Les Éveillés : l’association qui enflamme les dancefloors en aidant les réfugiés
Le samedi 25 mai se tiendra la 22ème édition des Éveillés. Pour fêter ça, rendez-vous au Hasard Ludique à partir de midi, pour danser, acheter des vinyles, où visiter une expo réalisée par des mineurs exilés. Si vous êtes un oiseau de nuit, ce nom vous dit forcément quelque chose. Lancée en 2017, l’association a pour but de collecter des fonds pour les réfugiés tout en enflammant les dancefloors parisiens. Jacques, La Femme, Bagarre et Agoria ont échauffé leurs pistes, bénévolement. On a rencontré Océane, la fondatrice de l’organisation ainsi qu’Axel, le directeur artistique, dans un café ensoleillé du 10ème arrondissement. L’occasion de discuter de la double-vie des bénévoles, des liens entre musique et monde associatif, et de l’urgence humanitaire.
Océane, tu a fait des études d’architecture. Quelle a été la rencontre, à partir de ça, avec le monde du bénévolat ?
O : J’ai fait cinq ans d’architecture. Lors de la dernière année, quand j’ai passé mon diplôme, j’ai dû travailler sur le sujet du quartier. J’ai décidé de traiter ce sujet en transformant une gare en un centre de réinsertion pour les sans-abris. J’ai dû aussi écrire un mémoire et j’ai cherché à découvrir toutes les structures parisiennes d’accueil pour les sans-abris, comme les douches. J’ai trouvé un endroit où ils distribuaient de la nourriture, qui venait de se déplacer dans un camp de migrants. Tout est parti de là. J’ai commencé à faire à manger une fois, puis deux, puis trois, puis pendant un an, jusqu’à gérer la coordination.
Et après ton diplôme ?
O: Je fais de l’architecture et de la scénographie ; je suis plus orientée vers la scénographie. Je me suis donc demandée comment faire de l’argent rapidement pour payer cette nourriture, parce que les dons sur les camps ne suffisent pas, loin de là. Au départ je voulais juste organiser une fête pour payer deux mois de nourriture. Je suis quelqu’un qui sort beaucoup, qui aime faire la fête : associer les deux semblait être une bonne idée. Aujourd’hui je ne suis que scénographe : j’arrive à faire 50/50 entre la scénographie et les Éveillés.
Le nom des Éveillés, ça t’est venu comment ? Il n’est pas un peu polysémique ce mot ?
O : Quand la première soirée a été prête, on n’avait pas du tout de structure. On a monté la structure après la soirée, ce qui est un peu bizarre. On a cherché un nom au dernier moment, un nom qui soit collectif, où tout le monde puisse se sentir intégré. Tout le monde peut faire partie des Éveillés. On voulait un nom entre l’éveil comme ouverture aux autres, et le côté nocturne de l’association.
Elle s’organise comment cette association exactement ?
O : Axel et moi-même, on est tout le temps sur les Éveillés, on se partage tout. Moi je dirige, je m’occupe de former des bénévoles, de la partie production des soirées, de toute la gestion et surtout, je suis en contact avec les associations pour reverser les dons. Ce sont les mêmes avec lesquelles je travaillais sur les camps. Axel de son côté gère la direction artistique et fait également un peu de production. Au moment des événements j’ai une équipe qui est toujours la même, et des bénévoles externes qui nous aident à la préparation pour monter la scéno, les vestiaires, etc…
Est-ce que tu peux nous parler du statut de bénévole ? Comment on gère ça au quotidien ?
O : C’est compliqué. C’est déjà compliqué de gérer une équipe. C’est d’autant plus compliqué de gérer une équipe de bénévoles : ils ont leur vie à côté. Nous on alterne entre les deux. Après ce sont des convictions très personnelles. J’ai passé beaucoup de temps sur les campements, ma motivation est devenue extrême. Et je sais que dès que je suis épuisée, je tape « réfugiés » sur Google, je lis trois articles et je suis repartie pour trois semaines. Ça me révolte.
A ta première soirée, tu avais un très beau premier line-up avec notamment Jacques qui est un de tes amis…
O : Au départ j’ai monté l’association avec Alexandre Gain qui ouvre des squats à Paris. Il est très proche de Jacques, ils ont ouvert l’Amour ensemble. Donc quand j’ai parlé du projet à Alexandre, il a tout de suite appelé Jacques, et c’est Jacques qui a contacté les autres artistes. En fait c’est un plateau qui s’est fait entre artistes : ils se sont tous appelés entre eux. Jacques a appelé Agoria, Flavien Berger… Moi je ne les connaissais pas du tout.
Et après plus de 20 éditions qu’est-ce que tu recherches avec les line-up ?
O : C’est Axel qui gère ça, moi je donne plus mon avis. Je suis un peu chiante parce que je veux surtout des gens qui ramènent du monde, sinon ça n’a pas d’intérêt. On essaie de rester honnêtes avec nos goûts musicaux. On pourrait faire des mecs plus connus qu’on n’aime pas nous musicalement, en étant persuadés qu’ils vont remplir. Mais on ne veut pas rentrer là-dedans. On veut rester cohérents. Au début c’était plus pop parce que j’étais entourée de Jacques et sa bande. Avec l’arrivée d’Axel, ça s’est électronisé. Au départ, il est l’agent de Zadig…
Axel : J’avais une agence de booking qui s’appelle No Shelter. Au départ on a collaboré parce qu’Océane voulait faire Zadig et en fait plus les dates passaient, plus je l’aidais et ça s’est fait tout seul. On a partagé des bureaux, jusqu’à ce que ces bureaux deviennent entièrement ceux des Éveillés.
Aujourd’hui on observe de plus en plus d’associations comme la vôtre, je pense à Fée Croquer par exemple…
O : Eux c’est différent, ils font surtout des collectes. Mais oui : l’idée de solidarité est constante, et de profiter d’un évènement nocturne pour aider les autres. Il y a un label aussi : Megattera. Ils font de la vente de vinyles. Je trouve ça encore plus noble comme concept car ils savent que ça ne rapportera rien. Leur idée est vraiment de diffuser un message, d’en parler pendant les évènements, via leurs ventes. C’est un peu l’inverse de nous. On cherche avant tout à lever des fonds, on communique un peu pendant les évènements.
Pendant les soirées des Éveillés, hormis les concerts, on ne trouve pas de stands de sensibilisation ?
O : Non. J’aimerais bien, mais on n’a pas le temps. On préfère faire venir les associations. Mais ça dépend du format : en club, ça ne sert à rien.
A : Au Hasard Ludique samedi ce sera plus intéressant car ce sera un format journée.
O : Oui, on organise une exposition avec des réfugiés mineurs. Ou quand on est au Pavillon des Canaux, l’endroit est beaucoup plus approprié, les associations viennent. Pour certains formats ça ne sert à rien : on a essayé, c’était assez comique.
Aujourd’hui, est-ce que vous avez des objectifs plus ambitieux pour vos veillées ?
A : On aimerait revenir aux concerts. Et au niveau des articles, on aimerait avoir des artistes plus gros. Dans la chanson française éventuellement…
O : On a envie de se renouveler, surtout pour garder les bénévoles et les séduire. On essaie d’axer les Éveillés sur quelque chose de plus artistique. Un bénévole a réalisé un documentaire sur l’association que l’on va diffuser, il y a des projets de compilations musicales, des expositions où l’on pourrait vraiment parler des exilés.
Et du côté politique, vous cherchez à vous rapprocher des institutions ?
O : Non, ça c’est la règle numéro une des Éveillés : on ne s’approche jamais des politiques et on ne se laisse jamais approcher par eux. On veut que personne ne puisse se l’approprier. On ne veut pas être associé à un parti politique.
A : On ne veut pas prendre de subventions de l’État.
O : Je pense à la Mairie de Paris : on a suivi leur attitude auprès des exilés sur les campements… Nous on existe parce qu’ils ne font pas leur travail, alors ils ne vont pas en plus se servir de nous pour avoir une belle image !
Et un peu plus proche dans le temps, est-ce que vous pouvez nous parler de l’évènement de samedi au Hasard Ludique ?
O : Ça commence à midi. On a demandé au disquaire Dizonord de venir faire une vente de vinyles. Ensuite il y aura un vide-dressing par Zeu Prolétariat avec qui on a déjà travaillé. Il y aura l’exposition de dessins des mineurs exilés et c’est vraiment pas ce à quoi l’on pourrait s’attendre ! Puis le soir, les DJs : Mawimbi, Arabic By Night, Cheb Dj (moitié de Acid Arab), Puzupuzu… L’entrée est à sept euros !
A : Minimum sept euros !
Et pour finir, est-ce que vous voulez ajouter quelque chose ?
O : Faisons un appel aux artistes ! Sans les artistes, les Éveillés n’existent pas. Et faire les plateaux, c’est vraiment la plus grosse difficulté des Éveillés. On aimerait bien que les gens se réveillent un peu…
A : C’est pas parce que les médias n’en parlent plus que c’est fini.
O : Ouais, il suffit d’aller à Porte de la Chapelle. Il y a des familles — si les gens ne nous croient pas ils peuvent aller voir, c’est pas loin. À partir du moment où tu croises des poussettes sur des campements, ça devient très grave. C’est impressionnant d’aller voir des réfugiés, ça peut faire un peu voyeurisme, mais en fait ils sont très heureux de te voir. Il faut se mettre à leur place : quand t’es en galère, peu importe le pays dans lequel tu es, tu es content et touché que l’on vienne te voir. Il faut le faire, c’est tellement enrichissant. Si je n’avais pas fait ça j’ai l’impression que je serais restée complètement vide. C’est vraiment le truc le plus enrichissant qui me soit arrivé dans ma vie.
A : Enrichissant personnellement.
O : Ah oui, parce que financièrement, c’est le pire truc qui me soit arrivé !
La 22ème édition des Éveillés se tiendra ce samedi 25 mai au Hasard Ludique à partir de midi. Retrouvez plus d’informations sur la page Facebook de l’évènement.