đ”ïž L’histoire du morceau le plus mystĂ©rieux d’Internet
En 1984, un DJ diffusait une chanson de post-punk sur la radio publique allemande NDR. Au mĂȘme moment, de lâautre cĂŽtĂ© du poste, un adolescent lâenregistrait sur une cassette sans en noter le nom ou lâorigine. VoilĂ comment est nĂ© lâun des mystĂšres musicaux les plus fascinants du web.Â
Article issu du Tsugi 145 : les grandes énigmes de la musique, disponible en kiosque et à la commande en ligne.
Ce soir, gabgaskins est surexcitĂ©. Il poste sur le site communautaire Reddit un long message dĂ©taillant sa derniĂšre trouvaille et conclut par cette phrase: « On est tout proche de mettre un terme Ă ce mystĂšre ! Tout ce quâil nous faut, câest une rĂ©ponse de Paul !« . Nous sommes le 10 juillet 2019, et cela fait plusieurs mois que cet internaute sâĂ©chine Ă rĂ©soudre une Ă©nigme musicale des plus fascinantes. Retour en 1984, Ă Wilhelmshaven. Dans cette ville portuaire et industrielle du nord de lâAllemagne vit Darius S., un adolescent fan de post-punk et de synth-pop. Il vient dâacquĂ©rir un nouveau radiocassette et passe des heures Ă Ă©couter ses musiques fĂ©tiches Ă la radio. Comme beaucoup de gamins de son Ăąge, il a lâhabitude dâenregistrer les morceaux quâil apprĂ©cie sur des cassettes, se constituant des compilations oĂč The Cure, Depeche Mode et XTC cĂŽtoient des groupes locaux cherchant Ă les imiter. Darius note scrupuleusement les noms des formations et les titres des chansons. Mais certaines sont enregistrĂ©es Ă la va-vite ou non prĂ©sentĂ©es par le DJ. Celles-ci sont donc nommĂ©es « unknown pleasures », comme le premier album de Joy Division. Vingt ans plus tard, Darius a conservĂ© prĂ©cieusement ces cassettes. GrĂące Ă Internet, il a mis un nom sur toutes les chansons quâil avait pu archiver. Toutes, sauf une.
Des faisceaux dâindices
Darius semble ne pas accorder trop dâimportance Ă cette petite ombre Ă lâhistoire. Câest sa sĆur, Lynda H., qui sâinterroge. Franchement geek, elle se dĂ©cide Ă lever le mystĂšre en postant un extrait de 1min 14s sur le site canadien spiritofradio.ca, dont les usagers ont lâhabitude des requĂȘtes du genre. Son premier message postĂ© le 18 mars 2007 sous le pseudonyme bluuue nâa donc pas grand besoin de dĂ©tails : « EnregistrĂ© en 82-84 sur une radio allemande. Ă la recherche du chanteur depuis đ ». Pour un habituĂ© du site, câest sĂ»r, elle est lâĆuvre du groupe grec Metro Decay. Cette voix tĂ©nĂ©breuse chantant en anglais, ces guitares simplistes et cette batterie inhabituellement libre pour un titre du genre leur ressemblent. Mais câest une fausse piste. Et plus les idĂ©es fusent, plus le mystĂšre sâĂ©paissit. De nouveaux enquĂȘteurs se joignent Ă la traque. Ă lâĂ©poque, ils ne savent strictement rien de cette chanson, ne savent pas qui est cette bluuue (quâils prennent dâailleurs pour un homme), nâont pas conscience de lâexistence de Darius. Mais lorsque lâun dâeux se dĂ©cide Ă poster lâextrait sur YouTube, Lynda se manifeste : son frĂšre lâa enregistrĂ© sur un radiocassette Technics commercialisĂ© Ă partir de 1984, et dâautres morceaux de cette mĂȘme annĂ©e figurent sur la compilation. Il avait lâhabitude dâĂ©couter la radio publique allemande NDR, en particulier lâĂ©mission Musik fĂŒr junge Leute. Alors, tout ce petit monde sous-terrain sâorganise, crĂ©e des discussions sur Reddit. Ils contactent les archivistes musicaux allemands, parcourent leurs gigantesques databases, fouillent, creusent⊠Sans rien trouver. Et cela dure encore huit ans.
« The Most Mysterious Song Of The Internet »
Câest lĂ que gabgaskins entre en scĂšne. DerriĂšre ce pseudo se cache Gabriel de Silva Vieira. En 2019, il est ĂągĂ© de 16 ans et Ă©tudie Ă SĂŁo Paulo. Pris de passion pour cette recherche Ă©perdue, il poste le fameux extrait sur sa chaĂźne YouTube, participe Ă la renommĂ©e naissante de cette quĂȘte, et Ă©met une idĂ©e qui, avec la facilitĂ© du recul, paraĂźt Ă©vidente: contacter les DJs qui sĂ©vissaient sur lâĂ©mission Musik fĂŒr junge Leute au dĂ©but des annĂ©es 1980. Lâun est dĂ©cĂ©dĂ© en 2016, lâautre est anglais, toujours bien vivant, et se nomme Paul Baskerville…
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