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Crédit : Segan Lockhart
21 mars 2017

Le mystère Stwo

par Brice Bossavie

Il travaille dans l’ombre d’une des plus grandes stars du hip-hop mondial et se fait un nom dans le milieu des producteurs américains. Ce type, c’est Stwo : un jeune Français qui a commencé à faire de la musique dans sa chambre pour finir avec Drake en studio. Récit d’une ascension.

Dans son dernier album Views, Drake se remémore sa jeunesse à Toronto sur un titre émouvant, “Weston Road Flows”. Au bout de quelques couplets, le morceau – point culminant du disque – fait exploser toute sa nostalgie dans un raz de marée de nappes synthétiques. Quelques semaines plus tard, c’est un autre cador du genre, Frank Ocean, qui rappe exactement sur les mêmes sonorités mélancoliques pour le titre “U-N-I-T-Y”. La ressemblance est troublante, mais pas anodine. Les deux morceaux sont en effet l’oeuvre d’une seule et même personne : Stwo. Si son nom ne vous dit rien, c’est normal. Le garçon est plutôt du genre discret. Le parcours de Stwo a pourtant tout d’un conte de fée : celui d’un fan de hip-hop en France qui se retrouve à produire ses idoles aux États-Unis, encore cette semaine en signant deux productions sur le nouvel album/mixtape/projet de Drake, More Life.

PRODUCTEUR DE L’OMBRE

Qui est Stwo, et comment ce Parisien de 23 ans a-t-il pu finir sur les plus gros disques de rap et de R&B de 2016 ? Lorsque l’on essaye d’en savoir plus, on se retrouve face à un mur : malgré plusieurs tentatives, toutes nos demandes d’interview seront refusées. Stwo est en effet un garçon qui aime rester dans l’ombre. Un peu comme lorsqu’il exerçait la fonction de bassiste dans des groupes durant ses jeunes années. Originaire du Val-d’Oise, Steven Vidal commence en effet à faire de la musique sur une quatre cordes avant de se lancer dans la composition sur ordinateur. Attiré par le hip-hop, il décide de produire une musique intimiste et riche en… basses (logique), et surtout propice à servir de tremplin à des rappeurs par la suite. Guillaume Bonte, français qui a cofondé le label californien Soulection, va être l’un des premiers à en entendre les prémices lors d’une conversation Facebook : « J’ai vu un Français envoyer un message privé à notre label. Alors j’ai écouté par chauvinisme », sourit-il. Dans son message Facebook, un futur tube, “Lovin U”. Stwo doute encore de sa musique. Bonte va l’encourager : « Il n’était pas connu à l’époque, et j’ai pris une claque en entendant ‘Lovin U’. Je lui ai dit de foncer et de continuer dans ce son. » Bonne pioche : en seulement quelques mois, les productions feutrées du Parisien affolent les compteurs d’Internet à coups de millions d’écoutes.

COMME UN GOSSE À TOYS “R” US

Stwo, nouvelle coqueluche de la plateforme SoundCloud, reste pourtant obnubilé par un homme : Drake. Il le prouve en 2014 lorsqu’il publie à l’improviste la mixtape 92. « 92 est inspiré par l’album Nothing Was The Same de Drake qui est pour moi le meilleur disque de rap 2013, et sans doute un de mes albums favoris. » Sans le savoir, cette mixtape balancée sans prétention va changer sa carrière : quelques mois après sa sortie, un nouveau message privé tombe sur le compte Twitter de Stwo. Un certain Noah Shebib le félicite pour son travail sur 92 et lui dit qu’il aimerait bosser avec lui. Vidal, qui ne connaît pas son interlocuteur, tape alors son nom sur Google. Et en tombe de sa chaise : Noah Shebib, aussi connu sous le surnom « 40 », se révèle être le producteur attitré de Drake depuis ses débuts. Tout simplement.

Au fil des messages, les deux hommes se trouvent des affinités. Noah Shebib propose alors à Stwo ce dont il rêve : de le rejoindre à Toronto afin de signer un contrat pour travailler avec lui en studio sur les projets de Drake et consorts. Stwo prend un billet d’avion, se trouve un appartement, et récupère une clé du studio de Noah Shebib. « Lorsqu’il nous parlait de sa première fois à Toronto, il était comme un gosse à Toys ‘R’ Us. Il ne comprenait pas ce qu’il se passait », rit Andréa, un ami proche, qui fut l’un des premiers à sortir sa musique sous le label Moose Records en 2013. Sa vie a en effet tout l’air d’un rêve : « On s’appelle de temps en temps, et un an après son départ, Steven ne réalise toujours pas tout ce qui lui arrive. Il y a trois pièces au studio : celle de Drake, celle de Noah Shebib et la sienne. Quand il est là, Drake passe de la pièce de Noah à la sienne, écoute leurs productions, et les valide ou non à chaque fois », raconte ainsi Andrea amusé et admiratif.

“IL AIME TRAVAILLER POUR LES GENS QU’IL ADMIRE”

Pourquoi Stwo plutôt qu’un autre ? D’après ses proches, la chance n’expliquerait pas tout. « Si Stwo en est arrivé là, ce n’est pas un hasard : il est clairement plus doué que les autres », commente Superpoze, qui a sorti un EP avec lui en 2014. “Quand on bossait ensemble, tout avait l’air hypersimple avec lui. Il chantait ses parties, prenait sa souris, et les traduisait en musique en un rien de temps”, ajoute-t-il. En plus de ses qualités musicales, Steven Vidal bénéficierait aussi du bon flair d’un manager américain, puisqu’il est depuis ses débuts sous l’aile du même manager que Kaytranada, William Robillard Cole, réputé dans le milieu pour sa capacité à sentir les bons coups. Après Drake et Frank Ocean, le Parisien semblerait même avoir de l’ambition, puisqu’il se pourrait qu’on l’entende sur d’autres grands albums du genre. “Il veut se faire un nom sur la scène des producteurs aux États-Unis : Steven ne cherche pas à être célèbre, mais il aime travailler pour les gens qu’il admire”, analyse Andréa. Dans tous les cas, son parcours tient déjà du miracle. “C’est quand même fou, il sort une mixtape en hommage à Drake et il finit par bosser pour lui. Le type est clairement en Ligue 1 !”, rit Superpoze. À ce stade, on aurait même envie de parler de Champion’s League.

 

Article extrait de Tsugi 96 (sorti en octobre 2016 et disponible à la commande ici), mis à jour suite à la sortie de More Life de Drake.

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