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© C. Fraisse / Daren Gerrish / DR
26 janvier 2023

🎤 Interview : Yoa, avant et après son premier concert sold-out à Paris

par Corentin Fraisse

Yoa, c’est une prometteuse artiste française, au carrefour de la chanson et d’une belle palette de styles musicaux. Sa voix cristalline contraste avec son franc-parler et se fond sur des productions Ă  la frontière de l’hyperpop et de l’électronique. On a pu lui poser quelques questions, juste avant et juste après son concert complet Ă  la Maroquinerie.

On vous parlait dĂ©jĂ  de Yoa et de son EP Chansons Tristes il y a peu. Difficile de mettre le doigt dessus, mais il y a quelque chose de très mature, de mystĂ©rieux et de magique -ou en tout cas, de très intrigant- dans la musique de Yoa. Si elle a Ă©tĂ© dans la sĂ©lection des InouĂŻs du Printemps de Bourges, qu’elle a dĂ©jĂ  foulĂ© les plus belles scènes pour faire des premières parties, Yoa vient de dĂ©buter sa première tournĂ©e « en son nom » en janvier 2023. Une date cruciale est très vite arrivĂ©e : celle de la Maroquinerie. La billetterie fut assaillie et la salle s’est rapidement remplie. La faute Ă  un EP fraichement sorti, Chansons tristes, qui a vite rencontrĂ© un succès mĂ©ritĂ©. Avant ce concert hautement symbolique pour le projet Yoa, live qu’elle a longtemps travaillĂ©, rĂ©flĂ©chi et peaufinĂ©, Tsugi a pu discuter avec la chanteuse.

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Comment ça se présente, la Maroquinerie ?

Ça se prĂ©sente trop bien, je suis super excitĂ©e. Franchement on est prĂŞts, on rĂ©pète simplement pour ĂŞtre encore plus Ă  l’aise. On joue 1h-1h15 en gros. J’ai trop hâte.

 

Vu que c’est complet, qu’est-ce qui prime : hâte ou apprĂ©hension ? Quel est ton Ă©tat d’esprit ?

Je n’apprĂ©hende pas plus dĂ©jĂ . Le seul truc qui, je pense, va me faire très bizarre c’est que… l’annĂ©e dernière tous les concerts que j’ai faits, c’Ă©tait principalement des premières parties. Je n’avais pas encore un public, lĂ  ça commence petit Ă  petit et je pense que ça va ĂŞtre très dĂ©stabilisant d’entendre les gens chanter les paroles… J’ai Ă  la fois hâte et peur de ça, parce que je ne sais pas comment je vais rĂ©agir. J’imagine que je vais ĂŞtre très Ă©mue et que je vais probablement pleurer

 

On sent un engouement depuis la sortie de Chansons Tristes, quels retours tu as eus sur ce projet ?

Les retours les plus directs que j’ai, c’est des messages que les gens m’Ă©crivent. J’en reçois beaucoup tous les jours, et souvent les gens prennent le temps d’Ă©crire de longs messages. Pour expliquer Ă  quel point ça les a touchĂ©s d’un point de vue personnel, comment ça les a ramenĂ©s Ă  des moments un peu tristes de leur vie, et que pour certains, ça les aide. Ce qui me touche particulièrement aussi c’est que, je pensais que ma musique plairait particulièrement aux jeunes alors qu’en fait… Pas que. Beaucoup de personnes de 30 ans et plus -non pas qu’Ă  30 ans on soit vieux, ce n’est pas ce que je suis en train de dire. J’ai des messages de gens de 60 ans… Ce qui est aussi assez stylĂ©, c’est qu’en concert je danse beaucoup, ce que je fais sur scène est assez sexualisĂ© : les gens ne sont jamais choquĂ©s, au contraire ils soulignent ça. Je ne m’y attendais pas.

 

Selon toi, qu’est-ce qui a changĂ© entre ton premier EP (sorti il y a Ă  peine plus d’un an) et ton dernier EP ?

Tout, en vrai. DĂ©jĂ  mon rapport Ă  la musique a complètement changĂ©. Parce que quand j’ai sorti le premier EP, ce n’Ă©tait pas vraiment un crash test, j’y ai mis tout mon coeur et j’ai beaucoup travaillĂ© dessus, mais dans ma tĂŞte c’Ă©tait pour voir comment la sauce prenait. Je n’Ă©tais pas du tout dans les mĂŞmes configurations de vie, j’avais aussi besoin d’argent et deux tafs en mĂŞme temps, avec la musique Ă  cĂ´tĂ©, je me dĂ©merdais comme je pouvais pour gagner des sous. Et puis entre le premier et le deuxième EP, j’ai un peu radicalisĂ© mes choix de vie, j’ai arrĂŞtĂ© mes deux tafs… MĂŞme si ça m’a fait un peu galĂ©rer, en un an je me suis professionnalisĂ©e. Et puis oui, j’ai compris que je pouvais en faire mon mĂ©tier ! Au niveau des thèmes abordĂ©s et de la musique en elle-mĂŞme, je suis davantage allĂ©e vers ce que j’aimais, en m’Ă©loignant du genre « chanson ». Les morceaux du deuxième EP, ça reste de la pop mais plus hybride. Pour moi c’est toujours important qu’il y ait de belles chansons Ă  la base des morceaux, mais c’est vrai qu’au niveau de la production, c’est un peu plus expĂ©rimental. Le but c’est que ça puisse plaire quand mĂŞme Ă  beaucoup de gens, que ça soit presque mainstream. Moi j’aime aussi la musique grand public.

 

Comment tu Ă©cris, comment tu composes ? C’est quoi le point de dĂ©part d’une chanson ?

Je compose et j’Ă©cris tout, donc Ă  la base il n’y a presque jamais de prod, sauf sur l’EP pour « maddy <3 » et « paroxĂ©tine ». Je compose piano-voix d’abord, et puis la mĂ©lodie et les paroles me viennent en mĂŞme temps. Je ne me dis pas « aujourd’hui je vais Ă©crire sur les fleurs, sur la dĂ©pression ou que sais-je ». Ça vient assez instinctivement. Ensuite on retravaille l’arrangement, tout l’habillage musical et la prod, avec deux musiciens super : Greg Gomez aka Tomasi, et Alexis Delong, ex-membre de InĂĽit qui aujourd’hui fait que de la prod (pour Zaho de Sagazan, Disiz, Miossec…) Ils ne m’envoient jamais de prod’, mais toujours tout Ă  trois.

 

C’est quoi une bonne chanson ? Qu’est-ce qui fait un bon titre ?

Pour moi, c’est une chanson que je vais avoir l’impression d’avoir toujours connue. Ce sentiment quand tu entends un truc nouveau, mais oĂą c’est tellement catchy, tellement instinctif. Pour moi une bonne chanson, c’est arriver Ă  faire ça. Et tu peux le faire avec n’importe quel style de musique : chanson, variĂ©tĂ©, techno, trap… tout. Pour moi ça vient surtout des toplines Ă  vrai dire. Une bonne topline peut sauver une chanson qui, Ă  la base, est bancale… Pour moi c’est la capacitĂ© d’une chanson Ă  te ramener Ă  un endroit très intime, très familier.

 

As-tu des rôles modèles ou des grandes inspirations dans la musique ?

Oui ! Ça va plutĂ´t ĂŞtre chez les performeurs. J’aime les artistes athlètes, assez complets ou complètes. LĂ  tout de suite, je pense Ă  FKA twigs, mon inspiration la plus importante dans ma vie. Quand j’Ă©tais petite c’Ă©tait Michael Jackson, en grandissant c’est plutĂ´t devenu des femmes. Donc FKA twigs, Nathy Peluso, RosalĂ­a bien sĂ»r… Des meufs qui ont une singularitĂ©. Mais j’aime aussi des trucs plus mainstream : Doja Cat, BeyoncĂ©

 

C’est quoi le premier album qui t’a touchĂ©e ? Et le dernier que tu as beaucoup Ă©coutĂ© ?

Le premier album qui m’a vraiment marquĂ©e c’est I Thought I Was An Alien de Soko. J’y reviens souvent et c’est l’un des albums qui ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Le dernier, c’est Motomami de RosalĂ­a. C’est le truc le moins original de la planète mais bon haha.

 

Dans tes paroles des thèmes reviennent, surtout sur le dernier EP : dĂ©pendance affective, angoisses et incertitudes et… le cul. Parler de sexe frontalement, ce n’est pas si Ă©vident pour une artiste pop, mĂŞme si ça existe dĂ©jĂ  (je pense Ă  Kalika par exemple). C’est naturel pour toi, ou c’est quelque chose que tu revendiques ?

Je ne suis pas du tout une protest artist Ă  l’ancienne. Mais je pense qu’il faut pas se voiler la face. Je le fais de manière aussi crue, comme Kalika le fait (la comparaison est assez juste), ça ne se fait pas encore tant que ça en France. Il y a eu des meufs comme Yelle, mĂŞme Koxie. Ça a existĂ© mais ce n’est pas Ă©vident, ça reste assez nichĂ©. Je ne chanterais pas lĂ -dessus si ce n’Ă©tait pas naturel pour moi. Dans la mĂŞme mesure oĂą je n’Ă©cris jamais avec un thème en tĂŞte, je ne me dis jamais « ok dans cette chanson, il faut que je parle de sucer des teubs ». Mais pour moi c’est important de le revendiquer, dans la mesure oĂą je ne veux pas faire semblant. Je suis une meuf, je suis mĂ©tisse : ça n’a pas la mĂŞme valeur quand moi je parle d’un truc de cul, que quand c’est Damso qui le fait. Et je pense que ce serait con de ne pas l’avouer, parce que ça fait aussi partie de la sociĂ©tĂ©, de notre temps.

 

Tu viens du théâtre, aujourd’hui tu sens que ça te donne une aisance sur scène ?

Ça m’aide carrĂ©ment ! Et je me rends compte aussi en comparant les deux activitĂ©s (théâtre et musique) qu’elles se rejoignent par la scène. Ça m’a Ă©normĂ©ment aidĂ©e, dans le maintien et dans la gestion du corps sur scène. Je trouve que quand on est musicien, on peut avoir tendance Ă  nĂ©gliger la façon dont les autres nous voient quand on est sur scène. Si je mets mon bras de telle manière, comment ça va ĂŞtre perçu en face de moi ? Je trouve qu’il y a tout un truc de l’art de la scène qui m’aide Ă©normĂ©ment, parce que j’ai fait du théâtre et que j’ai conscience de ces petites choses-lĂ . Si je suis immobile et que je fais un tout petit mouvement avec mon bras, ça va avoir une importance Ă©norme pour les spectateurs. Je suis très communicative avec le public, je regarde beaucoup les gens -sans non plus les prendre en otage. J’aime bien convoquer des choses dans le regard.

 

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Entre-temps, le fameux concert Ă  la Maroquinerie a eu lieu. Le premier live de Yoa « en son nom » – pas une première partie, donc. C’Ă©tait un moment Ă©tonnant, oĂą une salle intimiste s’est remplie Ă  ras-bord pour voir Ă©clore un talent Ă©vident qui n’a pas, encore, tout Ă  fait conscience de son potentiel. Tout sonne dĂ©jĂ  pro : des prod’ Ă  la voix qui reste droite malgrĂ© l’Ă©motion, en passant par la gestion de l’espace, l’Ă©nergie assez folle, le travail sur les lumières… Les chants sont repris en choeur par l’assistance. Les titres du dernier EP ont l’air d’avoir fait un carton, mais nombreux connaissent les paroles des chansons plus anciennes. Elle invite Georgio sur les planches, pour un feat qui sera sur l’album du rappeur. Sur scène Yoa est drĂ´le, paraĂ®t Ă  l’aise, gère avec sĂ©rieux les mini-couacs techniques, semble communier avec sa team et avec son public. Après le concert le lendemain matin, on a tenu Ă  rapidement dĂ©briefer avec elle, ce moment unique pour la jeune artiste.

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© Yoa à la Maroquinerie

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Alors, ce concert, cette soirée ?

Ça m’a surprise. Les chiffres ce n’est pas parfaitement tangible, tu ne te rends pas compte de ce que ça signifie rĂ©ellement. La Maroquinerie c’est comme une arène de cirque. Alors quand je me suis retournĂ©e au dĂ©but du concert j’ai tout pris, tous les gens dans la tĂŞte ! C’Ă©tait hyper impressionnant, j’Ă©tais très très Ă©mue. Je crois que je ne rĂ©alise pas très bien, je n’ai pas les mots. J’Ă©tais trop heureuse, rien que d’en parler je bĂ©gaye. C’Ă©tait Ă©mouvant pour moi, pour mes proches, pour les gens avec qui je travaille. C’est assez fou. J’ai du mal Ă  me dire que ces gens existent, qu’ils Ă©coutent et consomment ma musique, qu’ils Ă©taient contents hier soir. Beaucoup de mal Ă  l’admettre, Ă  l’entendre, Ă  l’intĂ©grer haha.

 

Tu as pu avoir des retours de la part du public ? Tu es allĂ©e au merch’ pour leur parler ?

Bien sĂ»r ! J’ai aimĂ© faire le concert parce que j’adore ĂŞtre sur scène, mais c’Ă©tait mĂ©canique et j’Ă©tais tellement submergĂ©e par l’Ă©motion que j’ai l’impression que tout s’est passĂ© en dix minutes. L’après-concert c’Ă©tait limite oppressant, parce je ne pouvais pas faire deux mètres sans que les gens viennent me parler, et je n’ai pas l’habitude de ça ! Le moment le plus agrĂ©able pour moi, c’Ă©tait au moment des dĂ©dicaces. C’est ce que j’ai prĂ©fĂ©rĂ© de la soirĂ©e je crois, quand j’ai vraiment rencontrĂ© les gens, qu’on a pris le temps de se parler.

 

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