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©JT PKZ / Thunderdome
18 février 2021

📖 La fascinante histoire du phĂ©nix gabber Thunderdome

par Nicolas Bresson

À la fois grand-messe hardcore toute en dĂ©mesure et sĂ©rie de compilations vendue jusque dans les supermarchĂ©s français, Thunderdome est l’incarnation de la scĂšne gabber hollandaise. Depuis 1992, le concept a pourtant connu moult pĂ©ripĂ©ties et failli disparaĂźtre avec perte et fracas. Pour finalement ne jamais dĂ©mentir sa plus cĂ©lĂšbre devise : “Hardcore Will Never Die.”

Article issu du Tsugi 131 (mai-juin 2020), disponible Ă  la commande en ligne.

Nous mettons en ligne cet article du magazine Ă  l’occasion du FAME Festival 2021 (du 18 au 25 fĂ©vrier) et la projection en ligne du film Thunderdome Never Dies de Ted Alkemade.

 

Samedi 26 octobre 2019, prĂšs de 50 000 fĂȘtards sont rĂ©unis au son de la techno hardcore au Jaarbeurs d’Utrecht – un immense parc expo. Un record absolu pour une soirĂ©e indoor de ce type, battant celui dĂ©tenu par
 la prĂ©cĂ©dente Ă©dition de Thunderdome deux ans auparavant. Des superlatifs, le concept n’a cessĂ© d’en accumuler, notamment via ses millions de compilations vendues Ă  travers le monde durant toutes les annĂ©es 90. Contrairement Ă  la France, oĂč le hardcore a longtemps Ă©tĂ© une affaire d’underground et de raves plus ou moins clandestines, les Pays-Bas ont tout de suite su flairer et exploiter son potentiel commercial. Avec Thunderdome et sa sociĂ©tĂ© mĂšre ID&T comme porte- Ă©tendard incontestables. “Thunderdome, c’est la marque qui reprĂ©sente le mieux le mouvement gabber. Ils ont rĂ©ussi Ă  crĂ©er un niveau de fanatisme assez dingue”, nous confie Paul Orzoni du collectif Casual Gabberz, qui a dĂ©cidĂ© au dĂ©but des annĂ©es 2010 de redonner ses lettres de noblesse Ă  cette culture un peu mĂ©prisĂ©e en France.

Thunderdome

©Kevin / Thunderdome

Tout commence Ă  la fin de 1991 lorsque trois amis de la rĂ©gion d’Amsterdam, Irfan van Ewijk, Duncan Stutterheim et Theo Lelie – d’oĂč le nom ID&T – s’associent pour organiser un rĂ©veillon sur fond de house music. Ils aiment ces nouveaux sons Ă©lectroniques qui se diffusent alors dans toute l’Europe, mais beaucoup moins l’ambiance des clubs. Eux prĂ©fĂšrent les grands rassemblements, les hangars, et surtout, ils ont de l’ambition. “Nous avions dĂ©butĂ© avec le rĂȘve d’organiser les plus grands Ă©vĂšnements du pays, mais jamais nous n’aurions pensĂ© que cela deviendrait aussi Ă©norme. Et surtout que cela resterait pertinent pendant tant d’annĂ©es”, avoue aujourd’hui Irfan. Leur premiĂšre vĂ©ritable soirĂ©e se dĂ©roule en juin 1992, pour fĂȘter la fin de l’annĂ©e scolaire. IntitulĂ©e The Final Exam et organisĂ©e sur le modĂšle des grandes raves britanniques elle rĂ©unit prĂšs de 12 000 personnes – dĂ©jĂ  au fameux Jaarbeurs d’Utrecht. Un grand succĂšs marquĂ© toutefois par un premier incident. Theo est en effet Ă©jectĂ© de la jeune entreprise dĂšs cet Ă©vĂšnement fondateur pour ne pas s’ĂȘtre assez impliquĂ© dans les tĂąches d’aprĂšs-soirĂ©e.

« On s’imaginait l’effet que produirait ici le fait de jouer des gros kicks : un bruit de tonnerre.« 

La naissance d’une culture

Fort de cette rĂ©ussite, le dĂ©sormais duo prĂ©voit d’investir en octobre de la mĂȘme annĂ©e le Thialf, une patinoire de la ville d’Heerenveen. Il leur faut un nom pour cette soirĂ©e, mais contrairement Ă  ce que l’on pourrait croire celui-ci ne vient pas du troisiĂšme volet des films Mad Max (Beyond Thunderdome avec Mel Gibson et Tina Turner, ndr). “On se doutait que les gens feraient le rapprochement, mais en visitant l’endroit avec Duncan, on a eu l’impression de marcher sous un immense dĂŽme. On s’imaginait l’effet que produirait ici le fait de jouer des gros kicks : un bruit de tonnerre (thunder en anglais, ndr)”, s’amuse Irfan. Car au Pays-Bas, la “house nation” est en train de se scinder en deux camps irrĂ©conciliables. Du cĂŽtĂ© de Rotterdam, et du club Parkzicht en particulier, le DJ Rob Janssen trouve que les choses commencent Ă  tourner en rond. Il accĂ©lĂšre alors les disques house, rajoute un pied plus puissant avec une TR-909 et demande au public de taper dans ses mains. D’oĂč le fameux “clap” que l’on retrouvera ensuite dans de nombreuses productions.

Les adeptes de ce nouveau genre, issus des classes populaires, sont rapidement dĂ©signĂ©s sous le sobriquet gabbers – “potes” en argot nĂ©erlandais – avec un look bien Ă  eux : baskets, jogging de la marque Australian et crĂąne rasĂ©. Tout le reste, de la deep house Ă  la techno de Detroit en passant par la trance allemande, est alors relĂ©guĂ© dans un fourretout un peu rĂ©ducteur : la “mellow”. Pour le Français David Jamard, journaliste au sein des dĂ©funts webzines Hardcore Concept et Signal Zero – aujourd’hui membre du duo techno Minimum Syndicat, “le gabber Ă  l’origine est un peu une Ă©volution de la techno belge avec ces sons de synthĂ©s caractĂ©ristiques, les hoover. Le reste de la scĂšne hardcore mondiale va, elle, plus se tourner vers l’industriel ou crĂ©er ses propres sons”. Alors que The Thunder Dome ne devait ĂȘtre qu’une soirĂ©e sans lendemain, au vu de son succĂšs, le nom est finalement conservĂ©. Le fameux logo du sorcier est lui aussi pĂ©rennisĂ©, une oeuvre que l’on doit aux graffeurs français Bando et Mode 2. “Notre graphiste Eric Keijer l’avait repĂ©rĂ© dans un bouquin de street-art. On se l’est appropriĂ©â€, reconnaĂźt Irfan.

 

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Rencontre avec le réalisateur de « Thunderdome never dies », le docu sur la grand-messe hardcore hollandaise

 

Grandeur et décadence

1993 est sans doute l’annĂ©e la plus faste pour Thunderdome avec l’organisation de sept grands Ă©vĂšnements. ID&T se lance aussi dans la production discographique pour soutenir les DJs de sa dream team : Guizmo, The Prophet, Buzz Fuzz et Dano. Mais la jeune sociĂ©tĂ© se fait doubler par le label nĂ©erlandais Arcade, spĂ©cialisĂ© dans les compilations, qui publie de son cĂŽtĂ© une sĂ©rie intitulĂ©e
 Thunderdome. ConsidĂ©rant que cela participe Ă  la promotion des soirĂ©es, il ne prĂ©voit pas de reverser le moindre centime Ă  ID&T. Le conflit dure plusieurs mois. “On a obtenu un accord de licence sur le marchĂ© allemand pour nos productions. Cela a mis un coup de pression Ă  Arcade et facilitĂ© les nĂ©gociations”, se souvient Irfan. Les deux parties se mettent d’accord et produisent ensemble les compiles Ă  partir du volume V. Ils les exportent, notamment en France oĂč ils se font remarquer par des publicitĂ©s tĂ©lĂ©visĂ©es parodiant des films d’horreur. Le merchandising tourne Ă  plein rĂ©gime en utilisant cette imagerie avec du textile, des boissons Ă©nergisantes et mĂȘme des prĂ©servatifs.

Thunderdome

©Daniëlle / Thunderdome

Mais l’échec du festival Mysteryland en 1994 menace d’un nouveau coup d’arrĂȘt. Les comptes d’ID&T sont dans le rouge. “Les ventes de CDs nous ont permis de surmonter ça et de nĂ©gocier des crĂ©dits. Avec Duncan, on avait des visions diffĂ©rentes alors on s’est sĂ©parĂ©s. Je suis revenu deux ans aprĂšs”, explique Irfan. Car la scĂšne gabber, elle, se porte trĂšs bien et un nouveau genre, le “happy hardcore” est en train d’envahir les charts des Pays-Bas. En 1995, le morceau “I Wanna Be A Hippy” des Anglais Technohead devient numĂ©ro un du Top 50 pendant plusieurs semaines. Et 25 % des jeunes NĂ©erlandais se dĂ©clarent ĂȘtre gabbers. Une lame de fond qui n’est pas sans crĂ©er des tensions dans le pays entre “puristes” et amateurs de “happy”. “Quand certains morceaux trop cheesy Ă©taient jouĂ©s, des gens se barraient du dancefloor. Ça a Ă©tĂ© un point de rupture”, explique David Jamard. ParallĂšlement des jeunes skinheads infiltrent les soirĂ©es, oĂč l’ambiance devient de plus en plus pesante. Une campagne de presse dĂ©crit une musique dĂ©moniaque destinĂ©e Ă  des hooligans dĂ©cĂ©rĂ©brĂ©s et dĂ©foncĂ©s. C’est dĂ©jĂ  le dĂ©but de la fin pour la premiĂšre gĂ©nĂ©ration gabber. En 1999 et 2000, au vu de la sinistrose ambiante, les Ă©ditions de Thunderdome sont annulĂ©es. Un coup dur.

« Ils ont compris qu’il fallait dĂ©ringardiser le truc. »

Renouveau et objet patrimonial

©Thunderdome

En coulisse chez ID&T, on s’interroge aussi sur l’image vĂ©hiculĂ©e par Thunderdome, perçue comme sombre, violente et antisystĂšme. D’autant que l’entreprise organise depuis quelques annĂ©es des Ă©vĂšnements trance voulus comme plus positifs. L’affaire aurait pu en rester lĂ  et le concept enterrĂ© pour de bon. Mais c’était sans compter sur l’arrivĂ©e d’une nouvelle gĂ©nĂ©ration d’artistes revenant aux sources du gabber, avec une musique plus lente et industrielle. “Cela nous a motivĂ©s Ă  relancer la machine, mais de maniĂšre plus modeste”, poursuit Irfan. “Il y a ces morceaux Ă  160 BPM qui sont arrivĂ©s des Pays-Bas avec des kicks Ă©normes, des sons de synthĂ©s rave. Des artistes comme DJ Promo ou The Outside Agency, explique David Jamard. Thunderdome a complĂštement changĂ© d’image en se dĂ©barrassant des chauves-souris et autres momies. Ils ont compris qu’il fallait dĂ©ringardiser le truc.” RevitalisĂ©es, les soirĂ©es devenues “festival” se poursuivent au rythme d’un gros Ă©vĂšnement annuel jusqu’en 2012. AnnĂ©e oĂč ID&T dĂ©cide d’organiser l’ultime Ă©dition, intitulĂ©e comme la toute premiĂšre The Final Exam. Arguant que “la passion n’y est plus”, il s’agit surtout pour eux de prĂ©parer le rachat par SFX Entertainment, un mastodonte de l’EDM amĂ©ricaine, le hardcore faisant tache au sein de cette nouvelle orientation. Mais, une fois de plus, Thunderdome va ĂȘtre doucement ramenĂ© Ă  la vie. François Maas, un employĂ© d’ID&T, commence par organiser des “fans days” en petit comitĂ©.

“Lorsque je prĂ©parais l’expo sur le gabber (en 2014 au Point Ă©phĂ©mĂšre Ă  Paris, ndr), François me recevait discrĂštement, dans des petites salles du siĂšge d’ID&T, explique Paul Orzoni. J’avais l’impression qu’il faisait ses trucs en cachette.” Au vu de l’engouement, ID&T accepte de dĂ©lĂ©guer Ă  François Maas l’organisation de nouvelles soirĂ©es via une structure spĂ©cialement crĂ©Ă©e pour l’occasion : Thunderdome BV. Ironie de l’histoire, ces Ă©vĂšnements battent de nouveaux records historiques de frĂ©quentation. “Thunderdome aujourd’hui, c’est un mĂ©lange de gĂ©nĂ©rations. Il y a des sets old-school, mais aussi du ‘uptempo’ qui est le style du moment et qui plaĂźt aux plus jeunes”, poursuit Paul, qui espĂšre bien organiser une projection française du film retraçant la saga Thunderdome, sorti l’automne dernier aux Pays-Bas. Car, Ă  l’instar de nombreux autres avatars de la techno, Thunderdome appartient dĂ©sormais au patrimoine Ă©lectronique. Il est passĂ© Ă  la postĂ©ritĂ©.

©Vincent / Thunderdome

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©Kevin / Thunderdome

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