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20 décembre 2013

Le vinyle, les (nouveaux) disquaires lui disent merci

par rédaction Tsugi

Dématérialisation de la musique, fermeture de boutiques… Après des années d’apitoiement, l’heure est à un prudent optimisme. Les disquaires respirent et le vinyle est redevenu attractif. Le disque, un secteur d’avenir ?

Depuis deux ans, des boutiques de disques ouvrent régulièrement à Paris. Et New York accueille maintenant un magasin géant Rough Trade (1000 m2), le disquaire londonien s’étant refait une santé et des ambitions. Si l’opération est un succès, un retour permanent à Paris sera étudié. Côté supports, aux États-Unis, l’institut Nielsen annonce que le vinyle est celui ayant le plus progressé en 2012 (+ 17,7% contre + 15,3% pour le digital). “Le vinyle revient en force”, cette marotte de l’industrie musicale murmurée depuis des années aurait-elle enfin une réalité? Nous avons enquêté à Paris.

Disquaire de proximité

Alors que la Fnac redonne aux vinyles une digne exposition en rayons, ouvrir un magasin de disques redevient possible pour des passionnés qui, dix ans plus tôt, n’auraient jamais envisagé une telle folie. “Il y a d’autres facteurs que le goût pour le vinyle, remarque David Godevais du Club action des labels indépendants français (Calif), notamment un retour du public vers les commerces de proximité aux dépens de la grande distribution.” Tout comme le Parisien se remet à acheter son onglet de boeuf chez le boucher, l’amateur de musique préfère lui aussi favoriser son petit épicier musical de quartier. Le Calif, qui recense aujourd’hui une quarantaine de disquaires dans Paris (hors vendeurs d’occasion) a œuvré pour ce retour des échoppes. La filière du disque française (labels et distributeurs) a lancé cette initiative en 2002 avec l’aide du ministère de la Culture pour tenter de réagir à la disparition croissante des rayons. Un problème qu’a bien connu Franck Pompidor, batteur du groupe de rock Hushpuppies et fondateur du disquaire incontournable de l’indie rock Ground Zero. “J’ai travaillé pour des labels, Tricatel, puis Source et enfin Poplane, un petit distributeur de rock indé (disparu aujourd’hui, de même que Source, ndlr). C’était il y a dix ans, il était de plus en plus compliqué de mettre nos disques en Fnac, dont les rayons musique fondaient déjà.” Il lance Ground Zero fin 2004, au pire moment.

En 2013, après un déménagement de la rue de Crussol (XIe arrondissement) à la charmante place Sainte-Marthe dans le Xe, Ground Zero est toujours là. Il fut le tout premier disquaire affilié au Calif, avec qui il partage aujourd’hui ses locaux. Une affiliation traduite par un soutien en trois points: une aide au loyer dégressive sur trois ans pour les nouvelles structures, des négociations commerciales avec les distributeurs indépendants et les majors – le nerf de la guerre -, et une aide à la promotion. La crise du disque avait contribué à creuser violemment les inégalités entre petites échoppes et grandes chaînes de distribution face aux fournisseurs. Avant elle, déjà, les Fnac et autres Virgin obtenaient, en commandant en gros, des tarifs particulièrement faibles auprès des distributeurs. La crise n’a fait qu’empirer les choses, se souvient Jérôme Mestre, qui travaille aujourd’hui chez le distributeur Modulor mais fut l’un des piliers du magasin français de Rough Trade, ouvert de 1992 à 1999. “Alors que nous étions déjà en difficulté à cause des taux de change entre le franc et la livre, la Fnac a mis en place une politique ultra-agressive sur le prix du CD, pour le rock indépendant comme pour la scène électronique. Nous n’avions pas de marge pour nous aligner. Aujourd’hui l’effondrement des enseignes comme Virgin ou Fnac est pour beaucoup dans le renouveau des disquaires.” En plus de l’aide du Calif, la Région Île-de-France y va de son coup de pouce pour les petits commerces culturels et prend en charge 50% des stocks initiaux d’une boutique, à hauteur maximale de 20000 #. Résultat, selon le Calif, en ce moment, un disquaire apparaît tous les trois mois en région parisienne.

 

Le CD à l’abandon

Franck Pompidor de Ground Zero a même créé une deuxième structure ouverte en janvier, Nationale 7, au concept unique: un magasin partagé entre disques et mobilier des années 50 et 60. Une boutique conçue en collaboration avec Maximin Jacquier, vendeur de meubles vintage aux puces de Saint-Ouen et client régulier de Ground Zero. La partie disquairemise entièrement sur le disque noir: “Les clients de Ground Zero achetaient des vinylesmais demandaient où acheter des platines, des pièces de rechange… Ici, j’ai enfin la place de tout vendre, des vinyles, des meubles pour les ranger, des sacs pour les porter, des platines pour les lire, etc.” Une mode du tout-vinyle que l’on retrouve chez les autres nouvelles maisons nées ces derniers mois. C’est le cas de L’International Records, un magasin sobre et agréable lancé en septembre 2012 dans le XIe arrondissement par Dave Kouliche et Julien Deverre du blog Des Oreilles dans Babylone avec le soutien financier de l’International, le bar à concerts d’en face. “L’abandon du CD est totale et évidente, assène Julien. Nos ventes sont à 95% vinyles.” Pour Toma Changeur des Balades Sonores, “l’idéal du consommateur de disques aujourd’hui, c’est de consommer le numérique de manière mobile et quantitative et d’avoir chez lui une collection plus restreinte de vinyles, ce qu’il veut garder. Le CD est apparu comme le format dispensable.”

Toma a fondé Les Balades Sonores il y a huit ans avec pour idée de développer des espaces musique dans des lieux atypiques, des librairies ou même le réseau de coiffeurs Toni&Guy. Et puis… “On s’est vite recentré sur les labels indépendants, on amonté un petit label et on a organisé des concerts.” Résultat, les Balades Sonores se sont fait connaître de festivals en concerts avec leur stand de vinyles soigneusement sélectionnés. Début 2012, Toma, poursuivant cette logique de filière, ouvrait un magasin de disques, la Fabrique des Balades Sonores (IXe arr.). Reste que perdurer est toujours plus compliqué que de se lancer, et pour survivre en 2013 il faut être un disquaire malin. “Ground Zero a mis des années pour rentrer dans ses frais, explique Franck Pompidor, moi je gagnais ma vie comme musicien. Aujourd’hui, il faut trouver un truc, il faut une formule.” Cette formule, il l’a trouvée dans son concept store inédit. Les Balades Sonores ont développé de leur côté une activité de street marketing (distribution de flyers, affiches, etc.) pour des festivals et salles de concerts, qui finance pour l’instant les pertes de la boutique. “Si nous n’étions que disquaires, nous ne bouclerions pas les fins de mois, assure Toma, on travaille sur des synergies : on vend des disques, organise des concerts de ces mêmes artistes, on en développe certains via notre petit label, et on les promeut avec notre activité de street marketing.” La boutique elle-même se veut inédite:“La Fabrique est un lieu de vie, comme un salon chaleureux.” Ce qui se traduit par une sélection de vinyles et CD’s étonnamment restreinte mais précise, des meubles de récupération et une identité visuelle conçue par la créatrice Chicamancha, qui propose aussi dans cette toute petite boutique sa ligne de vêtements. Pour l’International Records, le plus traditionnel des trois, le salut passe d’une part par le jumelage avec le bar d’en face, qui envoie ses clients (le magasin ferme à 22 h en fin de semaine) et aide à l’organisation de showcases. Julien Deverre a aussi sa boîte de promotion indépendante pour artistes émergents, Babylone Promotion. Pour l’instant l’International Records continue lui aussi à “perdre de l’argent,mais la fréquentation et les chiffrentmontent régulièrement. On a sécurisé un premier salaire, il faut maintenant passer à deux salaires”. Pour toutes ces nouvelles structures comme pour les anciennes, le Disquaire Day (qui s’est déroulé le 20 avril dernier) est une grosse opportunité. Une déclinaison du Record Store Day anglo-saxon lancée en 2011 en France par le Calif. Lors de cette journée pour les amoureux du disque, albums et maxis inédits sont pressés uniquement pour l’occasion, une manière d’attirer un plus large public. Un événement qui s’avère être un enjeu financier majeur : il arrive que Ground Zero y fasse le chiffre d’affaires d’un petit mois.

 

Une mode fragile

Tout n’est évidemment pas rose dans un business aux marges ridicules, où l’espoir n’est pas de faire de l’argent mais plutôt de survivre dignement. La menace de l’effet de mode est réelle, le vinyle représente toujours une part dérisoire du marché de la musique. “J’espérais assister à la naissance d’une nouvelle génération de consommateurs, constate Julien Deverre. Je pensais voir débarquer des flots de jeunes hipsters, il n’y en a en fait pas beaucoup: plutôt quelques curieux qui viennent observer mais n’achètent pas.” Même son de cloche chez les collègues: “Ça reste un loisir de gens bien établis dans la vie, avec des moyens”, renchérit Franck Pompidor. Il y a d’ailleurs une vraie inquiétude chez ces disquaires quant à la question du prix de l’objet. “Le retour du vinyle a un effet pervers, affirme Toma Changeur, en un an seulement j’ai constaté une étonnante augmentation du prix du vinyle. La fourchette classique, entre 15 et 20# est de plus en plus rare. Je crains que l’industrie n’essaie de compenser la disparition du CD en faisant grimper les cours du vinyle.” Ce que confirme Pompidor : “C’est horrible, je ne sais pas comment réagir face à ces clients qui signalent des prix en hausse. Nos marges n’ont pas changé et je ne sais pas qui, des labels, des distributeurs oumême des presseurs, sucre ses fraises. C’est une vraie connerie, le vinyle doit rester un objet populaire ou la mode s’essoufflera plus vite qu’elle n’est arrivée.” D’ailleurs le marché du vinyle ne s’est pas ressaisi partout de la même manière. S’il a longtemps survécu grâce au deejaying et donc aux marchés électronique et hip-hop, il est revenu en forme avec le rock. Le deejaying au format numérique étant devenu un standard quasi absolu, les chineurs de maxis techno ou house ont quasiment disparu. “Les copains disquaires électro ont du mal à remonter la pente”, constate Pompidor. En témoigne la fermeture de My Electro Kitchen fin 2012, l’emblématique disquaire de la rue Quincampoix.

Ground Zero, 23 rue Sainte-Marthe, Paris Xe
L’International Records, 12 rue Moret, Paris XIe
Nationale 7, 114 rue du Faubourg-Poissonnière, Paris Xe
La Fabrique des Balades Sonores, 1 avenue Trudaine, Paris Ixe

WWW.CALIF.FR

 

     
 

Et hors de Paris ?

La situation n’est pas tout à fait aussi reluisante en dehors de la capitale. La fermeture en 2008 de Rennes Musique, considéré par beaucoup comme le meilleur disquaire de France et en activité pendant plus de trente ans, a été une onde de choc. Rennes a depuis retrouvé son lieu de chine, Blind Spot. Toulouse est encore plutôt bien fournie avec huit disquaires indépendants, qui se sont associés début janvier pour promouvoir leur travail en produisant un plan de la ville gratuit mettant en avant les huit boutiques. Brest a Dialogues Musiques, Clermont a Spliff, Marseille a Galette, Lille a Minor Place Records… Les enseignes tiennent mais pas d’embellie générale en vue.

 
     
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