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©Raphael Lugassy
22 juillet 2020

Rone : « Quand je fais un album, j’écris un scénario, avec ses rebondissements et son climax »

par Alix Odorico

La Nuit Venue, premier long-métrage de Frédéric Farrucci, entame aujourd’hui sa deuxième semaine dans les salles. Ce n’est autre qu’Erwan Castex, alias Rone, qui a conçu la bande originale de cette love story nocturne parisienne portée à l’écran par la chanteuse Camélia Jordana et Guang Huo. Rencontre.

Le Grand Paris. Ses nuits inquiétantes aux lumières qui défilent, traversées par un coursier silencieux d’origine chinoise rêvant d’être DJ : voici ce qui a attiré Rone sur le film. S’il a déjà porté sa musique au cœur de quelques projets visuels (comme cette bande-son du court-métrage I, Philip qu’on retrouve dans son album Mirapolis), c’est la première fois qu’il s’essaie au long-métrage et il était temps ! Le bébé du réalisateur Frédéric Farrucci se nomme La Nuit VenueRone accompagne avec ses synthés les virées nocturnes de deux protagonistes sans réel futur. On a discuté avec lui autour de son rapport entre musique et septième art.

Comment s’est passée ta rencontre avec Frédéric Farrucci ?

Frédéric Farrucci m’a contacté il y a environ quatre ans lors de l’écriture du scénario, alors qu’il n’avait pas encore de financements. Il me l’a envoyé et ça m’a tout de suite plu. J’ai senti qu’il y avait quelque chose à faire musicalement donc j’ai dit go ! Quelque temps après, ça s’est financièrement débloqué et il est revenu vers moi. Le projet a pris forme à ce moment-là. Fred voulait que je commence à produire avant le tournage mais je lui ai répondu que je tenais à voir les images avant car, dans ce genre de projet, j’aime qu’il y ait une alchimie. Ce fut assez rapide car il y avait une urgence à vite monter le film, avec un temps de post-production très réduit, alors je me devais d’être efficace ! Lorsqu’il avait des scènes dans la boîte, il me les envoyait directement. Je me les passais en boucle et je composais en les regardant.

« Lorsqu’il avait des scènes dans la boîte, il me les envoyait directement. Je me les passais en boucle et je composais en les regardant. »

Et au-delà de votre collaboration, qu’est-ce qui t’as attiré dans l’esthétique du film pour composer sa bande-son ?

J’ai senti que c’était un film très atmosphérique. Les personnages sont deux extraterrestres qui ne parlent pas le même langage [Naomi est strip-teaseuse et Jin, chauffeur de VTC soumis à la mafia chinoise, ndlr], donc il fallait que la musique soit un lien pour les rapprocher. Je dirais qu’elle intervient comme ce troisième personnage imaginaire à travers toutes ces scènes dans la voiture, les plans fixes sur les visages et les paysages qui défilent. En réponse, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose de très épuré. Ce fut un gros challenge ! Autre challenge également, il y a le personnage de Jin qui crée un morceau durant tout le film pour ne le révéler qu’à la fin, donc il fallait qu’on voit à l’écran ces différentes étapes, sa recherche et ses tâtonnements. En somme, le morceau devait être imparfait et maladroit puis prendre forme petit à petit pour se concrétiser dans la dernière scène du film. Jin compose avec un simple ordinateur de cybercafé et un casque donc je devais respecter cela en n’utilisant pas de gros synthétiseurs analogiques, pour être raccord avec la composition du morceau.

Pour le film, on dirait que tu t’es identifié au personnage, ancien DJ et passionné de musiques électroniques…

Oui, c’est mon double. Au cours des discussions que j’ai eu avec l’acteur, j’essayais d’incarner son personnage musicalement puis j’ai réussi à rentrer dans sa peau. Il y a deux types de morceau dans ce film : cette musique qu’il construit et qui fait partie du récit, puis une autre plus démonstrative, qui exprime les sentiments des personnages pour combler le vide, car il n’y a pas beaucoup de dialogue. C’était ça qui me plaisait dans le projet. Il y a énormément d’espaces pour poser ma musique et c’est pour ça que je voulais qu’elle ne soit pas trop chargée, afin qu’elle aille à l’essentiel avec des nappes épurées.

« Quand je fais un album, je bosse comme si j’écrivais un scénario, avec ses rebondissements et son climax. »

Tu as fait des études de cinéma quand tu étais jeune. Avec ce projet, c’était un moyen pour toi de joindre enfin les deux bouts ?

©Raphaël Lugassy

J’ai toujours aimé le cinéma et la musique. J’ai commencé une fac de ciné où je suis allé jusqu’à la maîtrise. Franchement, à la fin, je me suis fait une bonne culture et ça m’a même appris plein de choses sur la musique. Ça a véritablement marqué ma manière de composer. Maintenant, quand je fais un album, je bosse comme si j’écrivais un scénario, avec ses rebondissements et son climax. J’ai toujours eu envie de faire des musiques de films mais j’attendais le bon projet, avec un scénario qui m’enthousiasme et un réalisateur avec qui je partage des points communs.

Ce travail sur la bande-son confirme-t-il ton envie de t’illustrer davantage au cinéma ?

Complètement, c’est un exercice tellement différent de la création d’un album où tu es totalement libre de partir dans toutes les directions possibles alors que dans un film, tu composes dans un cadre défini. Ici, je me sens davantage comme un artisan au service d’un artiste avec son projet qui te dépasse. Et puis, il y a cet aspect collectif qui me plaît beaucoup, où je peux travailler avec les différents corps de métiers du cinéma comme le monteur, les producteurs, l’ingénieur du son… C’est comme une fourmilière avec plein de gens qui travaillent pour aboutir à une œuvre collective.

C’est ta première bande-son de long-métrage mais pas la première fois que tu travailles sur un projet cinématographique. Je pense à la bande originale du court-métrage I, Philip, première fiction française en réalité virtuelle. Et puis, il n’y a qu’à se pencher un peu sur ta musique depuis le début pour y voir facilement un rapport avec la science-fiction…

Le sujet me parle, c’est sûr. Mais j’ai des amis vraiment férus de SF, alors que moi, je n’ai lu que Georges Orwell, Isaac Asimov et Alain Damasio, les classiques, quoi ! Au-delà de la SF, c’est surtout le message que les artistes véhiculent à travers leur travail qui me pousse à la collaboration. En bossant avec eux, j’ai l’impression de porter un message qui me touche et c’est une façon de mettre un peu de sens et de fond dans mon travail, même si j’adore aussi faire des grosses teufs de temps en temps ! Mon dernier album Room With a View est un bon exemple. Il est né d’une commande avec le Théâtre du Châtelet qui m’a donné carte blanche pour faire dix représentations (les deux dernières ont été annulés en raison du confinement). Avec ce projet, j’avais envie d’aller plus loin. J’ai contacté une troupe de danseurs, le collectif (La)Horde (directeur artistique du Ballet National de Marseille) et je leur ai dit que j’avais envie de bosser sur le thème de l’écologie qui me perturbe beaucoup. Le spectacle a eu lieu juste avant le confinement et il y avait donc ce pan de l’actualité qui nous rattrapait. Je me souviens qu’à un moment, les danseurs avaient des masques à gaz qui symbolisaient l’effondrement climatique, et lors de la troisième ou quatrième représentation, les spectateurs commençaient à porter des masques. Il y avait un effet miroir très troublant entre la scène et la salle, comme si la réalité avait rattrapé la fiction. Mais ça veut dire que nous avions visé juste d’une certaine manière.

 

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