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La Fraicheur. Crédit : Elodie Le Gall.
13 décembre 2018

Rencontres Trans Musicales de Rennes : 40 ans toujours pucelles

par Jean-Vic Chapus

D’abord la lumière s’est éteinte subitement dans l’immense hall 9 du Parc des Expositions. Puis, quelques courtes secondes après, elle s’est rallumée. Devant la foule de 6000 et quelques âmes massées à l’avant-scène et hypnotisées, les percussionnistes anglo-ougandais Nihiloxica tous habillés de gilets jaunes. L’Afrique noire solidaire du soulèvement populaire ? De ce symbole insurrectionnel le collectif de Kampala ne dira rien. Au lieu de ça, le groupe qui a le mieux incarné ces 40e Trans Musicales de Rennes accélère le rythme de ses percussions tribales et de son synthétiseur. Avec ce live en état d’urgence Nihiloxica a offert le meilleur moment de transe collective du festival. Il est 2h30 dans la nuit du samedi 8 décembre et l’immense hall 9 se vide. Dans les allées du Parc Expo tout le monde semble prêt à se connecter aux visions prémonitoires de la sono mondiale. Pour cela certains iront s’inoculer un shoot d’Orient pendant le live des fiévreux Al-Qasar qui pourraient reprendre l’histoire des mariages rock / musique orientale là où Rachid Taha les a laissés. D’autres choisiront la ferveur des Japonais d’Ajate, inattendus pourvoyeurs en afro beat joué sur des instruments en bambous. Et la nuit fera en sorte de brouiller les derniers repères.

C’était en germe. Depuis que les Trans Musicales ont décidé de recentrer leur propos en direction de la marge. Depuis aussi que ce festival ayant révélé des artistes aussi marquants que Portishead, Daft Punk ou LCD Soundsystem a opté pour la carte du grand mix. Si le nouveau slogan mis en avant par les organisateurs proclame fièrement « Nouveau depuis 1979 », cette édition a permis de travailler deux autres affirmations faisant partie de l’ADN artistique, humaine voire politique du festival rennais. Les affirmations ? Comme l’avait déjà théorisé la directrice du festival Béatrice Macé, « l’inconnu vaut toujours le coup d’être vécu, la liberté de choix n’est jamais négociable ». Rien d’étonnant dès lors que l’emblématique directeur artistique Jean-Louis Brossard justifie l’absence de tête d’affiche pour cette édition anniversaire, par un sourire : « Pourquoi la quarantième édition devrait être plus exceptionnelle que la trente-neuvième ou la quarante-et-unième ? »

Non seulement, Brossard n’a pas tort, mais dans les faits cela donne à son festival une impression de DJ-set géant. Le meilleur exemple pour saisir cet esprit s’incarne sous les traits d’Underground System, six new yorkais visiblement aussi intéressés par Fela Kuti et les Talking Heads que par LCD Soundsystem. Aux Etats-Unis, ce groupe emmené par la charismatique Domenica Fossati est encore cantonné aux sessions pour des radios alternatives et aux minuscules scènes à Brooklyn. Aux Trans’, pour leur premier concert en Europe, les voilà propulsés dans le costume de révélation rock 2018. Pour cela, il n’aura fallu qu’un live maîtrise pour et quelques tubes (« Go », « Just A Place »).

Autre message balancé pendant ces Trans Musicales : les géographies musicales sont désormais brouillées comme jamais. La prochaine révolution R&B ne viendra peut-être pas des Etats-Unis, comme il est de coutume, mais plutôt du continent africain. Dès le jeudi c’est l’Angolaise Pongo – chanteuse éphémère de Buraka Som Sistema – qui le démontrait. Le lendemain ce sera à la Kenyane Muthoni Drummer Queen – costume de scène flashy, chorégraphies impeccables – de faire passer le frisson du futur. Avec chaque fois, une certitude : l’Afrique peut produire ses Beyoncé et Missy Elliott, les manufacturer, mais surtout les faire déferler sur le globe.

Si l’on veut saisir ce qui se joue la nuit quand les lumières des Hall du Parc Expo scintillent, il faut prendre l’exemple de cette soirée du vendredi 7 décembre entre 21h et 7h30 du matin : le public a pu vibrer à l’unisson sur le jazz avant-gardiste et mélodique d’un Chicagoan à bonnet rouge et trompette (Ben Lamar Gay) puis scotcher sur la musique sacrée des Arméniens de The Naghash Ensemble. Même étonnement quand certains découvrent que la nouvelle electro made in France sait mettre à égalité, son, lumière et spectacle (Ouai Stéphane, Dombrance, Atoem) voire transformer les immenses espaces de festival en dancefloors intimes à la berlinoise où défilent les messages des combats LGBT (La Fraicheur). Le résultat de ces pas de côtés ? L’impression que la musique n’a jamais été aussi calée sur la pulsation du monde.

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