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Goldie by Chelone Wolf
17 juillet 2017

Qu’es-tu devenu Goldie ?

par Gérôme Darmendrail

Figure de la scène drum’n’bass des années 1990, l’Anglais Goldie a plus fréquenté les émissions de téléréalité que les pages musicales des magazines lors de la décennie suivante. Après presque dix ans de silence, il revient avec un quatrième album réussi, The Journey Man, reflet de sa nouvelle vie en Asie, zen, spirituelle et ancrée dans le temps présent.

Si vous êtes plutôt Spotify : 

9, c’est le nombre de vies que Goldie estimait avoir vécu en 2002, année de la publication de son autobiographie, Nine Lives. Une enfance mouvementée, de foyers en familles d’accueil, une adolescence sur le fil du rasoir sauvée par la découverte du graffiti, puis la musique, l’explosion d’un mouvement drum’n’bass dont il fut la principale figure, deux albums mythiques (Timeless et Saturnz Return), la création d’un label (Metalheadz), les romances avec Björk et Naomi Campbell, les nuits cocaïnées et quelques rôles au cinéma (Snatch et un James Bond, notamment); les vingt-sept premières années de la vie de celui que l’état civil britannique connaît sous le nom de Clifford Price furent effectivement bien remplies. Si les suivantes ne manquèrent pas de sel et de dramaturgie – deux mariages et un divorce, des participations à des émissions de téléréalité pas toujours glorieuses, l’un de ses fils condamné à la prison à perpétuité pour meurtre, le titre de Membre de l’Ordre de l’Empire britannique remis par le Prince de Galles l’an dernier – elles ont été en revanche plus calmes musicalement. L’intérêt pour son label a doucement décliné à mesure que celui pour la drum’n’bass s’étiolait, et durant cette période, il n’accoucha que d’un album solo, Sine Tempus, en 2008, un disque pas mauvais mais loin d’être inoubliable, qui aurait dû servir de bande originale à un film qui ne vit jamais le jour. Aussi, l’arrivée d’un nouvel album ne pouvait manquer de susciter une certaine curiosité, d’autant plus que celui-ci est réussi, dans un style balançant entre soul et drum’n’bass.

Cela faisait presque dix ans que tu n’avais pas sorti de disque. Cela t’a semblé long ?

Oui, très long. Mais tu sais, je suis un peu hors de tout ce cirque maintenant, je vis en Thaïlande, ma vie a changé. Je n’ai eu aucune pression pour faire ce disque. Personne ne m’a demandé de le faire, c’est moi qui en ai eu envie. J’ai pensé que c’était le bon moment, ça faisait longtemps, j’avais plein de concepts en tête… Je ne fais pas beaucoup de disques, donc quand j’en fais un, j’aime qu’il soit bien fait.

De ces concepts que tu avais en tête, quel est celui que tu as retenu ?

Le concept d’un très bon album, tout simplement. Si tu écoutes ce disque, tu te rends compte que c’est un concept album. Il ne s’agit pas d’empiler les morceaux les uns après les autres, il y a une dynamique. Ça me semble assez évident, non? Si ça ne te paraît pas évident, c’est que tu t’es trompé de business.

Tu as mis du temps à le concevoir ?

Cinq ans dans ma tête, puis deux ans à réunir les idées, à les écrire, à les chanter et à les enregistrer sur un dictaphone. L’exécution en studio, elle, a duré trois mois.

Tu as l’habitude de travailler comme ça ?

Plus ou moins, oui. Ce qui ne change pas, c’est que tout doit être prêt dans ma tête avant que je ne rentre en studio.

À part réfléchir à ce nouvel album, à quoi as-tu occupé ton temps depuis la sortie de Sine Tempus ?

À profiter de la vie. Ça fait cinq ans que je suis installé en Asie, mais ça fait dix ans que j’y vais. J’ai vécu à l’asiatique, je suis allé à la pêche, j’ai regardé ma fille grandir… C’est une autre façon de vivre, sans pression, plus spirituelle. Bien sûr, j’ai continué à gérer le label à distance. Avec Internet, c’est facile.

Personne ne t’a poussé à faire cet album, mais ressens-tu quand même une forme d’attente de la part du public ?

(Il éclate de rire) Tu veux que je te le dise franchement ? Je n’en ai rien à carrer. La musique, c’est quelque chose d’égoïste pour moi. Je n’en fais pas pour impressionner les autres. Je me fiche des ventes, des critiques… Tu sais, je vends des peintures maintenant, et elles me rapportent beaucoup d’argent. C’est ce qui rend ma famille heureuse et ma vie facile à gérer. Les ventes de disques, de toute façon, c’est fini depuis l’arrivée d’Internet. Aujourd’hui, je peux sortir l’album que je veux, quand je veux, et peindre. Et si cet album fait plaisir aux autres, tant mieux.

Ça a toujours été le cas ?

Je vis dans le présent. Ce qui s’est passé avant est passé… C’est fini. Je regarde devant moi. Je vis en Asie, je profite de ma famille, je peins, je suis libre.

Timeless, le premier album de Goldie, sorti en 1995 – un classique. 

Pourquoi t’être installé en Asie ?

Parce que j’aime l’Asie.

J’imagine bien, mais… 

(il coupe) Tu veux savoir pourquoi je suis parti là-bas ? Parce que je peux. Tout simplement. Toi, par exemple, tu vis en France, n’est-ce pas ?

Oui.

Si tu en avais envie, pourrais-tu partir en Argentine demain matin?

Non.

Voilà. Moi, je peux.

Cet album est ton disque le plus posé, le plus soul. Peut-on y voir un lien avec ta nouvelle vie en Asie ?

J’imagine que oui. Si tu quittes la France pour aller écrire des articles sur une plage, je pense que cela se ressentira dans ton écriture. Je suis en train de vivre les moments les plus soulful de ma vie, donc oui, je pense qu’on peut dire ça, c’est un album soulful.

Quand on pense à Goldie, on pense immanquablement à la drum’n’bass. Trouves-tu cela parfois réducteur ?

C’est une question bizarre. Pourquoi ne voudrais-je pas être associé à la drum’n’bass ? Ce n’est pas parce que je me suis tourné vers d’autres choses, d’autres esthétiques, que j’ai oublié d’où je viens. J’ai toujours eu de l’amour pour cette musique. Et puis j’ai toujours mon label, qui est très actif. Cet album est propulsé par la drum’n’bass, la drum’n’bass en est le moteur. Dans une voiture, tu as le moteur, qui la fait avancer, et la carrosserie, qui lui donne du style. Donc que ça te plaise ou non, souviens-toi d’une chose: le moteur de cet album, c’est la drum’n’bass.

OK, je m’en souviendrai. Comment juges-tu l’évolution de cette scène depuis les années 90 ? J’ai parfois le sentiment que la drum’n’bass fut le dernier mouvement musical à vouloir se projeter vers le futur…

(Il coupe) Je suis tout à fait d’accord là-dessus. C’est d’ailleurs une musique qui a influencé tout le reste. Mais je ne suis pas sûr que les gens s’en rendent bien compte. Il y a une grande incompréhension à ce niveau-là.

T’arrive-t-il de réécouter tes anciens albums ? 

Oui, quand je peins. Je trouve que “Mother” (le titre d’une heure qui ouvrait Saturnz Return, ndr) est un magnifique opéra tragique. C’est la plus belle chose que j’ai composée. C’est un véritable opéra. Quand ma mère est morte, il y a trois ans, je le lui ai joué. Je n’ai jamais vraiment eu de relation avec ma mère, et ce morceau était magique pour elle. Elle m’avait demandé de le jouer le jour où elle mourrait. Ce que j’ai fait. Ça résume tout le sens de ma musique. Je ne fais pas de la musique pour l’argent. Mes peintures me rapportent beaucoup d’argent.

Est-ce à dire que tu peins pour l’argent ?

(Agacé) Je peins parce que ça me permet de m’exprimer, puis les gens achètent mes peintures. Je n’ai qu’à mettre mon nom et les gens achètent. Imaginons que tu écrives un livre. Si quelqu’un vient te voir et te propose 100000 euros pour ce livre, tu lui vends ?

Bien sûr.

Voilà, tu as la réponse à ta question.

Regrettes-tu que les gens n’aient plus d’argent à mettre dans la musique ?

Je ne sais pas… Ce que je sais, c’est que les gens ne veulent plus acheter de disques, mais qu’ils sont prêts à mettre des sommes folles pour des peintures. En fait, je trouve que tu es trop tourné vers le passé. Moi je vis dans le présent. Pourquoi ne me poses-tu pas de questions sur la façon dont j’ai composé chaque morceau de ce nouvel album, sur le processus d’enregistrement ? Je trouve ça triste.

Je trouve ça intéressant de le mettre en perspective, de parler son auteur… Mais si tu veux qu’on en parle un peu plus, allons-y.

(Boudeur) Non, non, c’est bon, pose les questions que tu veux… Je pensais juste que cette interview allait concerner mon album.

Tu l’as enregistré en Thaïlande ?

Oui, tout a été fait là-bas, sauf les vocaux, qui ont été enregistrés à Londres. J’ai construit un studio dans ma maison en Thaïlande. Tous les matins, je partais nager, je faisais du yoga, puis je me mettais à la musique de 10h à 19h, sans discontinuer.

Tu as besoin d’une forme de routine lorsque tu enregistres  ?

Oui, j’ai besoin d’une structure.

Travailles-tu sur un nouveau projet actuellement ?

En fait, je viens de finir un autre album. Ça va être assez différent, c’est un projet ambient que je voulais faire depuis longtemps. Sinon, je viens de boucler l’écriture d’un nouveau livre. Ça sort en octobre, ça s’appellera All Things Remembered, un livre de souvenirs. À part ça, je n’ai pas d’autres perspectives. J’ai 51 ans et j’ai juste envie de rester assis sur une plage durant les vingt prochaines années.

OK, je n’ai pas d’autre question. Merci de m’avoir accordé du temps et désolé pour mes questions “bizarres”.

Non, pas de problème, je comprends, tu es français.

Goldie – The Journey Man [Metalheadz/Cooking Vinyl/PIAS], sorti le 16 juin. 

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