© C. Fraisse / Daren Gerrish / DR

đŸŽ€ Interview : Yoa, avant et aprĂšs son premier concert sold-out Ă  Paris

Yoa, c’est une promet­teuse artiste française, au car­refour de la chan­son et d’une belle palette de styles musi­caux. Sa voix cristalline con­traste avec son franc-parler et se fond sur des pro­duc­tions Ă  la fron­tiĂšre de l’hyperpop et de l’électronique. On a pu lui pos­er quelques ques­tions, juste avant et juste aprĂšs son con­cert com­plet Ă  la Maroquinerie.

On vous par­lait dĂ©jĂ  de Yoa et de son EP Chan­sons Tristes il y a peu. Dif­fi­cile de met­tre le doigt dessus, mais il y a quelque chose de trĂšs mature, de mys­tĂ©rieux et de mag­ique ‑ou en tout cas, de trĂšs intrigant- dans la musique de Yoa. Si elle a Ă©tĂ© dans la sĂ©lec­tion des InouĂŻs du Print­emps de Bourges, qu’elle a dĂ©jĂ  foulĂ© les plus belles scĂšnes pour faire des pre­miĂšres par­ties, Yoa vient de dĂ©buter sa pre­miĂšre tournĂ©e “en son nom” en jan­vi­er 2023. Une date cru­ciale est trĂšs vite arrivĂ©e : celle de la Maro­quiner­ie. La bil­let­terie fut assail­lie et la salle s’est rapi­de­ment rem­plie. La faute Ă  un EP fraiche­ment sor­ti, Chan­sons tristes, qui a vite ren­con­trĂ© un suc­cĂšs mĂ©ritĂ©. Avant ce con­cert haute­ment sym­bol­ique pour le pro­jet Yoa, live qu’elle a longtemps tra­vail­lĂ©, rĂ©flĂ©chi et peaufinĂ©, Tsu­gi a pu dis­cuter avec la chanteuse.

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Com­ment ça se prĂ©sente, la Maroquinerie ?

Ça se prĂ©sente trop bien, je suis super excitĂ©e. Franche­ment on est prĂȘts, on rĂ©pĂšte sim­ple­ment pour ĂȘtre encore plus Ă  l’aise. On joue 1h-1h15 en gros. J’ai trop hĂąte.

 

Vu que c’est com­plet, qu’est-ce qui prime : hĂąte ou apprĂ©hen­sion ? Quel est ton Ă©tat d’esprit ?

Je n’ap­prĂ©hende pas plus dĂ©jĂ . Le seul truc qui, je pense, va me faire trĂšs bizarre c’est que
 l’an­nĂ©e derniĂšre tous les con­certs que j’ai faits, c’é­tait prin­ci­pale­ment des pre­miĂšres par­ties. Je n’avais pas encore un pub­lic, lĂ  ça com­mence petit Ă  petit et je pense que ça va ĂȘtre trĂšs dĂ©sta­bil­isant d’en­ten­dre les gens chanter les paroles
 J’ai Ă  la fois hĂąte et peur de ça, parce que je ne sais pas com­ment je vais rĂ©a­gir. J’imag­ine que je vais ĂȘtre trĂšs Ă©mue et que je vais prob­a­ble­ment pleurer

 

On sent un engoue­ment depuis la sor­tie de Chan­sons Tristes, quels retours tu as eus sur ce projet ?

Les retours les plus directs que j’ai, c’est des mes­sages que les gens m’écrivent. J’en reçois beau­coup tous les jours, et sou­vent les gens pren­nent le temps d’écrire de longs mes­sages. Pour expli­quer Ă  quel point ça les a touchĂ©s d’un point de vue per­son­nel, com­ment ça les a ramenĂ©s Ă  des moments un peu tristes de leur vie, et que pour cer­tains, ça les aide. Ce qui me touche par­ti­c­uliĂšre­ment aus­si c’est que, je pen­sais que ma musique plairait par­ti­c­uliĂšre­ment aux jeunes alors qu’en fait
 Pas que. Beau­coup de per­son­nes de 30 ans et plus ‑non pas qu’à 30 ans on soit vieux, ce n’est pas ce que je suis en train de dire. J’ai des mes­sages de gens de 60 ans
 Ce qui est aus­si assez stylĂ©, c’est qu’en con­cert je danse beau­coup, ce que je fais sur scĂšne est assez sex­u­al­isĂ© : les gens ne sont jamais choquĂ©s, au con­traire ils soulig­nent ça. Je ne m’y attendais pas.

 

Selon toi, qu’est-ce qui a changĂ© entre ton pre­mier EP (sor­ti il y a Ă  peine plus d’un an) et ton dernier EP ?

Tout, en vrai. DĂ©jĂ  mon rap­port Ă  la musique a com­plĂšte­ment changĂ©. Parce que quand j’ai sor­ti le pre­mier EP, ce n’é­tait pas vrai­ment un crash test, j’y ai mis tout mon coeur et j’ai beau­coup tra­vail­lĂ© dessus, mais dans ma tĂȘte c’é­tait pour voir com­ment la sauce pre­nait. Je n’é­tais pas du tout dans les mĂȘmes con­fig­u­ra­tions de vie, j’avais aus­si besoin d’ar­gent et deux tafs en mĂȘme temps, avec la musique Ă  cĂŽtĂ©, je me dĂ©mer­dais comme je pou­vais pour gag­n­er des sous. Et puis entre le pre­mier et le deux­iĂšme EP, j’ai un peu rad­i­cal­isĂ© mes choix de vie, j’ai arrĂȘtĂ© mes deux tafs
 MĂȘme si ça m’a fait un peu galĂ©r­er, en un an je me suis pro­fes­sion­nal­isĂ©e. Et puis oui, j’ai com­pris que je pou­vais en faire mon mĂ©ti­er ! Au niveau des thĂšmes abor­dĂ©s et de la musique en elle-mĂȘme, je suis davan­tage allĂ©e vers ce que j’aimais, en m’éloignant du genre “chan­son”. Les morceaux du deux­iĂšme EP, ça reste de la pop mais plus hybride. Pour moi c’est tou­jours impor­tant qu’il y ait de belles chan­sons Ă  la base des morceaux, mais c’est vrai qu’au niveau de la pro­duc­tion, c’est un peu plus expĂ©ri­men­tal. Le but c’est que ça puisse plaire quand mĂȘme Ă  beau­coup de gens, que ça soit presque main­stream. Moi j’aime aus­si la musique grand public.

 

Com­ment tu Ă©cris, com­ment tu com­pos­es ? C’est quoi le point de dĂ©part d’une chanson ?

Je com­pose et j’écris tout, donc Ă  la base il n’y a presque jamais de prod, sauf sur l’EP pour “mad­dy <3” et “parox­é­tine”. Je com­pose piano-voix d’abord, et puis la mĂ©lodie et les paroles me vien­nent en mĂȘme temps. Je ne me dis pas “aujour­d’hui je vais Ă©crire sur les fleurs, sur la dĂ©pres­sion ou que sais-je”. Ça vient assez instinc­tive­ment. Ensuite on retra­vaille l’arrange­ment, tout l’ha­bil­lage musi­cal et la prod, avec deux musi­ciens super : Greg Gomez aka Tomasi, et Alex­is Delong, ex-membre de InĂŒit qui aujour­d’hui fait que de la prod (pour Zaho de Sagazan, Dis­iz, Miossec
) Ils ne m’en­voient jamais de prod’, mais tou­jours tout Ă  trois.

 

C’est quoi une bonne chan­son ? Qu’est-ce qui fait un bon titre ?

Pour moi, c’est une chan­son que je vais avoir l’im­pres­sion d’avoir tou­jours con­nue. Ce sen­ti­ment quand tu entends un truc nou­veau, mais oĂč c’est telle­ment catchy, telle­ment instinc­tif. Pour moi une bonne chan­son, c’est arriv­er Ă  faire ça. Et tu peux le faire avec n’im­porte quel style de musique : chan­son, var­iĂ©tĂ©, tech­no, trap
 tout. Pour moi ça vient surtout des toplines Ă  vrai dire. Une bonne topline peut sauver une chan­son qui, Ă  la base, est ban­cale
 Pour moi c’est la capac­itĂ© d’une chan­son Ă  te ramen­er Ă  un endroit trĂšs intime, trĂšs familier.

 

As-tu des rĂŽles mod­Úles ou des grandes inspi­ra­tions dans la musique ?

Oui ! Ça va plutĂŽt ĂȘtre chez les per­formeurs. J’aime les artistes ath­lĂštes, assez com­plets ou com­plĂštes. LĂ  tout de suite, je pense Ă  FKA twigs, mon inspi­ra­tion la plus impor­tante dans ma vie. Quand j’é­tais petite c’é­tait Michael Jack­son, en gran­dis­sant c’est plutĂŽt devenu des femmes. Donc FKA twigs, Nathy Pelu­so, Ros­alĂ­a bien sĂ»r
 Des meufs qui ont une sin­gu­lar­itĂ©. Mais j’aime aus­si des trucs plus main­stream : Doja Cat, Bey­on­cé 

 

C’est quoi le pre­mier album qui t’a touchĂ©e ? Et le dernier que tu as beau­coup Ă©coutĂ© ?

Le pre­mier album qui m’a vrai­ment mar­quĂ©e c’est I Thought I Was An Alien de Soko. J’y reviens sou­vent et c’est l’un des albums qui ont fait de moi ce que je suis aujour­d’hui. Le dernier, c’est Motoma­mi de Ros­alĂ­a. C’est le truc le moins orig­i­nal de la planĂšte mais bon haha.

 

Dans tes paroles des thĂšmes revi­en­nent, surtout sur le dernier EP : dĂ©pen­dance affec­tive, angoiss­es et incer­ti­tudes et
 le cul. Par­ler de sexe frontale­ment, ce n’est pas si Ă©vi­dent pour une artiste pop, mĂȘme si ça existe dĂ©jĂ  (je pense Ă  Kali­ka par exem­ple). C’est naturel pour toi, ou c’est quelque chose que tu revendiques ?

Je ne suis pas du tout une protest artist Ă  l’an­ci­enne. Mais je pense qu’il faut pas se voil­er la face. Je le fais de maniĂšre aus­si crue, comme Kali­ka le fait (la com­para­i­son est assez juste), ça ne se fait pas encore tant que ça en France. Il y a eu des meufs comme Yelle, mĂȘme Kox­ie. Ça a existĂ© mais ce n’est pas Ă©vi­dent, ça reste assez nichĂ©. Je ne chanterais pas lĂ -dessus si ce n’é­tait pas naturel pour moi. Dans la mĂȘme mesure oĂč je n’écris jamais avec un thĂšme en tĂȘte, je ne me dis jamais “ok dans cette chan­son, il faut que je par­le de sucer des teubs”. Mais pour moi c’est impor­tant de le revendi­quer, dans la mesure oĂč je ne veux pas faire sem­blant. Je suis une meuf, je suis mĂ©tisse : ça n’a pas la mĂȘme valeur quand moi je par­le d’un truc de cul, que quand c’est Damso qui le fait. Et je pense que ce serait con de ne pas l’avouer, parce que ça fait aus­si par­tie de la sociĂ©tĂ©, de notre temps.

 

Tu viens du théùtre, aujour­d’hui tu sens que ça te donne une aisance sur scĂšne ?

Ça m’aide car­ré­ment ! Et je me rends compte aus­si en com­para­nt les deux activ­itĂ©s (théùtre et musique) qu’elles se rejoignent par la scĂšne. Ça m’a Ă©nor­mé­ment aidĂ©e, dans le main­tien et dans la ges­tion du corps sur scĂšne. Je trou­ve que quand on est musi­cien, on peut avoir ten­dance Ă  nĂ©g­liger la façon dont les autres nous voient quand on est sur scĂšne. Si je mets mon bras de telle maniĂšre, com­ment ça va ĂȘtre perçu en face de moi ? Je trou­ve qu’il y a tout un truc de l’art de la scĂšne qui m’aide Ă©nor­mé­ment, parce que j’ai fait du théùtre et que j’ai con­science de ces petites choses-lĂ . Si je suis immo­bile et que je fais un tout petit mou­ve­ment avec mon bras, ça va avoir une impor­tance Ă©norme pour les spec­ta­teurs. Je suis trĂšs com­mu­nica­tive avec le pub­lic, je regarde beau­coup les gens ‑sans non plus les pren­dre en otage. J’aime bien con­vo­quer des choses dans le regard.

 

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Entre-temps, le fameux con­cert Ă  la Maro­quiner­ie a eu lieu. Le pre­mier live de Yoa “en son nom” — pas une pre­miĂšre par­tie, donc. C’é­tait un moment Ă©ton­nant, oĂč une salle intimiste s’est rem­plie Ă  ras-bord pour voir Ă©clore un tal­ent Ă©vi­dent qui n’a pas, encore, tout Ă  fait con­science de son poten­tiel. Tout sonne dĂ©jĂ  pro : des prod’ Ă  la voix qui reste droite mal­grĂ© l’é­mo­tion, en pas­sant par la ges­tion de l’e­space, l’én­ergie assez folle, le tra­vail sur les lumiĂšres
 Les chants sont repris en choeur par l’as­sis­tance. Les titres du dernier EP ont l’air d’avoir fait un car­ton, mais nom­breux con­nais­sent les paroles des chan­sons plus anci­ennes. Elle invite Geor­gio sur les planch­es, pour un feat qui sera sur l’al­bum du rappeur. Sur scĂšne Yoa est drĂŽle, paraĂźt Ă  l’aise, gĂšre avec sĂ©rieux les mini-couacs tech­niques, sem­ble com­mu­nier avec sa team et avec son pub­lic. AprĂšs le con­cert le lende­main matin, on a tenu Ă  rapi­de­ment dĂ©briefer avec elle, ce moment unique pour la jeune artiste.

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© Yoa à la Maroquinerie

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Alors, ce con­cert, cette soirĂ©e ?

Ça m’a sur­prise. Les chiffres ce n’est pas par­faite­ment tan­gi­ble, tu ne te rends pas compte de ce que ça sig­ni­fie rĂ©elle­ment. La Maro­quiner­ie c’est comme une arĂšne de cirque. Alors quand je me suis retournĂ©e au dĂ©but du con­cert j’ai tout pris, tous les gens dans la tĂȘte ! C’é­tait hyper impres­sion­nant, j’é­tais trĂšs trĂšs Ă©mue. Je crois que je ne rĂ©alise pas trĂšs bien, je n’ai pas les mots. J’é­tais trop heureuse, rien que d’en par­ler je bĂ©gaye. C’é­tait Ă©mou­vant pour moi, pour mes proches, pour les gens avec qui je tra­vaille. C’est assez fou. J’ai du mal Ă  me dire que ces gens exis­tent, qu’ils Ă©coutent et con­som­ment ma musique, qu’ils Ă©taient con­tents hier soir. Beau­coup de mal Ă  l’ad­met­tre, Ă  l’en­ten­dre, Ă  l’in­té­gr­er haha.

 

Tu as pu avoir des retours de la part du pub­lic ? Tu es allĂ©e au merch’ pour leur parler ?

Bien sĂ»r ! J’ai aimĂ© faire le con­cert parce que j’adore ĂȘtre sur scĂšne, mais c’é­tait mĂ©canique et j’é­tais telle­ment sub­mergĂ©e par l’é­mo­tion que j’ai l’im­pres­sion que tout s’est passĂ© en dix min­utes. L’aprĂšs-concert c’é­tait lim­ite oppres­sant, parce je ne pou­vais pas faire deux mĂštres sans que les gens vien­nent me par­ler, et je n’ai pas l’habi­tude de ça ! Le moment le plus agrĂ©able pour moi, c’é­tait au moment des dĂ©di­caces. C’est ce que j’ai prĂ©fĂ©rĂ© de la soirĂ©e je crois, quand j’ai vrai­ment ren­con­trĂ© les gens, qu’on a pris le temps de se parler.

 

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