Red Bull Music Academy : Back to school

Oubliées les galères du prof de musique pour boucler son bud­get flûtes, à la Red Bull Music Acad­e­my de New York, les enseignants s’appellent Fly­ing Lotus ou Four Tet et les cours se font devant une con­sole de mix­age. Le rêve ? On s’est glis­sé dans la poche de veston de l’un des étu­di­ants de la pro­mo 2013 pour vérifier.

Il s’appelle Adrien Pal­lot, il a 27 ans. Il tra­vaille pour le label parisien Third Side Records en tant que pro­duc­teur et ingé-son. Il est le bassiste de Mun­go Park, groupe d’électro-pop planante et éthérée. Il a par­ticipé au mix­age des dernières pro­duc­tions de Bot’Ox, sans par­ler de son impli­ca­tion dans le mas­ter­ing de Ran­dom Access Mem­o­ries de Daft Punk. Un touche-à-tout tal­entueux, pour résumer, qui ne porte pas les attrib­uts de l’artiste “staris­able” sur son CV. Ce qui ne l’a pas empêché de boucler un dossier de can­di­da­ture en béton pour la Red Bull Acad­e­my, qui l’a sélec­tion­né, lui, ain­si qu’une soix­an­taine de veinards pour cette édi­tion 2013. Cette “uni­ver­sité” musi­cale (appelons ça comme ça) d’un mois, créée de toutes pièces par la mar­que au tau­reau excité et cen­sée pouss­er à la créa­tiv­ité tous azimuts, vient de fêter ses 15 années d’existence à New York. Pour­tant, ce qu’il s’y passe reste assez insai­siss­able. Qu’est-ce que cela apporte véri­ta­ble­ment à ceux qui y par­ticipent ? Nous avons suivi Adrien de l’autre côté de l’Atlantique pour y voir plus clair, et lui don­ner l’occasion de s’exprimer sur son expéri­ence en tant que mem­bre de la “pro­mo 2013”. Voici son récit.

 

L’arrivée

En sor­tant du ter­mi­nal de l’aéroport JFK, une fille avec une pan­car­te Red Bull m’attend et m’emmène à une grosse four­gonnette noire avec sièges en cuir. Je fais le tra­jet seul, le chauf­feur me dépose devant un hôtel super classe. On me dit : “Rendez-vous demain, à midi, devant l’Academy.” Tout cela est un peu désta­bil­isant. C’est dans ce genre de moments qu’on est en droit de se pos­er quelques ques­tions… Ok, ça va m’apprendre plein de choses, ça va m’enrichir sur le plan per­son­nel, mais n’est-ce pas un peu bizarre ce principe d’université musi­cale orchestrée par une mar­que ? Quel est leur but à eux ? Les jours suiv­ants m’apprendront rapi­de­ment que ces ques­tions sont somme toute très françaises.

 

Le premier contact

Le pre­mier jour, cha­cun d’entre nous passe deux min­utes sur le fameux canapé de l’auditorium pour faire écouter deux min­utes de son tra­vail, puis il y a un petit échange après chaque pas­sage, à base d’encouragements, de cri­tiques, de sug­ges­tions… Et il n’y aucun déchet, tout est très bien ! Après ça, les choses se font à tâtons et se struc­turent. Par­tir de zéro avec des gens que tu ne con­nais pas, c’est tou­jours laborieux, il faut trou­ver des rythmes, des façons d’échanger…

 

Le campus

Dès que tu com­mences à inve­stir l’Academy, on te dit qu’il y aura des pho­tographes et des cam­era­men, mais que si tu ne veux pas être pris en pho­to ou filmé, il n’y a pas de prob­lème, il suf­fit de le dire. Pareil pour les poten­tielles inter­views, aucune oblig­a­tion. Le seul truc qu’on est “prié” de faire, c’est de par­ticiper aux lec­tures, on ne nous demande même pas de présence régulière aux stu­dios ou aux soirées ! C’est bizarre de con­stater qu’il peut exis­ter des gens qui dépensent un fric fou pour toi, et qui te dis­ent avec décon­trac­tion “fais ce que tu veux”. Ce sont des con­di­tions de tra­vail rêvées, il n’y a aucune con­trainte, ils sont extrême­ment bien­veil­lants, et c’est une bonne stratégie de leur part : tu n’as qu’une envie, c’est de boss­er. Et le fait de col­la­bor­er avec une mar­que de cette façon-là, c’est mille fois moins con­traig­nant, et bien plus stim­u­lant, que de tra­vailler sur la pro­duc­tion ou le mix­age d’un disque pour une major, par exemple.

 

Les copains

Je pense que tout le monde n’est pas là pour les mêmes raisons. Kore­less, par exem­ple, il n’a plus vrai­ment besoin de se faire un nom. Mais il a un live à boss­er, et il va prof­iter de ces deux semaines pour se con­cen­tr­er effi­cace­ment, tout en prof­i­tant de l’apport humain et matériel que l’Academy a à lui offrir. Cer­tains, par con­tre, sont très bons mais aus­si très jeunes, et ils vont appren­dre d’un coup énor­mé­ment de choses d’un point de vue tech­nique… C’est là qu’on com­mence à inter­a­gir. James­zoo, un des par­tic­i­pants améri­cains, n’a que 21 ans, il est très doué mais encore un peu vert, c’est l’occasion pour lui de causer avec d’autres gens pour affin­er son style. On va essay­er de se pos­er avec d’autres gars pour se met­tre à plusieurs sur ses ébauch­es, pour qu’il ait l’occasion de gag­n­er de l’expérience dans les arrange­ments, les fini­tions, la pro­duc­tion… En ce qui me con­cerne, c’est l’échange qui m’intéresse, pou­voir com­par­er mes méth­odes avec d’autres, et me faire la main sur des pro­jets que je n’aurais jamais imag­iné boss­er dans mon con­texte professionnel.

 

Les profs

La plu­part des gens que tu vas crois­er ici sont d’anciens par­tic­i­pants. Tous ne revi­en­nent pas, c’est une ques­tion de feel­ing entre eux et les boss de l’Academy, mais c’est quand même sur­réal­iste de voir Fly­ing Lotus traîn­er dans les couloirs pour te fil­er des coups de main. Hier (jeu­di 2 mai, ndlr), il a passé une par­tie de l’après-midi avec nous, pour nous faire un tuto­r­i­al sur Able­ton Live. Ça a l’air débile, dit comme ça ! Sauf que pour lui, c’est cool, lorsqu’il est passé par la case Red Bull Music Acad­e­my en tant que par­tic­i­pant, il a dû tomber sur des types du genre, qu’il respec­tait beau­coup et qui lui ont appris des astuces qu’il réu­tilise peut-être main­tenant. Plus générale­ment, les mecs du stu­dio crew, comme Four Tet ou Thun­der­cat, ils sont là pour déam­buler, te con­seiller, tu peux leur piquer des tech­niques… Tu vois ce mec, der­rière ? C’est Kei­th Par­ry, il bosse en stu­dio avec Kanye West ! Échang­er avec des gars comme lui, c’est une aubaine, et c’est exacte­ment ce que j’espérais.

 

Les soirées

Je dois faire un con­cert de Mun­go Park lun­di, il y a des événe­ments organ­isés tous les soirs, et la plu­part impliquent les par­tic­i­pants. Ça me fait bizarre de pass­er du statut de bassiste à celui d’homme-orchestre qui va lancer des boucles avec un con­trôleur MIDI devant des gens, surtout que je suis un mem­bre “récent” de Mun­go Park… J’angoisse un peu mais je suis là pour ça, aus­si ! Je me rap­pellerai tou­jours de la soirée au Web­ster Hall avec Four Tet et Kore­less, qui a fait les vingt pre­mières min­utes de son live sans aucun rythme (et ça marche). Ils ont même créé un événe­ment autour de l’improvisation, avec unique­ment deux musi­ciens sur scène, qui se relaient en décalé. L’un d’entre eux arrête de jouer pour être rem­placé, puis le sec­ond égale­ment, alors que celui qui vient d’arriver en est déjà à la moitié de son temps de présence sur scène, etc. James­zoo fai­sait par­tie du line-up, et on lui a appris, avant de mon­ter sur scène, qu’il allait se retrou­ver en face de ?uest­love des Roots à la bat­terie ! Je crois qu’il a pas mal flip­pé, mais il s’en rap­pellera sûre­ment toute sa vie.

 

Les cours

Les lec­tures offrent davan­tage de con­fir­ma­tions, ou de pré­ci­sions impor­tantes, que de révo­lu­tions en ter­mes de façon de penser. Je n’ai pas ressen­ti le côté “com­mu­ni­quant” que peu­vent avoir les artistes quand ils causent aux jour­nal­istes, ils ont des mecs “du méti­er” en face d’eux, alors il n’y a pas de langue de bois. Par exem­ple, ce matin, Bri­an Eno par­lait ouverte­ment de dead­lines et de trucs pas si glam­our que ça, entre deux grandes théories sur l’art et la tech­nolo­gie. Ils par­lent de trucs qui ne les met­tent pas à leur avan­tage, ou évo­quent leurs erreurs… Autre exem­ple, pour les lec­tures de Mas­ters At Work ou Rakim, ils n’ont pas hésité à avouer qu’ils ont sam­plé la terre entière sans deman­der, ou qu’ils se sont fait avoir par leur man­ag­er à tel ou tel moment… Bref, ils ne sont pas là pour te bidonner.

 

L’exam’

J’ai des potes qui me deman­dent s’il y a un exa­m­en, une sanc­tion, c’est le nom qui fait imag­in­er ça, qui fait “sco­laire”. Je ne sais pas quelles ont été les expéri­ences des respon­s­ables de la Red Bull Music Acad­e­my pour les précé­dentes édi­tions, mais ils ont com­pris que ce n’est pas en enfer­mant deux ou trois gars dans une pièce en leur deman­dant de pro­duire du son que ça va marcher. Une nana de RFI est passée pour nous voir tra­vailler et capter du son, sauf que ça ne marche pas exacte­ment comme ça, l’image des musi­ciens qui pro­duisent instan­ta­né­ment en stu­dio est fausse, c’est for­cé­ment chao­tique et con­fus. Les gens qui vien­nent de l’extérieur idéalisent cette idée de petite usine à sons. Ici, c’est une ruche, mais le tra­vail n’est pas si pal­pa­ble que ça. Ça ne veut pas dire qu’il n’est pas impor­tant ! Le pre­mier jour, avec Kore­less, on a pro­duit deux boucles, en tout, ça doit faire vingt sec­on­des de son. Lun­di, avec un Ital­ien qui s’appelle Fab­rizio, on a dû enreg­istr­er quinze sec­on­des… Y a des mecs qui vont finir des morceaux, c’est sûr. Pour un pro­duc­teur, comme moi, la démarche est un poil dif­férente. L’essentiel, c’est de ne rien forcer, cela n’amène jamais rien de bon. Le dernier jour, on écoute des trucs que cha­cun a réal­isés pen­dant son séjour à l’Academy, per­son­ne ne nous demande de comptes. C’est presque une colonie de vacances.

 

Le diplôme

C’est une carte de vis­ite de dingue, ça fait quinze ans que l’Academy existe, et même si l’écho n’est pas encore très impor­tant en France, les pays anglo-saxons y prê­tent davan­tage atten­tion. Aller voir des labels ricains en leur dis­ant “coucou, j’ai été sélec­tion­né pour la Red Bull Music Acad­e­my”, ça donne for­cé­ment un coup de pouce… Sans ça, même si tu as bossé sur des pro­jets con­séquents dans ton pays, tu n’es qu’un petit Français.

Par Math­ias Riquier

Retrou­vez notre car­net de bord de la Red Bull Music Acad­e­my 2013

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