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Collection personnelle de Pierre Kwenders et d'Hervé Kalongo
23 septembre 2019

Le collectif québécois Moonshine est de retour pour une nouvelle soirée secrète à Paris

par Jean-Vic Chapus

Préparez vous à réveiller le démon de minuit qui sommeille en vous : les soirées Moonshine sont de retour à Paris. Pour les oiseaux nocturnes qui ne savent pas encore en quoi consistent ces petites sauteries, le concept est assez simple. Chaque week-end après la pleine lune, le collectif québécois organise une fête sur des sons african house, deep house, funk, coupé décalé dans des lieux différents, tenus secrets jusqu’à la dernière minute. Il existe un unique moyen pour en connaitre l’emplacement : appeler le 0644642739 ! La Moonshine revient donc le vendredi 11 octobre prochain accompagnée d’un joli line-up. Derrière Pierre Kwenders, DJ résident du collectif et créateur du concept, il y aura du beau monde en la présence de l’américain Foreigners ainsi que de Cristallmess, Sylvere, Uproot Andy ou encore Mara. Il y aura aussi l’artiste canadienne BOYCOTT qui nous montrera ses visuels tout en couleurs. Pour plus de renseignements ça se passe sur la page de leur évènement.

On avait parlé de ces soirées avec Pierre Kwenders et Hervé Kalongo dans  Tsugi n°122, alors pour les retardataires/curieux, voici une petite piqure de rappel pour vous montrer à quoi ressemblent les Moonshine.

Les nuits de la pleine lune

Chaque premier samedi du mois à Montréal, et autant que possible par temps de pleine lune, les soirées Moonshine initiées par le musicien Pierre Kwenders et ses amis de la diaspora congolaise installée au Canada soufflent de l’air chaud sur les dancefloors.

Il s’est pointé incognito et, en tout état de cause, sans dragon. “Ah, forcément la nuit où Jon Snow est venu à la Moonshine, ça a fait un peu de bruit”, se marre le chanteur-compositeur Pierre Kwenders. D’après plusieurs témoignages, la scène se passe fin 2017. Le premier samedi du mois, par une nuit de pleine lune. De passage à Montréal où il tourne le film de Xavier Dolan, Ma vie avec John F. Donovan, la star de Game Of Thrones, Kit Harington, se paye un passage furtif dans une soirée Moonshine. Mais comment a-t-il entendu parler du rendez-vous underground qui fait le bonheur des oiseaux de nuit canadiens capables de vibrer aux rythmes afro ? Kwenders réajuste ses lunettes, puis d’une voix moelleuse de chamallow grillé se met à replacer : “Oh, c’est souvent la même chose. Tu connais quelqu’un qui connaît quelqu’un qui a déjà ses habitudes aux Moonshine. Montréal a beau être une grande ville de presque deux millions d’habitants, il y a encore ici une très forte mentalité de village.”Se rendre aux Moonshine, c’est simple et compliqué à la fois relance Hervé “Coltan” Kalongo, l’autre théoricien de l’affaire aux côtés de son pote d’adolescence Kwenders. Ça passe beaucoup par les réseaux sociaux. Tu entends parler de la fête et là, tu dois envoyer un SMS à un numéro indiqué pour en être. Tous les mois l’endroit change. Pourquoi ? Si tu ne fais pas intervenir la surprise, tu te lasses.” Seule constante : que la pleine lune opère son travail de transformation des corps et des âmes à mesure que se succèdent derrière les platines les “réguliers” Bonbon Kojak, Jerico, Akpossoul, Odile Myrtil voire Pierre Kwenders en personne. Dans cette ambiance, Kit “Jon Snow” Harington a peut-être froncé un sourcil avant de conclure que, décidément, “il ne sait rien”. On peut donc sceller la paix avec le clan Lannister dans Game Of Thrones sans pour autant saisir du premier coup la club culture actuelle au pays de Justin Trudeau. “Je n’ai pas parlé à Jon Snow, s’éclaire Kalongo. Par contre on m’a rapporté qu’il cherchait des tickets boisson.Sauf qu’aux Moonshine, si tu veux profiter de l’enjaillement, comme on dit, à toi de trouver la personne en charge des coupons. Jon Snow a dû faire la queue comme tout le monde pour boire des verres.”

Collection personnelle de Pierre Kwenders et d’Hervé Kalongo

Appelez ça l’anti-world

“Quand j’étais petit garçon, j’écoutais les chansons de Michael Jackson, sans rien comprendre à la langue ou au personnage, s’emballe Pierre Kwenders. À tous les coups j’étais happé par cette énergie. À partir de là, tu te demandes pourquoi les choses ne pourraient pas se passer dans l’autre sens. Que des petits Occidentaux qui ne sont jamais allés en Afrique ressentent un irrésistible appel à danser sur la rumba congolaise de Papa Wemba ou le coupé-décalé de Stéphane Doukouré me paraîtrait aussi logique. Sauf que les endroits où l’on peut organiser ces ‘rencontres’ n’existaient pas.” Pour Moonshine, tout commence fin 2014. À cette époque, José Louis Modabi a déjà opté pour le nom de scène Pierre Kwenders en hommage à son grand-père. Dans sa besace, un premier album, Le dernier empereur bantou, aux infuences funk, hip-hop et pop, sans oublier des sonorités rappelant PapaWemba ou Kof Olomidé. Même s’il est bien accueilli, cet album laisse un drôle de goût en bouche à celui qui a quitté son Congo natal à l’âge de 16 ans en 2001, l’année de l’assassinat du Président Laurent-Désiré Kabila. “J’ai dû déconstruire l’étiquette world music qui ne veut rien dire, assène Kwenders. Quand on me demandait comment il fallait qualifer ma musique, je prenais ma voix la plus suave et je disais : ‘Appelez ça de l’anti- world, et vous me ferez plaisir.’” La Moonshine inaugurale sera donc théorisée par Kwenders et son ami d’adolescence Hervé Kalongo (jeune promoteur canadien, lui aussi, originaire de la République Démocratique du Congo) un soir de party dans une cuisine. C’est une histoire de pragmatisme, mais aussi de Do It Yourself : si le premier veut financer sa première tournée hors du Canada et le second lancer sa marque de streetwear, pourquoi alors ne pas amorcer la pompe avec une fête. Kalongo roule des yeux : “On a d’abord trouvé le nom en pensant à la pleine lune, puis on a cherché un lieu pour accueillir notre petite fête entre amis et amis d’amis.” Pour la première Moonshine, le choix se porte sur le Nomad, grand loft situé en plein quartier branché montréalais du Mile End, dont la façade extérieure a été repeinte avec des couleurs vives. À  l’intérieur, il est possible, entre autres, d’organiser des rendez-vous professionnels, voire d’expérimenter l’acroyoga, discipline mélangeant yoga, gures acrobatiques et massages thaïlandais. “Sans qu’on réalise, on s’est retrouvé avec 150 personnes venues pour danser. Après, on s’est rendu compte qu’on n’était pas encore tout à fait au point. Déjà, on n’avait pas prévu assez d’alcool pour tenir toute la nuit, mais surtout on n’était que deux à assurer les DJ-sets. Il n’empêche qu’à l’aube, quand les choses se sont terminées, on s’est dit qu’il fallait que l’on installe un rendez-vous mensuel.” À l’époque, l’offre clubbing montréalaise paraît stéréotypée voire codifée : sélection drastique à l’entrée des boîtes, sensation étouffante d’entre-soi, playlist musicale recyclant les valeurs sûres du top 40… Pour Hervé et Pierre, qui ont vécu avec les souvenirs de fêtes de mariages au Congo capables de décoller autour de 4 h du matin, pour peu qu’un membre de la famille passe derrière les platines ou accompagne les rythmiques rumba à la trompette, c’est problématique. “Quand on sort à Montréal, dans le club tu as toujours la même électro calibrée pour les technoheads purs et durs”, rappelle Kwenders. “Dans les bars de nuit, c’est la même chose, mais avec une bande-son qui va de Drake à Rihanna en passant par Beyoncé, précise Kalongo. À la fin, ça conditionne les gens à ne danser que sur un type de musique qu’ils connaissent déjà. La curiosité a disparu.” “Passer une nuit dans certains clubs de Montréal, c’est aussi incertain que de demander l’asile dans un pays étranger alors que tu n’as pas de papiers, philosophe Kwenders. Pour nous, la base de la réflexion sur le clubbing, c’est que si une personne fait l’effort de venir danser à ta soirée, elle va mettre l’ambiance.”

Collection personnelle de Pierre Kwenders et d’Hervé Kalongo

Fête de cuisine

Mais il faut d’abord établir un dialogue d’égal à égal avec ceux qui seraient intéressés par les Moonshine, puis nourrir chacun en groove africain nouveau et intéressant. Pour cela, le collectif met en avant le prometteur Bonbon Kojak. Derrière ce nom de friandise, un jeune DJ d’à peine 20 ans, capable de donner à ses mixes (afro trap, kuduro angolais, rumba rock, rythmes électro d’Afrique du Sud) des allures de voyage dans les marges de la planète black. Pour appuyer son style, Bonbon Kojak a offert l’an passé une mixtape au titre on ne peut plus clair au collectif Moonshine : Espoir 2018. Joint par Skype en direct de son appartement du Mile End montréalais, la star montante de la nouvelle scène électro afro replace le parcours qui l’a amené à Moonshine. Enfance et adolescence passée en République Démocratique du Congo, puis cap pour l’Afrique du Sud à 18 ans. Sur place, le jeune homme vit son épiphanie afro house en décomposant chaque mouvement du DJ d’un petit bar de quartier situé à quelques mètres de la maison de sa tante. Finalement, le voilà qui rejoint en février 2016 Montréal, où ses quatre frères l’attendent… sous des températures négatives. “On peut dire que c’est Moonshine qui m’a intégré, s’enthousiasme Bonbon Kojak. Je travaillais comme serveur dans un petit restaurant indien du centre-ville quand mes frères m’ont présenté leurs potes comme Pierre ou Hervé. Chez nous, on fait souvent des fêtes en appartement chez les uns ou chez les autres. On se retrouve à plusieurs dans une petite cuisine à écouter de la musique. Donc, très vite tu déplaces tes soirées ailleurs. Ta petite communauté se mélange avec d’autres petites communautés. Pour moi, Moonshine ressemble à ça : une fête de cuisine en appartement qui aurait gagné en confiance.” Derrière cette montée en puissance dans le pré carré de l’underground, une constante : faire de l’enjaillement un indicateur fiable du pic de créativité de la sono mondiale. Dans les dancefloors éphémères, chaquepan de mur est décoré par les projections entre afrofuturisme et acid house de la VJ Boycott. Le reste est un cocktail de coupé- décalé, de rumba rock, de ndombolo, d’afro beat et de nouvelles sonorités d’Afrique qui font décoller. Résultat de ce cocktail : un millier de personnes se mettent à faire la queue chaque premier samedi du mois, quelle que soit la localisation. À l’entrée, ils s’acquittent du faible prix de la soirée,xé à 5 $ canadiens (3 euros). Parfois, on peut apercevoir dans la foule la dégaine colossale de Win Butler, leader d’Arcade Fire. D’autres fois, c’est Louis Kevin Celestin, alias Kaytranada, qui se pointe. Bien dans son costume de MC à la coule, Kwenders tente même la convergence des nouveaux groove venus d’Afrique en invitant aux Moonshine le prince de la gqom de Durban DJ Lag ou le percussionniste belge Petit Piment, seul DJ blanc de peau à savoir jouer le coupé-décalé avec la fougue d’un adolescent ivoirien.

Collection personnelle de Pierre Kwenders et d’Hervé Kalongo

Le travaillement avant l’enjaillement

“Moonshine a inventé la fête inclusive qui a créé un espace pour la diaspora africaine de Montréal”, écrira le réputé magazine Vogue. D’autres suivront. Bientôt, il est question d’étendre le territoire en proposant en téléchargement gratuit deux mixtapes intitulées SMS For Location Vol. 1 & 2. Sur la dernière, sortie en novembre dernier, il y a un tube, un vrai. En alternant français et lingala, Pierre Kwenders rend hommage au chanteur/performer ivoirien Stéphane “Douk Saga” Doukouré et pose le manifeste des Moonshine : “L’homme le plus sage de la terre, Douk Saga, nous a dit que le travaillement vient toujours avant l’enjaillement.” Derrière l’idée du laisser-aller généralisé, Kalongo, voit pourtant plus loin : “On vit en ce moment une époque dans laquelle la réappropriation des codes de la culture africaine est devenue monnaie courante dans l’industrie de l’entertainment. Je ne le condamne pas, d’ailleurs. Quand je vois Childish Gambino jouer avec ça, c’est à tomber. Pareil pour certaines scènes du film de super héros Black Panther. Maintenant, la question se pose :n’est-ce pas le moment pour faire comprendre à nos petits frères et nos petites sœurs qu’ilsont un héritage culturel à défendre ? Si on ne passe pas nos musiques traditionnelles dans des fêtes modernes, ces musiques risquent de s’éteindre et de ne pas survivre aux prochaines générations.

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