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Interview : Radio Cargo et les open-airs itinérants à vélo, une affaire qui roule

En mars dernier on a ren­con­tré Dan et Jay, les mem­bres de Radio Car­go, pour dis­cuter de leurs inspi­ra­tions, de leur pro­jet et de leur vélo car­go. Une inter­view qui nous a per­mis de mieux com­pren­dre les valeurs que défend­ent les deux artistes, à tra­vers leur con­cept inédit d’Open-airs itinérants à vélo, et leurs pro­duc­tions élec­tron­iques trép­i­dantes. Ils vien­nent d’ailleurs de sor­tir leur pre­mier EP Du son n’im­porte où. On a pu leur par­ler à la fin de leur cam­pagne de crowd­fund­ing, et juste avant la con­struc­tion de la ver­sion 2.0 de ce qui s’annonce comme étant LE Sound sys­tem des open airs les plus atten­dus de la saison.

 

Com­ment s’est passée la col­lecte de dons ? 

Dan : On est hyper con­tents d’être allés au bout de la cam­pagne de crowd­fund­ing parce que c’é­tait hyper stres­sant. Ça n’a pas démar­ré aus­si bien qu’on le voulait et tout le monde nous a dits que si le début n’é­tait pas bon, la cam­pagne ne le serait pas. Donc pen­dant un mois et demi, on était vrai­ment en panique. Mais finale­ment, les étoiles se sont alignées et la dernière semaine, tout s’est fait. Ça nous fait aus­si un vrai lien avec notre pub­lic ! Ce n’est pas ‘juste’ un investisse­ment. On a l’im­pres­sion que c’est un tra­vail com­mun entre notre pub­lic et notre savoir-faire : c’est trop cool.

 

Pourquoi avoir choisi le vélo ?

Jay : J’ai un vélo car­go que j’u­tilise tous les jours, ceux de livrai­son où tu peux trim­baler 200 kilos. Je voulais y met­tre l’électricité, pour pou­voir branch­er mon télé­phone en allant au camp­ing en fes­ti­val. J’avais déjà des platines, je me suis dit ‘je les branche aus­si dessus’. Et l’idée a com­mencé à ger­mer dans ma tête. Avec les moyens du bord, on a fait la pre­mière ver­sion qui a eu beau­coup de suc­cès… mais qui était vache­ment bricolée. Et j’avais cette vision de ‘on peut faire encore mieux’. Donc là, on pousse le truc au parox­ysme, mais avec le même principe : des vélos car­gos, mais au lieu d’avoir une petite plate­forme, il y en aura une de trois mètres car­rés. Avec deux vélos qui vont s’emboîter l’un en face à l’autre, une méga scéno­gra­phie et un sound sys­tem de malade. L’idée c’est qu’on puisse se déplac­er à vélo n’im­porte où dans Paris, dans un ray­on de cinq kilomètres.

Dan : Ça sera un petit bijou. Et for­cé­ment, si on doit aller autre part, il y a tou­jours la solu­tion de met­tre ça dans un camion.

Jay : Typ­ique­ment, pour aller dans d’autres villes, on va devoir les met­tre dans un camion et en arrivant en périphérie de ville, sor­tir les vélos. On ne va pas faire 400 kilo­mètres en pédalant. Le but, c’é­tait d’être le plus mobile pos­si­ble à vélo pour tou­jours garder cet ADN.

 

Cette volon­té de par­tir à tra­vers toute la France, faire des open-airs, com­ment est-elle venue ? Vous avez tou­jours eu cette ambi­tion, ou c’est la réac­tion du pub­lic qui a fait ger­mer l’idée ? 

Jay : Dans l’idée il y a un peu de deux, mais dès le début, on s’est dit “si on peut y aller à vélo, pourquoi ne pas y aller ?” Mais en plus, il y aus­si cette notion de faire décou­vrir à un nou­veau pub­lic la musique élec­tron­ique. Et pour ça, il fait aller chercher les gens.

Dan : En fait, si on va au bout de notre engage­ment, on est en quelque sorte oblig­és d’aller partout en France. Puisque ce qu’on rejette, c’est l’élitisme parisien, l’élitisme cul­turel où tout le monde n’a pas accès à la teuf et à cette cul­ture. On a trou­vé que cet élitisme cul­turel était le pire enne­mi de la créa­tiv­ité, et on a décidé de s’en affranchir. Notre pre­mier déclic, ça a été le pre­mier open air qu’on a fait hors de Paris, à Lille, où on s’est ren­du compte que c’é­tait pos­si­ble. C’était un vrai test, donc on est ren­trés à la mai­son et on s’est dit “mais en fait, ça peut aller très loin cette his­toire”.  Avec toutes les valeurs qu’on défend, on ne peut pas faire ça seule­ment à Paris. Ce serait hyp­ocrite. Et puis nous, on a aus­si envie de décou­vrir la France et de ren­con­tr­er notre public.

 

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© Mar­i­on Sammarcelli

 

Après des open airs et des DJ-sets pour vous, la suite logique, c’é­tait de faire vos pro­pres pro­duc­tions musicales ?

Jay : Dès que ça a explosé, on s’est dit qu’il fal­lait rapi­de­ment sor­tir nos pro­duc­tions. On ne voulait pas être assim­ilé comme un col­lec­tif. C’est pour ça qu’on a sor­ti un maxi trois, qua­tre mois après que le pro­jet a démar­ré pour juste­ment dire “on n’est pas là juste pour faire des soirées, on a une direc­tion artis­tique et une vision musi­cale”. On a déjà sor­ti deux max­is, l’EP* arrive et avec celui-là, le vinyle. La boucle est bouclée, mais on est déjà sur la suite…

*(EP qui regroupe les Vol. 1 et 2 + deux nou­veaux tracks)

Dan : C’est hyper impor­tant pour nous de ne pas être vu comme un col­lec­tif. Ce qui nous déplait avec cette idée, c’est d’être ‘seule­ment’ dans l’événementiel. Et vu qu’on a fait un vrai boum avec un momen­tum qui est l’été, on ne voulait pas être cat­a­logués seule­ment comme “Ah, ce sont les mecs qui font des open-airs l’été”. On sait qu’on est con­nus pour ça, que c’est notre force. Mais on a une vraie direc­tion artis­tique dans nos sets et la musique qu’on pro­pose est assez singulière.

 

Juste­ment dans votre musique, vous trans­met­tez l’amour de la house et de la trance des années 90. Qu’est-ce que vous aimez tant dans ce style et cette décennie ? 

Jay : Dans ce qui est ear­ly house, il y a un truc. C’é­tait peut-être dans les drogues qu’ils pre­naient à l’époque… Il y avait une sim­plic­ité dans la musique. Cette forme d’aller à l’essentiel. Aujour­d’hui une pro­duc­tion mod­erne, c’est 80 pistes, des lay­er­ings de partout, une den­si­fi­ca­tion aber­rante des pro­duc­tions pour qu’elles son­nent bien. À l’époque, ils met­taient cinq pistes, des trucs sim­ples : il n’y a rien de mieux que ça. Après, on a créé trop de trucs. Cha­cun a son inter­pré­ta­tion du pourquoi-ça-sonne-mieux, mais moi je dirais que c’est le groove de la house. Dans nos sets, il y a trois élé­ments qu’on va beau­coup retrou­ver des années 1990 : les vocaux de diva, les lignes de basse très grass­es et des syn­thés que j’ap­pelle à la Ange­lo Badala­men­ti, qui utilise une tex­ture de sons qui te donne envie de chialer.

 

Et pour la trance ?

Dan : Pour la trance, bizarrement il y a un côté qui va bien avec l’époque actuelle. Aujour­d’hui tout le monde joue uptem­po, super rapi­de­ment, les musiques sur Tik­Tok qui car­ton­nent sont à 145 BPM pen­dant trois min­utes. Dans la trance, il y a un côté un peu guilty plea­sure avec une voix de meuf qui se la joue décom­plexée. On sent qu’elle n’a pas for­cé­ment besoin de chanter juste. Mais il y a une énergie qui fait que tu as juste envie de gueuler, de chanter, de jeter ta bière en l’air… c’est la grosse fête, quoi.

Jay : Sur la bonne trance, il y a cette énergie. Les bass­es hyper organiques, les mélodies… C’est telle­ment cheesy que ça rend acces­si­ble. Et la ryth­mique est hyper sim­ple, ça ramène tout le monde ensemble.

Dan : Le point com­mun entre la house et la trance, c’est très solaire en fait, et ça marche vache­ment bien avec notre énergie. Et c’est vrai­ment ce qu’on essaye de trans­met­tre. C’est ça qui per­met d’at­trap­er tout le monde aus­si. Parce que si tu joues un morceau que per­son­ne ne con­naît d’une péri­ode assez obscure en tout petit label, même si tu n’es pas éduqué aux musiques élec­tron­iques, si le morceau donne de la joie, tu vas com­pren­dre l’émotion.

 

C’est une façon de ren­dre la musique élec­tron­ique acces­si­ble à tous ?

Jay : D’où l’on vient, le pub­lic décor­tique la musique. Donc il va directe­ment com­pren­dre la spé­ci­ficité de ce que tu lui fais écouter. Alors que le pub­lic main­stream, il ne beat pas. Et c’est nor­mal. Pour com­pren­dre la musique élec­tron­ique, il faut avoir passé une soirée de 10 heures dans un hangar ou dans un open air, que t’aies pris quelque chose ou pas. Avant d’avoir vécu une expéri­ence comme ça, c’est dif­fi­cile de com­pren­dre pourquoi un boum boum, c’est intéres­sant. Mais c’est ça qu’on essaye de faire. On y ajoute des trucs hyper con­nus pour adoucir le truc et faire pass­er la pilule aux gens qui n’aiment pas ça. Résul­tat : tout le monde aime.

Dan : Que l’on joue quelque chose de con­nu ou non, de récent ou d’ancien, tout est à pro­pos de l’én­ergie que l’on veut trans­met­tre. Le meilleur exem­ple, c’est notre clos­ing : un remix break­beat de “I need your loving”.

Le pub­lic qui écoute du rock con­nais­sait déjà. Le pub­lic qui écoute du rap con­naît aus­si parce que ça a été sam­plé par Hamza avec Chris­tine and the Queens et Oxmo Puc­ci­no. Et peut-être que le pub­lic qui écoute du break­beat des années 90 con­naît égale­ment. Quand on le joue, y’a du soleil partout et tout le monde kiffe. Et en même temps, il y a notre ADN.

 

Com­ment s’est passée votre ren­con­tre avec le monde de la nuit ?

Dan : Moi, ça com­mence par une anec­dote assez mar­rante : le jour de mes 17 ans, j’ai eu 19 ans. J’avais volé la carte d’i­den­tité de mon demi-frère et j’ai pu aller en club pour la pre­mière fois le soir de mes 17 ans.

Jay : À 14/15 ans j’ai eu ma pre­mière expéri­ence de teuf, pen­dant l’âge d’or des col­lec­tifs parisiens. Le col­lec­tif Manif’art avait squat­té un hôtel par­ti­c­uli­er du XVIe siè­cle à Boul­bi. C’était incroy­able. J’y suis resté pen­dant 48 heures, ça a changé ma vie.

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