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Crédit Photo : Sylvain Lewis
5 octobre 2018

Interview : Zer0, une musique hybride pour un premier EP flamboyant

par Corentin Fraisse

A mi-chemin. Entre Paris et Londres, entre rap et jazz, entre projet naissant et ambition dévorante. Au début de l’été, ils avaient tapé dans l’oeil de Tsugi avec leur clip « Orpheus ». Zer0, c’est surtout un projet rassembleur formé par deux musiciens que tout aurait pu opposer : d’un côté, le jeune pianiste auteur-compositeur français Sacha Rudy (18 ans), inspiré par le jazz de Keith Jarrett mais aussi par Radiohead ou James Blake. De l’autre, le rappeur et guitariste londonien Uzzee, marqué par une grande diversité culturelle et fan absolu de 2Pac et Massive Attack. Ensemble, ils créent une musique singulière, hybride et protéiforme -qui nous fait penser çà et là BadBadNotGood ou Kamasi Washington- où les refrains pop et aériens de Sacha se heurtent aux textes acérés d’Uzzee. A l’occasion de la sortie aujourd’hui chez Sapiens -le label lancé par Agoria– de leur premier EP sobrement intitulé Zer0, on a rencontré les deux artistes dans un café parisien. Pour tenter de percer les secrets de ce mystérieux duo.

Et si vous êtes plutôt Spotify :

Pourquoi Zer0?

Uzzee : Déjà parce que le nom n’est breveté par personne ! Surtout, on a choisi un nom à l’image de notre musique : original, plutôt fort mais en même temps assez vague, pour qu’on ne soit pas limités dans ce qu’on veut produire.

Sacha : Tout le propos de Zer0 c’est de n’être limité par aucune contrainte. Zer0 c’est le point parfait pour partir dans n’importe quelle direction. C’est un nom hybride, avec une histoire ancienne… Et je pense que c’est pareil pour notre musique : très influencée par tout ce qu’on a écouté tout autour du monde, mais avec des composants électroniques.

Que faisiez-vous séparément avant de former le duo?

Uzzee : Je fais de la musique depuis tout petit, dans des styles très différents, puis je me suis mis à rapper il y a 7 ans, il n’y a pas si longtemps. Je me suis rendu compte que j’étais limité dans ce que je pouvais faire, je ne savais pas comment produire ou incorporer des éléments rock ou world music -des styles qui m’influençaient beaucoup. J’ai appris à produire, à jouer de la guitare, pour me lancer dans des idées neuves. J’ai rencontré Sacha et tout a évolué très vite.

Sacha : J’ai commencé le piano à 5 ans avec une éducation très classique, donc ça a toujours fait partie de ma vie. Je me suis rapidement mis à improviser, à écrire ma musique, sans la montrer à personne. Et quand j’ai eu 11-12 ans j’ai commencé à produire et à écrire des chansons à plusieurs, parce que c’est là qu’on apprend le plus. Et Zer0 c’était le projet parfait pour faire de la musique que j’aurais envie de faire écouter.

Pourtant tu écrivais pour les autres, notamment des musiques de films…

Sacha : Oui, un peu ! J’ai composé avec Nicolas Becker (ndlr : qui a notamment travaillé sur Gravity) et j’écris encore une musique pour un ami qui réalise un court-métrage. Mais je ne veux pas faire que de la musique de film. J’ai travaillé pour l’art contemporain en composant pour Philippe Parreno, un artiste plasticien. J’ai aussi écrit une chanson pour Ann Lee, un personnage de manga en 3D mais le projet n’est pas encore sorti. 

La fameuse Ann Lee et son regard de braise

Faire du cinéma, tu y as déjà pensé?

Sacha : Bien sûr! Quand j’étais petit je jouais déjà du piano mais ce que je voulais faire c’était du cinéma, mettre en scène. J’ai toujours été très inspiré par Kubrick, mais aussi par des entrepreneurs qui ont réussi en amenant des idées novatrices, de nouveaux produits comme par exemple Steve Jobs. En musique ce sera des artistes comme David Bowie ou Daft Punk, qui ont su apporter des choses totalement nouvelles, en se faisant aider de quasiment personne. L’avantage de la musique, c’est qu’on peut arriver à un produit fini bien plus vite et c’est surtout ce qui me motive : sortir des idées de mon esprit pour les inscrire rapidement dans le réel.

Et toi Uzzee, quelle serait ta plus grande inspiration?

Uzzee : Ma plus grande inspiration, c’est et ça restera Malcolm X. J’ai lu sa biographie quand j’avais 8 ans et ça m’a beaucoup touché. J’ai d’abord pleuré beaucoup, puis j’ai réalisé que je voulais moi aussi être quelqu’un qui n’aurait pas peur de dire ce qu’il pense, qui n’aurait pas peur des obstacles et des détracteurs. Il reste toujours une grosse source de motivation. 

Tu as aussi passé trois ans et demi au Nigéria pendant ton adolescence, comment ça a impacté ta vie et ta vision de la musique? 

Uzzee : Pendant les huit premiers mois j’étais à Kano, dans la ville de mon père. Je n’avais pas d’amis, je ne connaissais personne et j’avais juste ramené une vingtaine de CDs que je n’avais jamais écoutés. Donc je passais mon temps à écouter de la musique, et c’est à cette époque qu’elle a pris une place très importante dans ma vie. Le Nigéria en lui-même m’a ouvert l’esprit : c’est un pays où tout peut vraiment t’arriver, en bien comme en mal. Tu peux être à la rue un jour puis millionaire le lendemain, et inversement. Ca m’a rendu très ambitieux, prêt à absolument tout.

Comment vous êtes-vous rencontrés? 

Uzzee : C’était à Paris il y a quatre ans : je croise Sacha et ses potes dans une boîte, qui commencent à me parler du gros chapeau africain que je portais. Je jouais le lendemain, Sacha est venu me voir après mon concert et il m’a dit qu’il voulait qu’on travaille ensemble, je me suis dit « pourquoi pas ». En rentrant chez moi à Londres, je vois qu’il m’avait envoyé 35 morceaux, dont certains m’ont retourné le cerveau ! Surtout un que j’ai écouté en boucle, sur lequel j’ai directement écrit un rap de trois minutes. Ce son m’a tout de suite inspiré, alors j’ai su qu’il fallait qu’on travaille ensemble. C’était une évidence.

Sacha : On a vraiment eu de la chance parce que c’était la première fois que je sortais en boîte, j’avais 14 ans ! Je ne remercierai jamais assez le videur qui ne m’a pas demandé ma carte.

Vous avez signé chez Sapiens, label fondé par Agoria il y a un an : ne trouvez-vous pas ça surprenant, alors que vous ne faites pas du tout le même style de musique? 

Sacha : Je pense que la musique c’est d’abord des gens, peu importe ce qu’ils font musicalement. Si tu rencontres des gens avec qui tu partages la même vision, il faut que vous travailliez ensemble. Et je pense qu’on partage la même vision : aller là où on veut, sans être rangés dans une case et surtout penser au monde qui nous entoure, sans se mettre de limites. Cela nous semblait naturel de signer là-bas.

En parlant de limites, la majorité de vos chansons ne peuvent pas tous être rangés dans le même genre. Vous mélangez des sons qui ne sont pas faits pour fonctionner ensemble. Comment faites-vous pour les faire sonner ? 

Uzzee : Je pense que rien au monde n’est artificiel, tout est organique au final, même le plastique. N’importe quel élément peut former une harmonie parfaite avec n’importe quel autre. Aujourd’hui, notre génération a accès à tellement de choses et on absorbe plein d’influences très différentes, donc c’est normal que ça resurgisse sur notre musique.

Sacha : C’est aussi lié à ce qu’on écoute, on est constamment nourris par des sonorités souvent éloignées. Pour nous, ce n’est pas étrange de mixer des sons très différents. Par exemple on va combiner un beat techno avec des cuivres de Fela Kuti et une guitare brésilienne, ça vient naturellement. Faire des titres à la structure complexe ou aux influences très variées, ce n’est pas un objectif en soi. Il faut que ça vienne instinctivement, sinon ça ne marche pas. On est très influencés par le jazz et le rock progressif mais ce n’est pas systématique mais on ne se dit pas « il faut que le structure soit étrange ».

Justement, c’est ce qu’on entend notamment dans « Orpheus » et « Inner Demons », on a l’impression qu’il y a trois chansons dans chaque morceau…

Uzzee : On est habitués à certaines structures et on essaie de caser tout ce qu’on écoute dans ces structures qu’on connait. Pour nous c’est une seule chanson à la fois ! On utilise simplement différents éléments, plusieurs sentiments à exprimer dans un morceau. Et parfois, ces éléments ont besoin d’une trajectoire qui dévie d’un point A au point Z. C’est ce qu’on aime dans notre musique, elle nous permet d’absorber de nouvelles textures, de nouvelles idées, de nouvelles sonorités. 

Sacha : « Orpheus » est une fable, donc il faut pour comprendre le déroulé de l’histoire, tu dois suivre un chemin tracé d’un point A à un point B, même s’il est tortueux. « Inner Demons » c’est plutôt une chanson sur la dualité qu’on a tous en nous, cette bataille permanente entre nos énergies negatives et positives. Ca parle de rage, de positivité et d’harmonie, et les deux parties de la chanson se retrouvent dans ce thème. On n’aurait pas utilisé cette structure pour un autre sujet. 

Revenons à « Orpheus » : pourquoi parler de ce mythe? A-t-il un écho dans vos vies personnelles?

Sacha : Tout est parti de la mélodie du refrain. Le « hey, I just came back from hell » est venu naturellement, sans qu’on y pense. Et à partir de là, on a pensé au mythe d’Orphée. Bien sûr que ça nous parle, comme à beaucoup de monde : Orphée est musicien et amoureux, extraordinaire et sensible, qui vit une tragédie mais tente d’y survivre. Et on voulait vraiment se mettre dans sa peau.

Pouvez-vous me parler de l’endroit où vous avez enregistré l’EP?

Sacha : C’est une petite maison au fond d’une cour dans le 15ème, à coté y’a un sculpteur de 90 ans rescapé de la Shoah… C’est un endroit un peu irréel, hors du temps, un espace hyper libératoire qui a énormément influencé nos compos, on s’est souvent laissés porter par le lieu. Le premier morceau qu’on a créé là-bas c’était « Sun », il y a deux ans, et il n’a quasiment pas bougé depuis.

Comment vous travaillez? Composez-vous et écrivez-vous ensemble, au même moment? 

Sacha : L’essence même de Zer0, c’est de tout créer ensemble. On pourrait faire des trucs séparément et se les envoyer, mais ce n’est pas le but, ça gâcherait l’énergie. Zer0 ce n’est pas seulement un groupe, c’est un idéal qu’on partage, comme une symbiose. Si on jouait ensemble mais sous un nom différent, notre musique en serait forcément changée.

Uzzee : Exactement. Nos expériences communes et nos conversations se manifestent dans nos compos. Par exemple on a parlé pendant des heures de la génération X et des millennials. Quelques jours plus tard quand on a voulu composer, le thème est revenu à nous instinctivement et ça a donné « Lullaby », qui est sur l’EP. Donc clairement, notre relation forte c’est un point central de notre musique.

Entre Londres et Paris, vous arrivez à vous voir régulièrement ?

Sacha : On a un bon rythme, Uzzee est presque Parisien maintenant. Il est déjà venu à Paris 21 fois en un an!

Uzzee : J’ai un pass VIP Eurostar (rires)

Vos futurs projets? 

Sacha : On en a plein, mais on veut surtout préparer un nouvel EP et rapidement aller vers l’album… En tout cas c’est dans les tuyaux. On a encore beaucoup de choses à dire, on sait à peu près ce qu’on va vouloir raconter dans le prochain EP. On a déjà quelques morceaux, donc ça ne devrait pas prendre trop longtemps avant la prochaine sortie.

Uzzee : On aimerait aussi travailler avec d’autres branches artistiques : le cinéma, la mode, même dans le business du commerce si on veut…  C’est pour ça qu’il faut qu’on établisse le nom Zer0, pour pouvoir l’emmener au-delà de la musique. 

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