©Raphael Lugassy

Rone : “Quand je fais un album, j’écris un scénario, avec ses rebondissements et son climax”

La Nuit Venue, pre­mier long-métrage de Frédéric Far­ruc­ci, entame aujour­d’hui sa deux­ième semaine dans les salles. Ce n’est autre qu’Er­wan Cas­tex, alias Rone, qui a conçu la bande orig­i­nale de cette love sto­ry noc­turne parisi­enne portée à l’écran par la chanteuse Camélia Jor­dana et Guang Huo. Ren­con­tre.

Le Grand Paris. Ses nuits inquié­tantes aux lumières qui défi­lent, tra­ver­sées par un cour­si­er silen­cieux d’o­rig­ine chi­noise rêvant d’être DJ : voici ce qui a attiré Rone sur le film. S’il a déjà porté sa musique au cœur de quelques pro­jets visuels (comme cette bande-son du court-métrage I, Philip qu’on retrou­ve dans son album Mirapo­lis), c’est la pre­mière fois qu’il s’es­saie au long-métrage et il était temps ! Le bébé du réal­isa­teur Frédéric Far­ruc­ci se nomme La Nuit VenueRone accom­pa­gne avec ses syn­thés les virées noc­turnes de deux pro­tag­o­nistes sans réel futur. On a dis­cuté avec lui autour de son rap­port entre musique et sep­tième art.

Com­ment s’est passée ta ren­con­tre avec Frédéric Farrucci ?

Frédéric Far­ruc­ci m’a con­tac­té il y a env­i­ron qua­tre ans lors de l’écriture du scé­nario, alors qu’il n’avait pas encore de finance­ments. Il me l’a envoyé et ça m’a tout de suite plu. J’ai sen­ti qu’il y avait quelque chose à faire musi­cale­ment donc j’ai dit go ! Quelque temps après, ça s’est finan­cière­ment déblo­qué et il est revenu vers moi. Le pro­jet a pris forme à ce moment-là. Fred voulait que je com­mence à pro­duire avant le tour­nage mais je lui ai répon­du que je tenais à voir les images avant car, dans ce genre de pro­jet, j’aime qu’il y ait une alchimie. Ce fut assez rapi­de car il y avait une urgence à vite mon­ter le film, avec un temps de post-production très réduit, alors je me devais d’être effi­cace ! Lorsqu’il avait des scènes dans la boîte, il me les envoy­ait directe­ment. Je me les pas­sais en boucle et je com­po­sais en les regardant.

Lorsqu’il avait des scènes dans la boîte, il me les envoy­ait directe­ment. Je me les pas­sais en boucle et je com­po­sais en les regardant.”

Et au-delà de votre col­lab­o­ra­tion, qu’est-ce qui t’as attiré dans l’esthé­tique du film pour com­pos­er sa bande-son ?

J’ai sen­ti que c’était un film très atmo­sphérique. Les per­son­nages sont deux extrater­restres qui ne par­lent pas le même lan­gage [Nao­mi est strip-teaseuse et Jin, chauf­feur de VTC soumis à la mafia chi­noise, ndlr], donc il fal­lait que la musique soit un lien pour les rap­procher. Je dirais qu’elle inter­vient comme ce troisième per­son­nage imag­i­naire à tra­vers toutes ces scènes dans la voiture, les plans fix­es sur les vis­ages et les paysages qui défi­lent. En réponse, je me suis dit qu’il fal­lait faire quelque chose de très épuré. Ce fut un gros chal­lenge ! Autre chal­lenge égale­ment, il y a le per­son­nage de Jin qui crée un morceau durant tout le film pour ne le révéler qu’à la fin, donc il fal­lait qu’on voit à l’écran ces dif­férentes étapes, sa recherche et ses tâton­nements. En somme, le morceau devait être impar­fait et mal­adroit puis pren­dre forme petit à petit pour se con­cré­tis­er dans la dernière scène du film. Jin com­pose avec un sim­ple ordi­na­teur de cyber­café et un casque donc je devais respecter cela en n’utilisant pas de gros syn­thé­tiseurs analogiques, pour être rac­cord avec la com­po­si­tion du morceau.

Pour le film, on dirait que tu t’es iden­ti­fié au per­son­nage, ancien DJ et pas­sion­né de musiques électroniques…

Oui, c’est mon dou­ble. Au cours des dis­cus­sions que j’ai eu avec l’ac­teur, j’essayais d’in­car­n­er son per­son­nage musi­cale­ment puis j’ai réus­si à ren­tr­er dans sa peau. Il y a deux types de morceau dans ce film : cette musique qu’il con­stru­it et qui fait par­tie du réc­it, puis une autre plus démon­stra­tive, qui exprime les sen­ti­ments des per­son­nages pour combler le vide, car il n’y a pas beau­coup de dia­logue. C’é­tait ça qui me plai­sait dans le pro­jet. Il y a énor­mé­ment d’espaces pour pos­er ma musique et c’est pour ça que je voulais qu’elle ne soit pas trop chargée, afin qu’elle aille à l’essentiel avec des nappes épurées.

Quand je fais un album, je bosse comme si j’écrivais un scé­nario, avec ses rebondisse­ments et son climax.”

Tu as fait des études de ciné­ma quand tu étais jeune. Avec ce pro­jet, c’é­tait un moyen pour toi de join­dre enfin les deux bouts ?

©Raphaël Lugassy

J’ai tou­jours aimé le ciné­ma et la musique. J’ai com­mencé une fac de ciné où je suis allé jusqu’à la maîtrise. Franche­ment, à la fin, je me suis fait une bonne cul­ture et ça m’a même appris plein de choses sur la musique. Ça a véri­ta­ble­ment mar­qué ma manière de com­pos­er. Main­tenant, quand je fais un album, je bosse comme si j’écrivais un scé­nario, avec ses rebondisse­ments et son cli­max. J’ai tou­jours eu envie de faire des musiques de films mais j’attendais le bon pro­jet, avec un scé­nario qui m’enthousiasme et un réal­isa­teur avec qui je partage des points communs.

Ce tra­vail sur la bande-son confirme-t-il ton envie de t’il­lus­tr­er davan­tage au cinéma ?

Com­plète­ment, c’est un exer­ci­ce telle­ment dif­férent de la créa­tion d’un album où tu es totale­ment libre de par­tir dans toutes les direc­tions pos­si­bles alors que dans un film, tu com­pos­es dans un cadre défi­ni. Ici, je me sens davan­tage comme un arti­san au ser­vice d’un artiste avec son pro­jet qui te dépasse. Et puis, il y a cet aspect col­lec­tif qui me plaît beau­coup, où je peux tra­vailler avec les dif­férents corps de métiers du ciné­ma comme le mon­teur, les pro­duc­teurs, l’ingénieur du son… C’est comme une four­mil­ière avec plein de gens qui tra­vail­lent pour aboutir à une œuvre collective.

C’est ta pre­mière bande-son de long-métrage mais pas la pre­mière fois que tu tra­vailles sur un pro­jet ciné­matographique. Je pense à la bande orig­i­nale du court-métrage I, Philip, pre­mière fic­tion française en réal­ité virtuelle. Et puis, il n’y a qu’à se pencher un peu sur ta musique depuis le début pour y voir facile­ment un rap­port avec la science-fiction…

Le sujet me par­le, c’est sûr. Mais j’ai des amis vrai­ment férus de SF, alors que moi, je n’ai lu que Georges Orwell, Isaac Asi­mov et Alain Dama­sio, les clas­siques, quoi ! Au-delà de la SF, c’est surtout le mes­sage que les artistes véhicu­lent à tra­vers leur tra­vail qui me pousse à la col­lab­o­ra­tion. En bossant avec eux, j’ai l’impression de porter un mes­sage qui me touche et c’est une façon de met­tre un peu de sens et de fond dans mon tra­vail, même si j’adore aus­si faire des gross­es teufs de temps en temps ! Mon dernier album Room With a View est un bon exem­ple. Il est né d’une com­mande avec le Théâtre du Châtelet qui m’a don­né carte blanche pour faire dix représen­ta­tions (les deux dernières ont été annulés en rai­son du con­fine­ment). Avec ce pro­jet, j’avais envie d’aller plus loin. J’ai con­tac­té une troupe de danseurs, le col­lec­tif (La)Horde (directeur artis­tique du Bal­let Nation­al de Mar­seille) et je leur ai dit que j’avais envie de boss­er sur le thème de l’écologie qui me per­turbe beau­coup. Le spec­ta­cle a eu lieu juste avant le con­fine­ment et il y avait donc ce pan de l’actualité qui nous rat­tra­pait. Je me sou­viens qu’à un moment, les danseurs avaient des masques à gaz qui sym­bol­i­saient l’effondrement cli­ma­tique, et lors de la troisième ou qua­trième représen­ta­tion, les spec­ta­teurs com­mençaient à porter des masques. Il y avait un effet miroir très trou­blant entre la scène et la salle, comme si la réal­ité avait rat­trapé la fic­tion. Mais ça veut dire que nous avions visé juste d’une cer­taine manière.

 

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