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19 janvier 2016

Les prêtres qui n’écoutent pas les prêtres

par rédaction Tsugi

Un album prog-rock signe? Pope Francis, un festival de musique e?lectro sous les vou?tes de l’e?glise Saint-Eustache, des messes en after ou des lec?ons de techno pour paroissiens… Au se?minaire aujourd’hui, on n’e?coute pas que des chants gre?goriens ou les albums kitchs des Pre?tres. Enque?te sur la nouvelle B.O. de l’e?glise.

On sentait bien que le pape avait un je-ne-sais-quoi de re?volutionnaire. C’est de?sormais officiel avec Wake Up!, premier album de Pope Francis – pape Franc?ois a? la ville. Des paroles saintes, oui, mais surtout un instru prog-rock, avec synthe?s et guitares e?lectriques. On ne sait pas si on aime, mais on peut saluer l’audace. Pourtant, tout aussi e?trange que cela puisse parai?tre, Papam Franciscus n’est pas le premier religieux a? s’e?garer loin de la musique gre?gorienne.

UNE RAVE DANS TON ÉGLISE

6 novembre 2004. Entre un reportage sur les progre?s de l’endoscopie et un autre sur la mode dans la grande distribution, TF1 offre a? ses te?le?spectateurs la cathe?drale de Metz sous un jour nouveau. La veille, deux fre?res s’associaient a? un patron de boi?te de nuit pour organiser pour la premie?re fois en France une veille?e techno. Toutes les came?ras sont braque?es sur Caroline, gogo danseuse de profession, qui incarne tour a? tour Eve, Marie et Marie-Madeleine sur fond de house. Sacre? symbole.
Provocateur? “Audacieux, corrige Vincent Pottier, l’un des organisateurs. On ignorait tout de ce qui allait se produire, s’il allait y avoir des gars qui allaient fumer des pe?tards dans les confessionnaux, ou aller taguer des angelots. On partait dans une aventure ou? on prenait de sacre?s risques.” Tout s’est finalement bien passe?. Mises a? part quelques re?actions outre?es de certains fide?les. “Profanation”, “un crachat sur le Saint-Sacrement” voire carre?ment “une œuvre du Diable”, s’offusquent a? l’e?poque certains catholiques sur les forums. D’autres en revanche, se re?jouissent : la cathe?drale e?tait ce soir-la? plus que remplie (on parle de 2000 participants) et si l’e?glise n’avait pas pre?vu pissotie?res et fumoir, la lecture des e?vangiles sur fond de house a de toute e?vidence fait son effet.
Une seconde e?dition – sans gogo et dans une e?glise plus modeste – et une expe?rience lyonnaise plus tard, l’e?trange association baisse le rideau. Pour faire la fe?te dans une e?glise, c’est de?sormais a? Paris qu’il faut se rendre, direction l’e?glise Saint-Eustache. Loin de la sce?ne catho et de ses stars de la varie?toche Les Pre?tres. Loin aussi des christothe?ques, ces teufs ou? l’on remixe des chants de Dieu sur de la makina. Au festival 36 h Saint Eustache, la programmation est lai?que et pointue. E?tienne Jaumet (Zombie Zombie), Turzi, Nicolas Ker (Poni Hoax) ou encore Bloum sont passe?s par la?. En juin dernier, c’e?tait au tour de la fine fleur de la nouvelle sce?ne e?lectronique franc?aise d’entrer en communion avec son public. Sous les vou?tes et le grand orgue de l’e?glise parisienne, Koudlam, Husbands, Kid Francescoli ou Arandel font le show. Un festival de me?lomanes puristes, insiste la programmatrice du festival Ombeline Minelle. Un festival sans bie?res, aussi.

Husbands à Saint Eustache

LA NAISSANCE DU CHRIST EN BPM

À l’origine de ces veille?es musicales peu communes, des pre?tres aux gou?ts e?clectiques et amoureux de la culture. Pre?ts, me?me, a? quelques arrangements avec les re?gles, sourit aujourd’hui Pe?re Barthelemy, pre?tre trentenaire de Boulogne-Billancourt, fan d’Archive, Muse et de rock psyche?de?lique. “Quand tu entres au noviciat pour faire tes e?tudes de pre?tre, on te demande un certain renoncement, raconte-t-il dans son bureau ou? trai?nent quelques guitares. J’avais tellement peur qu’on ne m’autorise pas a? e?couter de la musique que j’ai pre?fe?re? prendre mon walkman en cachette.” Un petit mensonge qui prouve que si “Dieu est quand me?me au-dessus”, la musique reste en bonne place dans le cœur des cure?s. “Je crois que certaines musiques soulignent et sont dans la beaute?, pense Thierry Dasse? (voir Tsugi n°83), pre?tre branche? techno et titu- laire d’un doctorat en philosophie. A? partir de la? on peut atteindre les myste?res, le sacre?.” Dans son dioce?se, a? Nice, c’est dans ses vinyles que les djeuns’ vont se ravitailler en bons sons. Laurent Garnier, Carl Cox, Danny Tenaglia, un peu de gothique et beaucoup d’ambient… il a de quoi faire. “C?a permet de parler d’autre chose”, reconnai?t-il – et de se faire inviter dans les soire?es.

Mais c’est surtout pour rassurer les parents, inquiets de voir leurs rejetons sombrer dans le monde de la nuit, qu’il a de?cide? d’e?duquer, pendant un an, ses paroissiens a? la musique re?pe?titive. Sur son blog il explique les origines de la techno : la house de Chicago, Detroit et ses pionniers, les premie?res raves, l’influence des communaute?s gay, le style vestimentaire, les sous-genres. Il y parle aussi de Kraftwerk, de cold-wave ou de la culture des jeux vide?o. “La techno e?tait diabolise?e. Surtout a? cause des rave parties qui ont commence? a? glisser vers la drogue et l’alcool. J’ai donc voulu montrer ce qu’e?tait que l’ambiance d’une rave party : danser, et c’est tout.” Thierry Dasse? n’est pas nai?f. En mission sur le terrain, il a hume? la culture club dans le mythique et de?funt Tunnel, a? New York, ou dans des boi?tes londoniennes (me?me s’il n’est pas, insiste-t-il, “un pilier de boi?te de nuit”). La drogue, l’alcool, bien su?r, il en a vu. Tant pis, il fait abstraction. “Moi, j’y allais juste pour e?couter de la musique et danser. Je n’ai pas vu de personnes s’e?crouler saoules ou sniffer devant moi.” Et quand bien me?me, il “n’y allait pas pour jouer les redresseurs”.
Son auditoire fin pre?t, il s’associe avec le compositeur Robert Lignier et organise dans son e?glise une veille?e de Noe?l techno. Tout est la? : ordi, vocodeur et sound-system. “On leur a explique? que le BPM e?tait souvent calque? sur les battements du cœur. Comme on est dans l’attente de la naissance du christ, le compositeur a e?crit un morceau a? partir des battements du cœur d’un fœtus.” L’initiative plai?t, pense- t-il, “puisque je n’ai pas perdu de paroissiens”. À l’exception peut-e?tre de deux personnes, ressorties furieuses. “Au moment ou? il y a eu un bon morceau house, les deux sonotones ont pe?te?”, rigole-t-il. Deux de perdus, dix de retrouve?s. “C?a a attire? bien entendu pas mal de jeunes. Le but aussi e?tait de montrer que l’on pouvait inte?grer dans l’e?glise des musiques contemporaines.”

Minors à Saint Eustache

PROSÉLYTISME

“L’E?glise catholique est une vieille dame, nous souffle Pe?re Barthelemy. Et comme beaucoup de vieilles dames, elle a des proble?mes d’arthrose.” C’est cette image d’une e?glise hors du temps qu’il faudra de?poussie?rer pour, pourquoi pas, regonfler les rangs de fide?les. Prose?lytisme, avez-vous dit ? Soit. Vincent Pottier, l’organisateur de la veille?e techno, n’a pas peur du mot, “a? condition que l’on s’entende sur son sens, pre?cise-t-il. Un prose?lyte est un nouveau converti, on ne va pas se l’interdire”. Sa de?marche e?tait pourtant plus proche de celle du technophile Thierry Dasse? que de l’e?vange?lisation, explique-t-il: faire rencontrer deux milieux culturels qui a priori n’ont rien a? voir, et les comprendre. “On a des a priori gigantesques et re?ciproques. L’ide?e c’e?tait de se rencontrer pour avoir moins peur l’un de l’autre.” Apre?s les teufeurs, c’est a? la rencontre des graffeurs que son e?glise est alle?e. La preuve que le dialogue est ouvert.

“L’E?glise doit sortir d’elle-me?me”, disait le pape Franc?ois a? la veille de son ordination. Certains ne l’ont pas attendu pour le faire. Pe?re Axel par exemple, qui a e?tabli son ministe?re dans les boi?tes de nuit et fait cinq soirs par semaine la tourne?e des clubs en col romain. Ses messes, il les fait a? six heures du mat’, “ou plus tard s’il y a un after”. Robert Culat, un pre?tre dont la curiosite? a e?te? pique?e par l’accoutrement de deux jeunes me?talleux et qui depuis explique a? qui veut bien l’entendre que me?tal et religion ne sont pas incompatibles – quitte a? s’attirer les foudres de sa hie?rarchie lorsqu’il de?cide d’installer une pre?sence chre?tienne au Hellfest. Pascal Fagniez, parti enregistrer un album a? Los Angeles dans le studio des Beach Boys avec le gratin du showbiz californien. Et Pope Francis donc, qui enjoint le monde entier “a? se re?veiller et avancer”. Biento?t une sce?ne Tsugi aux JMJ ?????

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