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16 février 2018

Roméo Elvis : de caissier au Carrefour à disque d’or

par Brice Bossavie

De retour avec Morale 2Luxe, ré-édition de sa dernière mixtape Morale 2, le rappeur Roméo Elvis vit aujourd’hui de sa musique et remplit les salles. Une petite victoire pour le Bruxellois, qui a connu les années de galère et le poids de sa famille, ce qu’il nous raconte dans une longue discussion.

Morale 2 vient de faire disque d’or en Belgique, et ça ne devrait pas trop tarder à être la même chose en France. Est-ce que tu t’attendais à un tel succès avec ce disque ?

Pas spécialement. Je l’espérais mais je ne l’attendais pas de cette manière. Sur le plan personnel, je voulais connaître le succès pour pouvoir vivre de ma musique. Ce qui me fait surtout plaisir, c’est de voir que Morale 2 est vraiment reconnu comme un bon album. Avec la ré-édition on reparle avec du recul de ce disque, et il y a beaucoup de bonnes choses qui en ressortent, c’est super touchant et gratifiant. Mais je ne m’attendais pas à ce que ça marche à ce point-là. Comparé à d’autres artistes, le disque a monté de manière assez tranquille, ça a vraiment été très évolutif. Morale 2 sera vraiment un EP phare dans ma vie, c’est la première fois qu’on pose un disque riche avec des vrais featurings. Ça fait plaisir de voir que les gens m’ont compris.

Tu penses qu’il y a eu un déclic avec « Bruxelles Arrive » ?

Bien sûr ce n’est même pas une question. On m’a découvert avec ce morceau, parce que j’ai fait un son avec Caballero, qui était déjà réputé, et qu’on a surement amené un des meilleurs sons bruxellois de l’histoire de cette scène. Ça a été un marquant définitif dans ma vie qui m’a donné confiance. « Drôle de Question » a ensuite été un marqueur au niveau plus pop, large, et je ne m’en défends pas du tout, j’en suis très fier. Je suis très ouvert à la pop, la chanson française, et complètement prêt à bosser avec ce genre d’artistes, donc je sais aussi quel public je peux toucher quand je fais ce genre de musique. Après, même si je suis ouvert à la pop et la chanson, ce qui m’intéresse c’est la scène. Et il y a toujours un moment dans mes concerts où les filles finissent par se mettre sur le côté parce que ça devient trop violent (sourire).

Il y a de plus en plus de sonorités électroniques dans tes morceaux, notamment sur Morale 2Luxe. C’est quelque chose qui définit ta musique ?

Ça la définit de plus en plus et ça provient de ma collaboration avec le producteur Le Motel. Le seul pont qu’il a avec le rap à la base c’est moi et un autre rappeur qui s’appelle Veence Hanao, sinon au départ il fait de la musique qui peut avoir des aspects deep house, minimale ou garage, mais en le faisant un peu à sa sauce. J’avais un son très rap classique à l’ancienne à mes débuts, lui plus electro, et on a réussi à mélanger tout ça avec le temps. C’est en ça que notre collaboration est riche. On a par exemple mis du UK Garage sur plusieurs morceaux de Morale 2Luxe, ce que je n’avais jamais fait avant alors que Le Motel en écoute à mort. Ça faisait un moment qu’on écoutait un mec comme Kekra, et ça nous titillait en l’entendant en mettre partout dans sa musique. On s’est dit « Putain on a ça dans nos influences depuis le début et on ne l’a jamais fait ». Du coup on y est allé.

On sent toute l’influence de la scène rap “alternatif” quand on écoute ta musique, et tu le revendiques d’ailleurs. Pourtant, beaucoup d’artistes qui font une musique semblable ne veulent pas être affiliés à cet héritage.

Ce sont des artistes auxquels je me suis toujours identifié. Que ça soit Fuzati, les Svinkels ou le Klub des 7, ils ont toujours eu une certaine légèreté et de la dérision qui me parle beaucoup. C’est aussi pour ça que j’aime Eminem depuis tout petit, parce qu’il me faisait rire. Sans vouloir faire de jugement, peut être que ce complexe d’autres artistes est propre à la France : c’est un pays plus marqué par une histoire forte avec le rap que la Belgique, avec une certaine image, et dire qu’on vient de cette scène-là ça peut ne pas être super gratifiant. Le Klub des Loosers a marqué un truc très drôle récemment sur les réseaux sociaux : j’avais fait leur première partie en 2015 à Bruxelles, et pour annoncer leur retour pour une date en ville ils ont mis « Klub des Losers de retour au Botanique. La dernière fois qu’on y était Roméo Elvis faisait notre première partie. Cette année, ce serait l’inverse ». J’ai été super honoré !

Depuis le succès, tu as l’air quand même beaucoup plus décomplexé par rapport à ta famille et tes origines (Roméo Elvis est le fils du chanteur de variété belge Marka et de la comédienne Laurence Bibot, deux figures reconnues du pays ndlr). C’est fini toute cette gêne ?

Oui c’était dans mon plan ! J’étais complexé par rapport à qui j’étais et d’où je venais, et je voulais percer sans qu’on sache tout ça. Là j’en suis à un stade de ma vie où j’ai fait mes preuves tout seul, j’ai rempli un Bataclan en sept jours, réalisé le troisième disque d’or de l’histoire du rap belge, des gros festivals, une signature chez Barclay… Je m’assume avec ma sœur parce que je suis fier d’elle, et avec mes parents aussi parce que ce n’est plus un problème. Je suis le fils d’un chanteur et d’une comédienne connue en Belgique, et alors ? Je suis plus connu qu’eux et vous ne le saviez même pas ! (sourire)

C’est vrai que tu l’as caché pendant un long moment.

Il le fallait, ça aurait été l’enfer sinon. Mais je pense que c’est quelque chose qui me concerne personnellement, c’est différent pour ma sœur par exemple. Angèle a eu une autre approche des choses, elle a appris la musique avec mon père, de manière plus académique, elle a pris des cours, elle a assumé le truc en jouant avec lui. Moi je suis allé à l’aventure. En vérité, personne ne sait qui sont ses parents en fin de compte, parce que dès son premier morceau elle est devenue plus connue qu’eux (sourire). Mais c’est vrai que je mettais un point d’honneur à ce que l’on ne m’en parle pas en interview, il ne fallait pas dire que j’étais le « fils de ». Les journalistes belges voulaient absolument le dire, c’était du pain béni pour eux. Ces mêmes journalistes belges qui sont tous en train d’essayer de nous avoir toute la famille réunie d’ailleurs. On a accepté de faire une interview commune mais pour la télé flamande, pour foutre une disquette aux médias francophones (sourire).

Pourquoi ça ?

Parce qu’ils ne sont pas du tout adaptés et pas du tout représentatifs de ce qu’on fait musicalement dans notre pays. Ce n’est que cette année qu’il y a eu de la musique hip hop dans nos Victoires de la Musique francophones, il était temps. Et j’ai fait disque d’or en Belgique en étant uniquement diffusé en Flandre à la radio. On a été diffusé deux semaines en Wallonie, et ils se sont rendus compte qu’on sous entendait le mot « bite » dans un morceau. Du coup ils m’ont retiré. Les flamands eux ont laissé, et m’ont passé « Diable » et « Drôle de Question » dans leurs radios. Merci les flamands !

Si vous êtes plutôt Spotify :

Il y a quelque chose qui revient beaucoup dans les textes de Morale 2Luxe, ce sont tes petits boulots comme caissier au Carrefour ou à la plonge. Ça t’a traumatisé ?

(sourire) C’est une manière de parler de tout ce que j’ai fait avant le succès, c’est quelque chose de palpable en quelque sorte. Mes parents auraient pu avoir tout l’argent qu’ils voulaient pour me payer un appartement et tout le reste. C’est juste que mon père vient de Molenbeek, il est né dans un milieu populaire, il a grandi avec pas grand-chose, et quand il a percé dans la musique il a continué à énormément travailler et à mettre de l’argent de côté. Il est toujours resté sur ses convictions, et m’a enseigné à me débrouiller seul là-dessus. Je suis passé d’étudiant à intérimaire, j’ai fait un peu de Quick, de la plonge, du service dans un restaurant, ma thune n’allait nulle part vu que ça partait dans la weed… Je n’en ai pas un souvenir très nostalgique. Mon père en parlait en me disant (il prend une grosse voix, ndlr) « Moi j’avais mon petit job et je me faisais de la thune ! J’avais mon équilibre tu vois, j’étais bien! » et je ne voyais pas du tout ça comme ça. Du coup je parle beaucoup de Carrefour dans mes textes (rires). À chaque fois que je suis dans un supermarché je pense aux gens qui y travaillent du coup, et ça me fait pas du tout envie.

Même si c’est un traumatisme ça ne t’a pas enseigné des choses ?

Ça ne m’a pas enseigné quelque chose d’artistique, mais un truc social. J’ai rencontré trente millions de personnes, et j’ai pu analyser l’être humain sous toutes ses formes. Le Carrefour c’est un putain de centre d’étude sociologique, tu vois passer tout type de personnes dans ce qu’ils font de plus humain, de plus conséquent, et de plus concret, qui est la consommation, la mise en application de nos dépenses d’argent. Du coup j’ai énormément scanné ça et ça m’a appris plein de choses sur la vie et les gens. Après sur l’artistique, c’est plus au niveau de la rigueur que j’en ai tiré quelque chose. Aujourd’hui si il faut se lever à quatre ou cinq heures pour partir en tournée, se taper trois avions pour aller à une date dans le froid, je suis directement debout ! Sur le dernier morceau de Morale 2Luxe je dis « c’est l’heure de se lever, faut le faire seulement si tu veux faire ton beurre » en parlant à ce Roméo Elvis là justement, celui qui était caissier à Carrefour. Je lui dis que ça vaut vraiment la peine de travailler dans cette merde pour l’instant, parce que ça va devenir bénéfique.

Ta sœur Angèle est en train de percer de la même manière que toi en ce moment. Du coup, on se demandait : est-ce que vous vous faites une bataille de chiffres ?

Ouais bien sûr ! (sourire) Sur Instagram surtout. Je profite de mes dernières semaines d’avance et après ça sera fini pour toujours. Mais j’arrive encore à la tenir sur certains trucs : j’ai fait un millions de vue en 10 jours avec « Nappeux » et elle en deux semaines avec son dernier morceau. Par contre elle arrive trop vite avec les lives sur Instagram, là je suis mort (rires). On joue beaucoup à ça depuis qu’elle a percé, c’est drôle. Et puis si ça peut être une source de motivation pourquoi pas. Ça reste ma sœur, donc même si elle me dépasse je serai hyper content. Mais bon je reste content quand même parce que c’est moi, son frère, qui lui ai donné son premier disque d’or (Angèle est présente sur “J’ai Vu” de Morale 2, ndlr). Avant qu’elle me la mette à l’envers avec son disque de diamant, je pourrais dire que c’est moi qui lui ai mis son premier disque d’or. Hop ! (rires).

>> Lire aussi : Angèle, sa première grande interview

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