Crédit : Benoit Rousseau

L’excitante étreinte des Francofolies de Montréal

De la décou­verte, des valeurs sûres, des artistes pop­u­laires et plus con­fi­den­tiels, la 31e édi­tion des Fran­co­folies célèbre la langue française dans toute sa diver­sité musi­cale. Et la scène québé­coise n’en finit pas de nous attir­er dans ses filets. 

Les Louanges, la célébration de l’avenir

A chaque édi­tion, sa pépite mon­tante. Après Hubert Lenoir l’an dernier, au tour des Louanges de propager une onde de bon­heur. Les deux garçons ont aus­si en com­mun d’avoir rem­porté suc­ces­sive­ment le prix Félix Leclerc et une bourse de 31 000 dol­lars. La jeunesse québé­coise fait donc des siennes, libre, embal­lante, écla­tante d’in­ven­tiv­ité. Les Louanges, c’est le surnom affublé à Vin­cent Roberge lors de ses années col­lège. Un véri­ta­ble homme-orchestre en stu­dio, solide­ment entouré ici sur scène — cinq musi­ciens et deux cho­ristes — dans un Club Soda bour­ré à cra­quer. Chez lui, un syn­crétisme hip-hop et jazz con­fon­dant de fraîcheur, un sup­plé­ment groove soyeux, une approche des mots aus­si bien intro­spec­tive qu’imag­i­naire.  Mal­gré une récep­tion plutôt aléa­toire des textes ce soir-là (surtout qu’ils sont loin d’être dénués d’in­térêt : “Romains”, dénon­ci­a­tion de la cul­ture du viol, “La nuit est une pan­thère” et sa sen­su­al­ité irré­sistible), on a été scotché par la grande lim­pid­ité mélodique, la dimen­sion har­monique et l’ar­chi­tec­ture fusion­nelle des morceaux. Sax­o­phone dans le souf­fle de la moder­nité et chanteur à la fois spon­tané et men­tal finis­sent par impos­er la douce cer­ti­tude que le futur appar­tient aux Louanges. 

Pierre Lapointe et Ariane Moffatt, les tauliers 

Incon­cev­able apparem­ment d’imag­in­er des Fran­co­folies sans lui. Pierre Lapointe y est au rendez-vous depuis 2002. Plébiscite aus­si bien du côté des organ­isa­teurs que du pub­lic. Là, il a retrou­vé l’Orchestre Mét­ro­pol­i­tain (comme en 2007 pour le gigan­tisme con­cert en extérieur de La forêt des mal aimés) pour une revis­ite sym­phonique de son con­cert La sci­ence du cœur. Tou­jours ses chan­sons à la mélan­col­ie foudroy­ante (Je déteste ma vie, ravageur ou con­so­la­teur selon  l’humeur du moment). Tou­jours cette explo­ration d’alchimiste des sen­ti­ments. Tou­jours ses apartés vives et cocass­es, même si moins nom­breuses qu’à l’ac­cou­tumée. Sobriété dans l’in­ter­pré­ta­tion et enlu­min­ures par­faites de l’orchestre, notam­ment dans des con­clu­sions épiques. Il n’y a décidé­ment aucune las­si­tude à s’in­viter dans le roy­aume de Pierre Lapointe. 

Elle, non plus, ne déçoit jamais. Pour l’ou­ver­ture du fes­ti­val, sur la grande scène en pleine air, Ari­ane Mof­fatt a sor­ti l’ar­tillerie lourde. En plus de son com­bo clas­sique, une sec­tion cuiv­res de cinq musi­ciens, un quatuor  à cordes et deux cho­ristes. Aus­si ambitieux que l’ap­pel­la­tion de son spec­ta­cle: le néo-soul-disco-pop-electro-funky show. Ambiance grand écart et mise au pas qui a su par­venir à con­quérir autant les acharnés du dance-floor (“Debout”, “Mia­mi”) que les pointil­listes de la douceur (“Un souf­fle pour deux”, “N’at­tends pas mon sourire”). De l’al­lure, du style, de la con­te­nance et du con­tenu. Et cette ques­tion restée sans réponse: pourquoi la France ne l’a-t-elle pas adop­tée ? 

Tire le Coyote, la pureté de l’élégance

Sur le papi­er, une légère réti­cence. Tire le Coy­ote ? Ça ne sonne pas d’une moder­nité folle.  Après sa remar­quable presta­tion, on est presque gêné d’avoir effleuré ce rac­cour­ci. De l’ar­ti­sanat certes, mais de luxe. Des noces fer­ventes entre le folk et le rock. Une voix sin­gulière aux accents aigus. Et une écri­t­ure, surtout, qui tend vers le dia­mant brut. Le poète-barde laisse gam­bad­er ses idées fugueuses et sen­ti­men­tales. Moments en sus­pen­sion  (“Désherbage”, “Com­ment te dire”, “Toit cathé­drale”) com­plic­ité cri­ante avec la mer­veilleuse pianiste Alexan­dra Strévin­s­ki (La légende du cheval blanc, de Claude Léveil­lée) et échap­pée finale élec­trique (“Chan­son d’eau douce”). Sa tournée française à venir s’an­nonce sous les meilleurs auspices.

On a aus­si peut-être trou­vé son digne descen­dant en la per­son­ne de Nico­las Gémus, à peine âgé de 22 ans. La fil­i­a­tion est plus qu’établie : ful­gu­rances dans l’écri­t­ure, force tran­quille, gui­tariste déli­cat. Seule­ment une pre­mière par­tie pour le moment mais l’as­sur­ance de le revoir très vite. 

Hubert Lenoir, l’incandescent 

On a presque déjà tout dit sur lui. L’en­fant du désor­dre con­tin­ue de cumuler tal­ent et ambi­tion. Encore une fois, le temps de trois con­certs aux Foufounes Élec­triques et d’un show secret à minu­it en fin de fes­ti­val, Hubert Lenoir a mis tout le monde d’ac­cord. Incan­des­cent, fiévreux, mélodique et hybride. Bains de foule en pagaille et dérives jubi­la­toires. Ce n’est pas si courant de crois­er, sous le même ciel, le chaos brûlant des enfers et un pos­si­ble par­adis. 

Koriass et Fouki, rap game

Ces rappeurs ont foulé la grande scène à quelques jours d’in­ter­valle, dont le spec­ta­cle de clô­ture pour Kori­ass. Entre eux, une saine ému­la­tion dou­blée d’une belle entente puisque cha­cun  est apparu dans le show de l’autre. Dans les deux cas, du charisme et du panache. Dans les deux cas, des morceaux aus­si incisifs qu’­ef­fi­caces. Dans les deux cas, le pub­lic con­naît ses leçons. Dans les deux cas, la scène prend feu. 

Meilleur moment : Hubert Lenoir. Comme l’an dernier. 

Pire moment : Les Négress­es Vertes. Un désas­tre sur toute la ligne. 

Crédit : Benoit Rousseau

Crédit : Benoit Rousseau