🎤 Interview : on a parlé Brixton, Slipknot et post-genre avec Wu-Lu à Cabaret Vert
En juilÂlet dernier, le BriÂtanÂnique Wu-Lu a sorÂti son deuxÂième album LOGGERHEAD. Un opus post-genre, alliant influÂences mĂ©tal, hip-hop, ou encore jazz fusion. Ă€ l’ocÂcaÂsion de son pasÂsage au fesÂtiÂval Cabaret Vert, nous nous sommes entretenus avec lui pour revenir sur cette sorÂtie. Rencontre.
C’est Ă minuÂit après son pasÂsage Ă Cabaret Vert que nous retrouÂvons dans sa loge Miles Romans-Hopcraf, alias Wu-Lu. “Vous voulez quelque chose ?”, nous demande-t-il en tenÂdant le panier de fruits instalÂlĂ© sur la table de cette petite salle aux murs prĂ©ÂfabÂriquĂ©s. Le conÂcert de StroÂmae bat son plein et les bassÂes font tremÂbler les cloiÂsons. Le LonÂdonien origÂiÂnaire du quartiÂer de BrixÂton semÂble fatiguĂ©. En mĂŞme temps, il vient d’ofÂfrir un show intense au-delĂ des genÂres mĂŞlant hip-hop, mĂ©tal et jazz fusion et un final Ă l’énÂergie punk ‑soutenu par la rappeuse briÂtanÂnique Lava La Rue qui se trouÂvait dans le pubÂlic. Un conÂcert touÂjours fidèle Ă son nom de scène provenant du mot “wuha”, “eau” en amharique. SymÂbole de fluÂidÂitĂ© et de libÂertĂ© pour Wu-Lu.
Comment était le concert de ce soir ?
C’était gĂ©nial, vraiÂment intense. LitÂtĂ©raleÂment. Ce matin, j’éÂtais en Espagne, avec ma famille. J’ai du prenÂdre quelques trains pour venir. J’ai mĂŞme rĂ©usÂsi Ă avoir un train pour arrivÂer plus tĂ´t. Puis j’ai reçu un appel pour me dire que mon temps de pasÂsage Ă©tait avancĂ©. J’éÂtais genre : “quoi ?!”. Et lĂ on m’a dit: “Ouais, on est sur scène en train de tout installer, t’es oĂą ?”. Je venais juste d’arriver Ă la gare. Je suis passĂ© du train Ă la scène directeÂment. Dans ma tĂŞte j’étais : “Wow”. Mais ce truc en a fait un bon conÂcert. Parce que nous devions ĂŞtre prĂ©Âcis, rapiÂdeÂment. J’ai adorĂ©.
Est-ce que le public comprend toujours ta musique ? Il paraît qu’aux Escales de Saint-Nazaire tu as à la fois vidé la piste et conquis le public.
Ça dĂ©pend vraiÂment. J’ai l’imÂpresÂsion que les gens qui nous Ă©coutent Ă l’oÂrigÂine sont pour la pluÂpart d’une gĂ©nĂ©raÂtion punk, plus âgĂ©e, ils ont peut-ĂŞtre entre 40 et 50 ans. Et puis, les gens qui restent sont ceux qui aiment le bizarre. J’aime l’idĂ©e que les gens vienÂnent pour s’atÂtenÂdre Ă une chose, mais reparÂtent en penÂsant autre chose. Ça perÂmet de filÂtrÂer les gens qui vibrent vraiÂment sur notre musique.
C’est exactement ce qu’on a ressenti la première fois qu’on t’a vu, à l’enregistrement de l’émission Echoes d’Arte. Parce que tu commences ton set avec un son plus hip-hop et ensuite tu enchaines avec du métal. C’était ta première télé d’ailleurs ?
Oui. Il y avait beauÂcoup de choses Ă assimÂiÂlÂer. Mais ça m’a renÂdu vraiÂment heureux. Enfant, j’écoutais pas mal Franz FerÂdiÂnand, c’était assez irrĂ©el de partager la scène avec eux. J’ai pu les voir sur scène, c’est touÂjours cool. (Il comÂmence Ă chanÂtonÂner l’air de “Take me out”)
Que s’est-il passé entre ton premier album Ginga et ce deuxième album LOGGERHEAD que tu viens de sortir?
Tu es la preÂmière perÂsonÂne qui prononce le titre corÂrecteÂment ! Les gens disÂent touÂjours “GuinÂga”. GinÂga c’est le fait de bouger d’avant en arrière dans la capoeira. Pour moi cet album n’était pas nĂ©cesÂsaireÂment du hip-hop ou un autre genre. C’est juste de la musique pour bouger d’aÂvant en arrière, comme tu le sens. Tous les morceaux qu’il y a sur LOGGERHEAD, c’est le son que je fais depuis des annĂ©es. GinÂga Ă©tait un moment oĂą je me disÂais que je devais monÂtrÂer au monde ce que je faiÂsais avant. Ă€ l’époque, je voulais dire aux gens que j’alÂlais ĂŞtre difÂfĂ©rent dans tous les domaines. Comme ça, ils n’allaient pas ĂŞtre trop surÂpris lorsqu’ils entenÂdront un son hip-hop Ă cĂ´tĂ© d’un morceau punk, Ă cĂ´tĂ© d’une chanÂson bruyante, Ă cĂ´tĂ© d’une comÂpoÂsiÂtion plus orchesÂtrale. Et j’essaye ausÂsi de mĂ©langer tout cela ensemÂble. J’essaie de ne pas avoir trop d’une chose dans ma musique. Je ne veux pas que ça soit trop mĂ©tal ou trop hip hop. J’essaie juste de trouÂver un bon Ă©quiliÂbre. GinÂga c’était les dĂ©buts de moi en train de crĂ©er ce que je fais mainÂtenant. C’était des idĂ©es. Et tout ce que j’ai fait, c’est les affiner.
Et donc tu as enregistré cet album en Norvège, c’était assez compliqué de ce qu’on a compris.
On a comÂmencĂ© Ă enregÂistrÂer dans un pub Ă l’Ouest de LonÂdres. Il ferÂmait, alors mon bassiste a sugÂgĂ©rĂ© d’aller en Norvège au stuÂdio de Simon TickÂnÂer, qui tenait le pub Queen’s Head Ă BrixÂton. C’était un pub très conÂnu oĂą des groupes comme Fat White FamÂiÂly jouaient. Et il l’a venÂdu, a achetĂ© une maiÂson en Norvège et a monÂtĂ© un stuÂdio. C’était parÂfait, au milieu de nulle part, avec beauÂcoup de temps libre. J’étais lĂ : “fuck it, on trouÂve de l’arÂgent, on va lĂ -bas”. C’éÂtait comme BrixÂton, mais avec un fjord Ă cĂ´tĂ©.
Tu parles de santé mentale sur LOGGERHEAD, que souhaitais-tu raconter ?
Le conÂcept LOGGERHEAD est autour de la voix interne, de moi-mĂŞme et d’autres perÂsonÂnes. Au moment de faire l’alÂbum, je senÂtais que j’étais touÂjours en train de dĂ©fiÂer des choses ou d’en comÂbatÂtre, intĂ©rieureÂment et extĂ©rieureÂment. Que ça soit d’autres gens ou opinÂions. BeauÂcoup des chanÂsons de l’album sont sur le fait que l’habit ne fait pas le moine. Ce que je voulais c’est que les gens pensent Ă des sitÂuÂaÂtions avec un peu plus d’empathie. Je voulais les faire rĂ©flĂ©chir et leur faire comÂprenÂdre qu’il faut donÂner du temps, de l’eÂspace et du recul avant de juger. Et c’est un peu de lĂ qu’est venue l’idĂ©e de LOGGERHEAD (sigÂniÂfie “à couteaux tirĂ©s” en français, NDLR). J’ai eu une conÂverÂsaÂtion avec quelqu’un et nous Ă©tions en dĂ©sacÂcord sur plein de choses. Et je pense que nous serons touÂjours Ă couteaux tirĂ©s l’un de l’autre. Ça n’a pas Ă ĂŞtre comme ça. Mais ça l’est et c’est ce que sont les gens. Et puis “LogÂgerÂhead” dĂ©signe ausÂsi un type de tortue. Quand j’ai dĂ©couÂvert ça j’étais lĂ : “wow, c’est proÂfond” parce que l’idĂ©e d’une tortue vivant dans la mer, c’est comme si cet ĂŞtre devait dealÂer avec ses proÂpres penÂsĂ©es et Ă©moÂtions dans un vaste monde. Si cela fais sens… *rires*
Le titre “South” parle de gentrification du quarter de Brixton. Comment c’était de grandir dans ce quartier et de le voir changer ?
C’est quelque chose dont on ne remarÂque pas vraiÂment l’imÂporÂtance, jusqu’à ce que le quartiÂer comÂmence s’adapter Ă des perÂsonÂnes qui peuÂvent se perÂmeÂtÂtre un style de vie difÂfĂ©rent. Ce que j’explique Ă chaque fois, c’est que c’est comme la canne Ă sucre. La canne Ă sucre, c’est une racine naturelle pas vrai ? Mais quand les gens la prenÂnent, la rafÂfinent et la transÂforÂment en quelque chose qui est en fait fonÂdaÂmenÂtaleÂment mauÂvais pour nous, ils lui enlèvent tous ses nutriÂments. C’est ce que je ressens par rapÂport Ă BrixÂton. Ce quartiÂer a telleÂment d’histoire et de prospĂ©rité… Quand les gens s’en renÂdent compte, ils veuÂlent juste prenÂdre ce qu’il y a dedans et alors ça devient quelque chose de fabriquĂ©.
On ne connaît pas bien l’histoire de Brixton, peux-tu nous la raconter ?
Il y a une comÂmuÂnautĂ© afro-caribĂ©enne imporÂtante qui a donÂnĂ© naisÂsance Ă beauÂcoup de bonnes musiques et de bons musiÂciens. Il y a des lieux emblĂ©ÂmaÂtiques qui ont aidĂ© beauÂcoup de gens Ă se faire conÂnaĂ®tre. Le skate park ausÂsi, c’est une sorte d’endroit iconique. BrixÂton est cĂ©lèbre pour son agiÂtaÂtion, ses Ă©meutes et son action poliÂtique. Ce quartiÂer, c’est comme Harlem Ă New-York. Il y a comme un batÂteÂment de cĹ“ur qui vient des gens, qui font le meilleur de ce qu’ils ont. BrixÂton n’était pas origÂinelleÂment un endroit oĂą les gens se rendaient. C’est une graine qui s’est transÂforÂmĂ©e en arbre. Ça s’est conÂstruÂit tout seul et ça a proÂduit des endroits comme la salle BrixÂton AcadÂeÂmy, des bouÂtiques de charÂitĂ© qui donÂnent Ă la comÂmuÂnautĂ©, des clubs pour les jeunes… Mais mainÂtenant, c’est des grandes rues avec beauÂcoup de magÂaÂsins de marÂques. Tout cela rend le quartiÂer de plus en plus cher et ne perÂmet pas aux gens qui en ont vraiÂment besoin de conÂtinÂuer Ă faire vivre Brixton.
Nous parlons de gentrification. La musique rock a été le terrain d’appropriation culturelle et de gentrification. Aujourd’hui la scène britannique post-punk est quasi représentée par des artistes blancs.
Il y a dĂ©finiÂtiveÂment beauÂcoup d’artistes de couleur qui font cette musique post — qu’importe son nom , avec de la guitare/basse. Il y a Myles MorÂgan, Sam Akpro, MarÂley, Ben Romans Hopcraft (son frère NDRL). ÉvidemÂment, je cĂ©lèbre le fait que nous sommes des perÂsonÂnes de couleur dans une scène très blanche. Mais ce n’est pas mon angle. Je ne l’éÂtiÂquetÂterais pas comme “les perÂsonÂnes noires faisant de la musique”. Parce qu’en fin de compte, tout le monde dans l’industrie peut faire ce qu’il veut et conÂtribuer Ă ce genre de musique. Et je n’esÂsaie mĂŞme pas vraiÂment de faire un truc punk. Je suis ce que je suis, je joue la musique que je joue grâce Ă l’enÂdroit oĂą j’ai granÂdi et Ă ce que j’ai Ă©coutĂ©. Peu importe comÂment ça sort. C’est ce que j’esÂsaie de faire comÂprenÂdre. J’avais l’imÂpresÂsion que quand je granÂdisÂsais, j’éÂtais la seule perÂsonÂne que je conÂnaisÂsais qui Ă©coutait FlyÂing Lotus, que dans mon quartiÂer perÂsonÂne n’éÂtait vraiÂment Ă fond dedans. Puis j’ai renÂconÂtrĂ© une perÂsonÂne, puis une perÂsonÂne puis une autre et c’éÂtait juste : “oh, je peux ĂŞtre qui je suis, et qui je veux ĂŞtre avec les gens”.
Ton père était un trompettiste dans un groupe de reggae fusion, ta mère est danseuse et ton frère est bassiste. Vous êtes tous·tes des artistes. Est-ce que Wu-Lu est un peu un projet familial ?
Ça peut l’être ! DĂ©finiÂtiveÂment ! Nous avons fait un conÂcert une fois oĂą il y avait le groupe de mon père et celui de mon frère, il y a trois, quaÂtre, cinq ans. Mais mes parÂents et mon frère m’inspirent conÂstamÂment pour faire ce que je veux faire. Ils me souÂtiÂenÂnent beauÂcoup. Mon frère jumeau fait parÂtie de plusieurs groupes : InseÂcure Men, WarÂmÂduschÂer, ChildÂhood. Mon père est assez respecÂtĂ© dans la scène regÂgae afrobeat, il a un groupe qui s’appelle Sooth SayÂers.
Et qu’écoutais-tu enfant pour développer ce son si singulier ?
LitÂtĂ©raleÂment de tout. De JunÂgle, AngÂie Stone Ă Dogg, MC HamÂmer, Will Smith, Mobb Deep. De tout, parce que ma mère Ă©coutait beauÂcoup de salÂsa. Et du jazz, beauÂcoup beauÂcoup de jazz. Mon père est Ă fond dans la musique noire : regÂgae, dub, afrobeat, ska. Mon frère et moi Ă©tions dans un groupe de ska avec mon père avant ! J’éÂtais ausÂsi fan de de GorilÂlaz, OffÂspring, Rage Against The Machine, Slipknot…
Slipknot joue ici demain. Tu vas pouvoir les voir ?
Je sais ! Mais nous parÂtons demain. Après on se rend au fesÂtiÂval belge Pukkelpop et ils jouent le mĂŞme jour que nous. Je ne les jamais vus sur scène et c’est l’un de mes groupe favoris. Donc… (fais genre de courir devant la scène).