Lambrini Girls, tout est politique | INTERVIEW
Sorti début janvier, le premier album des Lambrini Girls fait sensation. Et à raison. Formé à Bighton, le duo accroche avec des paroles enragées à crier en pogotant et en engagement politique total, féministe et en faveur des droits LGBTQIA+.
Par Pauline Weiss
Article issu du Tsugi Mag n°177 : ‘Comment le Disco a percuté le monde’
À chaque nouvelle année, sa sensation anglaise. En 2025, il n’aura pas fallu attendre longtemps. Sorti en janvier, Who Let The Dogs Out fait l’unanimité outre-Manche, où Phoebe Lunny et Lilly Macieira, alias Lambrini Girls, ont multiplié les couvertures de magazines. Iggy Pop les a repérées, tout comme IDLES, The Libertines ou encore Daniel Fox de Gilla Band, avec qui elles ont enregistré l’album.
À cela s’ajoutent les festivals de Glastonbury, de Reading ou des Eurockéennes, et des salles plus pointues de toute l’Europe. Tout est allé à la même allure que leur musique punk, son énergie viscérale et ses titres qui démarrent à toute vitesse. Cette urgence est née autour de leurs 25 ans et de l’envie pressante de se dédier à leur passion.
La bassiste Lilly Macieira a intégré au printemps 2022 le groupe mené par Phoebe Lunny, qui a toujours compté pour membres des femmes et personnes non binaires, pour dépanner pour un concert, et ne l’a plus quitté. Depuis, elles n’ont pas arrêté. Après un premier EP, You’re Welcome, en 2023, du live, et encore du live – Banksy les aurait même accompagnées à la batterie sur scène, ‘un honneur‘ –, elles se sont accordé une session d’écriture express, mais productive, afin de mettre en boîte assez de titres pour sortir un premier album.
Furie et féminisme
La musique des Anglaises de 27 ans plaira autant aux inconditionnels du rock britannique qu’à ceux qui ont passé la fin 2024 à écouter en boucle le dernier Amyl And The Sniffers – qui les ont embarquées aux États-Unis pour assurer leurs premières parties. Il suffit de regarder les titres des morceaux pour comprendre qu’humour et féminisme sont le ciment de leur musique, dont l’un des principaux messages consiste à envoyer au placard la masculinité toxique, le patriarcat et les transphobes (‘Big Dick Energy‘, ‘Company Culture’).
‘Help Me I’m Gay‘, extrait de You’re Welcome illustre bien l’ADN du groupe. ‘C’est la première chanson que j’ai écrite en essayant d’observer ce qu’il se passe culturellement aujourd’hui’, se souvient la chanteuse-guitariste, pour qui le punk a l’avantage de livrer ‘des messages forts de manière accessible’.
Si on était déjà convaincus du talent du groupe, notre rencontre dans les bureaux parisiens de leur label City Slang n’a fait que confirmer leur répartie unique. En les écoutant, difficile de ne pas penser au mouvement riot grrrl qui a déferlé aux États-Unis dans les années 1990. Trente ans plus tard, les références ont changé. ‘Ça a été une inspiration, mais je ne pense pas que notre musique soit trop riot grrrl, même si j’adore Bikini Kill‘, sourit Phoebe Lunny. L’Anglaise voue un culte à Fleetwood Mac, et surtout à ‘l’icône’ Stevie Nicks.
‘Grâce à elle, je me suis intéressée à d’autres femmes puissantes sur scène, j’ai découvert Bikini Kill, L7, Huggy Bear, Le Tigre, Hole… ‘. Lilly n’a ‘pas grandi dans un foyer musical’, alors pour aller ‘au‐delà de Madonna et Prince’, ce sont ‘les merveilles de YouTube’ qui ont fait son éducation. À l’école primaire, à Berlin, elle est estomaquée par le son d’une guitare électrique, et après une adolescence d’ ‘emo kid’ sur fond de Green Day et The Offspring, elle se met à The Jesus Lizard et Shellac, commence à écrire des chansons au piano, puis part étudier la musique à l’université, à Londres.
Le cocon de Brighton
C’est grâce à un boulot chez Fender, avant la pandémie, qu’elle découvre la basse, en apprend les bases au bureau, avant de passer à la vitesse supérieure pendant le confinement. Sans intention d’en faire dans un groupe. Un an et demi d’enfermement change sa vision, et comme Phoebe – passée du piano à la guitare dès l’adolescence –, fait ses premiers pas dans les groupes locaux, après avoir quitté Londres pour Brighton. Pour la chanteuse, c’est aussi un job, trouvé au Prince Albert, une salle de concert de Brighton, qui lui permet de sauter le pas, soutenue par ses amis musiciens.
L’atout d’une plus petite ville, ‘accueillante’, réputée pour ses ‘salles indépendantes’. Comme de nombreux duos de l’histoire de la musique, la chanteuse-guitariste et la bassiste affichent un tempérament différent, mais malgré leurs divergences de caractères, leurs idées sont les mêmes. Et elles sont surtout politiques. Elles l’ont compris dès leur rencontre dans une salle de concert de Brighton. Pour elles, la vie est politique, tout comme la musique. Lilly, qui a vécu à Berlin, au Portugal, puis en Angleterre, a même été surprise quand elle a voulu voter contre le Brexit et qu’elle a été rappelée à l’ordre, faute d’avoir un passeport britannique.
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Le trou à rats anglais
Domiciliées en Angleterre, vu comme le pays de tous les possibles par les groupes n’étant pas anglais, elles sont ultra-critiques envers leur île, ne mâchent pas leurs mots une fois lancées sur le sujet. Un avis tranché qu’elles brandissent en musique. Le single ‘God’s Country‘ (2024) annonçait le ton, décrivant leur pays comme un ‘trou à rats’ en pleine montée de l’extrême droite. ‘Je déteste l’Angleterre. C’est l’un des pires pays du monde, une blague depuis des centaines d’années, dirigé par des personnes qui ne s’intéressent qu’à cacher leur argent en Suisse.’
Sur scène, comme sur les réseaux sociaux, elles tiennent à montrer leur soutien aux peuples opprimés, citent la Palestine, le Congo, la Syrie, le Liban, et la communauté queer, affichent le drapeau palestinien et transgenre lors de leurs apparitions publiques et de leurs concerts. Pour Phoebe, leur musique et la rage qui en émane se virent surtout sur scène.
‘J’aime me connecter avec le public, ça me donne tellement de joie, c’est l’opposé de l’isolement ressenti la journée en tournée.’
Si l’exercice a d’abord été moins évident pour la bassiste, plus ‘introvertie’, le soutien de son amie l’aide à voir leurs performances scéniques comme des moments ‘cathartiques’ et une safe place, où aucun mauvais comportement n’est toléré. À ce stade, leur ascension fulgurante n’est plus à questionner. ‘ Avant, explique la chanteuse, je me disais qu’un jour ça allait le faire. J’attendais, j’attendais. Maintenant je me demande quelle sera la prochaine étape. ‘
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