Ecoute et rencontre : The Mover, l’âge de béton

Fig­ure de la scène rave des orig­ines, Marc Trauner vient de réactiver son alias The Mover après seize ans d’absence. Un périple puis­sant et inspiré qui fait le pont entre la tech­no et le hardcore.

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Le nom de Marc Trauner évoque un temps que les moins de 20 ans ne peu­vent pas connaître, où les sons électroniques de tous bor­ds étaient regroupés sous une bannière com­mune, la rave. Le début des années 90 incar­ne (à tort ou à rai­son) une période d’extase, aujourd’hui fantasmée par tous les tech­no kids à la pour­suite de cette étincelle qui embrasa les sens de leurs aînés. Une nou­velle forme de musique fra­cas­sante, des codes cul­turels à redéfinir, un désir de sédition… C’est toute une génération qui vrille, pieds dans la boue et tête dans la lune, suiv­ie de près par les médias sou­vent incompréhensifs face à un mou­ve­ment qui pren­dra rapi­de­ment une allure considérable, jusqu’à incar­n­er une révolution musi­cale. Comme le rock en son temps, diront les plus atten­tifs. Mais il aura fal­lu atten­dre que le mou­ve­ment, et les BPM, s’adoucissent pour obtenir l’estime des insti­tu­tions. “Par con­tre, la rave n’a pas changé la société comme on l’espérait, regrette Marc, elle s’est juste déclinée en une mul­ti­tude de courants musi­caux fan­tas­tiques.

Scier des jambes sur le dancefloor

À l’époque, Marc écume les soirées under­ground avec Richie Hawtin, Aphex Twin, The Prodi­gy, Lenny Dee et Manu Le Malin. Touché par une forme de grâce, il pro­duit une foul­ti­tude de vinyles à la tech­no moite et abrupte, con­tant ce qui sem­ble être alors les déambulations d’un forcené dans le patelin de Silent Hill, cette ville qui brûle d’horreur. Marc en serait revenu sans aucun trau­ma­tisme, juste avec une vision plus claire de l’obscurité, où l’effrayant n’est pas con­stitué des mon­stres qui y habitent mais de l’environnement en lui-même, celui auquel il est impos­si­ble d’échapper. Sa créativité est telle qu’il doit se cacher derrière une mul­ti­tude de noms: Mar­shall Mas­ters, Cypher, Ace The Space, Son­ic Surfer, Rein­car­nat­ed Reg­u­la­tor, The Pos­sessed, Vibra­tor, Mustapha Ooh Pia­ta, Pepe Ramirez… “Je pou­vais com­pos­er qua­tre EPs par semaine. Per­son­ne ne croy­ait qu’un seul gars pou­vait faire ça, pour moi c’était la musique de la lib­erté, tout était pos­si­ble et à inven­ter.” Pour sor­tir ses dis­ques, Marc fonde avec Thorsten Lam­bart le label PCP – Plan­et Core Pro­duc­tions. Le pro­duc­teur fait pass­er sa recherche sonore par l’épure, la sat­u­ra­tion, l’industriel, les synthétiseurs SF, les tronçonneuses, les coups de marteau sur l’enclume, la dis­queuse sur les dents de sagesse dans une ten­ta­tive de com­mu­ni­ca­tion cryptée dont nous n’aurons jamais la clef. Un titre sort de cette masse en 1990, “We Have Arrived”, avec la sig­na­ture Mescal­inum United.Un arte­fact qui des­sine encore le hard­core et gab­ber d’aujourd’hui. Mais au milieu des années 2000, Marc cesse de pro­duire à tout va et préfère mix­er dans un style vio­lent et “old-school” avec son pseu­do­nyme Marc Acardipane.

Jusqu’en 2016, où l’agence KilleKill (The29nov, Umwelt et Eomac…), lui pro­pose de venir jouer dans un parc en pleine semaine, avec son ancien alias The Mover: “J’ai régulièrement joué dans des évènements sim­i­laires, je ne me posais jamais de ques­tions. Mais cette fois-ci, je n’étais plus très sûr de moi. J’étais booké en tête d’affiche, je ne savais pas trop ce que je fai­sais là. Mais j’ai adoré y jouer. J’ai retrou­vé le feel­ing que je ressen­tais à mes débuts, à tâtonner, ça m’a donné envie de don­ner un nou­v­el élan à ma musique.” Exit le gab­ber, dont Marc se dit déçu par la direc­tion empruntée – lui-même n’a pas su pro­duire d’excellent morceau depuis 2003 : il redécouvre la tech­no qu’il avait occultée ces dernières années grâce à Beat­port. “Avant j’allais dans les mag­a­sins de vinyles et pas­sais au peigne fin chaque bac. Main­tenant, c’est loin d’être aus­si aisé de trou­ver les bons morceaux, il y en a telle­ment. En une journée, je peux télécharger cinquante nou­veaux titres. Mais j’adore pass­er du temps à ça, tout est neuf pour moi.

De rouille et de kicks

Marc ne regrette qu’une seule chose, que la tech­no se soit autant tournée vers les clubs, lui qui aimera tou­jours jouer en rave. En revanche entre Paris, Lon­dres et Berlin, il note la diver­sité des fêtes et la bonne réception du pub­lic à l’hybridation des styles, chose qu’il imag­i­nait inen­vis­age­able quelques années plus tôt. Une sorte de retour aux orig­ines qu’il a con­nues puis vues se per­dre. Aujourd’hui, une envie de pass­er ses pro­pres titres le saisit, il crée le label Plan­et Phuture pour rééditer quelques-uns de ses clas­siques et se lance dans la genèse de son pre­mier album depuis plus de quinze ans. “J’ai com­posé un pre­mier jet en sep­tem­bre dernier, sans être spécialement ravi. J’avais passé telle­ment de temps à en mod­i­fi­er les détails que je m’étais per­du. La vraie émotion avait dis­paru, c’était devenu trop cal­culé, trop policé. Il n’y avait plus rien d’expérimental, pour­tant j’aime le côté impar­fait, sur le vif. À trop tra­vailler les com­po­si­tions, on en perd le plus impor­tant : l’état d’esprit dans lequel on est quand on a com­mencé. Donc j’ai tout repris à zéro. Je savais ce que je voulais, pas tant en ter­mes de son, c’est plutôt mon approche de la musique que j’ai retrouvée.” The Mover vit une sec­onde jeunesse, comme Manu Le Malin avec son pro­jet The Dri­ver. Lorsqu’on plonge dans Unde­tect­ed Act From The Gloom Cham­ber, on voit immédiatement les murs des plus grands bas­tions de la tech­no craque­l­er et laiss­er apparaître les fers à béton. L’artiste n’a rien oublié de sa vis­ite à Silent Hill, il des­sine même à la ville en putréfaction une cathédrale tourmentée et mori­bonde. Celle qui man­quait à son œuvre.

 

 

 

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