NOUVEAUX FUTURS : les 10 labels qui vont faire 2021

par Jon Beige

Hier, Jon Beige, le cura­teur de notre playlist heb­do­madaire NOUVEAUX FUTURS, nous a présen­té les dix artistes qui vont faire 2021. Aujourd’hui, rebe­lote, mais cette fois-ci avec les labels, qui ont vécu une année tout aus­si dif­fi­cile que les artistes, voire davan­tage. On par­le bien ici de labels « émer­gents », et c’est pour cela que n’y fig­urent pas des maisons incroy­ables telles que RVNG Intl., PAN, Warp, Nyege Nyege Tapes, Hound­stooth, CPU, Príncipe, Ilian Tape, Leav­ing, Hyper­dub, BFDM, Liv­i­ty Sound, The Tril­o­gy Tapes, Crammed Discs, Samu­rai Music, POLAAR, Knekel­huis, Stroom, Spazio Disponi­bile, AD 93… qui ont elles aus­si été remar­quables cette année encore. Main­tenant, place aux jeunes.

Sélec­tion, textes et inter­views par le cura­teur de la playlist NOUVEAUX FUTURSJon Beige

 

Association Fatale (FRA)

On ne va pas se men­tir, faire de la musique c’est chou­ette, autant que ce qui va avec : faire la fête en back­stage, faire des blagues sur Log­ic Pro, remix­er la “Macare­na”… Et finale­ment, créer son pro­pre label, c’est comme tout ça. Pos­er sa pan­car­te, espér­er que les gens vien­nent, pass­er du temps en famille, et espér­er qu’il y ait un peu de monde. C’est en organ­isant des soirées qu’est venue à Belec, père de l’Association Fatale, l’idée d’aller plus loin. « Quand c’était encore pos­si­ble, j’organisais des soirées qui s’appelaient Bisou, avec des artistes comme que Fies­ta En El Vacio, Dry­wud ou Jon­quera (moitié de The Pilotwings), qui fig­urent tous sur la cas­sette qu’on a sor­ti cet été. Ce truc de cura­tion était déjà là, les artistes aus­si. » Le but affiché, c’est dis­tribuer de l’amour avec inso­lence. « Il y a eu cette idée de la carte postale avec Tata Toto, la pre­mière sor­tie. Je trou­vais l’objet trop chou­ette. Quand j’ai su que c’était pos­si­ble, j’ai pen­sé à cette comp­tine toute mignonne qui fonc­tion­nait bien avec l’objet. » Pour info, la comp­tine en ques­tion a pour titre “Fuck”, et pour paroles « fuck the Earth, fuck the Uni­verse ». C’est là toute l’ambivalence déli­cieuse de ce pro­jet, et de façon plus large, celle qu’on retrou­ve chez beau­coup des mem­bres de Bruits De La Pas­sion, dont fait par­tie Belec aux côtés d’Oko DJ, Rahim ou Jita Sen­sa­tion entre autres, avant tout DJs aux sélec­tions sans com­plex­es et sans bar­rières, alter­nant sou­vent entre sonorités pointues et guilty plea­sures imparrables. Trans­posé en label, cela donne des morceaux qui don­nent l’impression d’avoir été fait à l’arrache, mais aux fini­tions impec­ca­bles. Cela vaut évidem­ment mieux que l’inverse.

 

Éditions Appærent (CAN)

On pour­ra peut-être con­tester l’étiquette « pro­duit frais » qu’appose néces­saire­ment cette sélec­tion de dix labels sur les heureux élus, mais cer­taine­ment pas pour Édi­tions Appærent, né cette année à Mon­tréal. Il est le fruit de l’imagination débor­dante et multi-tache de Jesse Osborne-Lanthier, de Pierre Guer­ineau – qui partage notam­ment le pro­jet Essaie Pas avec Marie David­son –, Asaël Robitaille et Will Bal­lan­tyne. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il sort tout juste du four, puisqu’à ce jour ne fig­urent au cat­a­logue que deux sor­ties, essen­tielle­ment des mem­bres de la famille. C’est Guer­ineau lui-même qui apporte la pre­mière pierre à l’édifice, avec L’eau Par La Soif, com­plexe et com­plet, tan­tôt apaisant, tan­tôt pesant. Mais c’est surtout le divin album de Bernardi­no Fem­miniel­li, L’Éxil, qui fait mouche. Beau comme un cœur de l’intérieur, désen­chan­té, touchant surtout, mag­nifique­ment écrit, c’est une des œuvres phares de cette année pour­rie, dont le Mon­tréalais apa­tride et parisien d’adoption se fait la mas­cotte idéale. Mais la musique « d’EA », comme il le dit, c’est Jesse Osborne-Lanthier qui en par­le le mieux. « J’ai le sen­ti­ment que la musique du label se démar­que par un savoir-faire musi­cal et artis­tique pré­cis et pointu, aux sonorités bizarres, abstraites, pro­fondes et intem­porelles ; tech­nique­ment et émo­tion­nelle­ment com­plex­es, acces­si­bles néan­moins. On n’es­saie pas de faire du fast-food, bien qu’on n’ait rien con­tre ça ! » Comme beau­coup des labels de cette sélec­tion, c’est en faisant se chevauch­er les arts que se con­stru­isent leurs pro­jets. « On essaie de se fau­fil­er dans la musique de film. Je ne vais pas trop en dévoil­er sur les futurs plans du label, mais il y a déjà plusieurs pro­jets d’en­tamés. » Pro­duc­teur tal­entueux – il partageait déjà l’affiche avec son cama­rade sous Fem­miniel­li Noir pour le compte de Mind Records – Jesse Osborne-Lanthier s’est déjà per­mis d’ouvrir la brèche cinéphile cette année avec Left My Brain @ Can Paix­ano (La Xam­pa­ny­e­ria) OST, copieuse bande-son organique qui rap­pelle les travaux plus expéri­men­taux d’Arca, à qui il n’a rien à envi­er. L’idée, c’est d’aller loin. « Seule­ment deux sor­ties jusqu’à présent, mais je pense qu’avec les prochaines on va com­mencer à com­pren­dre de quel bois on se chauffe. »

 

Equiknoxx Music (JAM)

Equiknoxx est un groupe – ou plutôt un col­lec­tif, pour repren­dre leurs mots – et aus­si un label, et il est bien peu aisé de trac­er des lim­ites entre les deux. C’est qu’en Jamaïque, on envis­age la musique davan­tage comme une œuvre com­mune à la pro­priété partagée que comme une somme de tal­ents indi­vidu­els. Le col­lec­tif, est offi­cielle­ment com­posé de cinq mem­bres : Gavs­borg, père fon­da­teur et pro­duc­teur, qui a répon­du à nos ques­tions, Bob­by Black­bird et Time Cow, eux aus­si pro­duc­teurs, puis Shanique Marie et Kemikal Splash, chanteurs. « À Kingston, quand on a com­mencé, nous n’avions accès qu’à deux labels, qui étaient par­faits pour les « big anthems ». Mais nous voulions trac­er notre pro­pre route. » Après avoir pro­duit pour les autres, le col­lec­tif se regroupe dans les années 2010 afin de s’unir sous une seule ban­nière. Leurs deux pre­miers albums, unique­ment instru­men­taux, leur ser­vent de rampe de lance­ment en Europe, plus par­ti­c­ulière­ment en Angleterre, où s’exerce depuis tou­jours une fas­ci­na­tion pour les tech­niques dub. Mais depuis l’année dernière, et la sor­tie de leur troisième album Eter­nal Chil­dren, auto-produit et moins expéri­men­tal, l’entité Equiknoxx s’est faite assez imposante pour laiss­er la place à ses indi­vid­u­al­ités. Le label s’est placé en retrait, s’est créé une page Band­camp, s’est dégoté une iden­tité visuelle pour ses sin­gles, et a lais­sé à cha­cun l’occasion de briller. Un peu à la manière du Wu-Tang, une référence pour Gavs­borg (qui, selon un beau papi­er de Mix­mag, accordé d’une sub­lime vidéo, se fâche lorsque ses amis ne sont pas capa­bles de don­ner le nom des mem­bres les moins con­nus). Mais surtout, en n’oubliant jamais le col­lec­tif. « Cette année, nous avons tous dévelop­pé nos per­spec­tives sur où nous voulions aller, à la fois indi­vidu­elle­ment et en tant que groupe. » Gavs­borg croit à l’influence mutuelle, au pou­voir du partage et de la com­mu­nauté. « Nous nous influ­ençons tous mutuelle­ment, et quand je dis tous, j’espère pou­voir par­ler plus loin qu’E­quiknoxx, pou­voir par­ler à Kingston, à qui nous devons tout. »

Failed Units (UK)

Dans un monde nor­mal, Failed Units aurait vu le jour en 2040, mais c’est l’année dernière que Daniel Ruane, Carne et Vee ont décidé de se lancer. Heureuse­ment, cette année 2020 man­quée a été pour eux, les « unités ratées », l’occasion de nous bous­culer encore plus fort qu’avant. L’histoire de leurs débuts est bête comme chou. « On était occupés à essay­er de faire sign­er des morceaux de Daniel Ruane, quand on a finale­ment décidé de faire ça nous-même. L’indépendance était claire­ment un fac­teur, mais l’important aujourd’hui c’est surtout d’avoir une plate­forme qui nous per­me­tte de met­tre en avant de la musique assez sauvage et bien rentre-dedans, en mode DIY pro­fes­sion­nal­isé. » DIY pro­fes­sion­nal­isé, on aurait pas dit mieux. Der­rière sa vio­lence sans méchanceté, et son côté « à ne pas faire écouter aux par­ents » presque comique – car­ac­téris­tiques qu’elle pour­rait partager avec le nu-metal de l’époque – la musique de Failed Units n’a pas d’égal tant le design sonore est ahuris­sant, et tant l’énergie qui s’en dégage donne l’impression grisante d’être bal­ancé manu mil­i­tari dans une rave de Cyber­punk 2077, les bugs en moins. Ces gars-là savent où ils vont. Après une série de trois EPs sous titrés Dawn Of The Failed Units, ce sont les trois suiv­ants, Res­cue & Research, qui ont fait pass­er tous les autres pro­duc­teurs pour des vieux. Et ils ne comptent par s’arrêter là. « L’année prochaine on va finir les Res­cue & Research et lancer une autre série de splits EPs qui seront des col­lab­o­ra­tions entre deux artistes. Début févri­er, on lance aus­si une série de mini com­pi­la­tions de DJ tools autour du thème des change­ments de BPM. » Cette référence au BPM tend à prou­ver que le club reste un objec­tif, puisqu’il s’agit d’une ques­tion tout à fait cen­trale du DJing mod­erne. Ils avaient d’ailleurs lancé une rési­dence à Berlin qui tour­nait bien jusqu’au Covid. « On essaie vrai­ment de met­tre en avant des morceaux qui sor­tent du lot, en général bien bar­rés et mar­rants à jouer. Mais on a remar­qué que pas mal de DJs se ramassent en les jouant. »

 

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Music In Exile (AUS)

On a pu enten­dre en 2020 que le passé s’attardait et que le futur tar­dait à venir. Il est dif­fi­cile dans ce brouil­lard d’incertitude de sor­tir du cha­peau des ini­tia­tives viables, analyse qui s’est par­ti­c­ulière­ment appliquée au milieu de la musique. Certes, les artistes n’ont pas man­qué de temps pour être créat­ifs – est-ce dans la crise qu’on est le plus créatif, c’est un autre débat – mais l’on doit désor­mais s’occuper de l’éléphant dans la pièce : l’argent. Ces ques­tions se posent jusqu’en Aus­tralie. « J’ai gran­di en jouant de la musique, en allant dans des bars, en faisant des gigs. Mais, réal­isant ma chance, je me suis demandé com­ment je pou­vais aider ceux qui n’avait pas accès à ce milieu. » Joe Alexan­der, une des têtes pen­santes du label et dis­quaire Bed­room Suck, en a eu marre de met­tre son ego dans ce pro­jet. « Le prob­lème, c’est qu’un label devient vite votre « bébé », et il est dif­fi­cile pour les autres d’intervenir. » Grand col­lec­tion­neur de musiques de tous hori­zons, il fait la démarche en 2019 d’aller dénich­er des artistes qui n’ont pas l’occasion de faire le tra­jet inverse. « Je me suis ren­du compte qu’il y avait énor­mé­ment de musi­ciens tal­entueux qui vivaient dans des com­mu­nautés de migrants, adulés dans leur pays, mais qui n’avaient pas l’occasion de pou­voir s’exprimer ici. » Le pre­mier qu’il prend sous son aile est Gor­don Koang, Soudanais du Sud qui a fui la guerre civile avec son frère. On croirait que le label a été créé pour lui. Les mem­bres de Music From Exile lui dégo­tent des dates et lui organ­isent même une tournée, lui trou­vent même un apparte­ment pour lui et sa famille, et même un per­mis de séjour. Puis la famille s’est agrandie. « En interne, notre équipe s’est beau­coup dévelop­pé. Nous sommes main­tenant enreg­istrés en tant qu’association car­i­ta­tive, et ce sont essen­tielle­ment des bénév­oles qui s’occupent du label. » Cette prise de masse leur a per­mis de dévelop­per leur cat­a­logue et de mul­ti­pli­er les sor­ties de tous hori­zons. Racon­ter leurs his­toires respec­tives, c’est ce qui intéresse le label. La plume est tenue par les artistes eux-mêmes. Music From Exile ne veut pas pren­dre la lumière, cherche seule­ment à faciliter la vie de leurs poulains. Leur site Inter­net – à la DA sucrée impec­ca­ble, comme tout le reste – affiche un comp­teur : « $114,835 ». C’est tout l’argent qui a été directe­ment mis dans la poche des artistes depuis le début de l’aventure il y a deux ans. Sans compter donc tout ce qui a été investi pour dévelop­per leurs pro­jets. Une affaire qui roule.

 

NAFF (CAN)

« À l’époque, nous avions pas mal de morceaux en stock, mais qui n’intéressaient per­son­ne pour une sor­tie. Créer un label sem­blait être la plus logique des choses à faire, la plus exci­tante aus­si. » L’histoire clas­sique. Pour­tant, cha­cun de leur côté, Fran­cis Latreille (Pri­ori) et Adam Fein­gold (Ex-terrestrial) comptent déjà à cette époque quelques sor­ties bien sen­ties. Mais les deux Mon­tréalais sem­blent avoir une vision bien définie de ce qu’ils veu­lent dévelop­per. Il fal­lait pren­dre les rênes. « Nous avions des idées sur ce que nous aimions tous les deux, à la fois musi­cale­ment et esthé­tique­ment, et on a juste fon­cé. » Ce qui irrigue le label, son énergie pri­maire, sem­ble donc être ce point de ten­sion entre ses deux mem­bres fon­da­teurs. « C’est un con­stant proces­sus de per­fec­tion­nement, de con­cen­tra­tion sur ce qui nous représente comme indi­vidus. » La quasi-totalité des sor­ties du label, et de son sous label Gar­mo, sont l’œuvre de trois per­son­nes, sous des alias dif­férents, ou col­lab­o­rant entre eux. Fran­cis et Adam donc, mais aus­si Alex Sheaf, le troisième roi mage, d’origine anglaise, aus­si con­nu sous le nom de Dust-e‑1. C’est lui qui se sache der­rière Anf (avec Pri­ori), Per­ish­ing Thirst, ou bien URA. La pri­or­ité est donc don­née à la con­struc­tion de cette esthé­tique com­mune et mul­ti­mé­dia, qui évoque des sou­venirs de raves jamais con­nues, des cham­bres d’ado un peu geek éclairées à la lava lamp, ou tout ce qui pour­rait se voir revêtir du qual­i­fi­catif “liq­uid”. « On aimerait bien créer des vête­ments, des acces­soires, et même un par­fum pourquoi pas. » Après deux ans en cir­cuit court, ce club fer­mé (sans mau­vais jeu de mot d’ordre san­i­taire) s’ouvre désor­mais à d’autres inter­venants, loin de dénot­er. Le dernier disque en date est l’œuvre d’Ambien Baby, side project de D.Tiffany et Dan Rin­con, bat­teur de Thee Oh Sees. « Par rap­port aux débuts du label, on est plus con­fort­a­bles avec le fait d’inclure des amis et artistes dans le proces­sus. » Jesse Osborne-Lanthier, qui a lui aus­si son label Édi­tions Appærent dans ce top 10, s’est par exem­ple occupé de plusieurs des art­works. NAFF sem­ble paré pour le futur, assis, debout, clubs ouverts ou pas.

 

Osàre! (NLD)

Dans la vie, il y a ceux qui « écoutent de tout », et ceux qui écoutent vrai­ment de tout. Ele­na Colom­bi appar­tient à cette deux­ième caté­gorie. DJ hors-pair et imprévis­i­ble, elle s’est imposée depuis plusieurs années comme une valeur sûre du cir­cuit grâce à ses sélec­tions pointues et rentre-dedans. Depuis l’année dernière, elle applique cette vision à son label. « Osàre! défend tout ce qui est auda­cieux et inat­ten­du, la musique qui regarde le futur droit dans les yeux, héritée des expéri­men­ta­tions avant-gardiste passées, et imprégnée d’un sen­ti­ment de lib­erté com­plète. » Ele­na n’a pas froid aux yeux. Orig­i­naire d’Italie, elle a passé dix ans à Lon­dres, où elle y a notam­ment ani­mé un show for­mi­da­ble pour NTS, qui tient tou­jours d’ailleurs. Puis après quelques temps à Brux­elles, elle s’installe à Ams­ter­dam. « J’aime com­par­er l’évolution du label à une plante. En 2019, les graines ont été déposées, et aujourd’hui, un petit arbre pousse, devient plus fort. Et je prends autant de plaisir à le nour­rir qu’à observ­er le proces­sus. » Cha­cune des sor­ties est infusée de ce courage qui per­met aux artistes de com­plète­ment s’abandonner, de mélanger des ingré­di­ents qui a pri­ori n’iraient pas bien ensem­ble. Pren­dre tout ce qu’on trou­ve et laiss­er faire, quitte à déranger. Et parce que cela ne s’applique pas qu’à la musique, il se peut que la mai­son se diver­si­fie à l’avenir. « Il y a pas mal de sor­ties prévues pour 2021, mais aus­si une col­lab­o­ra­tion avec une mar­que de vête­ment à Ams­ter­dam, une autre avec une enseigne basée an Angleterre et spé­cial­isée dans le tri­cot, et même un par­fum sur mesure. » Faire grandir ses racines. « Le label est là pour durer ! »

 

TV Showw (FRA)

On vous voit venir, il est hors de ques­tion de par­ler de french touch 3.0. Certes, TV Showw et Mehdy son créa­teur, sont basés à Paris. Certes, les sonorités se rap­prochent de la vague club omniprésente à Paris qu’on pour­rait qual­i­fi­er de « HD ». Mais per­son­ne n’a envie d’une french touch 3.0, surtout pas les pre­miers con­cernés, et de toute manière, la plu­part des sor­ties issues de TV Showw sont l’œuvre d’artistes inter­na­tionaux. La pre­mière a vu le jour en 2017. Mehdy, pour inau­gur­er son label, a l’idée – voire même l’audace – de se sig­naler à Jamal Moss, plus con­nu sous le nom de Hiero­glyph­ic Being. « Je l’ai con­tac­té sur Face­book pour lui par­ler de mon pro­jet de label, et con­tre toute attente, il était chaud pour l’in­au­gur­er avec un EP sous un nou­v­el alias, JAI/MAHL. Un hon­neur ! » Puis en 2018, c’est au tour de Fil­tr­er Dread, poin­ture UK, et aux Russ­es de Yung Acid, de pour­suiv­re. Puis plus rien en 2019, puis trois sor­ties seule­ment en 2020. Mais quelles claques ! Après De Gran­di, c’est au tour de l’Italien Kuthi Jin. « Sa musique est très atyp­ique, que ce soit dans son énergie, sa struc­ture ou son mix­age. Ca se rap­proche de la d’n’b, de la jun­gle ou du foot­work, avec une approche musique con­crète mais sans se pren­dre trop au sérieux non plus. Aphex Twin joue d’ailleurs ses morceaux dans ses derniers live/DJ sets ! » Comme un arti­san, Mehdy prend le temps de sor­tir de beaux pro­duits, la qual­ité plus que la quan­tité, seul ou presque, aidé seule­ment coté tech­nique par Eric Plovi­er, respon­s­able d’ailleurs du dernier EP en date sous le nom de Lim­bus Puero­rum. Un label, à cette échelle, on le fait surtout pour le fun, en tout cas au début. Hasard ou pas, c’est exacte­ment le même qual­i­fi­catif qu’on pour­rait utilis­er pour l’identité visuelle car­toonesque du bien nom­mé Claude Joyeux. « Son style bien définiss­able donne une sacrée gueule au label. C’est quelque chose que les artistes signés sem­blent appréci­er à chaque fois. » La troisième vague, la voilà !

 

World Music (UK)

Heureuse­ment ou mal­heureuse­ment, il n’y pas grand chose à savoir sur World Music, qui se mure dans un silence volon­taire depuis sa créa­tion à l’aide d’une com­mu­ni­ca­tion basée sur la non-communication (oui, ça reste de la com­mu­ni­ca­tion, de la même façon qu’un contre-mouvement reste un mou­ve­ment). Évide­ment, nos sol­lic­i­ta­tions sont restées let­tre morte. Le long arti­cle de Band­camp con­sacré au label n’est plus en ligne depuis peu. Est-ce que ça fonc­tionne encore ça, la tech­nique de l’autruche ? Pour ne pas se voir reprocher de se cacher der­rière des con­cepts vides, il faut absol­u­ment que la musique suive. C’est le cas. World Music est l’œuvre des non moins cryp­tiques Inga Copeland et Dean Blunt, héros pour les uns, incon­nus pour les autres, jamais au milieu. C’est chez Hyper­dub que Dean Blunt a com­mencé par sor­tir sa musique – décidé­ment, avec Bur­ial, ça devient une habi­tude, les artistes tristes et timides. Très vite il s’émancipe et se sert de World Music dès 2012 pour dis­tribuer ses albums et ceux de son asso­cié, y com­pris sous leur alias com­mun, Hype Williams. Pourquoi figurent-ils dans cette liste en 2020 alors ? Déjà parce qu’il s’agit de l’année inau­gu­rale du label, mais aus­si parce qu’il sem­blerait que World Music, comme nous tous, se soit épais­si pen­dant l’année. La quasi-intégralité du cat­a­logue a été postée sur Band­camp. Surtout, se con­firme une ten­dance que l’on pou­vait déjà pressen­tir, à savoir le développe­ment d’artistes autres qu’eux-mêmes. La sor­tie la plus sym­bol­ique pour­rait être l’EP de 1995 epilep­sy, plus large­ment relayé dans les médias qu’à l’accoutumée. On ignore offi­cielle­ment qui se cache der­rière ce patronyme, mais les rumeurs vont bon train, impli­quant Mica Levi, Tirzah ou Scratcha DVA, voir même les trois en même temps. World Music, deux faces d’un aimant, tout comme ses créateurs.

L’in­té­gra­tion des lecteurs Band­camp est dés­ac­tivé, il faut directe­ment aller écouter leurs sor­ties sur leur page.

 

Youth (UK)

Après avoir par­lé avec plusieurs labels qui fig­urent dans cette liste, il est clair que ce qui motive leurs créa­teurs réside bien sou­vent dans le con­stat d’une place à pren­dre, le même genre de réflex­ion que l’on se fait lorsqu’on se rend au bureau de vote et qu’aucun can­di­dat ne répond à nos attentes. Sauf qu’en musique, cette réflex­ion donne envie de se porter can­di­dat, pas de vot­er blanc. Bien que Youth ne soit pas à pro­pre­ment par­lé un label émer­gent – créé en 2017 à Man­ches­ter par DJ Lyster, il compte déjà un nom­bre con­séquent de sor­ties – le rythme s’est accéléré cette année, aus­si bien en terme de quan­tité que de qual­ité. « Le label en est tou­jours à ses pre­miers bal­bu­tiements, mais j’ai le sen­ti­ment qu’il a trou­vé sa sig­na­ture sonore. » « Il », comme si le label était une per­son­ne à part entière, avec sa pro­pre per­son­nal­ité ; c’est pour­tant, comme sou­vent, l’œuvre d’une seule per­son­ne. « Tous ces morceaux mis bout à bout ont du sens pour moi, en tout cas dans ma tête. Le label a gran­di douce­ment mais sûre­ment, de façon organique, sor­tie après sor­tie. » Encore cette image de la plante qui revient, au tronc de plus en plus fort, aux racines de plus en plus dévelop­pées. Un arbre qui trou­ve sa place dans la forêt. « Je ne veux pas que le label soit cat­a­logué, c’est ma pri­or­ité. Le seul dénom­i­na­teur com­mun des dif­férentes sor­ties, à mon sens, c’est qu’elles sont une bonne représen­ta­tion de mes goûts. » Sin­gulières, les sor­ties de Youth le sont assuré­ment, et il serait vain d’essayer de lui coller une éti­quette plus pré­cise que « musique élec­tron­ique », qu’on pour­rait à la rigueur qual­i­fi­er de pous­siéreuse. « Par­fois, j’ai le sen­ti­ment en ren­con­trant cer­taines per­son­nes que si elles pro­duisent de la musique, je vais for­cé­ment aimer. C’est arrivé avec FUMU, du fait de sa per­son­nal­ité, de ses goûts et de ses influ­ences. Pareil pour Dijit, que j’ai décou­vert via un mix de Rahim, du crew Bruits de la Pas­sion. » L’humain comme seul dénom­i­na­teur qui vaille.

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