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© TITOUAN MASSÉ
24 août 2023

Route du Rock 2023 : et Saint-Malo chantait

par Antoine Gailhanou

Mais où va le rock ? En août, la réponse est évidente : à Saint-Malo, pour suivre La Route Du Rock. Réussie en de nombreux points, cette 31è édition nous a délivré quelques déceptions, des surprises, des confirmations, des moments de grâce. Mais surtout des tonnes de pistes passionnantes pour envisager l’avenir du rock.

 

On serait tenté de dire que La Route du rock est tout sauf une ligne droite. Elle semble surtout à la croisée des chemins. Et pile à cette intersection se trouve l’historique festival de Saint-Malo. Pour sa 31ème édition, et après une année 2022 assez morose malgré sa proposition de qualité, le festival a tenté de satisfaire tout le monde. Pari réussi, à en juger par une affluence retrouvée sans jamais trahir son ADN. Si l’on prend les trois soirées au Fort de Saint-Père (après une belle ouverture dans la salle de la Nouvelle Vague avec Psychotic Monks et Warmduscher), chacune se divisait globalement en trois parties. En ouverture, la jeune garde audacieuse, puis les valeurs sûres du rock avant de conclure sur des propositions plus électroniques ou rap.

 

Mastodontes et jeunes pousses

 

La simple construction de ces soirées raconte quelque chose en soi sur ce que représente le rock aujourd’hui -et demain. Avec une question centrale : le rock est-il devenu un style de vieux ? La réponse, complexe, n’a que peu à voir avec la qualité des concerts qui étaient proposés pour cette 31ème édition à Saint-Malo. Pour ce qui est des grands noms, si les sets de Yo La Tengo le vendredi et Brian Jonestown Massacre le samedi étaient plutôt mollassons, celui des Black Angels du vendredi était très maîtrisé, et parfaitement construit dans la progression des titres et de leur dynamique. Mais cela n’empêche que ces trois groupes des années 90 ou début 2000, au style déjà volontairement rétro en leur temps, semblent totalement tournés vers le passé. On pourrait dire la même chose d’Osees, malgré un show très généreux et électrisant, porté par deux batteurs parfaitement synchronisés. S’il a provoqué d’incessants pogos, alternant les titres garage, kraut ou même prog avec aisance, on ne peut pas parler de futurisme.

 

 

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Mais jouer la carte de rupture générationnelle serait trop facile. Là encore, la qualité des concerts a pu varier. Très classiques chacun dans leur genre, Gilla Band et Bodega n’ont pas produit le même effet. Le premier, dans un post-punk britannique très identifiable, a péché par un chanteur assez agaçant, mais surtout des morceaux ne laissant pas s’épanouir leur son absolument massif, à l’exception d’un avant-dernier titre à la rythmique plus disco et laissant s’installer une transe – trop brève encore. Le second semble vouloir condenser tout le post-punk de sa ville de New York, en particulier le côté dansant de Talking Heads. Original ? Très peu. Pourtant, le charisme de la chanteuse (assurant également la cymbale charleston, tandis que le batteur joue debout), l’efficacité des titres, et tout simplement le plaisir manifeste des musiciens d’être là ont rendu le moment très joyeux pour les festivaliers de Saint-Malo.

 

Créer la surprise

 

Ce que n’a malheureusement pas réussi le duo anglais Jockstrap, pourtant fort d’un premier album riche et passionnant. Malgré la joie et le talent de la chanteuse Georgia Ellery (échappée de Black Country, New Road), l’absence de scénographie et le recours massif aux sons pré-enregistrés n’ont pas échappé au public de Saint-Malo, qui a eu du mal à pénétrer dans cet univers, pourtant passionnant. Sans doute faut-il donner un peu de temps au projet, et on ne peut que saluer la Route du Rock pour leur soutien à cette formation étonnante.

Un groupe, cependant, a réussi à synthétiser toutes ces qualités et mettre tout le monde d’accord à Saint-Malo : Squid. Arrivé par miracle le jour même, en remplacement des Viagra Boys tombés malades la veille, le quintet de Brighton a parfaitement saisi le public venu pour la formation suédoise. D’abord par une généreuse reprise du « Sports » des malades, mais surtout avec ses titres audacieux et intenses, exécutés à la perfection, sans jamais perdre en densité par rapport à des albums studios pourtant très poussés. Plus qu’une bonne surprise : une claque.

Reste le cas King Gizzard, de loin le groupe le plus attendu du festival. Et si le groupe a une fois de plus démontré son immense talent, difficile de ne pas en ressortir avec une pointe de frustration. Le groupe se tient à son orientation des derniers albums, basée sur de longues jams. De quoi démontrer l’incroyable cohésion entre les six musiciens, et leur talent pour faire dévier leurs morceaux sans jamais s’y perdre, tout en piochant dans leur discographie tentaculaire. Impressionnant, et pourtant on ne peut s’empêcher de penser que le groupe se la joue facile, avec des jams s’étirant un peu trop autour de motifs un brin faciles (surtout un « Ice V » interminable). Pas de quoi enlever l’envie d’y retourner dès que possible, on se rassure. C’est bien parce qu’ils ont prouvé qu’ils sont un grand groupe qu’on en attend toujours plus.

 

Fusion et diversité

 

De tout ça une chose est claire : c’est dans les moments les moins rock que se dessinent les voies les plus excitantes pour le genre. Ils font la magie du festival, mais aussi la diversité dont le genre a besoin pour se renouveler. Les moments rap, bien sûr, ont eu deux beaux moments avec They Hate Change, duo à l’énergie énorme sur des beats breakés, face à un public épuisé par trois jours de festival ; ou Clipping et ses productions techno noise massives, sans oublier Special Interest, formation new-yorkaise mêlant punk-funk et noise, avec un set attachant malgré l’angine de la chanteuse et l’absence de batterie live. De beaux sets qui éclipsent malheureusement celui de la prometteuse FLOHIO, plus qu’en demi-teinte.

Mais l’un des plus grands moments du festival était sans aucun doute le show de Young Fathers. Augmenté de deux chanteuses, d’un claviériste et multi-instrumentiste et d’un infatigable percussionniste, le trio écossais a transformé sa soul/r’n’b en une performance aux émotions irradiantes, dans une transe qui dépasse même l’impeccable exécution des musiciens. Les voix bouleversent toutes et se complètent parfaitement, dans une ferveur pouvant rappeler les meilleurs moments d’Arcade Fire. Puissant.

 

 

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S’ensuivait un superbe moment électronique avec la techno arabe de Deena Abdelwahed, mentale et intense, portée par sa voix et l’instrument de son acolyte pour une vraie dimension live. Si à l’inverse Jamie XX s’est contenté d’un DJ set, celui-ci n’en restait pas moins passionnant et aventureux, et parfaitement adapté à l’atmosphère du festival tout en l’amenant sur d’autres horizons. Même M83, sorte d’anomalie de la programmation pour qui en restait aux premiers tubes d’Anthony Gonzalez, a poussé à fond ses influences post-rock pour un set peut-être trop mainstream pour le festival, mais très honnête malgré tout. Ne reste qu’à citer les belles après-midi sur la plage, en particulier le vendredi avec deux représentantes du collectif de DJ féminin Zone Rouge (retrouvées avec grand plaisir à 3h du matin, pour danser jusqu’au bout de la nuit) et la Suissesse Leoni Leoni, pour deux heures de douceur et de rêverie. Et à se dire que le rock a de beaux jours devant lui – en allant à la rencontre de ses voisins.

 

Eh psst… toi qui n’a pas pu te rendre au festival, on pose ici les captations du festival par Arte Concert !

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