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20 décembre 2013

Red Bull Music Academy : Back to school

par rédaction Tsugi

Oubliées les galères du prof de musique pour boucler son budget flûtes, à la Red Bull Music Academy de New York, les enseignants s’appellent Flying Lotus ou Four Tet et les cours se font devant une console de mixage. Le rêve ? On s’est glissé dans la poche de veston de l’un des étudiants de la promo 2013 pour vérifier.

Il s’appelle Adrien Pallot, il a 27 ans. Il travaille pour le label parisien Third Side Records en tant que producteur et ingé-son. Il est le bassiste de Mungo Park, groupe d’électro-pop planante et éthérée. Il a participé au mixage des dernières productions de Bot’Ox, sans parler de son implication dans le mastering de Random Access Memories de Daft Punk. Un touche-à-tout talentueux, pour résumer, qui ne porte pas les attributs de l’artiste “starisable” sur son CV. Ce qui ne l’a pas empêché de boucler un dossier de candidature en béton pour la Red Bull Academy, qui l’a sélectionné, lui, ainsi qu’une soixantaine de veinards pour cette édition 2013. Cette “université” musicale (appelons ça comme ça) d’un mois, créée de toutes pièces par la marque au taureau excité et censée pousser à la créativité tous azimuts, vient de fêter ses 15 années d’existence à New York. Pourtant, ce qu’il s’y passe reste assez insaisissable. Qu’est-ce que cela apporte véritablement à ceux qui y participent ? Nous avons suivi Adrien de l’autre côté de l’Atlantique pour y voir plus clair, et lui donner l’occasion de s’exprimer sur son expérience en tant que membre de la “promo 2013”. Voici son récit.

 

L’arrivée

En sortant du terminal de l’aéroport JFK, une fille avec une pancarte Red Bull m’attend et m’emmène à une grosse fourgonnette noire avec sièges en cuir. Je fais le trajet seul, le chauffeur me dépose devant un hôtel super classe. On me dit : “Rendez-vous demain, à midi, devant l’Academy.” Tout cela est un peu déstabilisant. C’est dans ce genre de moments qu’on est en droit de se poser quelques questions… Ok, ça va m’apprendre plein de choses, ça va m’enrichir sur le plan personnel, mais n’est-ce pas un peu bizarre ce principe d’université musicale orchestrée par une marque ? Quel est leur but à eux ? Les jours suivants m’apprendront rapidement que ces questions sont somme toute très françaises.

 

Le premier contact

Le premier jour, chacun d’entre nous passe deux minutes sur le fameux canapé de l’auditorium pour faire écouter deux minutes de son travail, puis il y a un petit échange après chaque passage, à base d’encouragements, de critiques, de suggestions… Et il n’y aucun déchet, tout est très bien ! Après ça, les choses se font à tâtons et se structurent. Partir de zéro avec des gens que tu ne connais pas, c’est toujours laborieux, il faut trouver des rythmes, des façons d’échanger…

 

Le campus

Dès que tu commences à investir l’Academy, on te dit qu’il y aura des photographes et des cameramen, mais que si tu ne veux pas être pris en photo ou filmé, il n’y a pas de problème, il suffit de le dire. Pareil pour les potentielles interviews, aucune obligation. Le seul truc qu’on est “prié” de faire, c’est de participer aux lectures, on ne nous demande même pas de présence régulière aux studios ou aux soirées ! C’est bizarre de constater qu’il peut exister des gens qui dépensent un fric fou pour toi, et qui te disent avec décontraction “fais ce que tu veux”. Ce sont des conditions de travail rêvées, il n’y a aucune contrainte, ils sont extrêmement bienveillants, et c’est une bonne stratégie de leur part : tu n’as qu’une envie, c’est de bosser. Et le fait de collaborer avec une marque de cette façon-là, c’est mille fois moins contraignant, et bien plus stimulant, que de travailler sur la production ou le mixage d’un disque pour une major, par exemple.

 

Les copains

Je pense que tout le monde n’est pas là pour les mêmes raisons. Koreless, par exemple, il n’a plus vraiment besoin de se faire un nom. Mais il a un live à bosser, et il va profiter de ces deux semaines pour se concentrer efficacement, tout en profitant de l’apport humain et matériel que l’Academy a à lui offrir. Certains, par contre, sont très bons mais aussi très jeunes, et ils vont apprendre d’un coup énormément de choses d’un point de vue technique… C’est là qu’on commence à interagir. Jameszoo, un des participants américains, n’a que 21 ans, il est très doué mais encore un peu vert, c’est l’occasion pour lui de causer avec d’autres gens pour affiner son style. On va essayer de se poser avec d’autres gars pour se mettre à plusieurs sur ses ébauches, pour qu’il ait l’occasion de gagner de l’expérience dans les arrangements, les finitions, la production… En ce qui me concerne, c’est l’échange qui m’intéresse, pouvoir comparer mes méthodes avec d’autres, et me faire la main sur des projets que je n’aurais jamais imaginé bosser dans mon contexte professionnel.

 

Les profs

La plupart des gens que tu vas croiser ici sont d’anciens participants. Tous ne reviennent pas, c’est une question de feeling entre eux et les boss de l’Academy, mais c’est quand même surréaliste de voir Flying Lotus traîner dans les couloirs pour te filer des coups de main. Hier (jeudi 2 mai, ndlr), il a passé une partie de l’après-midi avec nous, pour nous faire un tutorial sur Ableton Live. Ça a l’air débile, dit comme ça ! Sauf que pour lui, c’est cool, lorsqu’il est passé par la case Red Bull Music Academy en tant que participant, il a dû tomber sur des types du genre, qu’il respectait beaucoup et qui lui ont appris des astuces qu’il réutilise peut-être maintenant. Plus généralement, les mecs du studio crew, comme Four Tet ou Thundercat, ils sont là pour déambuler, te conseiller, tu peux leur piquer des techniques… Tu vois ce mec, derrière ? C’est Keith Parry, il bosse en studio avec Kanye West ! Échanger avec des gars comme lui, c’est une aubaine, et c’est exactement ce que j’espérais.

 

Les soirées

Je dois faire un concert de Mungo Park lundi, il y a des événements organisés tous les soirs, et la plupart impliquent les participants. Ça me fait bizarre de passer du statut de bassiste à celui d’homme-orchestre qui va lancer des boucles avec un contrôleur MIDI devant des gens, surtout que je suis un membre “récent” de Mungo Park… J’angoisse un peu mais je suis là pour ça, aussi ! Je me rappellerai toujours de la soirée au Webster Hall avec Four Tet et Koreless, qui a fait les vingt premières minutes de son live sans aucun rythme (et ça marche). Ils ont même créé un événement autour de l’improvisation, avec uniquement deux musiciens sur scène, qui se relaient en décalé. L’un d’entre eux arrête de jouer pour être remplacé, puis le second également, alors que celui qui vient d’arriver en est déjà à la moitié de son temps de présence sur scène, etc. Jameszoo faisait partie du line-up, et on lui a appris, avant de monter sur scène, qu’il allait se retrouver en face de ?uestlove des Roots à la batterie ! Je crois qu’il a pas mal flippé, mais il s’en rappellera sûrement toute sa vie.

 

Les cours

Les lectures offrent davantage de confirmations, ou de précisions importantes, que de révolutions en termes de façon de penser. Je n’ai pas ressenti le côté “communiquant” que peuvent avoir les artistes quand ils causent aux journalistes, ils ont des mecs “du métier” en face d’eux, alors il n’y a pas de langue de bois. Par exemple, ce matin, Brian Eno parlait ouvertement de deadlines et de trucs pas si glamour que ça, entre deux grandes théories sur l’art et la technologie. Ils parlent de trucs qui ne les mettent pas à leur avantage, ou évoquent leurs erreurs… Autre exemple, pour les lectures de Masters At Work ou Rakim, ils n’ont pas hésité à avouer qu’ils ont samplé la terre entière sans demander, ou qu’ils se sont fait avoir par leur manager à tel ou tel moment… Bref, ils ne sont pas là pour te bidonner.

 

L’exam’

J’ai des potes qui me demandent s’il y a un examen, une sanction, c’est le nom qui fait imaginer ça, qui fait “scolaire”. Je ne sais pas quelles ont été les expériences des responsables de la Red Bull Music Academy pour les précédentes éditions, mais ils ont compris que ce n’est pas en enfermant deux ou trois gars dans une pièce en leur demandant de produire du son que ça va marcher. Une nana de RFI est passée pour nous voir travailler et capter du son, sauf que ça ne marche pas exactement comme ça, l’image des musiciens qui produisent instantanément en studio est fausse, c’est forcément chaotique et confus. Les gens qui viennent de l’extérieur idéalisent cette idée de petite usine à sons. Ici, c’est une ruche, mais le travail n’est pas si palpable que ça. Ça ne veut pas dire qu’il n’est pas important ! Le premier jour, avec Koreless, on a produit deux boucles, en tout, ça doit faire vingt secondes de son. Lundi, avec un Italien qui s’appelle Fabrizio, on a dû enregistrer quinze secondes… Y a des mecs qui vont finir des morceaux, c’est sûr. Pour un producteur, comme moi, la démarche est un poil différente. L’essentiel, c’est de ne rien forcer, cela n’amène jamais rien de bon. Le dernier jour, on écoute des trucs que chacun a réalisés pendant son séjour à l’Academy, personne ne nous demande de comptes. C’est presque une colonie de vacances.

 

Le diplôme

C’est une carte de visite de dingue, ça fait quinze ans que l’Academy existe, et même si l’écho n’est pas encore très important en France, les pays anglo-saxons y prêtent davantage attention. Aller voir des labels ricains en leur disant “coucou, j’ai été sélectionné pour la Red Bull Music Academy”, ça donne forcément un coup de pouce… Sans ça, même si tu as bossé sur des projets conséquents dans ton pays, tu n’es qu’un petit Français.

Par Mathias Riquier

Retrouvez notre carnet de bord de la Red Bull Music Academy 2013

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