© Sébastien Amice / Arthur Savall

Interview : BRÖ, avant et après avoir rempli le Trabendo 🎙️

Ne vous fiez pas au tré­ma qui trône sur son nom de scène. Loin du froid de la Scan­di­navie, Brö c’est du rap français mêlé de var­iété, aus­si clin­quant dans la force que dans la douceur. Son por­trait est d’ailleurs présent dans le dernier Tsu­gi Mag­a­zine. On a ren­con­tré la rappeuse, qui vient de sor­tir son excel­lent pre­mier long-format, Grande. Dans la foulée elle a rem­pli le Tra­ben­do à Paris, et a défendu son art devant une salle comble. On a tenu à par­ler avec elle avant et après ce live décisif.

Lors du pre­mier appel en visio avec Elisa alias Brö, tout se déroule naturelle­ment. On par­le rapi­de­ment du pro­gramme du FAIR, avec qui elle est présen­te­ment. Du sémi­naire de formation-structuration auquel elle assiste. Elle est déjà entrée dans le proces­sus de pro­fes­sion­nal­i­sa­tion, donc l’ac­com­pa­g­ne­ment pour les impôts, les sources de revenus, com­ment fonc­tion­nent les con­trats, quels sont les droits de l’artiste… Elle con­naît un peu. En effet, elle fait par­tie du pro­gramme Expéri­ence pro­posé par le FAIR, aux cotés de Juste Shani et Yoa. Pour les pro­jets plus neufs encore, il y a la sélec­tion Emer­gence (bah ouais, logique) du FAIR. “Cer­tains n’ont pas de pro­duc­teur, d’autres ne sont même pas inscrits à la SACEM. Il y a dif­férents niveau de pro­fes­sion­nal­i­sa­tion autour de la table, c’est cool.”

 

 

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Déjà, juste avant ton live au Tra­ben­do, com­ment ça va ? Le moral est bon ?

Ecoute, ça va très bien ! En vrai, je suis assez stressée. Je n’ar­rive pas trop à croire ce qui va se pass­er demain. Mais ça va.

 

Juste­ment, vu que c’est com­plet, qu’est-ce qui prime ? Hâte ou de l’appréhension ?

Enor­mé­ment d’é­mo­tions en même temps. Hâte et appréhen­sion oui… J’avoue qu’il y a un peu de frus­tra­tion aus­si, parce que je vois plein de gens qui n’ont pas pu pren­dre de place. À la lim­ite je me dis­ais “p*tain, j’au­rais peut-être pu faire une plus grande salle” (rires). J’ai un énorme sen­ti­ment de sat­is­fac­tion, que je n’avais jamais eu avant. Quand tu fais de la musique et que tu développes ton pro­jet, tu es tout le temps dans le rush, le stress, dans l’en­vie de saisir chaque oppor­tu­nité, à force tu ne réfléchis plus… Là je suis presque for­cée de m’ar­rêter deux sec­on­des et d’ap­préci­er. Le sen­ti­ment est étrange, j’ai l’im­pres­sion qu’il n’y aura rien après le Trabendo.

 

 

C’est une pre­mière pour toi, de rem­plir une salle pour une date “en ton nom” : ça crée quels sentiments ? 

Je suis archi sur­prise, même si les gens autour de moi étaient sûrs que ça serait com­plet. Ça fait beau­coup de per­son­nes ! J’ai du mal à y croire. On ne se rend pas for­cé­ment compte, en étant sur les réseaux, sur les streams… On ne sait jamais com­bi­en se déplac­eraient pour venir nous écouter. Et c’est fou de se dire que je peux rem­plir une salle comme ça à Paris. C’est une sat­is­fac­tion folle, un sen­ti­ment très précieux.

 

De manière générale, com­ment tu écris/composes ? C’est quoi le point de départ d’une chanson ?

La plu­part du temps, je com­pose chez moi. Je m’en­reg­istre et j’en­voie juste mon a cap­pel­la à mes pro­duc­teurs, qui com­posent les arrange­ments et les grilles d’ac­cords par rap­port à ma mélodie. Tout part du texte et de la mélodie. Je sais que tout le monde ne fonc­tionne pas avec cette méth­ode, mais c’est une habi­tude qu’on a pris pen­dant le con­fine­ment, for­cé­ment à dis­tance. On a gardé cette stratégie, parce que je trou­ve que ça sert vache­ment la chan­son quand tout a été con­stru­it à par­tir du texte.

 

Dans ton passé, il y a le con­ser­va­toire et les freestyles. Qu’est-ce qui t’aide le plus selon toi ? 

Ce que je ressens, c’est qu’il faut les deux. En tout cas mon objec­tif, c’est de faire de la musique pop­u­laire. Pas main­stream mais, en tout cas, je cherche à faire de la pop, que tu puiss­es chanter et appren­dre par cœur. Et selon moi, pour faire de la bonne pop, il faut faire quelque chose d’ac­ces­si­ble, d’in­stan­ta­né. Dans les freestyles, il y a les gens autour, le regroupe­ment, la fête… Tu fais ce qui te passe par la tête et même si ce n’est pas le meilleur truc de la Terre, ce n’est pas très grave.

Mais pour avoir une vraie per­for­mance, tra­vail­lée et pro­fes­sion­nelle, il faut se for­mer par la tech­nique. C’est pour ça que le con­ser­va­toire, c’est une étape que je trou­ve impor­tante. Après, le piège, c’est de ne s’en­fer­mer ni dans l’un, ni dans l’autre : ni dans la tech­nique, ni dans le message.

 

Si on se con­cen­tre sur le Tra­ben­do, quel sera ton morceau le plus cool à jouer en live ? Et le titre où le pub­lic chantera le plus ?

Le morceau que j’ai le plus hâte de jouer, ce n’est pas for­cé­ment le plus écouté : il s’ap­pelle “Bijou”. Il est doux, il m’émeut à chaque fois, je crois que c’est mon préféré. Mais celui que le pub­lic devrait chanter le plus, c’est “Mau­vais rôle” qui était sur mon précé­dent EP… Je me demande si ce ne sera pas “Nadège”, parce que je pense qu’il est assez facile à com­pren­dre. La thé­ma­tique est cool aussi.

 

Oui, c’est ton “Jolene” en fait ?

Exacte­ment !

 

Pour décrire ta musique et ton tra­vail, ton beat­mak­er par­le “d’ur­ban suc­cu­lence”. Toi dans “IA”, tu par­les d’un “mélange folklore/urbanisme” : entre les deux déf­i­ni­tions, laque­lle est la plus juste ?

J”ai l’im­pres­sion que pour décrire ce qu’on fait, il faut tou­jours met­tre ‑au moins- deux mots. Je dirais que “urban folk­lore”, c’est cool parce que c’est drôle et ça amène une touche un peu ‘bled’ que j’aime bien. Pour moi ce qu’on fait, c’est de la var­iété. C’est juste que la “var­iété” telle qu’on la con­nais­sait n’ex­iste plus vrai­ment : celle de Gains­bourg, de Mau­rane, de Michel Berg­er, qui s’in­spi­rait du jazz, de la musique brésili­enne, de la musique africaine, de la musique arabe, etc. C’est comme si le mes­sage que je cher­chais à faire pass­er quand je par­le de ça, c’est que ça existe encore.

J’essaie de défendre une var­iété française mul­ti­ple et élé­gante, riche de plein de styles. Et je crois qu’on retrou­ve ça dans ma musique.

 

Parce que la cul­ture musi­cale française est plurielle, et que tu essaies de le retran­scrire dans ton travail ? 

Pour moi c’est ça, une iden­tité. Si ton iden­tité c’est UN truc, c’est qu’à un moment tu es coincé, c’est que tu as aus­si fer­mé la porte à toute une par­tie de toi. Nor­male­ment, ça ne devrait pas exis­ter, et selon moi ça existe à cause du mar­ket­ing. C’est ça la réal­ité : en fait, on a appliqué la recette du mar­ket­ing ‑qu’on utilise nor­male­ment sur un produit- sur une œuvre… En lui enl­e­vant toute son iden­tité, tout ce qui est intéres­sant dans la musique. Bon après, je fais un peu mon anti-capitaliste (rires)

 

Ce que tu veux dire, c’est qu’on car­ac­térise trop l’artiste et son oeu­vre, en appuyant sur sa par­tic­u­lar­ité, pour en faire un pro­duit mar­ket­ing vidé de tout le reste ?

Oui, à par­tir du moment où tu es sur le marché, il faut qu’on puisse cadr­er ton œuvre, en faire quelque chose qui se vend. Je le com­prends et a pri­ori c’est assez nor­mal. Mais ce qui me sur­prend, c’est à quel point ça prend le pas sur la musique. Et main­tenant, c’est l’artiste qui doit s’adapter au méth­ode du mar­ket­ing, aux méth­odes de l’in­dus­trie. Pas l’in­dus­trie qui s’adapte au pro­duit brut.

Il y a des gens qui font du com­merce sain, qui pren­nent un artiste et qui dis­ent “Cette artiste-là a une musique avec sa pro­pre iden­tité. Main­tenant, je vais essay­er d’écrire une stratégie mar­ket­ing autour du pro­duit que j’ai déjà, qui est un pro­duit brut.” C’est le rôle de l’in­dus­trie. Mais après, tu as des pro­fes­sion­nels qui pren­nent des gens, et oublient que ce sont des gens.

 

Tu as deux feats sur l’al­bum, Ichon et Ehla : Pourquoi eux ? Pourquoi ces titres-là ?

Je les con­nais­sais déjà. J’ai fait une rési­dence au stu­dio Red Bull l’an­née dernière, et je les ai invités. Il y avait une cab­ine avec bat­terie, Rhodes, tout ce qu’il faut pour jouer tous en même temps dans la cab­ine. On s’est mis dedans avec mon groupe et Ichon, puis on a jam­mé pen­dant deux heures. Lui et moi, on chan­tait tout le temps en même temps, sans s’é­couter et on ten­tait d’in­ven­ter nos mélodies. À un moment, on s’est dit “il faudrait qu’on fasse un morceau où on ne s’é­coute pas chanter” : c’est comme ça qu’est né la chan­son. Pour racon­ter l’his­toire de deux per­son­nes qui n’ont pas pu se ren­con­tr­er, qui auraient dû s’aimer, mais n’ont fait que se frôler. J’adore Ichon, on a pris beau­coup de plaisir à tra­vailler ensem­ble, et il était là tout au long de la collaboration.

Ehla, c’é­tait encore plus sim­ple, c’est une de mes meilleures potes. Je lui ai dit de venir au stu­dio, naturelle­ment, on a fait une chan­son un peu uni­verselle qui par­le d’avoir une date de péremp­tion après 30 ans, surtout quand on est une meuf. En plus le morceau lui va comme un gant, quand elle chante c’est très addic­tif, c’é­tait évi­dent qu’il me fal­lait sa voix sur l’al­bum. D’ailleurs elle sort un album le 2 juin !

(Ce que Brö ne dit pas, c’est qu’elle a même co-écrit la chan­son “L’au­tori­sa­tion” de Ehla qui sera sur led­it album. Mod­estie, quand tu nous tiens)

 

C’est quoi le dernier live qui t’a fait du bien en tant que spectatrice ?

Récem­ment ? Les Louanges, un artiste québé­cois. Ça m’a fait du bien de le décou­vrir, j’ai trou­vé qu’il était juste­ment très libre dans ce qu’il fai­sait, que le live claquait, avec des musi­ciens incroy­ables. Il représente cet esprit “pop qual­i­tatif” dont je par­lais. J’ai eu la chance de faire sa pre­mière par­tie à Mon­tréal en févri­er : c’est le dernier gros coup de coeur que j’ai eu.

 

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brö trabendo

© Sébastien Amice

Entre-temps, le fameux show a eu lieu dans un Tra­ben­do blindé. Avant l’ar­rivée de Brö sur scène, quelques fans passent en dis­ant “tiens, tu prends une feuille et tu pass­es la suite”. Sur les pré­cieuses feuilles sont écrits des mots doux à des­ti­na­tion de la scène : que ce soit un sim­ple “<3” ou “Tu es Grande ce soir”. Comme des écriteaux à brandir en plein live, pour crier son amour pour Brö. Sur scène l’in­téressée sem­ble à l’aise, sur­voltée. Si le stress est là, il est englouti par l’én­ergie. Sa voix reste droite, solide, imper­turbable. Sur scène avec elle, Elie à la basse et Jules à la gui­tare (ou les deux der­rières leurs claviers) sont vite rejoints par une horde d’in­vités qui défi­lent tout au long du live.

C’est une belle fête col­lec­tive. Sur scène on prend du plaisir ; dans la fos­se, peut-être encore plus. Une chan­son sur deux est reprise en choeur par le pub­lic. D’EP en album, les chan­sons de Brö ont déjà fait un bout de chemin. Elle s’ar­rête pour réalis­er : “Je suis choquée, vous êtes super ser­rés, désolée… Et en même temps pas désolée”. Le show est canon, les big-up en forme de grandes déc­la­ra­tions s’en­chainent (men­tion très spé­ciale pour Cas­san­dre, tout de même) alors que la fin de soirée approche. Le groupe quitte la scène, un écran se déploie et on nous dif­fuse en avant-première le clip de “T’é­tais pas là” avec Ichon. Chanceux que nous sommes. Un rap­pel en trombe, et Brö s’en va. Tout d’une Grande.

brö trabendo

© Sébastien Amice

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Com­ment c’é­tait com­ment cette soirée, ce con­cert ? Tu es remise des émotions ?

Pas tout à fait ! C’é­tait fou, j’ai eu une dose d’adré­naline bizarre, que je n’avais jamais eue avant. Et ça m’a droguée un peu ! Franche­ment, j’ai trop kif­fé. Tout s’est bien passé, ce qu’on avait prévu, ce sur quoi on avait tra­vail­lé : cho­ristes, invités, déco, toute la tenue… parce que tout a été fait pour ce soir-là. On a vrai­ment mis un max­i­mum de temps et de tra­vail là-dedans. Je suis con­tente parce que c’é­tait assez ambitieux avec le bud­get que j’ai, d’es­say­er de pro­pos­er un spec­ta­cle cool et vivant. Je me suis très bien entourée avec des gens fous qui ont beau­coup tra­vail­lé sur le spectacle.

Et je trou­ve que le retour du pub­lic était à la hau­teur ! Ce qui m’a mar­qué, c’est les petites feuilles qu’ils ont dis­tribuées. C’é­tait touchant de voir tout ce monde… Un pub­lic bonne vibe, super mélangé, autant de garçons que de filles, tous hori­zons et tous âges.

 

 

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Tu as pu avoir des retours de la part du pub­lic ? J’imag­ine que tu es allée au merch’ ?

Sen­sa­tion étrange de ren­con­tr­er des gens en sachant qu’ils ont aimé ma musique, qu’ils ont acheté des places pour nous voir. Pour cer­tains c’é­tait leur cadeau de Noël ou d’an­niver­saire. C’est fou de se dire que ma musique peut représen­ter un cadeau pour des gens. Que des bons retours, cer­tains émus, d’autres qui avaient beau­coup ri…

 

Ah oui, parce que je ne sais pas si c’é­tait l’adré­naline, mais tu étais déchainée sur les blagues

Oui, j’avoue je me suis un peu lâchée, mais je trou­ve que ça allait (rires) J’ai eu l’im­pres­sion de faire rire, d’être cohérente… J’avais écrit des talks et au final je ne les ai pas du tout suiv­is. Du coup c’é­tait très naturel et je crois que ça s’est bien passé !

 

On se demandait quelle chan­son serait chan­tée le plus fort par le pub­lic… Alors ?

Sur les refrains, ça chan­tait un peu tout le temps ! Sur “Nadège” le pub­lic a beau­coup chan­té, “À l’u­nité” aus­si et puis “Mau­vais Rôle” évidemment.

 

 

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Pour toi, qu’est-ce qui fait un bon live ? 

Déjà, la bonne musique. Pour faire un bon show, il faut répéter énor­mé­ment. On a dû faire une dizaine de journées entières de répéti­tions ‑ce qui est beau­coup, en soi. C’est ce tra­vail qui vient faire qu’une fois sur scène, tout est flu­ide. Et ensuite, je trou­ve ça cool de voir l’alchimie entre les per­son­nes qui sont sur scène, sen­tir qu’ils parta­gent le moment… C’est inspi­rant pour le pub­lic. Et la recette pour un show de fou, c’est d’avoir une bonne équipe. On a mon­té le con­cert du Tra­ben­do avec une ving­taine de per­son­nes, musique, scéno­gra­phie, tech­nique, pro­duc­tion, tous les gens der­rière se sont don­nés à 200%. On a vécu le moment à peu près tous au même niveau, tous sur notre nuage, comme si c’é­tait l’an­niver­saire de tout le monde.

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