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16 avril 2020

Les compiles Pop Ambient sont les meilleures portes d’entrée sur la musique ambient

par Tsugi

Depuis 2001, le label allemand Kompakt, sous la direction de Wolfgang Voigt (alias GAS), propose chaque année un nouveau volume de la compilation Pop Ambient. Le cru 2020 fournit une occasion de réfléchir sur ce qu’est l’ambient, et ce qu’elle peut nous apporter durant le confinement.

Rester chez soi, mais voyager quand même. Pour peu que l’on choisisse le bon disque, un logement dans lequel on tourne en rond depuis déjà plusieurs semaines peut d’un coup être transfiguré en un vaste espace. Et s’il y a un genre musical spécialisé dans ce genre d’évasion, c’est bien l’ambient. Ce courant musical à part de tous les autres laisse s’éparpiller notre imagination, nous projète, pour un peu que l’on accepte de s’y ouvrir. Sylvain Di Cristo, rédacteur en chef de Tsugi.fr et fondateur des siestes psychédéliques et ambient Tentacalme à Paris, l’exprimait ainsi pour les InRocks : « [Pour comprendre cette musique], il faut supprimer toute envie de suite, de futur, d’attente et arriver à inculquer au public la notion d’instant présent. » De son côté, l’artiste d’art digital Krista Kim, qui dévoilait mercredi 15 avril son installation méditative « Continuum » dans le cadre du Maison Tsugi Festival, précisait à propos de son travail avoir « construit un jardin zen digital. Les maîtres zen ont conçu ces jardins avec l’intention de créer un espace vide au milieu de l’esprit. » L’ambient, c’est s’arrêter un instant pour partir ailleurs.

Pour ceux qui cherchent une porte d’entrée vers ce genre bien plus complexe qu’il n’y paraît, une collection de disques accompagne ses auditeurs depuis déjà vingt ans : la série des Pop Ambient du label allemand Kompakt. Aussi pointue qu’accessible.

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Depuis le premier volume en 2001, ces compilations sont orchestrées par Wolfgang Voigt, artiste majeur de la techno ambient à la fin des années 1990 sous le pseudonyme de GAS. Co-fondateur de Kompakt en 1998, il lance la section Pop Ambient pour mettre en valeur les nouveautés du genre, et éviter qu’elles se retrouvent noyées dans un catalogue très dense. Qu’ils viennent de la techno comme de la pop ou de la musique classique contemporaine, les contributeurs de ces compilations alternent toujours entre habitués et nouveaux venus, et entre pépites oubliées et nouvelles créations. « Je n’essaie pas spécialement de conserver cet équilibre. Ça se passe comme ça, c’est tout » nous affirme Voigt.

Le cru 2020, sorti en novembre 2019, se place dans la continuité de ses prédécesseurs. Les titres sont bien plus variés que ce qu’on pourrait l’imaginer, entre les rêveries à la guitare de Thorre Pfeiffer sur la piste d’ouverture, les violons déchirants de Klimek sur « Requiem For A Butterfly », le voyage cosmique de « Meteor » par Joachim Spieth ou encore les mélodies élégantes de « Sleep Fall » par Andrew Thomas. Chaque piste développe son propre univers. Au point de se demander ce qui peut bien faire la cohérence de ce genre ambient.

« L’ambient n’a pas de frontières, de la meilleure façon qui soit. »

Dans une interview pour Vice en 2015, Voigt déclarait : « L’ambient peut avoir de nombreuses propriétés en même temps. Elle peut être pure, calme, sombre, lumineuse, propre, sale, riche harmoniquement ou dénuée d’harmonies. » Autant de contradictions que Brian Eno, forgeron du terme, résumait dès 1978 avec cette maxime : « Une musique aussi facile à ignorer qu’intéressante ».

Ce sont toutes ces contradictions qui font la richesse des compilations de Kompakt. « L’ambient n’a pas de frontières, de la meilleure façon qui soit » selon Voigt, qui voit ce genre « comme une musique multifonctionnelle, entre écoute et non écoute ; comme premier plan et arrière plan ; comme atmosphère, installation ; silence audible, son habitable. » Bref, comme une musique dans laquelle s’installer confortablement, peu importe sa forme.

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Mais il ne faut pas négliger l’importance de l’approche « pop » de ces compilations. « La pop dans Pop Ambient représente deux aspects : d’abord, nous voulions apporter des aspects de glam et d’hédonisme pop dans l’ambient. Par ailleurs, j’avais ce désir abstrait de découvrir – comme à travers un microscope géant – l’esprit intérieur, l’esthétique essentielle de ce qui fait la beauté de la pop music, uniquement à travers un échantillon ralenti à l’extrême, et modifié par d’autres technologies artistiques. » Un peu comme si chaque volume de Pop Ambient nous livrait l’essence de la pop, son émotion, tout en la diluant dans le temps. Et c’est là que se trouve la cohérence de ces disques : tous les morceaux, même les plus cérébraux, ont un aspect chaleureux qui les rendent très accessibles.

« J’avais ce désir abstrait de découvrir […] l’esthétique essentielle de ce qui fait la beauté de la pop music, uniquement à travers un échantillon ralenti à l’extrême. »

Une telle démarche nous rappelle les origines à la fois germaniques et pop de l’ambient. En effet, si l’Anglais Brian Eno en est le principal théoricien, son travail se base fortement sur sa collaboration avec le duo allemand Cluster. C’est à leurs côtés, ainsi qu’avec le légendaire ingénieur du son Conny Plank (producteur pour Kraftwerk, Neu!, Harmonia…) que la pop expérimentale d’Eno se ralentit de plus en plus, jusqu’à aboutir au premier disque catalogué ambient, Ambient 1 : Music For Airports. Ce disque fondateur sort en 1978, soit juste après avoir terminé le second album collaboratif avec Cluster. Ces deux projets, Cluster & Eno (1977) puis After The Heat (1978), synthétisent déjà toute la démarche que nous décrit Wolfgang Voigt. Des mélodies simples, d’une profonde mélancolie, jouées à un tempo très lent, tout en subissant des traitements électroniques et analogiques expérimentaux, pour aboutir à des paysages sonores profonds et variés. Tout est là.

« Le son et l’esprit de cette musique ne perdront jamais de leur effet. »

Mais le cœur de ces compilations ne se situe pas dans ce travail de définition, mais bien dans ce que cette musique a de plus intemporel. « Toujours pareil, mais différent » selon Voigt, soulignant la constance de son travail. Ce format de compilation semble assez anachronique à l’heure du streaming (même si le confinement lui donne un nouveau souffle), mais il se présente au fond comme un signe de fiabilité, un rendez-vous régulier et de qualité. C’est comme cela que Wolfgang Voigt construit ses compilations : « En pensant de plus en plus de manière intemporelle. En réalisant que pendant que j’écoute ces tracks et que je les compile chaque année, le son et l’esprit de cette musique ne perdront jamais de leur effet. » L’ambient tente de porter à son maximum ce pouvoir qu’a la musique de nous transporter hors du temps. Et sortir de ce confinement, ne serait-ce que le temps d’une parenthèse sonore, semble le bienvenu. Ça tombe bien, il y a déjà vingt compilations.

Tous les volumes de Pop Ambient sont à retrouver sur le Bandcamp de Kompakt Records

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