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Crédit Photo : Daniel Adhami
21 mars 2018

Neue Grafik : inspirations cosmopolites

par Alice Lanneluc

Londres, Barbès, Rio…Prenez votre passeport pour suivre Neue Grafik et son univers. L’artiste français aime créer des passerelles entre les genres, mais aussi entre les cultures et les pays. Difficile de rester en place à l’écoute du producteur tant il s’aventure dans des sonorités mêlant house, hip-hop et même jazz. Ses disques sont le produit d’une large palette de références et d’inspirations. Voguant entre Paris et Londres, il s’est arrêté quelques jours dans la capitale française pour la sortie de son nouvel EP Innervision chez Rhythm Section, le label de Bradley Zero. L’occasion de le retrouver dans le Xe arrondissement pour discuter de spiritualité, de ses influences, de ses références comme le jazz brésilien et des différentes collaborations avec son acolyte de toujours : Wayne Snow.

Ton nom Neue Grafik vient d’une revue suisse sur le graphisme et sur tes pochettes on remarque une forte identité visuelle. Quelle relation entretiens-tu avec le graphisme ?

Avant de commencer la musique, je voulais être à la base free lance dans l’informatique et je cherchais un nom de boîte. Alors je me suis mis à lire Histoire de l’écriture typographique du XXe siècle et je suis tombé sur Neue Grafik. Même si j’ai arrêté de bosser sur les ordinateurs, je l’ai gardé pour la musique.

Tu crées toi-même tes pochettes ? 

Non, j’aurais adoré, mais je suis un piètre dessinateur. En revanche j’adore les concepts et on en retrouve beaucoup dans ma musique car j’essaye de trouver des angles de compréhension en rapport avec la société. Par exemple, j’ai fait deux disques, Pris et Roy, qui sont en lien avec Blade Runner. Pris est le réplicant de la luxure et Roy celui qui tue son père. Je vais bientôt en publier un nouveau, Rachel, le réplicant de la féminité, pour compléter le triptyque.

On qualifie souvent ta musique de « house anglaise underground », tu es d’accord ? 

J’ai toujours eu un problème avec le terme « underground », je pense qu’il est un peu galvaudé. En réalité, il existe des artistes mainstream et underground que j’adore. Ces termes ne m’importent pas, je suis plutôt pour la démocratisation. Prince, Michael Jackson ou encore James Brown, c’est du mainstream selon moi et pourtant c’est génial ! Et en même temps, il y a des gens comme Thirty Seventy qui sont considérés comme des artistes « underground » mais finalement la seule différence c’est qu’ils ne sont pas connus. Pour ma part, j’essaye de faire de la musique qui sort des cases et ne pas m’enfermer dans un truc hip-hop ou jazz car il y a tellement de manière d’aborder la musique. Si je devais avoir un qualificatif, j’aimerais bien que ce soit « artiste conceptuel » ou hybride.

Ta première rencontre avec la musique électronique était avec James Blake, comment t’a-t-il ouvert à ce genre ? 

Oui c’était en 2010 ! Je sortais d’une soirée assez arrosée à Pigalle et je me suis retrouvé dans une after chez des potes où il y avait d’ailleurs Benjamin Diamond (rires). Un de mes amis m’emmènait sur Youtube et me montre « CMYK » de James Blake, l’un des premiers morceaux qu’il a publié et je me dis « mais d’où ça sort ça ». C’était vraiment ma porte d’entrée vers la musique électronique et ce mec me correspond totalement car sa musique est une sorte de point de rencontre entre la soul, la funk ou encore le hip-hop. En plus, à ce moment-là je venais de la pop et j’écoutais Eels, Animal Collective ou encore Björk. Je sortais en club mais c’était plus récréatif que pour le son, j’y allais pour draguer des filles et je n’y arrivais pas (rires).

Tu as une autre influence majeure, c’est le jazz brésilien. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?

Tout a commencé car j’avais un prof de piano qui était le fils de Baden Powell de Aquino, l’un des créateurs de la bossa nova. Cet artiste fait beaucoup de références aux divinités, et c’est aussi ce que j’ai essayé de faire sur Innervision, ce disque est clairement une référence à ce musicien et à son fils, un peu comme un hommage. J’étais aussi très proche de Pablo Valentino qui a une super collection de disques de jazz brésilien. J’ai découvert des artistes comme Hermeto Pascoal, Milton Nascimento et son titre « Minas », qui est un peu  le « Sgt Pepper’s » brésilien. C’est très beau et ingénieux…

Tu parlais tout à l’heure de concepts, quels sont ceux qu’on peut retrouver sur ton disque Innervision?

Les deux angles que j’ai choisis pour cet EP sont les disparités et les ressemblances entre Paris et Londres. J’ai fait beaucoup d’aller-retour entre les deux villes. C’était assez spécial comme période car en France il y avait les élections présidentielles et à Londres, ils se remettaient doucement de l’annonce du Brexit – la plupart des habitants ne voulait pas de cette situation de repli. De plus, là-bas l’immigration est très différente ce sont beaucoup de Jamaïcains, de Caribéens, ou des Nigérians. C’est assez intéressant car je découvrais sur place beaucoup de cultures différentes et plusieurs accents. Ensuite, je suis revenu en France et j’ai fait beaucoup de parallèles avec par exemple l’accent sénégalais.

J’ai aussi voulu aborder le manque de spiritualité que l’on rencontre dans ces deux villes, c’est pour ça qu’il s’appelle Innversion car le but est de se recentrer et se comprendre. Le titre a été trouvé par Kesiena (Wayne Snow) lors de l’enregistrement du titre éponyme, et ça collait totalement avec la vision du disque (dont on avait beaucoup parlé avant d’enregistrer). Je pense d’ailleurs que si je devais me convertir ce serait à l’animisme qui a cette idée que tout est Dieu et donc que tout a une importance. Au final, dans notre vie de tous les jours on ne prend plus soin de nous-même ni de nos corps car on est absorbés par le stress. Sans oublier que nous sommes dans des villes qui sont totalement déconnectées de la nature. Tout cela me fait beaucoup réfléchir sur notre condition et sur nos vies dans ces grandes métropoles.  En fait le disque aborde ce qui nous entoure et notre manière d’appréhender l’urbain. On passe notre temps sur des téléphones mais on est totalement déconnectés et quand j’y réfléchis ça me fait un peu peur.

On retrouve aussi Wayne Snow sur Innervision avec qui tu as bossé sur des titres comme « We Are Good » ou encore « Witches ». Quelles relations artistiques vous entretenez ?

C’est quelqu’un dont j’admire beaucoup le travail. J’adore sa voix, ses textes et la simplicité qui émerge de son écriture. Il arrive à être à la fois abstrait et très prononcé et cela peut parler à beaucoup de gens. J’étais déjà trés admiratif de son titre « Rosie » et c’est pourquoi je l’ai contacté. On s’est retrouvé lors d’une date à Berlin que je faisais avec le gérant du label Tartelet puis je l’ai invité en studio à Paris. Depuis, c’est une collaboration qui dure : cela fait plusieurs années qu’il se retrouve sur chacun de mes disques.

Tu as récemment lancé un quintette de jazz avec des musiciens de la scène anglaise pour créer un set inédit. Comment est venue cette idée et comment as-tu monté ce projet ? 

Pour être honnête, ce n’est pas mon idée (rires). A Londres, j’ai fait la connaissance de Lexus Blondin – qui a monté la salle Church of Sound, un des gros spots de la scène jazz. Je lui ai envoyé un gros pack de démos avec que de la musique faite avec des synthés et des MPCs et il m’a proposé de former un groupe de jazz ! Au départ, j’ai hésité car je souhaitais rester focus sur l’étude du piano et sur mes productions solo. Puis, vie personnelle aidant j’étais un peu déprimé à Paris alors je me suis dit que j’allais partir deux semaines à Londres. Dès qu’il a su que j’arrivais, il m’a parlé d’un possible date qui devait avoir lieu trois jours plus tard alors j’ai proposé un DJ-set pour être certain d’avoir une porte de sortie au cas où.

Quand je suis arrivé à Londres, il avait déjà contacté plein de gens comme Emma-Jean Thackray, une arrangeuse qui joue de la trompette et des percussions, le batteur Dougal Taylor et le bassiste Matt Gedrych. En gros, mon quintet s’est formé en deux jours (rires). On s’est mis à répéter, je proposais des trucs puis on composait à plusieurs ou j’amenais ce que j’avais travaillé chez moi. Tout s’est fait à une vitesse folle : en trois jours on avait enregistré et arrangé un set ! La première date s’est retrouvée sold-out pour un groupe qui n’existait pas trois jours plus tôt et on a même des enregistrements du concert pour faire un disque plus tard. Ce premier voyage musical en Angleterre était vraiment incroyable. C’est une période où j’étais vraiment bien entouré et c’est vraiment galvanisant de bosser à plusieurs !

 

 

 

 

 

 

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