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© E. JUPINET
24 août 2022

🎤 Interview : on a parlé Brixton, Slipknot et post-genre avec Wu-Lu à Cabaret Vert

par Juliette Soudarin

En juillet dernier, le Britannique Wu-Lu a sorti son deuxième album LOGGERHEAD. Un opus post-genre, alliant influences mĂ©tal, hip-hop, ou encore jazz fusion. Ă€ l’occasion de son passage au festival Cabaret Vert, nous nous sommes entretenus avec lui pour revenir sur cette sortie. Rencontre.

C’est Ă  minuit après son passage Ă  Cabaret Vert que nous retrouvons dans sa loge Miles Romans-Hopcraf, alias Wu-Lu. « Vous voulez quelque chose ? », nous demande-t-il en tendant le panier de fruits installĂ© sur la table de cette petite salle aux murs prĂ©fabriquĂ©s. Le concert de Stromae bat son plein et les basses font trembler les cloisons. Le Londonien originaire du quartier de Brixton semble fatiguĂ©. En mĂŞme temps, il vient d’offrir un show intense au-delĂ  des genres mĂŞlant hip-hop, mĂ©tal et jazz fusion et un final Ă  l’Ă©nergie punk -soutenu par la rappeuse britannique Lava La Rue qui se trouvait dans le public. Un concert toujours fidèle Ă  son nom de scène provenant du mot « wuha », « eau » en amharique. Symbole de fluiditĂ© et de libertĂ© pour Wu-Lu.

Comment était le concert de ce soir ? 

C’était gĂ©nial, vraiment intense. LittĂ©ralement. Ce matin, j’Ă©tais en Espagne, avec ma famille. J’ai du prendre quelques trains pour venir. J’ai mĂŞme rĂ©ussi Ă  avoir un train pour arriver plus tĂ´t. Puis j’ai reçu un appel pour me dire que mon temps de passage Ă©tait avancĂ©. J’Ă©tais genre : « quoi ?! ».  Et lĂ  on m’a dit: « Ouais, on est sur scène en train de tout installer, t’es oĂą ? ». Je venais juste d’arriver Ă  la gare. Je suis passĂ© du train Ă  la scène directement. Dans ma tĂŞte j’étais : « Wow ». Mais ce truc en a fait un bon concert. Parce que nous devions ĂŞtre prĂ©cis, rapidement. J’ai adorĂ©. 

Est-ce que le public comprend toujours ta musique ? Il paraĂ®t qu’aux Escales de Saint-Nazaire tu as Ă  la fois vidĂ© la piste et conquis le public. 

Ça dĂ©pend vraiment.  J’ai l’impression que les gens qui nous Ă©coutent Ă  l’origine sont pour la plupart d’une gĂ©nĂ©ration punk, plus âgĂ©e, ils ont peut-ĂŞtre entre 40 et 50 ans. Et puis, les gens qui restent sont ceux qui aiment le bizarre. J’aime l’idĂ©e que les gens viennent pour s’attendre Ă  une chose, mais repartent en pensant autre chose. Ça permet de filtrer les gens qui vibrent vraiment sur notre musique.

C’est exactement ce qu’on a ressenti la première fois qu’on t’a vu, Ă  l’enregistrement de l’Ă©mission Echoes d’Arte. Parce que tu commences ton set avec un son plus hip-hop et ensuite tu enchaines avec du mĂ©tal. C’Ă©tait ta première tĂ©lĂ© d’ailleurs ? 

Oui. Il y avait beaucoup de choses Ă  assimiler. Mais ça m’a rendu vraiment heureux. Enfant, j’écoutais pas mal Franz Ferdinand, c’était assez irrĂ©el de partager la scène avec eux. J’ai pu les voir sur scène, c’est toujours cool. (Il commence Ă  chantonner l’air de « Take me out »)

Que s’est-il passé entre ton premier album Ginga et ce deuxième album LOGGERHEAD que tu viens de sortir? 

Tu es la première personne qui prononce le titre correctement ! Les gens disent toujours « Guinga ». Ginga c’est le fait de bouger d’avant en arrière dans la capoeira. Pour moi cet album n’était pas nĂ©cessairement du hip-hop ou un autre genre. C’est juste de la musique pour bouger d’avant en arrière, comme tu le sens. Tous les morceaux qu’il y a sur LOGGERHEAD, c’est le son que je fais depuis des annĂ©es. Ginga Ă©tait un moment oĂą je me disais que je devais montrer au monde ce que je faisais avant. Ă€ l’Ă©poque, je voulais dire aux gens que j’allais ĂŞtre diffĂ©rent dans tous les domaines. Comme ça, ils n’allaient pas ĂŞtre trop surpris lorsqu’ils entendront un son hip-hop Ă  cĂ´tĂ© d’un morceau punk, Ă  cĂ´tĂ© d’une chanson bruyante, Ă  cĂ´tĂ© d’une composition plus orchestrale. Et j’essaye aussi de mĂ©langer tout cela ensemble. J’essaie de ne pas avoir trop d’une chose dans ma musique. Je ne veux pas que ça soit trop mĂ©tal ou trop hip hop. J’essaie juste de trouver un bon Ă©quilibre. Ginga c’était les dĂ©buts de moi en train de crĂ©er ce que je fais maintenant. C’était des idĂ©es. Et tout ce que j’ai fait, c’est les affiner.

Et donc tu as enregistrĂ© cet album en Norvège, c’était assez compliquĂ© de ce qu’on a compris. 

On a commencĂ© Ă  enregistrer dans un pub Ă  l’Ouest de Londres. Il fermait, alors mon bassiste a suggĂ©rĂ© d’aller en Norvège au studio de Simon Tickner, qui tenait le pub Queen’s Head Ă  Brixton. C’était un pub très connu oĂą des groupes comme Fat White Family jouaient. Et il l’a vendu, a achetĂ© une maison en Norvège et a montĂ© un studio. C’était parfait, au milieu de nulle part, avec beaucoup de temps libre. J’étais lĂ  : « fuck it, on trouve de l’argent, on va lĂ -bas ». C’Ă©tait comme Brixton, mais avec un fjord Ă  cĂ´tĂ©.

 

Tu parles de santé mentale sur LOGGERHEAD, que souhaitais-tu raconter ?

Le concept LOGGERHEAD est autour de la voix interne, de moi-mĂŞme et d’autres personnes. Au moment de faire l’album, je sentais que j’étais toujours en train de dĂ©fier des choses ou d’en combattre, intĂ©rieurement et extĂ©rieurement. Que ça soit d’autres gens ou opinions. Beaucoup des chansons de l’album sont sur le fait que l’habit ne fait pas le moine. Ce que je voulais c’est que les gens pensent Ă  des situations avec un peu plus d’empathie. Je voulais les faire rĂ©flĂ©chir et leur faire comprendre qu’il faut donner du temps, de l’espace et du recul avant de juger. Et c’est un peu de lĂ  qu’est venue l’idĂ©e de LOGGERHEAD (signifie « à couteaux tirĂ©s » en français, NDLR). J’ai eu une conversation avec quelqu’un et nous Ă©tions en dĂ©saccord sur plein de choses. Et je pense que nous serons toujours Ă  couteaux tirĂ©s l’un de l’autre. Ça n’a pas Ă  ĂŞtre comme ça. Mais ça l’est et c’est ce que sont les gens. Et puis « Loggerhead » dĂ©signe aussi un type de tortue. Quand j’ai dĂ©couvert ça j’étais lĂ  : « wow, c’est profond » parce que l’idĂ©e d’une tortue vivant dans la mer, c’est comme si cet ĂŞtre devait dealer avec ses propres pensĂ©es et Ă©motions dans un vaste monde. Si cela fais sens… *rires*

Le titre « South » parle de gentrification du quarter de Brixton. Comment c’était de grandir dans ce quartier et de le voir changer ? 

C’est quelque chose dont on ne remarque pas vraiment l’importance, jusqu’Ă  ce que le quartier commence s’adapter Ă  des personnes qui peuvent se permettre un style de vie diffĂ©rent. Ce que j’explique Ă  chaque fois, c’est que c’est comme la canne Ă  sucre. La canne Ă  sucre, c’est une racine naturelle pas vrai ? Mais quand les gens la prennent, la raffinent et la transforment en quelque chose qui est en fait fondamentalement mauvais pour nous, ils lui enlèvent tous ses nutriments. C’est ce que je ressens par rapport Ă  Brixton. Ce quartier a tellement d’histoire et de prospĂ©ritĂ©… Quand les gens s’en rendent compte, ils veulent juste prendre ce qu’il y a dedans et alors ça devient quelque chose de fabriquĂ©. 

On ne connaît pas bien l’histoire de Brixton, peux-tu nous la raconter ? 

Il y a une communautĂ© afro-caribĂ©enne importante qui a donnĂ© naissance Ă  beaucoup de bonnes musiques et de bons musiciens. Il y a des lieux emblĂ©matiques qui ont aidĂ© beaucoup de gens Ă  se faire connaĂ®tre. Le skate park aussi, c’est une sorte d’endroit iconique. Brixton est cĂ©lèbre pour son agitation, ses Ă©meutes et son action politique. Ce quartier, c’est comme Harlem Ă  New-York. Il y a comme un battement de cĹ“ur qui vient des gens, qui font le meilleur de ce qu’ils ont. Brixton n’était pas originellement un endroit oĂą les gens se rendaient. C’est une graine qui s’est transformĂ©e en arbre. Ça s’est construit tout seul et ça a produit des endroits comme la salle Brixton Academy, des boutiques de charitĂ© qui donnent Ă  la communautĂ©, des clubs pour les jeunes… Mais maintenant, c’est des grandes rues avec beaucoup de magasins de marques. Tout cela rend le quartier de plus en plus cher et ne permet pas aux gens qui en ont vraiment besoin de continuer Ă  faire vivre Brixton. 

 

Nous parlons de gentrification. La musique rock a été le terrain d’appropriation culturelle et de gentrification. Aujourd’hui la scène britannique post-punk est quasi représentée par des artistes blancs. 

Il y a dĂ©finitivement beaucoup d’artistes de couleur qui font cette musique post – qu’importe son nom , avec de la guitare/basse. Il y a Myles Morgan, Sam Akpro, Marley, Ben Romans Hopcraft (son frère NDRL). Évidemment, je cĂ©lèbre le fait que nous sommes des personnes de couleur dans une scène très blanche. Mais ce n’est pas mon angle. Je ne l’Ă©tiquetterais pas comme « les personnes noires faisant de la musique ». Parce qu’en fin de compte, tout le monde dans l’industrie peut faire ce qu’il veut et contribuer Ă  ce genre de musique. Et je n’essaie mĂŞme pas vraiment de faire un truc punk. Je suis ce que je suis, je joue la musique que je joue grâce Ă  l’endroit oĂą j’ai grandi et Ă  ce que j’ai Ă©coutĂ©. Peu importe comment ça sort. C’est ce que j’essaie de faire comprendre. J’avais l’impression que quand je grandissais, j’Ă©tais la seule personne que je connaissais qui Ă©coutait Flying Lotus, que dans mon quartier personne n’Ă©tait vraiment Ă  fond dedans. Puis j’ai rencontrĂ© une personne, puis une personne puis une autre et c’Ă©tait juste  : « oh, je peux ĂŞtre qui je suis, et qui je veux ĂŞtre avec les gens ».

Ton père était un trompettiste dans un groupe de reggae fusion, ta mère est danseuse et ton frère est bassiste. Vous êtes tous·tes des artistes. Est-ce que Wu-Lu est un peu un projet familial ? 

Ça peut l’être ! Définitivement ! Nous avons fait un concert une fois où il y avait le groupe de mon père et celui de mon frère, il y a trois, quatre, cinq ans. Mais mes parents et mon frère m’inspirent constamment pour faire ce que je veux faire. Ils me soutiennent beaucoup. Mon frère jumeau fait partie de plusieurs groupes : Insecure Men, Warmduscher, Childhood. Mon père est assez respecté dans la scène reggae afrobeat, il a un groupe qui s’appelle Sooth Sayers.

 

Et qu’écoutais-tu enfant pour développer ce son si singulier ?

LittĂ©ralement de tout. De Jungle, Angie Stone Ă  Dogg, MC Hammer, Will Smith, Mobb Deep. De tout, parce que ma mère Ă©coutait beaucoup de salsa. Et du jazz, beaucoup beaucoup de jazz. Mon père est Ă  fond dans la musique noire : reggae, dub, afrobeat, ska. Mon frère et moi Ă©tions dans un groupe de ska avec mon père avant ! J’Ă©tais aussi fan de de Gorillaz, Offspring, Rage Against The Machine, Slipknot…

Slipknot joue ici demain. Tu vas pouvoir les voir ? 

Je sais ! Mais nous partons demain. Après on se rend au festival belge Pukkelpop et ils jouent le même jour que nous. Je ne les jamais vus sur scène et c’est l’un de mes groupe favoris. Donc… (fais genre de courir devant la scène).

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