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Crédit : Elise Dutrieux
9 février 2018

Rencontre : Monolithe Noir, où quand du drone, un synthé modulaire et très peu de lumière nous font décoller

par Clémence Meunier

C’était un de nos coups de cœur de l’Eurosonic Noorderslag, ce festival du nord des Pays-Bas où s’enchaînent des showcases dans tout le centre-ville de Groningen. Entre la pop de Papooz, l’événement Angèle ou la fanfare de Meute, il dénotait avec son live électronique grinçant, oppressant, empruntant bien plus au drone qu’aux hits dancefloor. Lui, c’est Monolithe Noir, Breton au pseudo fleurant bon 2001 Odyssée de l’Espace, exilé depuis quelques années à Bruxelles. Dans une autre vie, il avait un groupe de pop. Aujourd’hui, il produit des modulations qui grattent le tympan, invitant à l’introspection tout en balançant une presque techno exigeante et planante. Sur scène, il s’accompagne toujours d’un synthé modulaire fait maison, sorte de soupe de câbles engoncées dans une mallette et reliée à un ordinateur. Derrière lui, souvent, des projections de vidéos qu’il monte lui-même à partir de vieilles images de volcans en irruption, de cellules en vadrouille, de fourmis… On est loin, très loin, des lives techno qui pullulent aujourd’hui avec du mapping géométrique, des boucles et des drops à n’en plus finir. Non, là ce qui ne finit pas, c’est la fascination, et l’envie de se balancer en avant et en arrière comme ces fous en camisole des vieilles vidéos d’asiles glauques. Ou, tout simplement, d’écouter au casque dans le noir son premier album Le Son grave, sorti sur le label belge Luik Records l’année dernière.

Si vous êtes plutôt Spotify :

Mais rassurez-vous, Monolithe Noir, Antoine Pasqualini à la ville, ne vit pas reclus dans un labo de savant fou : le jour, il est disquaire, et ce fin bonhomme à lunettes s’exprime d’une voix toute douce pendant la petite demi-heure que nous avons passé avec lui, avant son concert de Groningen, sur la péniche qui nous servait d’hôtel. Une conversation où se croisent science, vidéos et passé pop.

Ces vidéos que tu projettes derrière toi sur scène, d’où viennent-elles ?

Sur archive.org, tout simplement. Je voulais m’éloigner des images généralement utilisées dans la musique électronique, qui sont très portées sur la technologie, la modernité, la géométrie, avec du mapping. Je voulais prendre le contre-pied de ça. C’est à la fois pragmatique, car ces images libres de droit sont donc gratuites et modifiables à l’envi, et à la fois esthétique, car ces vieilles vidéos ont un grain que j’apprécie. J’ai mis pas mal de temps à développer ce live vidéo, toujours en parallèle du live musique, car je ne voyais vraiment pas l’un sans l’autre en électronique. Bon, il se trouve que dans les faits, un concert sur deux je ne peux pas installer le live vidéo, cela dépend des salles et je suis souvent mis au courant au dernier moment. Ça embête tout le monde s’installer un écran et un projecteur, surtout dans un contexte de première partie ou de festival – je n’ai pas encore la notoriété nécessaire pour que mes vidéos ne fassent pas chier certains régisseurs (rires).

On peut voir des cellules observées au microscope, de petits animaux en gros plans, de la lave… Il y a un côté très scientifiques dans tes choix de vidéos.

C’est quelque chose qui m’inspire, même si je suis une tarte en science. En ce moment, je lis Les Idées noires de la physique, un bouquin qui parle de trous noirs, de matière, de corps noirs, avec une approche à la fois scientifique et philosophique… Et je décroche complètement dès que ça devient purement scientifique ! Mais c’est un monde qui m’attire beaucoup, et qui finalement peut être rapproché de mon genre musical et du fait que j’utilise la synthèse modulaire.

Musiques électroniques et sciences ont toujours eu un rapport assez étroit en effet. Max Cooper par exemple utilise son background de généticien pour la réalisation de ses vidéos ou pour des projets transversaux avec des scientifiques…

Oui il y a finalement pas mal de scientifiques dans la musique électronique, comme James Holden qui a fait des mathématiques. Ou Caribou, qui était prof de maths – quelqu’un a lancé une rumeur comme quoi il développait ses chansons avec des équations. Il l’a démenti, mais c’est toujours quelque chose qui fait fantasmer les gens, ce côté savant fou.

Tu peux avoir ce côté-là toi-même, avec ce tas de câbles !

C’est un synthé modulaire, comme on en trouve pas mal en live électronique car cela permet une approche plus tactile, plus immédiate et qui va à l’opposé de l’image prévisible et froide des lives électroniques habituels. Beaucoup de musiciens ont trouvé un renouveau avec ce genre de synthé, notamment parce qu’un live sur ordinateur, ça a toujours éveillé la suspicion sur le travail réel du musicien : est-ce qu’il est vraiment en train de faire quelque chose ou est-ce qu’il appuie juste sur play au début du concert ? Sauf qu’on peut faire énormément de chose avec un laptop, et sur mon installation le synthé et mon ordinateur fonctionnent toujours en interaction. J’ai développé ce set-up avec Benoît Guivarch, un ami musicien qui répare beaucoup de synthé – il a notamment travaillé dans son atelier sur le matos d’Apollo Noir, Etienne Jaumet…

Ça vous a pris longtemps ?

Ça a pris quelques années pour créer cette machine et pour surtout qu’elle soit stable. Dans un premier temps, ça a été énormément de bugs et de temps passé à essayer de comprendre comment fonctionnaient le synthé relié à l’ordinateur. Mais je ne voulais pas développer ma musique uniquement sur des boucles, et que ça devienne de la techno. J’ai un peu peur de la boucle en général, même si c’est quelque chose d’assez primordial pour créer l’état dans lequel on veut plonger les gens avec ce genre de lives. Mais l’idée était de n’avoir jamais une mesure qui ressemble à une autre, d’avoir des titres qui se développent… Comme une chanson.

Là c’est peut-être ton background pop qui ressort ! On retrouve quelques traces sur internet : tu avais donc un projet, Arch Woodmann. Qu’est-ce que c’était ?

Ça avait été chroniqué sur Tsugi à l’époque d’ailleurs ! J’ai un peu tourné la page pour être honnête. C’était du folk dans un premier temps, j’étais tout seul à composer et enregistrer, et il y avait un groupe pour le live. On a fait trois albums, mais j’ai eu envie d’une musique plus « expérimentale » entre gros guillemets – même si je ne trouve pas que ce que je fais avec Monolithe Noir soit particulièrement expérimental. Quelqu’un de Radio Panic un jour m’a passé une vieille interview d’Arch Woodmann qui date d’il y a quelques années et, en gros, je disais vouloir faire presque exactement ce que je compose maintenant.

C’est quand même un sacré grand écart non ?

Oui et non, car j’utilisais déjà pas mal de synthé… Mais l’accomplissement c’est surtout de pouvoir tout faire tout seul aujourd’hui, de la composition au concert, tout en envoyant quand même beaucoup de son et de puissance.

Tes lives sont fait seul, mais ils s’écoutent seul aussi, ta côté a un côté très introspectif…

C’est clair que ce n’est pas fait pour être écouté en groupe ou pour danser les bras en l’air. Aux Bars en Trans, il y a un mec qui criait « le kick ! » et « allezzzzz »… Je ne suis pas contre m’adapter de temps à autre, mais il y a un certain moment où c’est incompressible, certaines personnes vont s’ennuyer, tant pis !

Totalement à l’opposée de la musique électronique de fête, tu te rapproches plus d’un courant comme le drone. C’est un genre de musique que tu écoutes ?

Au départ, j’étais plutôt intéressé par la démarche d’Andy Stott, que j’avais vu aux Siestes Electroniques en 2013. C’était très downtempo et dark, plus extrême que ce que je fais, mais j’ai vu que les gens étaient quand même dedans. Ca a été un de ces déclics qui m’ont poussé à me lancer dans ce projet, j’avais envie d’une musique qui… T’enveloppe. Peut-être qu’elle na va pas faire danser, mais l’idée est d’envelopper les gens dans quelque chose de parfois oppressant, avec la vidéo en plus, pour créer un climat où à la fois ils se sentent mal et ils ont envie de rester, fascinés : c’est le plus beau compliment qu’on puisse me faire en tout cas. Avant, sur les vidéos, il y avait aussi pas mal d’humains, mais je me suis quand même éloigné de ça car ça devenait un peu trop glauque (rires). Mais l’idée c’est de faire rentrer dans ce monde-là, avec le moins de lumière possible sur scène… Faire danser les gens ne m’intéresse pas spécialement.

Tu as enlevé ces images d’humains glauques de ton live, mais elles restent tout de même dans le clip du titre « Profondeville ». Tu connais l’histoire derrière ces vidéos ?

C’est une cérémonie religieuse de transe dans une église aux Etats-Unis. Ces images m’ont pas mal angoissé, et ça fait partie de toute l’imagerie que je me suis fait autour de Profondeville, une ville dans les Ardennes, alors que je n’y ai jamais mis les pieds.

Parmi tes récentes collaborations, tu as fait un remix pour Ropopose, pas du tout dancefloor, mais tu y as gardé la voix du morceau original. Travailler sur le chant, c’est quelque chose que tu envisages pour la suite ?

Deux morceaux seront vocaux dans mon prochain album, l’un avec ma compagne, elsie dx, qui chantera, et l’autre sera un duo avec Peter Broderick. C’est en cours donc ! Mais je ne veux pas non plus submerger ce futur disque avec des featurings, il faut vraiment que ça ait un intérêt pour le morceau, et sur ces deux titres j’ai eu la chance de travailler avec des chanteurs qui arrivaient avec une vrai proposition forte. Sur le prochain album, je vais essayer d’aller vers quelque chose de moins maximaliste, moins dans la performance sur les effets, et notamment les effets de voix. Plus de cohérence aussi. Mon premier disque, Le Son grave, était plus une compilation qu’un album à part entière – j’y ai regroupé une partie des titres que j’ai pu composer pendant plus d’un an et demi, pour passer à autre chose.

Le Son grave s’offre une réédition vinyle : plus d’infos ici.
Monolithe Noir jouera au festival Electr()cution à Brest le 22 mars.

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