eÌtrange ideÌe de pochette ?
Jâai heÌsiteÌ aÌ changer ma coupe de cheveux pour passer aÌ ce nouveau chapitre. Et puis, graÌce aÌ la meÌre coiffeuse dâune amie est neÌe lâideÌe de cette une veste en faux cheveux avec laquelle on a fait la photo et que je garde dans ma cave depuis. Jâaime lâideÌe que jâavais deÌjaÌ des cheveux eÌtranges et que je me radicalise encore plus pour mon premier album.
Tes textes sont assez originaux, on sent que tu cherches aÌ dire quelque chose…
Ils sont au centre du disque. Sans les textes, jâai lâimpression que la musique de lâalbum ne se suffit pas totalement aÌ elle-meÌme. Câest un tour de passe-passe, je deÌtourne lâattention des auditeurs avec des paroles originales, comme ça, ils ne se concentrent pas sur la musique qui est encore en deçaÌ de mes ambitions. Longtemps, lâalbum sâest appeleÌ Tout se transforme. Jâai une vision assez binaire du monde, fait de plein et de vide. On trouve cette dualiteÌ dans tous les domaines, mais le « plein » est trop souvent survaloriseÌ. On valorise la croissance, la richesse, la creÌativiteÌ, le phallus, etc. Alors que lâabsence, le manque et le rien sont toujours perçus neÌgativement. Je pense quâil faut au contraire se souvenir de « lâimportance du vide ». Plus ne peut pas aller sans moins. Mais chacun peut interpreÌter ce titre comme il le souhaite. Câest aussi ma coupe de cheveux ouÌ le vide, lâabsence de poil, est central. Câest aussi un pheÌnomeÌne de socieÌteÌ, avec le Covid et ces gens qui partent aÌ la campagne pour sâisoler dans des endroits deÌserts.
Dans « Avec les mots », tu chantes ton incapaciteÌ aÌ expliquer ce que tu fais dans la vie avec des mots. Quels rapports entretiens-tu avec eux ?
Je ressens la frustration de ne pas arriver aÌ exprimer la totaliteÌ de ma penseÌe avec des mots. On nâest pas eÌgaux devant les mots, ils sont source de quiproquos. Jâai lâimpression que mes actes expliquent mieux ce que je suis.
Tu as eu du mal aÌ eÌcrire tes textes ?
(sourire) Ils ont neÌcessiteÌ des efforts surhumains. Au mieux, il me fallait une journeÌe pour une phrase. Jâai une personnaliteÌ un peu moralisatrice. Jâai tendance aÌ dire aux gens ce que jâestime quâils ont besoin dâentendre. Du coup, ma participation au deÌbat est parfois deÌsagreÌable. Alors jâai tendance aÌ mâisoler. Câest aussi sans doute pour ça que je suis parti au Maroc. Et puis, je me suis rendu compte que comme je nâavais plus lâoccasion de donner mon avis, jâavais tendance aÌ le faire dans mes morceaux. Ce nâest pas une bonne ideÌe dâeÌcrire des chansons pour donner des leçons. Du coup, je me suis mis aÌ eÌcrire un livre, ce qui me semble un format plus indiqueÌ pour exprimer des opinions. Jâai compris que mes chansons devaient servir aÌ sâamuser avec les mots plutoÌt quâaÌ faire de grandes deÌclarations.
Et tu lis toujours autant de livres de deÌveloppement personnel comme tu lâavais raconteÌ dans Tsugi ?
Non. (rires) Quand jâai du temps libre, je regarde des tutos pour apprendre aÌ faire de la 3D.
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