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Seymour Stein, des Ramones à Madonna

par Tsugi

Il a sauté sur Depeche Mode et signé Madon­na sur son lit d’hôpi­tal. On lui doit aus­si les Ramones, Talk­ing Heads ou Ice‑T. Plus qu’un grand nom, Sey­mour Stein, le fon­da­teur de Sire Records, était une véri­ta­ble légende de l’in­dus­trie. Il est décédé ce dimanche 2 avril à l’âge de 80 ans. Fin 2013, Tsu­gi l’avait rencontré.

Paris, octo­bre 2013. Sey­mour Stein est de pas­sage à Paris. Le cofon­da­teur du label Sire, vice prési­dent de Warn­er Records, retrace à l’oc­ca­sion de la con­ven­tion MaMA pas moins de soix­ante ans d’une fructueuse car­rière. Sou­venirs. Brook­lyn, 18 avril 1942, Sey­mour Stein­bigle voit le jour. “En règle générale, je crois que la musique que l’on aime le plus est celle que l’on a décou­vert quand on avait 13 ans. Pour moi, qui ai été exposé très tôt aux dis­ques de ma grande sœur, c’est surtout celle que j’écoutais quand j’avais 9, 10 ans. Ain­si, quand je mets des dis­ques pour le plaisir, je passe du vieux rhythm’n’blues, de la vieille coun­try ou du doo-wop. Je pour­rais écouter Hank Williams sans arrêt.”

 

Copieur de charts

À peine débar­qué dans l’adolescence, Sey­mour n’a qu’une idée en tête : il veut tra­vailler dans la musique. Ayant décou­vert grâce à une émission de télé l’existence de Bill­board Mag­a­zine, la bible des pro­fes­sion­nels, là où sont pub­liés les charts, le voilà qui déboule à la rédac­tion… J’étais un peu incon­scient : je suis allé les voir pour leur deman­der si je pou­vais recopi­er tous les charts parus depuis ma nais­sance ! Le responsable des classe­ments a accep­té et il m’a don­né un bureau où écrire. J’avais 13 ans et j’ai fail­li me faire jeter de l’école à cause de ça !” Sey­mour met deux ans à ter­min­er son tra­vail de béné­dictin. “Ils m’ont alors pro­posé de tra­vailler avec eux après les cours. J’ai sauté sur l’occasion ! C’est à cette époque que j’ai ren­con­tré tout le monde : Ahmet Ertegün et Jer­ry Wexler d’Atlantic Records, George Gold­ner qui avait à l’époque Gone et End Records, les frères Chess… Ces types sont devenus mes men­tors, mes pro­fesseurs, ils m’ont don­né une édu­ca­tion incroy­able.” Habitué lui aus­si des bureaux de Bill­board, Syd Nathan, le boss de King Records, un label de Cincin­nati, pro­pose à Sey­mour un stage d’été. Quelque peu inqui­et à la per­spec­tive de voir son fils quit­ter New York avec un incon­nu, le père de l’ado, qui tra­vaille dans la con­fec­tion, ren­con­tre Nathan. Lequel lui demande de but en blanc s’il a assez d’argent pour acheter une carte de livreur de jour­naux à son fils. “Il a dit à mon père : ‘Votre fils a de la gomme-laque (matéri­au util­isé autre­fois pour fab­ri­quer des dis­ques, ndlr) dans le sang. Si vous le ne le lais­sez pas tra­vailler dans la musique, il fini­ra livreur de jour­naux ! Aus­si, si vous ne voulez pas avoir ça sur la con­science, laissez-le venir avec moi !’ ” L’argument porte et Sey­mour effectue deux stages chez King (étés 1957–1958). Nathan en prof­ite pour lui ordon­ner de rac­cour­cir son nom : “C’est Stein ou Bigle, sinon je te ren­voie à New York !” Adieu Sey­mour Stein­bigle, Sey­mour Stein était né.

 

 

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Un pas­sage éclair en fac, puis Sey­mour se met à tra­vailler à temps plein chez Bill­board. Syd Nathan, qu’il définit comme le plus impor­tant de ses men­tors”, le con­va­inc de démé­nag­er à Cincin­nati pour tra­vailler avec lui. Pen­dant deux ans, Sey­mour va appren­dre toutes les ficelles du méti­er. Il est mineur mais ça ne l’empêche pas d’accompagner sur la route les artistes mai­son, au pre­mier rang desquels un nou­veau tal­ent appelé James Brown. Mais New York lui manque. Aus­si quand Herb Abram­son, un des fon­da­teurs d’Atlantic, lui pro­pose de revenir à Gotham pour boss­er sur son nou­veau label, Fes­ti­val, Sey­mour quitte King Records en dépit des aver­tisse­ments de Nathan qui lui dit qu’il fait “une grosse con­ner­ie”. Nathan avait vu juste : quelques mois plus tard, Fes­ti­val met la clé sous la porte et Stein se retrou­ve sans taf. Heureuse­ment, une rela­tion le prévient que les mythiques com­pos­i­teurs Jer­ry Leiber et Mike Stoller s’apprêtent à lancer un nou­veau label avec George Gold­ner : Red Bird Records. Gold­ner s’est fait un nom en pub­liant des gens comme Tito Puente ou les Isley Broth­ers. Joueur invétéré, l’homme a aus­si la répu­ta­tion de soudoy­er les DJ’s des radios pour qu’ils passent ses dis­ques (un sys­tème appelé “pay­ola”). Il embauche Sey­mour comme assistant, un poste stratégique à cette époque où les employés cumu­lent les casquettes.

 

Razzia sur l’Angleterre

Nous sommes en 1963, Sey­mour a 21 ans et la mode est aux girls groups. Red Bird va car­tonner avec un quatuor du Queens, les ShangriLas mais les Bea­t­les pren­nent tout le monde par sur­prise. J’ai com­pris qu’il fal­lait s’intéresser à ce qu’il se pas­sait en Angleterre et qu’il y avait for­cé­ment d’autres excel­lents groupes là-bas.” C’est à cette époque que Stein fait la ren­con­tre déter­mi­nante de Richard Got­tehrer, un auteur de deux ans son aîné qui a cosigné des hits comme “My Boyfriend’s Back” et “I Want Can­dy”. Mal­gré leur jeune âge, les deux hommes sont déjà des pro­fes­sion­nels accom­plis qui brû­lent de fonder leur pro­pre société. Ils se jet­tent à l’eau et créent Sire Pro­duc­tions en 1966. Leur pre­mier deal est con­clu avec Tom Noo­nan, le type qui s’occupait des charts du Bill­board et qui dirige désor­mais un sous-label de Colum­bia, Date Records. Il charge les deux asso­ciés d’identifier (Stein) et pro­duire (Got­tehrer) des artistes. “J’avais signé un groupe appelé Chain Reac­tion dans lequel jouait un nou­veau venu appelé Steven Tal­lari­co. Ils ont fait un sin­gle avec nous mais le père du garçon, un homme très dur, m’a demandé de ren­dre le con­trat. Il n’était pas con­tent, il voulait que le gamin perce du jour au lende­main. Il a fal­lu plusieurs années pour qu’il y arrive. Entre-temps, il avait changé son nom en Tyler et avait for­mé un nou­veau groupe, Aero­smith.”

 

L’année suiv­ante, Stein et son asso­cié quit­tent Date pour fonder leur pro­pre label, Sire Records. Sey­mour effectue une véri­ta­ble razz­ia en Angleterre : “La prin­ci­pale rai­son pour laque­lle je suis allé en Angleterre la pre­mière fois, c’est que nous n’avions pas beau­coup d’argent et que les groupes n’étaient pas chers. J’en ai signé un paquet : The Cli­max Blues Band, Renais­sance, Bar­clay James Har­vest…” Celui que l’on va appel­er le plus anglophile des patrons de maisons de dis­ques dis­tribue à par­tir de 1970 le label Blue Hori­zon chez qui sont parus les deux pre­miers albums de Fleet­wood Mac. “J’ai aus­si signé les
Hol­landais Focus qui nous ont don­né notre pre­mier sin­gle mil­lion­naire (“Hocus Pocus”, 1973).” En 1975, alors que Richard Got­tehrer quitte Sire pour “raisons per­son­nelles”, un club pour­ri du
sud de Man­hat­tan devient le cen­tre de grav­ité du rock mon­di­al. Je ne suis pas le pre­mier à être allé au CBGB mais j’étais un des pre­miers. Quand on y allait, on ne savait jamais ce qu’on allait voir. Hilly Kristal, le patron, lais­sait sa chance à tout le monde. C’était ça la beauté du lieu, c’était incroy­able, j’adorais ! Je voulais aller voir les Ramones mais, le jour du con­cert, j’étais cloué au lit par la grippe. Ma femme Lin­da y est allée à ma place. Elle les a trou­vés géni­aux. Le jour suiv­ant, j’ai loué un stu­dio pen­dant une heure et je les ai fait venir. En vingt min­utes, ils ont fait un nom­bre incroy­able de chan­sons, j’étais stupé­fait ! Le surlende­main, ils étaient en stu­dio et deux mois plus tard, leur album sortait.”

 

En plus des Ramones, Sire accueille d’autres artistes de la scène punk comme Richard Hell (que pro­duit Got­tehrer) et surtout les Talk­ing Heads. Stein préfère par­ler de new wave que de punk. En fait, je m’en foutais. Ils auraient pu appel­er cette scène ‘shit music’, ça m’aurait été égal. Mais le fait était que ‘punk rock’ était utilisé de manière péjo­ra­tive donc j’ai dit : C’est une nou­velle vague et vous devriez tous être heureux qu’elle soit là.’ Et je ne men­tais pas. Je ne cher­chais pas à embrouiller, nous assis­tions bien à la nais­sance d’une nou­velle vague.”

Le dynamisme de Sire lui vaut d’être racheté par Warn­er en 1978. Au cours d’un voy­age en Angleterre, Stein ren­con­tre Daniel Miller, le patron d’un nou­veau label indé anglais, Mute Records.J’avais ren­con­tré Daniel à Rough Trade et j’avais dis­tribué ses pro­jets per­son­nels, The Nor­mal et les Sil­i­con Teens. Un matin, je me lève tôt, fort heureuse­ment, et je tombe dans un journal, le Melody Mak­er ou le NME, je ne sais plus, sur un arti­cle qui dit que Daniel vient de sign­er un vrai groupe, Depeche Mode, et qu’il joue… aujourd’hui ! J’ai fon­cé à l’aéroport et j’ai acheté un bil­let sur le pre­mier Con­corde. Des gens de notre petit bureau lon­donien m’ont retrou­vé à l’aéroport. Ils m’ont con­duit à Basil­don (ville d’où vient Depeche Mode, ndlr) et j’ai fait le deal !”

 

Douché, débranché

Peu de temps après, en 1982, Mark Kamins, un DJ qui veut percer dans la pro­duc­tion, présente à Stein une démo enreg­istrée par une de ses ex. Je lui avais don­né de l’argent pour qu’il trou­ve des artistes. La troisième chose qu’il m’a apportée c’était Madon­na… que j’ai écoutée à l’hôpital où j’étais blo­qué pour des exa­m­ens. C’était les débuts du walk­man et je n’arrêtais pas de la pass­er ! Je l’ai fait venir alors que j’étais branché de partout. Elle a accep­té de venir parce qu’elle avait appris que j’en avais encore pour deux semaines, ce qui était bon signe. J’ai fait en sorte d’être présentable. Un bar­bi­er est venu me couper les cheveux et me ras­er. Je me suis fait débranch­er, j’ai pris une douche, tout ça. Elle est entrée et j’ai vu qu’elle se moquait de mon allure, elle voulait une chance et, putain, j’ai adoré ça ! Nous nous sommes très bien enten­dus et c’est tou­jours le cas. Les gens me deman­dent si je savais à ce moment-là qu’elle deviendrait aus­si énorme, ce qui est la putain de ques­tion la plus ridicule que j’aie jamais enten­due ! Bien sûr que non : j’ai cru en elle ! C’était suff­isant, vrai­ment. Elle voulait une chance. Quand ‘Bor­der­line’ est sor­ti (en févri­er 1984, ndlr), j’ai com­pris que plus rien ne nous arrêterait. Je lui ai lais­sé gér­er presque tout, non pas parce qu’elle est l’artiste la plus éton­nante avec qui j’ai tra­vail­lé mais parce qu’elle est l’artiste la plus éton­nante que j’aie jamais ren­con­trée ! Madon­na est une des plus grandes artistes de tous les temps. Elle n’a pas d’égal.”

Le des­tin de Sire va épouser celui de la Cic­cone pen­dant les douze années qui suiv­ent, douze années pen­dant lesquelles Stein con­tinue à sign­er des dizaines d’artistes dont nos Négress­es Vertes nationales et Ice‑T ! J’ai plutôt loupé les débuts du hip-hop. Un jour, je me suis réveil­lé en me dis­ant : Putain, qu’est-ce qu’il se passe ? Pourquoi n’avons-nous pas un de ces artistes sous con­trat ?’ Je savais que le hip-hop s’était répan­du un peu partout, en par­ti­c­uli­er sur la West Coast. J’y suis allé et j’ai signé Ice‑T. Il a sor­ti son pre­mier album chez nous en 1987.”

Aujourd’hui*, Sey­mour Stein a 72 ans. Il écoute le plus pos­si­ble de nou­veautés pour rester à la page”, sil­lonne tou­jours le globe et s’intéresse par­ti­c­ulière­ment aux marchés chi­nois et indi­en. Quand on lui demande s’il y a des artistes qu’il regrette de ne pas avoir signés, il répond : J’aurais aimé sign­er plein de gens mais j’en ai signé telle­ment que j’ai eu ma part vous ne croyez pas ? Donc, pas de regrets!En français dans le texte, please !

Par Olivi­er Richard

 

(*à la pub­li­ca­tion de l’article)

 

 

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