© TITOUAN MASSÉ

Route du Rock 2023 : et Saint-Malo chantait

Mais où va le rock ? En août, la réponse est évi­dente : à Saint-Malo, pour suiv­re La Route Du Rock. Réussie en de nom­breux points, cette 31è édi­tion nous a délivré quelques décep­tions, des sur­pris­es, des con­fir­ma­tions, des moments de grâce. Mais surtout des tonnes de pistes pas­sion­nantes pour envis­ager l’avenir du rock.

 

On serait ten­té de dire que La Route du rock est tout sauf une ligne droite. Elle sem­ble surtout à la croisée des chemins. Et pile à cette inter­sec­tion se trou­ve l’his­torique fes­ti­val de Saint-Malo. Pour sa 31ème édi­tion, et après une année 2022 assez morose mal­gré sa propo­si­tion de qual­ité, le fes­ti­val a ten­té de sat­is­faire tout le monde. Pari réus­si, à en juger par une afflu­ence retrou­vée sans jamais trahir son ADN. Si l’on prend les trois soirées au Fort de Saint-Père (après une belle ouver­ture dans la salle de la Nou­velle Vague avec Psy­chot­ic Monks et War­m­dusch­er), cha­cune se divi­sait glob­ale­ment en trois par­ties. En ouver­ture, la jeune garde auda­cieuse, puis les valeurs sûres du rock avant de con­clure sur des propo­si­tions plus élec­tron­iques ou rap.

 

Mastodontes et jeunes pousses

 

La sim­ple con­struc­tion de ces soirées racon­te quelque chose en soi sur ce que représente le rock aujour­d’hui ‑et demain. Avec une ques­tion cen­trale : le rock est-il devenu un style de vieux ? La réponse, com­plexe, n’a que peu à voir avec la qual­ité des con­certs qui étaient pro­posés pour cette 31ème édi­tion à Saint-Malo. Pour ce qui est des grands noms, si les sets de Yo La Ten­go le ven­dre­di et Bri­an Jon­estown Mas­sacre le same­di étaient plutôt mol­las­sons, celui des Black Angels du ven­dre­di était très maîtrisé, et par­faite­ment con­stru­it dans la pro­gres­sion des titres et de leur dynamique. Mais cela n’empêche que ces trois groupes des années 90 ou début 2000, au style déjà volon­taire­ment rétro en leur temps, sem­blent totale­ment tournés vers le passé. On pour­rait dire la même chose d’Osees, mal­gré un show très généreux et élec­trisant, porté par deux bat­teurs par­faite­ment syn­chro­nisés. S’il a provo­qué d’inces­sants pogos, alter­nant les titres garage, kraut ou même prog avec aisance, on ne peut pas par­ler de futurisme.

 

 

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Mais jouer la carte de rup­ture généra­tionnelle serait trop facile. Là encore, la qual­ité des con­certs a pu vari­er. Très clas­siques cha­cun dans leur genre, Gilla Band et Bode­ga n’ont pas pro­duit le même effet. Le pre­mier, dans un post-punk bri­tan­nique très iden­ti­fi­able, a péché par un chanteur assez agaçant, mais surtout des morceaux ne lais­sant pas s’é­panouir leur son absol­u­ment mas­sif, à l’ex­cep­tion d’un avant-dernier titre à la ryth­mique plus dis­co et lais­sant s’in­staller une transe — trop brève encore. Le sec­ond sem­ble vouloir con­denser tout le post-punk de sa ville de New York, en par­ti­c­uli­er le côté dansant de Talk­ing Heads. Orig­i­nal ? Très peu. Pour­tant, le charisme de la chanteuse (assur­ant égale­ment la cym­bale charleston, tan­dis que le bat­teur joue debout), l’ef­fi­cac­ité des titres, et tout sim­ple­ment le plaisir man­i­feste des musi­ciens d’être là ont ren­du le moment très joyeux pour les fes­ti­va­liers de Saint-Malo.

 

Créer la surprise

 

Ce que n’a mal­heureuse­ment pas réus­si le duo anglais Jock­strap, pour­tant fort d’un pre­mier album riche et pas­sion­nant. Mal­gré la joie et le tal­ent de la chanteuse Geor­gia Ellery (échap­pée de Black Coun­try, New Road), l’ab­sence de scéno­gra­phie et le recours mas­sif aux sons pré-enregistrés n’ont pas échap­pé au pub­lic de Saint-Malo, qui a eu du mal à pénétr­er dans cet univers, pour­tant pas­sion­nant. Sans doute faut-il don­ner un peu de temps au pro­jet, et on ne peut que saluer la Route du Rock pour leur sou­tien à cette for­ma­tion étonnante.

Un groupe, cepen­dant, a réus­si à syn­thé­tis­er toutes ces qual­ités et met­tre tout le monde d’ac­cord à Saint-Malo : Squid. Arrivé par mir­a­cle le jour même, en rem­place­ment des Via­gra Boys tombés malades la veille, le quin­tet de Brighton a par­faite­ment saisi le pub­lic venu pour la for­ma­tion sué­doise. D’abord par une généreuse reprise du “Sports” des malades, mais surtout avec ses titres auda­cieux et intens­es, exé­cutés à la per­fec­tion, sans jamais per­dre en den­sité par rap­port à des albums stu­dios pour­tant très poussés. Plus qu’une bonne sur­prise : une claque.

Reste le cas King Giz­zard, de loin le groupe le plus atten­du du fes­ti­val. Et si le groupe a une fois de plus démon­tré son immense tal­ent, dif­fi­cile de ne pas en ressor­tir avec une pointe de frus­tra­tion. Le groupe se tient à son ori­en­ta­tion des derniers albums, basée sur de longues jams. De quoi démon­tr­er l’in­croy­able cohé­sion entre les six musi­ciens, et leur tal­ent pour faire dévi­er leurs morceaux sans jamais s’y per­dre, tout en piochant dans leur discogra­phie ten­tac­u­laire. Impres­sion­nant, et pour­tant on ne peut s’empêcher de penser que le groupe se la joue facile, avec des jams s’éti­rant un peu trop autour de motifs un brin faciles (surtout un “Ice V” inter­minable). Pas de quoi enlever l’en­vie d’y retourn­er dès que pos­si­ble, on se ras­sure. C’est bien parce qu’ils ont prou­vé qu’ils sont un grand groupe qu’on en attend tou­jours plus.

 

Fusion et diversité

 

De tout ça une chose est claire : c’est dans les moments les moins rock que se dessi­nent les voies les plus exci­tantes pour le genre. Ils font la magie du fes­ti­val, mais aus­si la diver­sité dont le genre a besoin pour se renou­vel­er. Les moments rap, bien sûr, ont eu deux beaux moments avec They Hate Change, duo à l’én­ergie énorme sur des beats breakés, face à un pub­lic épuisé par trois jours de fes­ti­val ; ou Clip­ping et ses pro­duc­tions tech­no noise mas­sives, sans oubli­er Spe­cial Inter­est, for­ma­tion new-yorkaise mêlant punk-funk et noise, avec un set attachant mal­gré l’angine de la chanteuse et l’ab­sence de bat­terie live. De beaux sets qui éclipsent mal­heureuse­ment celui de la promet­teuse FLOHIO, plus qu’en demi-teinte.

Mais l’un des plus grands moments du fes­ti­val était sans aucun doute le show de Young Fathers. Aug­men­té de deux chanteuses, d’un clav­iériste et multi-instrumentiste et d’un infati­ga­ble per­cus­sion­niste, le trio écos­sais a trans­for­mé sa soul/r’n’b en une per­for­mance aux émo­tions irra­di­antes, dans une transe qui dépasse même l’im­pec­ca­ble exé­cu­tion des musi­ciens. Les voix boule­versent toutes et se com­plè­tent par­faite­ment, dans une fer­veur pou­vant rap­pel­er les meilleurs moments d’Ar­cade Fire. Puis­sant.

 

 

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S’en­suiv­ait un superbe moment élec­tron­ique avec la tech­no arabe de Deena Abdel­wa­hed, men­tale et intense, portée par sa voix et l’in­stru­ment de son acolyte pour une vraie dimen­sion live. Si à l’in­verse Jamie XX s’est con­tenté d’un DJ set, celui-ci n’en restait pas moins pas­sion­nant et aven­tureux, et par­faite­ment adap­té à l’at­mo­sphère du fes­ti­val tout en l’a­menant sur d’autres hori­zons. Même M83, sorte d’anom­alie de la pro­gram­ma­tion pour qui en restait aux pre­miers tubes d’An­tho­ny Gon­za­lez, a poussé à fond ses influ­ences post-rock pour un set peut-être trop main­stream pour le fes­ti­val, mais très hon­nête mal­gré tout. Ne reste qu’à citer les belles après-midi sur la plage, en par­ti­c­uli­er le ven­dre­di avec deux représen­tantes du col­lec­tif de DJ féminin Zone Rouge (retrou­vées avec grand plaisir à 3h du matin, pour danser jusqu’au bout de la nuit) et la Suissesse Leoni Leoni, pour deux heures de douceur et de rêver­ie. Et à se dire que le rock a de beaux jours devant lui — en allant à la ren­con­tre de ses voisins.

 

Eh psst… toi qui n’a pas pu te ren­dre au fes­ti­val, on pose ici les cap­ta­tions du fes­ti­val par Arte Concert !