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Rone. Crédit : Alban Gendrot
6 novembre 2017

Pitchfork Music Festival Paris : enfin décontracté ?

par Mathias Riquier

Plus ça va, moins on les voit. C’était pourtant un terrain de jeu dont elles étaient adjudicataires depuis la première édition, ADN du festival oblige. Les guitares ont pourtant eu un rôle tout à fait marginal dans cette nouvelle édition du Pitchfork Music Festival Paris, qui est, bonne nouvelle, de moins en moins le festival qu’on aimait dépeindre comme parisiano-branchouille, et qui a fini par s’ancrer solidement dans le paysage. Pour preuve, une affluence qui roule, sans grand coup d’éclat dans la prog’, qui trouvait sa force davantage dans le milieu de tableau que dans les gros noms. En tout cas, niveau frissons, les médailles ont été distribuées à des projets a priori moins gaulés pour la bataille que d’autres, et c’est une excellente nouvelle.

Le gros défi pour tout artiste jouant dans la Grande Halle de la Villette, c’est de remplir l’espace sonore, avec une scène large comme un paquebot et une hauteur de plafond de cathédrale. Rien qui paraisse insurmontable à Princess Nokia, dont le DJ cale du Slipknot et du Sum 41 entre les morceaux comme pour ratatiner une certaine forme de bien-pensance. Rajoutez une couche de présence scénique, et ça vous donne l’un des sets les plus appréciables du week-end. Rone, le type qu’on a le plus vu sur scène ces 5 dernières années, a eu le bon goût de s’éloigner de ses prestations hyper rodées qui lui donnaient parfois un arrière-goût de Paul Kalkbrenner français, pour revenir aux bases : un backdrop, un pratos et de la bonne musique. On se serait cru en 2011, avec la qualité de composition du Erwan Castex version 2017 (les compos de Mirapolis tiennent d’ailleurs parfaitement la route). Parmi les autres héros du milieu de soirée, on peut citer Ride, pas exactement un groupe découverte mais une prestation qui réussit à ne pas sentir le formol, et les deux représentants des atmosphères jazzy, Kamasi Washington et BADBADNOTGOOD.

Que faire des têtes d’affiche, machines qui connaissent leur sujet sur le bout des doigts et dont il faut, a priori, n’attendre aucune sorte de surprise ? Rien de disruptif, en somme, mais une dose de plaisir à ne pas bouder surtout, un peu comme quand on se remate Breakfast Club pour la 12ème fois. Impériaux The National, donc, avec un light show multicolore impeccable, un Matt Berninger à la voix toujours réglée sur “sensuel-rauque”, une set list parfaitement balancée, rien à redire, si ce n’est un substantiel manque de surprise. Idem pour Jungle vendredi, qui aura eu le mérite de déverrouiller la sagesse désormais systémique du public, qui n’attend au final, comme tout bon public de festival, que d’onduler du popotin. Les petites fenêtres ouvertes sur leur prochain album ajoutant un petit goût d’inattendu assez jubilatoire. Mais c’est probablement Run The Jewels qui remporte la bataille des costauds. Quatorze crans au dessus du reste niveau énergie et puissance, toujours à la cool, drôles et pertinents entre les morceaux, EL-P et Killer Mike restent les meilleurs grands frères du rap “mainstream mais pas complètement quand même” en ce moment, et ont offert un joli concerto de lessiveuse qui a eu le mérite de faire basculer la soirée du samedi dans sa partie nocturne.

Parce que bon, soyons honnêtes, le Pitchfork n’est pas la première option qui vient à l’esprit de la clique du clubbing parisien quand il s’agit de faire la teuf entre minuit et 6h du mat’. Peut-être que la clique a tort. Samedi, donc, ceux qui étaient là (et ils étaient nombreux) ont pu apprécier l’un des meilleurs lives du festival : Bicep, dont l’évolution hypnotique, breakée et finalement très 90’s a été parfaitement retranscrite par les deux commanditaires, sans oublier de syncoper à mort comme dans tout bon live house qui se respecte. Si The Black Madonna a assuré en faisant du The Black Madonna ensuite, notre meilleur souvenir de DJ-set date peut-être de la veille. Au Trabendo (lieu d’after consacré du Pitchfork), l’enchaînement parfait entre Cologne Tape, Actress et Jacques Greene a plutôt tout cassé, même si certains ont émis quelques réserves sur le second volet de la trilogie. En retrait derrière une paire d’écrans, Darren J. Cunningham a planté au premier plan de la scène un mannequin chromé et capé, sorte de version Nazgûl du Surfeur d’Argent, devant un faux clavier. Une allégorie d’une musique électronique personnifiée à outrance, qui ne cache pas un paquet de petites erreurs sur la manière, mais les tracks et l’ambition musicale sont là. Jacques Greene, quant à lui, a été à la hauteur de son statut : fantastique. Si on fait le bilan, en faisant fi de quelques petites déceptions (Jacques, on t’aime mais va falloir rendre ta loop pedal maintenant, ça devient gênant), c’est validé. Le Pitchfork mérite mieux que l’image que tous les médias nationaux, basés à Paris, ont brossé de lui pendant trop d’années (forcément, c’est plus facile pour tout le monde de prendre la 5 que d’oser emprunter un TER) : oui, on y mange des galettes-saucisses vegan à 8 balles, mais on y écoute avant tout de la bonne musique.

Meilleur moment : EL-P (Run The Jewels) ovationné par la foule après un message prônant le respect entre festivaliers et exhortant ces messieurs à garder leurs mains là où elles devraient être : en l’air.
Pire moment : la consultation du solde du compte en banque le lundi. Merci, père Cashless.

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