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23 mars 2018

Ecoute et rencontre : The Mover, l’âge de béton

par Corentin Kieffer

Figure de la scène rave des origines, Marc Trauner vient de réactiver son alias The Mover après seize ans d’absence. Un périple puissant et inspiré qui fait le pont entre la techno et le hardcore.

Si vous êtes plutôt Spotify : 

Le nom de Marc Trauner évoque un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, où les sons électroniques de tous bords étaient regroupés sous une bannière commune, la rave. Le début des années 90 incarne (à tort ou à raison) une période d’extase, aujourd’hui fantasmée par tous les techno kids à la poursuite de cette étincelle qui embrasa les sens de leurs aînés. Une nouvelle forme de musique fracassante, des codes culturels à redéfinir, un désir de sédition… C’est toute une génération qui vrille, pieds dans la boue et tête dans la lune, suivie de près par les médias souvent incompréhensifs face à un mouvement qui prendra rapidement une allure considérable, jusqu’à incarner une révolution musicale. Comme le rock en son temps, diront les plus attentifs. Mais il aura fallu attendre que le mouvement, et les BPM, s’adoucissent pour obtenir l’estime des institutions. “Par contre, la rave n’a pas changé la société comme on l’espérait, regrette Marc, elle s’est juste déclinée en une multitude de courants musicaux fantastiques.

Scier des jambes sur le dancefloor

À l’époque, Marc écume les soirées underground avec Richie Hawtin, Aphex Twin, The Prodigy, Lenny Dee et Manu Le Malin. Touché par une forme de grâce, il produit une foultitude de vinyles à la techno moite et abrupte, contant ce qui semble être alors les déambulations d’un forcené dans le patelin de Silent Hill, cette ville qui brûle d’horreur. Marc en serait revenu sans aucun traumatisme, juste avec une vision plus claire de l’obscurité, où l’effrayant n’est pas constitué des monstres qui y habitent mais de l’environnement en lui-même, celui auquel il est impossible d’échapper. Sa créativité est telle qu’il doit se cacher derrière une multitude de noms: Marshall Masters, Cypher, Ace The Space, Sonic Surfer, Reincarnated Regulator, The Possessed, Vibrator, Mustapha Ooh Piata, Pepe Ramirez… “Je pouvais composer quatre EPs par semaine. Personne ne croyait qu’un seul gars pouvait faire ça, pour moi c’était la musique de la liberté, tout était possible et à inventer.” Pour sortir ses disques, Marc fonde avec Thorsten Lambart le label PCP – Planet Core Productions. Le producteur fait passer sa recherche sonore par l’épure, la saturation, l’industriel, les synthétiseurs SF, les tronçonneuses, les coups de marteau sur l’enclume, la disqueuse sur les dents de sagesse dans une tentative de communication cryptée dont nous n’aurons jamais la clef. Un titre sort de cette masse en 1990, “We Have Arrived”, avec la signature Mescalinum United.Un artefact qui dessine encore le hardcore et gabber d’aujourd’hui. Mais au milieu des années 2000, Marc cesse de produire à tout va et préfère mixer dans un style violent et “old-school” avec son pseudonyme Marc Acardipane.

Jusqu’en 2016, où l’agence KilleKill (The29nov, Umwelt et Eomac…), lui propose de venir jouer dans un parc en pleine semaine, avec son ancien alias The Mover: “J’ai régulièrement joué dans des évènements similaires, je ne me posais jamais de questions. Mais cette fois-ci, je n’étais plus très sûr de moi. J’étais booké en tête d’affiche, je ne savais pas trop ce que je faisais là. Mais j’ai adoré y jouer. J’ai retrouvé le feeling que je ressentais à mes débuts, à tâtonner, ça m’a donné envie de donner un nouvel élan à ma musique.” Exit le gabber, dont Marc se dit déçu par la direction empruntée – lui-même n’a pas su produire d’excellent morceau depuis 2003 : il redécouvre la techno qu’il avait occultée ces dernières années grâce à Beatport. “Avant j’allais dans les magasins de vinyles et passais au peigne fin chaque bac. Maintenant, c’est loin d’être aussi aisé de trouver les bons morceaux, il y en a tellement. En une journée, je peux télécharger cinquante nouveaux titres. Mais j’adore passer du temps à ça, tout est neuf pour moi.

De rouille et de kicks

Marc ne regrette qu’une seule chose, que la techno se soit autant tournée vers les clubs, lui qui aimera toujours jouer en rave. En revanche entre Paris, Londres et Berlin, il note la diversité des fêtes et la bonne réception du public à l’hybridation des styles, chose qu’il imaginait inenvisageable quelques années plus tôt. Une sorte de retour aux origines qu’il a connues puis vues se perdre. Aujourd’hui, une envie de passer ses propres titres le saisit, il crée le label Planet Phuture pour rééditer quelques-uns de ses classiques et se lance dans la genèse de son premier album depuis plus de quinze ans. “J’ai composé un premier jet en septembre dernier, sans être spécialement ravi. J’avais passé tellement de temps à en modifier les détails que je m’étais perdu. La vraie émotion avait disparu, c’était devenu trop calculé, trop policé. Il n’y avait plus rien d’expérimental, pourtant j’aime le côté imparfait, sur le vif. À trop travailler les compositions, on en perd le plus important : l’état d’esprit dans lequel on est quand on a commencé. Donc j’ai tout repris à zéro. Je savais ce que je voulais, pas tant en termes de son, c’est plutôt mon approche de la musique que j’ai retrouvée.” The Mover vit une seconde jeunesse, comme Manu Le Malin avec son projet The Driver. Lorsqu’on plonge dans Undetected Act From The Gloom Chamber, on voit immédiatement les murs des plus grands bastions de la techno craqueler et laisser apparaître les fers à béton. L’artiste n’a rien oublié de sa visite à Silent Hill, il dessine même à la ville en putréfaction une cathédrale tourmentée et moribonde. Celle qui manquait à son œuvre.

 

 

 

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