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Crédit : Hamish Brown
28 mars 2019

The Chemical Brothers : « on est nostalgiques de l’Angleterre pré-Brexit »

par Clémence Meunier

Les Chemical Brothers aiment prendre leur temps. Actifs depuis un premier album paru en 1995, le groupe n’est pas du genre à enchaîner les sorties, et préfère peaufiner ses oeuvres. Son dernier disque ? Born In The Echoes, sorti en juillet 2015, qui apportait une nouvelle preuve que – 20 ans après – les Anglais n’avaient rien perdu de leur génie. D’ici deux semaines, ils auront signé leur retour avec No Geography. Un neuvième long-format qui promet : les premiers titres dévoilés voient la paire remettre au goût du jour le big beat qui a bâti sa légende et s’aventurer sur le terrain d’une disco dansante. Et malgré leur notoriété, ils n’hésitent pas à faire intervenir moins connu qu’eux, comme c’est le cas pour la chanteuse Aurora qui a contribué à plusieurs morceaux de l’album. Avant de révéler No Geography au monde entier, Ed Simons – moitié de ce duo culte -, a pris le temps de parler avec nous.

Et si vous êtes plutôt Spotify :

Vous réussissez à sortir un album tous les trois ou quatre ans depuis 2001. C’est quoi le secret ?

On aime ça, tout simplement ! On aime être créatifs, être DJ, jouer en live, créer de la musique… On a toujours quelque chose à exprimer, même si on ne s’impose pas de sortir des albums tous les quatre ans – d’ailleurs, l’écart est parfois plus grand ou plus petit.

Vous n’avez jamais souffert d’un manque d’inspiration ?

Exprimer des sentiments par la musique, c’est une joie. Mais à peu près à la moitié de notre travail sur ce nouvel album, alors qu’on contactait différents chanteurs et chanteuses, et on a eu ce sentiment de se répéter, d’avoir déjà emprunté cette voie. On ne voulait pas faire un deuxième Born In The Echoes ! Et puis on a travaillé avec Aurora, nous avions alors différentes pistes de voix qui ont servi de bases à certains morceaux du disque. Donc oui, il y a eu un moment où la direction que nous voulions prendre n’était pas si claire mais les propositions d’Aurora nous ont vraiment aidés à nous concentrer et à aller chercher quelque chose de différent.

L’album sera porté par des voix, d’où viennent-elles ?

Aurora intervient sur trois morceaux, « The Universe Sent Me », « Eve Of Destruction » et « Bango ». Pour le reste, on est pas mal revenu au sampling, en reprenant des fragments de spoken-word de vieux poèmes notamment. On s’est dit que ça suffisait, d’autant qu’on a déjà fait des albums où nous explorions plein de styles différents qu’on n’aurait pas forcément attendus sur un disque des Chemical Brothers. Sur No Geography, on a voulu être plus cohérents, via ces fragments de voix, pour créer un petit monde dans lequel les gens pourront se plonger – en tout cas on l’espère !

Le disque semble assez énervé, notamment sur un titre comme « Eve Of Destruction ». Quel était votre état d’esprit quand vous l’avez composé ?

On est très contrariés par le Brexit. Tom et moi avons beaucoup voyagé en Europe, particulièrement en France, en Allemagne ou en Italie, des pays où les gens aiment la musique. Qu’il puisse y avoir des restrictions sur le fait de sortir de notre pays pour faire ce qu’on aime, ça nous révolte. On aime l’Europe, et cette idée d’unité qu’elle porte. Et l’unité est quelque chose de très important pour notre groupe. On aime mettre en place des collaborations dans notre musique, et l’Union Européenne c’est une histoire de collaboration pour nous – un scientifique danois peut tout à fait travailler avec un Londonien et améliorer un peu ce monde. Qu’un vote idiot puisse remettre tout ça en question… Ces trois dernières années ont été difficiles. On est très pro-Remain, et tout ça se transforme en une vraie crise existentielle. C’est un sentiment très étrange de voir nos droits, qu’on a considérés comme acquis toute notre vie, nous être enlevés par d’autres gens. Il y a beaucoup de colères différentes un peu partout en Europe, la vie peut être difficile, les gens ont de moins en moins d’opportunités… On a toujours pensé que la danse et le fait d’être ensemble pour profiter de la musique sont une force, une transcendance et une libération. Je ne dirais pas que No Geography est un album politique, mais on se demande si s’abandonner à la musique n’est pas presque devenu un acte politique aujourd’hui.

Vous avez voulu créer une petite bulle de fête dans laquelle ces actualités n’existent plus vraiment ?

Disons une fête réfléchie ! Beaucoup de productions de dance music célèbrent les bons moments, veulent diffuser de good vibes… C’est super que ça existe, mais il y a une limite à ça. Quand tu es sur un dancefloor ou à un festival, tu ne ressens pas toujours uniquement des émotions positives – tu peux te sentir en colère, heureux, triste, mélancolique, et on s’est toujours dit que notre musique devait attraper toutes ces différentes parties de toi. C’est assez incroyable de vivre cette expérience introspective tout en la partageant avec d’autres gens qui écoutent la même musique.

Cette unité, qu’elle soit cherchée dans un festival ou au sein de l’UE, est-ce que ce n’est finalement pas ça le « Brothers » des Chemical Brothers ?

C’est une jolie idée. Depuis toujours, nous avons collaboré sur tout : la création de nos shows, des albums, les voix… On est capable de faire pas mal de choses à deux, mais la plupart du temps on contacte d’autres personnes pour créer ensemble. Et la plus importante de ces collaborations, c’est avec le public. « Brothers » peut représenter ça, c’est ce qu’on défend : l’union, l’unité, être ensemble. Et le Brexit, c’est l’exact opposé de ça.

Le dernier morceau de l’album, « Catch Me I’m Falling » (à découvrir le 12 avril donc), a des paroles super tristes, comment ça se fait ?

En effet… Ma copine a un peu pleuré la première fois qu’elle l’a entendu. Mais on n’a jamais dit qu’on ne faisait que des morceaux festifs ! On essaye d’englober différentes émotions dans nos chansons, on ne peut pas être heureux constamment, et s’il y a de la lumière il y aura forcément une ombre quelque part. Mais au final, il n’est pas si triste ce morceau, il parle d’amour. Il s’agit d’un sample extrait d’un album où des gens lisent des lettres envoyées du Vietnam par des soldats à leurs familles. Peut-être que c’est triste, ou mélancolique, mais il y a de la passion.

Où est-ce que vous placeriez No Geography dans votre discographie ?

Contrairement à certains de nos albums, celui-ci ne repose pas du tout sur des guests vocaux connus. On a beaucoup aimé travailler avec ces gens pendant des années, mais No Geography se rapprocherait du coup un peu plus de nos deux premiers disques, Exit Planet Dust et Dig Your Own Hole, notamment parce qu’on a à nouveau utilisé pas mal de samples. On a toujours aimé le sampling, comme sur « Galvanize », mais c’est quelque chose qu’on avait un peu ralenti car c’est très compliqué à mettre en place.

Ça vous rend nostalgiques de repenser à ces deux album sortis dans les années 90 ?

C’est très cliché dit comme ça mais pour nous, notre meilleur album est toujours le dernier. Sinon oui, on est nostalgiques de l’Angleterre pré-Brexit (rires). On était bien plus jeunes, super excités à l’idée de sortir des disques, on voyageait constamment. J’évite de me laisser aller à la nostalgie la plupart du temps, mais repenser à Keith de The Prodigy (Keith Flint s’est suicidé dans sa maison de l’Essex début mars – il avait 49 ans, ndr.) a fait remonter plein de souvenirs de nos débuts, où nous faisions leurs premières parties. C’est tellement triste, c’était vraiment un homme charmant.

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