L’album du mois : Pet Shop Boys — “Super”

Extrait du numéro 91 de Tsu­gi (avril 2016)

Allez savoir pourquoi on a tou­jours l’impression d’opérer un gigan­tesque com­ing out en écrivant tout le bien que l’on pense d’un album des Pet Shop Boys. Comme si aimer ce duo avait quelque chose de hon­teux, ce qui n’est pas for­cé­ment le cas pour New Order ou Depeche Mode. Ne faites pas les inno­cents, on sait très bien ce que vous avez en tête. Ils sont vieux, ils s’habillent n’importe com­ment et ils sont ringards depuis quinze ans. Et quoi d’autre ? Allez‑y, on a l’habitude. C’est vrai qu’avec leur clip à la con où ils se tré­moussent avec des cônes de chantier sur la tête ou leur comédie musi­cale niaiseuse, Neil Ten­nant et Chris Lowe ne nous ont jamais ren­du la tâche facile. Et si l’Elec­tric toni­tru­ant de 2013 a semble-t-il été leur disque qui a le mieux marché depuis vingt ans en Amérique et au Royaume-Uni, on ne peut pas dire qu’en France, patrie du bon goût, il ait été chaleureuse­ment accueil­li. Depuis plusieurs années, l’électro-pop des Pet Shop Boys s’est tein­tée d’une sorte de house Hi-NRG qui explose tous les comp­teurs du pouet-pouet. Il est donc devenu de plus en plus para­dox­al de par­ler d’élégance à leur endroit.

Et pour­tant, on n’hésitera pas une sec­onde à clamer haut et fort que ce nou­v­el album (leur douz­ième) est d’une classe magis­trale. OK, la pro­duc­tion est sou­vent lour­de­ment body­buildée et elle serait prob­a­ble­ment totale­ment indi­geste si Super n’était pas tout entier porté par une grâce mélodique qui fait de lui une for­mi­da­ble usine à tubes. Les Pet Shop Boys ont tou­jours été un groupe épique et out­rageuse­ment pop, mais leur génie, et ce disque en est une nou­velle démon­stra­tion, c’est leur capac­ité à associ­er beauté, mélan­col­ie et com­men­taire dés­abusé sur la nature humaine dans un embal­lage prosaïque, pour ne pas dire franche­ment vul­gaire. Com­ment ce groupe peut-il être à la fois som­bre et lumineux, cérébral et dilaté, chic et pop­u­laire ? Mys­tère. Super est prob­a­ble­ment leur plus grande réus­site depuis Bilin­gual en 1996 (il faut recon­naître qu’il leur arrive de se vautr­er en beauté).

Et si ce plaidoy­er ne vous a pas con­va­in­cus, écoutez seule­ment “The Pop Kids”, sub­lime sin­gle fausse­ment auto­bi­ographique (faites atten­tion aux paroles, Neil Ten­nant et Chris Lowe ne sont pas con­nus au début des années 90, ils ne par­lent en réal­ité pas d’eux, même si, en fil­igrane…), vous ver­rez bien que jamais la pop n’a été aus­si intel­li­gente. Laissez-vous aller, n’ayez pas peur, tout va bien se passer.

Super (x2/Kobalt/Pias), sor­ti le 1er avril.