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©Matt Sav
22 janvier 2020

Kevin Parker : « Tame Impala est la musique qui se joue dans mon club ultime »

par Sylvain Di Cristo

Quand on parle de Tame Impala, difficile de rester calme. Tout de suite, on a envie de dire que le mec qui y fait tout derrière est l’un des artistes les plus doués de ces 15 dernières années, qu’il a dépoussiéré le rock psyché jusqu’à en incarner seul sa définition contemporaine ou qu’il est la progéniture d’une union entre les Beatles, Pink Floyd et peut-être Dieu le Père. Prévu le jour de la Saint-Valentin, ce quatrième album The Slow Rush (14/02) a été, à la seconde qui suivit la sortie du chef-d’œuvre qu’est Currents, l’un des disques les plus attendus du monde de la musique. Retour en toute décontraction avec Kevin Parker sur l’histoire de ce disque, sa conception de la pop music et l’influence méconnue de la musique électronique sur sa vie et son œuvre.

Interview publiée dans le Tsugi #129, en kiosque en février.
À ML.

Tu as une relation un peu spéciale avec Paris, non ?

Oui, vraiment spéciale. J’y ai habité pendant un an.

Ce n’est pas trop douloureux parfois d’y revenir ? [Allusion à son ex relation avec la Française Melody Prochet de Melody’s Echo Chamber, ndr]

Non, ce n’est pas de la douleur mais plutôt de la nostalgie et l’avantage de la nostalgie c’est qu’elle transforme tout en souvenir agréable.

J’imagine que les questions inédites ne doivent plus vraiment être légion pour toi aujourd’hui. Mais si tu étais à ma place, qu’est-ce qu’il faudrait que je sache de primordial sur Tame Impala ?

Bonne question ! Je pense que ce qu’il faut savoir est que, dans un sens, Tame Impala est la musique qui se joue dans mon club ultime.

« Pour moi, un track comme « Alter Ego » est un track électronique. Quand il est sorti, je me suis dit que ça allait être le moment où tout le monde allait réaliser que ce n’était pas du rock psyché des années 60 mais du pur Chemical Brothers. »

Ça vaut aussi pour tes premiers albums ?

Bien sûr ! Ou on peut également dire que c’est la musique qui se joue quand j’arrive à faire ce que je veux faire. Tame Impala est la bande son de mon environnement parfait.

Si chaque album est différent, il y aurait donc plusieurs environnements parfaits. À quoi ressemble celui de ce quatrième album The Slow Rush ?

Probablement à un club. En même temps, j’ai toujours écouté de la musique électronique en dehors des clubs, comme Chemical Brothers par exemple. Et même Innerspeaker, c’était moi qui essayais de faire de la club music sans savoir comment !

N’y aurait-il pas trop de sons de guitares pour que cela en soit ?

Pour moi, un track comme « Alter Ego » est un track électronique. En tout cas dans mon esprit tordu. Quand il est sorti, je me suis dit que ça allait être le moment où tout le monde allait réaliser que ce n’est pas du rock psyché des années 60 mais du pur Chemical Brothers. De la même manière que je voyais Lonerism comme du Britney Spears, la plus vernie des musiques pop. Quand je l’écoute aujourd’hui, je n’entends qu’un gros bordel. C’est drôle cette perception que j’ai, celle de l’artiste sur son propre travail, tellement erronée. Mais magnifiquement erronée. Et c’est comme ça que ça doit être.

Es-tu fier de ton travail ?

Bien sûr. Enfin… Je le suis aujourd’hui. Pendant longtemps j’en étais honteux. Jusqu’à récemment, dès que j’essayais d’écouter Innerspeaker, j’étais genre : « Passe. Passe. Passe aussi… » Et boum, fin de l’album. Ok, essayons Lonerism : « Passe. Passe. Passe… » Pareil. Ce n’est que maintenant que j’en apprécie…

…les erreurs ?

Exactement. Son innocence.

Ça peut s’expliquer par le fait que ton son ait beaucoup évolué en 12 ans, que tu sois passé à autre chose et que ces premiers sons ne t’appartiennent plus désormais…

Oui c’est également vrai, comme si quelqu’un d’autre que moi les avait faits.

Est-ce que t’étais le genre d’adolescent qui savait qu’il avait quelque chose à accomplir sur scène ou dans un studio de musique ?

Au lycée, finir sur scène était tout ce à quoi je pensais parce que c’était la période où je me sentais le plus insignifiant. Et pour moi, l’idée d’être sur scène, de mettre l’ambiance, était ce qui pouvait me rendre le plus important du monde. Comme si les acclamations du public étaient le remède ultime pour se sentir bien dans sa peau.

Étais-tu timide à l’époque ?

Je dirais plutôt replié sur moi-même. Autour de mes 11 ans, je déménageais beaucoup et donc changeais d’écoles. C’était pas facile. Ce repli provient de ça. Quand je suis arrivé au lycée, j’étais un putain de délinquant. Puis plus j’avançais, plus je tombais dans la musique et délaissais ma rébellion, jusqu’à ce que la musique me consume totalement.

« Je ne voudrais pas que le monde entier apprécie Tame Impala, seulement qu’un petit nombre d’entre eux l’adore. »

Ton nouveau disque est prévu pour la Saint-Valentin, quasiment un an pile après ton mariage. Coïncidence ?

Tiens, je n’y avais pas pensé… (Rires) Enfin, si ça avait été le jour exact de mon mariage, oui, je l’aurais remarqué ! Mais là, c’est une coïncidence.

Donc bien sûr ça parle d’amour mais il n’y a qu’à regarder la pochette de l’album pour comprendre que t’y abordes le sujet du temps. La photo provient du village fantôme de Kolmanskop en Namibie. Qu’y a-t-il à savoir à propos du temps ?

Bizarrement, beaucoup de personnes y sont allées et personne n’a eu l’idée d’en faire une pochette d’album. C’est l’intérieur d’une maison d’une cité minière de diamant abandonnée où la nature a repris ses droits. Ce que j’ai aimé avec tout ce sable empilé dans cette maison, c’est qu’en en prenant la photo on ne puisse pas dire si cela est arrivé en cinq minutes ou en cinquante ans. C’est comme ça que je conçois le temps – tout du moins de la manière dont j’en parle dans mon album – c’est-à-dire que le temps peut passer extrêmement vite ou lentement en fonction de ce que tu ressens, de ce que tu fais.

Est-ce que le temps s’est vite écoulé pendant ces cinq ans entre Currents et The Slow Rush ?

Carrément. Parce que j’ai fait tellement de trucs que j’ai pris plaisir à faire ! Essayer des nouvelles choses, collaborer avec de nouvelles personnes, être un DJ – ce que j’ai toujours voulu essayer…

Ah, ça m’intéresse ! Tu veux dire que tu fais du DJing ou que tu sélectionnes les tracks comme un « selector » mais sans les mixer ensemble ?

Non, non, je fais de vraies transitions ! Sauf si je mixe du hip-hop, là je fais des gros spin-back. Mais je suis encore assez nul…

Sur cet album, on peut entendre un peu de Supertramp, de disco, de funk, d’acid proche du « Da Funk » de Daft Punk, et même une touche de breakbeat dans le traitement des drums sur « It Might Be Time ». Faut-il y voir un énorme appétit musical derrière cette envie de toucher à tout ?

Je suis infiniment curieux de tous les genres musicaux qui existent. Quand j’écoute un morceau et que je ne comprends pas comment il ou elle l’a fait, ça me met en rogne. Il faut que je sache. Il faut que j’essaie. Sur cet album, j’ai voulu être audacieux, ne pas me retenir de faire quelque chose que je voudrais faire comme caler un passage d’acid house dans une chanson, mais à ma façon.

Tu as fait cet album tout seul ?

Hum hum.

De A à Z ?

Hum hum.

De la même manière que Currents ?

Hum hum.

Impressionnant…

Oh merci mec, c’est gentil ! En réalité, c’est plus simple pour moi de tout faire seul parce que je n’ai pas à communiquer verbalement mes idées, ce qui m’est impossible à faire. Seul, il n’y a pas de compromis – bien que les compromis soient magnifiques dans une collaboration, qu’on se comprenne. Mais ça ne pourra jamais ressembler exactement à ce truc magique dont tu rêves, dont tu en as la nette image dans ta tête.

« Parfois, c’est utile d’être égoïste. »

Si tant est qu’il existe, quel est le but ultime de Tame Impala ? Être écouté par le plus de monde possible ?

C’est de faire bouger autant de monde que possible et de les toucher émotionnellement, pas d’être écouté. Je ne voudrais pas que le monde entier aime Tame Impala, seulement qu’un petit nombre d’entre eux l’adore. T’imagines, ça serait super chiant que tout le monde sur Terre dise : « Tame Impala ? Ouais, c’est pas mal. »

Que je comprenne bien, c’est cool pour toi que des gens détestent ce que tu fais ?

Oui ! C’est presque essentiel. Comme Kanye West l’a dit un jour : « Être détesté est la même chose qu’être adoré. » Ça veut dire qu’au moins tu existes à leurs yeux, que tu as une influence sur eux, que tu arrives à les atteindre. Et tu ne peux pas détester quelque chose dont tu te fous complètement.

Si on reste dans les citations, j’ai lu quelque part qu’une carrière musicale est comme un train et que les albums sont des stations. Dans chaque station, des gens montent et d’autres descendent. Que dirais-tu à ceux qui sont descendus à la station « Currents » parce qu’ils ne l’ont pas trouvé assez rock psyché à leur goût ?

Je dirais : « Au revoir [en français dans le texte, ndr], merci d’avoir fait ce bout de voyage avec moi ! » Sans rancune ! Je ne voudrais pas qu’ils restent dans le train s’ils ne veulent plus l’être. Je ne veux retenir personne en otage.

Le truc c’est qu’avec Currents, beaucoup de monde est monté dans le train… augmentant aussi la pression j’imagine. J’ai vu un post sur ton Instagram qui disait que, malgré l’impatience générale, tu ne voulais pas sortir un album dont tu n’aurais pas été parfaitement satisfait. Comment fait-on pour dire « non » à la plus puissante des majors de l’industrie de la musique et a des millions de fans ?

En buvant de l’alcool et en fumant de la weed, j’imagine. (Rires)

Tu ne surfes pas ?

J’ai déjà essayé une ou deux fois, mais non, je ne surfe pas – bien que j’aille souvent à la plage, j’y habite pas loin, à Perth.

Ah, alors t’es le genre de mec avec un collier de coquillages et une guitare sèche ?

Non, pitié ! Ces mecs sont bidons… Par contre, j’avoue, je prends ma guitare sur la plage mais je m’assure d’y être seul. Tout le monde déteste ce type, moi en particulier parce que si je suis sur la plage et que ce mec arrive, il va me saper mon inspiration !

Bon, tu as l’air de bien gérer la pression visiblement. Pourtant, on parle d’un groupe en tête d’affiche du plus gros festival du monde, Coachella.

Ça c’est rien comparé à la pression artistique, la pression que je me mets pour faire un bon album. Coachella, c’est simplement du boulot, c’est de la méthode. Ici, la quantité de travail va correspondre à la qualité de ton live. Mais ça ne s’applique pas à la création musicale. Parfois, plus tu passes de temps sur un track, plus il est mauvais. C’est pour ça qu’en fin de compte, je fais de la musique pour moi. Parfois, c’est utile d’être égoïste. Parce que c’est la seule façon d’échapper aux responsabilités que j’ai face à tous ceux qui m’entourent. J’ai toujours cru qu’il serait plus facile d’être un mec sympa et altruiste mais après ces dernières années où la pression s’est faite toujours plus forte, je m’étonne encore de voir à quel point ça a été simple de ne penser qu’à moi et à quel point ça m’a facilité la vie. Dans ce sens, j’arrive à comprendre pourquoi certaines des plus grandes stars du monde ont un égo surdimensionné, parce que c’est peut-être la seule solution pour survivre.

Ce qui expliquerait pourquoi beaucoup d’entre elles se sentent seules…

Oui, c’est le risque. C’est un chemin que je n’ai pas encore emprunté mais je l’apprends.

« Dans la musique moderne, tu n’as pas besoin de sonner pop pour être populaire. »

J’allais te dire qu’Innerspeaker et Lonerism sont moins pop et plus psychés que les deux qui ont suivis, mais je crois en réalité que je me trompe. Quand on y regarde de plus près, ce qui a changé n’est pas le style ou ta façon d’écrire mais tes moyens de production. Même dans tes deux premiers albums, la couleur pop est bien présente. Mais peut-être qu’au fil du temps, cette couleur s’est intensifiée et a pris le dessus sur le rock psychédélique et les parties instrumentales…

Ce qui est sûr c’est que ça a beaucoup changé, oui. Si on le dit dans un sens universel et intemporel, pour moi, le premier album de Tame Impala est probablement le plus pop de tous. Quand j’y pense, toutes ses chansons ont cette structure « couplet-refrain ». Dans The Slow Rush, j’ai tout envoyé balader. Au lieu d’une structure A, B, A, B, on a peut-être un truc comme A, B, B, C, A, C, B… Dans la musique moderne, tu n’as pas besoin de sonner pop pour être populaire. Un mec comme Frank Ocean, par exemple, ne se soucie pas de structure.

Si nous définissions, maintenant, entre toi et moi, la pop music comme une musique qui cherche à plaire au plus grand nombre, que dirais-tu de tes albums ?

Que Currents est probablement le plus pop, oui.

Dirais-tu que tu deviens un artiste de plus en plus « pop » ?

Non, ça a toujours été le cas. J’ai toujours adoré la pop. Mais autant que la musique expérimentale, comme tout auditeur curieux en somme. Par contre, pour ce disque, j’ai plutôt rebroussé chemin. J’avais peut-être davantage de moyens de production, j’ai quand même voulu le faire sonner plus sale, plus noise. Néanmoins, j’espère que c’est le plus populaire ; j’espère toujours que mon prochain album sera plus populaire que le précédent, comprendre qu’il y aura toujours plus de monde qui vont les adorer (plus que simplement bien les apprécier, comme nous en parlions tout à l’heure).

©Neil Krug

La corrélation entre l’âge d’un artiste et son goût pour la pop music me fascine. Quand on regarde le parcours de Daft Punk, on voit un premier album sorti de l’underground qui ne ressemblait à aucun autre, à tel point qu’il a cristallisé sa propre scène. Et l’histoire se termine avec un disque, Random Access Memories, qui avait pour objectif de sonner comme les grands tubes de l’âge d’or du disco.

Je crois qu’on veut tous être populaire mais qu’on a peur d’être catalogué comme tel. Parce que le succès est quelque chose de tabou.

Peut-être aussi parce que lorsqu’on est jeune, on trouve ça naze ?

Absolument. Plus tu es jeune, plus la musique définit ton identité. Puis, en grandissant, tu t’aperçois qu’on s’en tape de tout ça. Mais si c’était le cas hier, j’ai l’impression que les jeunes d’aujourd’hui se fichent des genres musicaux et qu’ils se préoccupent plus de l’artiste et de la chanson en elle-même. C’est pour ça qu’en 2020, je n’ai plus peur de faire ce que j’ai toujours voulu faire : mélanger les genres au sein d’un album. J’en ai enfin le courage, le courage de prendre ce risque.

« C’est quand tu n’as rien à perdre que tu es le plus créatif. »

Ce courage peut-il également s’expliquer par le succès que tu rencontres ?

Oui, un peu. Mais le truc c’est que plus tu as du succès, plus gros tu as à perdre. Avant de signer chez qui que ce soit, je n’avais absolument rien à perdre. J’étais nul part. Tout ce que j’avais c’était un chemin devant moi. C’est pour ça que beaucoup d’artistes se figent, deviennent moins créatifs ou virent pop, parce qu’ils ne veulent pas prendre le risque de voir s’effondrer ce qu’ils ont construit. Or c’est quand tu n’as rien à perdre que tu es le plus créatif. Donc faire de la pop est un moyen de sauvegarder ce que tu possèdes. Tu peux faire une chanson pop pas vraiment inspirée et être sûr qu’elle passera au moins un peu à la radio, alors que si tu prends ce risque créatif, peut-être que ça foire, mais peut-être que tu crées un son nouveau et fais le buzz. Moi, j’ai toujours voulu être cet artiste qui prend ce risque.

Tame Impala en live, c’est aussi quelque chose ! Mais bien qu’on assiste à un show monstre avec de gros moyens techniques, tu apparais paradoxalement très proche de ton public, le saluant quand tu entres sur scène, le remerciant d’être venu… Comme si tu n’avais jamais oublié le circuit des bars live.

Oui c’est très vrai ! (Rires) Tu sais, même si tu es la tête d’affiche d’un festival, il y a toujours des gens qui ne te voient que pour la première fois, donc c’est bien de se présenter, non ? J’essaie de penser à eux, mais j’essaie surtout de me concentrer sur ceux qui sont en première ligne. C’est mon nouvel exercice mental sur scène pour ne pas perdre tous mes moyens, de ne plus penser à tous ceux que je ne vois pas dans le fond !

As-tu peur sur scène, devant tant de monde ?

Plus maintenant. Tu as certainement entendu cet adage qui dit que plus tu as du monde devant toi, moins tu es nerveux. C’est vrai : si aujourd’hui je devais jouer dans un bar, je serais terrifié parce que je verrais chacun de leur visage ! Et puis, devant 20 000 personnes, tu peux dire des trucs débiles, ça va toujours marcher (il prend une voix de forain) : « Alors, comment ça gaze Machin Festival ? – Ouaiiiiiiiis », tout le monde hurle. Dans un bar, ce serait le malaise ! Faire la conversation, c’est putain d’effrayant ! (Rires)

Pourtant, malgré cette apparente accessibilité, tu cherches quand même à faire un grand show…

Toujours, bien sûr, je veux atteindre le même niveau que mes idoles, Daft Punk, Kanye West, The Flaming Lips…

The Slow Rush de Tame Impala le 14 février sur Caroline International

Pochette de « The Slow Rush » de Tame Impala

 

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