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We Love Green / ©Maxime Chermat
29 septembre 2020

Pourquoi certains festivals ne peuvent toujours pas vous rembourser (même 6 mois après)

par Tsugi

Plus de six mois après l’annulation des concerts et festivals, certains acheteurs attendent encore le remboursement de leur billet. Devant traiter plusieurs millions d’achats, les principaux acteurs de billetterie ont parfois eu du mal à relever ce défi inédit. De quoi agacer le public comme les producteurs d’événements.

La crise sanitaire n’a épargné personne. Au-delà de la cruauté des annulations de festivals, elle a également amené un défi de taille aux différents gestionnaires de billetteries. Alors que les annulations et reports se sont succédés dès le mois de mars, il a ainsi fallu gérer un volume de remboursements totalement inédit. Rien que pour France Billet, propriété de la Fnac et leader du secteur en France, cela représente 2,5 millions de billets à traiter. Les deux autres principaux acteurs du secteur, SeeTickets (anciennement Digitick, rattaché à Vivendi) et Ticketmaster (ex Ticketnet, géré par Live Nation) ont eu respectivement un million et 900 000 billets impactés par un report ou une annulation. Le casse-tête était aussi complexe qu’inédit, et, forcément, tout n’est pas allé sans heurts. À l’heure où nous écrivons ces lignes, tous les remboursements n’ont pas encore été faits, y compris pour certains événements qui devaient se tenir au printemps. Cependant, les éditeurs de billets affirment que plus de 90 % des remboursements ont été effectués.

« Nous sommes baladés depuis plusieurs mois et nous sommes face à une mauvaise foi totale. » Prodiss et SMA

Mais y a-t-il eu également de la mauvaise volonté de leur part ? C’est ce que sous-entendaient deux importants syndicats de producteurs de spectacles, le Prodiss et le SMA, dans un communiqué de presse daté du 3 juillet. « Nous sommes baladés depuis plusieurs mois et nous sommes face à une mauvaise foi totale » affirment-ils, pointant notamment du doigt France Billet. Rejoints par le festival Cabaret Vert le 9 juillet, après avoir annulé son édition 2020 le 27 avril, tous reprochent principalement à la Fnac de ne pas avoir dit la vérité au public. En effet, l’entreprise affirmait alors attendre la confirmation d’annulation de la part des festivals pour lancer les remboursements, que ces derniers assurent avoir donnée plusieurs mois auparavant. « Ça a été compliqué à gérer, on nous demandait pourquoi on n’a pas annulé l’événement, alors que c’était officialisé depuis des semaines. Je ne sais pas si c’était délibéré » nous raconte Le Cabaret Vert. Le 28 août, c’est au tour de We Love Green d’interpeler ses partenaires via Twitter, en réponse à un festivalier n’ayant pas encore récupéré son argent presque un mois après les premiers remboursements.

« Manque de sérieux »

En temps normal, les festivals délèguent la gestion de la billetterie à ces partenaires, et ne touchent l’argent des ventes qu’après que l’événement ait eu lieu. Cela signifie qu’en cas de problème (d’annulation, par exemple), le festival n’a aucun accès ni à l’argent ni aux données des personnes ayant acheté un billet. Ils dépendent entièrement des éditeurs de billets, mais sont pourtant bien en première ligne vis-à-vis de leur public.

« S’il y a un problème, ça nuit à l’image du festival, alors que nous n’avons pas cette responsabilité. » We Love Green

« Début septembre, ou nous a annoncé que tout avait été remboursé. On les croit de bonne foi, mais c’est vrai que s’il y a un problème, ça nuit à l’image du festival, alors que nous n’avons pas cette responsabilité » explique We Love Green. Pour Aurélie Hannedouche, directrice du SMA, cela relève d’un « manque de sérieux » de la part des réseaux de billetterie. Si France Billet est principalement pointé du doigt, les deux autres réseaux de billetterie tardent aussi à rendre l’argent. « Quelques jours après [le communiqué], on a vu arriver des remboursements, alors que ça faisait des mois que nous discutions » détaille-t-elle. « Des adhérents signalent des problèmes de suivi, des mails à la Fnac laissés sans réponse, ou affirmant qu’ils seront recontactés dans les jours qui suivent, sans que rien ne se passe ensuite. » Impossible même de savoir combien de personnes sont encore en attente de remboursement, l’outil mis en place pour cela par la billetterie ne fonctionnant pas, poursuit-elle.

©Messak

S’adapter ou mourir

Ces services de ticketing ont-ils vraiment voulu gagner du temps et conserver de la trésorerie, ou bien ont-ils été tout simplement débordés ? Difficile de vérifier. Contactée, la Fnac n’a répondu à nos questions qu’avec un bref communiqué. « Nous travaillons avec nos partenaires pour pouvoir être présent à leurs côtés au moment de la reprise de l’activité » déclarent-ils, après avoir rappelé que la quasi-totalité des billets a été remboursée.

Dans un mail envoyé à ses clients signé d’Arnaud Averseng, président de France Billet, l’entreprise se confond en excuses, sans pour autant détailler ce qui a pu poser problème. SeeTickets, en revanche, nous a expliqué comment leur activité a été impactée. « Le premier sujet a été de s’organiser pour pouvoir être à 100 % en télétravail », raconte la directrice client Pascale Gonzalez, chose faite dès le début du confinement à la mi-mars. Mais il a ensuite fallu retravailler les outils pour automatiser des démarches jusque là traitées « à la main ». « On a formé beaucoup d’équipes en interne : marketing, RH, tout le monde s’est mis au niveau. » Il a également fallu s’adapter aux différents besoins des festivals, certains voulant reporter, d’autres annuler, ou encore, à l’image de Solidays ou Cabaret Vert, transformer leurs billets en dons. « On a fait du sur mesure en fonction de ce que voulait le client », nécessitant parfois deux ou trois semaines rien que pour créer le formulaire de remboursement. « On était parfois tous les jours au téléphone avec certains festivals. »

« On était parfois tous les jours au téléphone avec certains festivals. » SeeTickets

Ainsi, selon SeeTickets, tous ces éléments mis bout à bout ont amené un délai de remboursement de deux mois, en général, au lieu d’une semaine auparavant, démarrant à partir du 1er juin. Mais comment expliquer que certains attendent encore leur remboursement, après bientôt quatre mois ? La billetterie nous assure que ces cas sont exceptionnels, et dus à des problèmes techniques : « Des gens qui ne voient pas qu’ils ont été remboursés, qui ont mal rempli le formulaire, dont la CB est expirée… » Maintenant, les outils sont mieux rôdés, et les événements qui continuent d’être annulés jour après jour peuvent être mieux traités, nous promettent-ils.

Malgré tout, la confiance entre organisateurs d’événements et partenaires de billetterie a été mise à mal. Pourtant, chacun de ces acteurs a besoin de l’autre. Comme le rappelait Arnaud Averseng aux Échos le 29 avril : « L’objectif est que personne ne meure, car la moindre faiblesse d’un maillon de la chaîne peut entraîner tout un écosystème dans sa chute. » Le SMA souligne cette nécessité : « On a plutôt intérêt à avoir une grande diversité d’éditeurs de billetterie. Moins ils sont nombreux, plus il y a du monopole, et donc possibilité pour l’éditeur de billetterie d’imposer ses conditons » explique Aurélie Hannedouche. « Mais il faut qu’ils fassent bien leur travail » précise-t-elle immédiatement. Du côté de We Love Green, on abonde : « Il faut de la solidarité ».

Une mise en lumière de problèmes déjà connus

Pour autant, la crise actuelle a également souligné certains problèmes qui existaient déjà auparavant, en particulier sur la gestion des données. Via ces billetteries, des entreprises non liées au spectacle vivant (comme la Fnac ou le groupe Vivendi) peuvent récupérer et exploiter de nombreuses données personnelles. « Les datas, c’est le nerf de la guerre » : l’expression revient autant dans la bouche du SMA que du Cabaret Vert. Enjeu global de notre société, toutes les entreprises sont à la recherche de telles informations afin de mieux cibler leur marché et leurs expériences clients, et ainsi générer des profits… sur le dos des organisateurs de spectacles.

Pour tenter de reprendre le contrôle de ses données, le SMA s’est associé en 2016 à la Fédélima et au RIF pour créer Socoop, « une billetterie conçue PAR et POUR les acteurs des musiques actuelles » lisons-nous sur leur site. L’idée est de laisser chaque organisateur fixer ses frais de billetterie, gérer les données personnelles de leur public, et surtout que l’argent généré n’échappe pas au secteur du spectacle vivant. Si une telle solution éthique a pu convaincre plusieurs salles en France, comme Petit Bain à Paris, l’Aéronef à Lille ou le Chabada à Angers (sans qu’elles délaissent pour autant France Billet et consorts), elle peine encore à séduire les festivals.

« Les datas, c’est le nerf de la guerre » SMA, Cabaret Vert

Pour le Cabaret Vert, deux problèmes se posent. Le premier : cette solution n’est pas aussi pratique que celle déjà existante. La gestion de la base de données des clients, notamment, permettant d’envoyer des mails ciblés et personnalisés, n’est pas aussi performante. Si cela peut être corrigé plus tard, le second problème sera plus compliqué à compenser : « Les réseaux n’offrent pas qu’une solution de billetterie, explique le festival, mais aussi une publicité pour les événements dans les points de vente, les Carrefour, Fnac, Leclerc, etc. » Le site InfoConcert, par exemple, grande base de données sur les concerts à venir en France, est géré par SeeTickets. Travailler avec eux permet ainsi d’être mieux visible par le public. Socoop semble donc voué à rester une solution marginale, au moins à court terme.

Si le coronavirus a été, et reste encore, un cauchemar pour tous les acteurs du spectacle vivant, il a donc également permis de mettre en lumière les problèmes actuels liés à la gestion des billetteries. Alors que les organisateurs de spectacles ont grandement besoin d’eux, ils ont montré certaines limites face à ce défi colossal. Les choses étant maintenant remises à plat, peut-être va-t-on voir les lignes bouger dans un futur proche. Le casse-tête est loin d’être résolu.

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