Shkoon, entre tech house allemande et poèmes syriens : “évidemment que c’est hautement politique.”

Shkoon aime par­ler d’une seule voix, préférant évo­quer ses mem­bres à la troisième per­son­ne plutôt qu’à la pre­mière. Voilà qui résume la philoso­phie prônée par ce groupe, sym­bole d’unité et de mix­ité cul­turelle. Tout com­mence lorsqu’Ameen s’est réfugié en Alle­magne, fuyant la sit­u­a­tion cri­tique dans laque­lle est plongée la Syrie, où il ren­con­tra alors Thor­ben, jeune pro­duc­teur alle­mand instal­lé à Ham­bourg. Par la suite, ils inté­greront au groupe Maher, égale­ment réfugié. Leur ami­tié s’est trans­for­mée en col­lab­o­ra­tion musi­cale fructueuse et en dis­cours poli­tique à base de tolérance et de paix, sur fond de tech house mêlée d’in­stru­ments ori­en­taux. Nous avons échangé avec Shkoon à l’oc­ca­sion d’un prochain con­cert le 19 jan­vi­er au Bad­aboum, qui se tien­dra en com­pag­nie de Gui­do (mem­bre d’Acid Arab) et de la révéla­tion tech­no pales­tini­enne Sama.

Tsu­gi : Pouvez-vous nous racon­ter vos débuts en tant que groupe ?
Shkoon : Ameen et Thor­ben se sont ren­con­trés en 2015 à Ham­bourg. Ameen est venu vivre chez lui dans une colo­ca­tion com­posée d’une flopée d’amis. Ils se sont rapi­de­ment mis à faire de la musique ensem­ble. L’été suiv­ant, ils ont ren­con­tré Maher dans un fes­ti­val local où il jouait avec son groupe de gypsy-swing. Donc après un an de pré­pa­ra­tion, nous avons joué notre pre­mier set en tant que trio en jan­vi­er 2017 à Paris en com­pag­nie du col­lec­tif Nay­da. Sur scène, Maher est au vio­lon, Ameen chante et joue des per­cus­sions tan­dis que Thor­ben s’occupe des machines et du piano.

C’est tou­jours dif­fi­cile de jouer à l’étranger à cause des visas ?
La sit­u­a­tion de Ameen et Maher est tou­jours com­pliquée : ils ont un doc­u­ment de voy­age alle­mand en tant que réfugiés, ce qui est loin de cor­re­spon­dre à un passe­port nation­al. Nous avons beau­coup d’amis qui essayent de régler ce prob­lème dans plusieurs pays. Mais la plu­part du temps, les démarch­es tour­nent court, leurs visas sont refusés.

Quels sont les sujets abor­dés dans vos chan­sons ? J’ai cru com­pren­dre qu’il s’agissait d’ancien poèmes.
Il y a beau­coup de poèmes tra­di­tion­nels en effet, mais nous écrivons aus­si nos pro­pres paroles. Il y a des chan­sons d’amour, mais aus­si des textes poli­tiques et des réc­its de révo­lu­tion. Les sujets sont très vari­ables en fonc­tion des chan­sons, mais nous nav­iguons entre les thé­ma­tiques de la tolérance, de la lib­erté, de la fra­ter­nité et de l’amour.

C’est com­pliqué de mix­er les règles musi­cales de vos deux cultures ?
Ça nous a tou­jours sem­blé naturel de les mêler, même si par­fois c’est prob­lé­ma­tique de mix­er la poly­phonie occi­den­tale avec l’échelle ori­en­tale en qua­tre tons. Mais avec un peu d’expérience, nous avons trou­vé notre façon de tra­vailler et on l’adore. Cette dual­ité est devenu un out­il pour créer de la ten­sion. Pour les rythmes, il ne s’agit que de nom­bres, il fal­lait sim­ple­ment trou­ver un mul­ti­ple pour les faire match­er. Au final c’est impor­tant pour nous de com­pren­dre nos dif­férences au niveau des théories musi­cales pour ressen­tir la fusion de nos passés culturels.

Ameen, tu étais un activiste quand tu étais plus jeune. Tu mets de ton engage­ment dans votre musique ?
Ameen : Pour moi, c’est et ce sera tou­jours impor­tant de révéler les abus poli­tiques et soci­aux. Donc oui d’une cer­taine manière j’ai juste changé d’outil pour par­ler aux gens. Et bien sûr, les expéri­ences que j’ai vécu avant de quit­ter la Syrie se retrou­vent dans ce que je fais maintenant.

Jouer à tra­vers l’Europe vous per­met de défendre une ouver­ture cul­turelle et l’abrogation des fron­tières ou vous met­tez de côté l’aspect politique ?
Évidem­ment que c’est haute­ment poli­tique. Il y a telle­ment de choses qui vont mal sur cette planète en ce moment. Nous sen­tons que nous avons une sorte de mis­sion : propager l’amour et la joie, bris­er les bar­rières et le racisme dans l’esprit des per­son­nes que nous rencontrons.

Le monde de la tech­no et de la house a tou­jours défendu le principe d’égalité et de fra­ter­nité. Vous le ressen­tez dans le pub­lic qui vient vous voir ?
Nous sommes sur­pris et ravis à chaque fois que nous venons dans un nou­veau lieu et voyons le pub­lic danser sur notre musique alors que bien sou­vent, rares sont ceux qui com­pren­nent nos paroles. Avec la foule, nous créons un endroit sûr où n’importent plus qui nous sommes ou d’où nous venons.

Vous remar­quez des dif­férences en fonc­tion des pays où vous jouez ?
Non, pas autant qu’on aimerait le croire. En règle générale, il n’y a que deux pro­fils dans notre pub­lic : les per­son­nes qui com­pren­nent l’arabe et chantent avec nous ou ceux qui se plon­gent juste dans la musique.

Quels sont vos prochains projets ?
En ce moment nous tra­vail­lons sur notre pre­mier album. En stu­dio nous faisons atten­tion à ce que cha­cun d’entre nous trou­ve sa place et soit impliqué dans la pro­duc­tion. Mais le proces­sus de créa­tion prend plus de temps que ce à quoi nous nous atten­dions en pre­mier lieu. Nous ten­tons dif­férentes struc­tures de rythmes et de nou­veaux types de sons. Nous sommes allés enreg­istr­er plusieurs musi­ciens issus d’autres gen­res. Si la somme de ces nou­veautés rend l’étape de créa­tion plus lente, elle est aus­si plus pas­sion­nante. C’est un vrai chal­lenge mais nous tenons fer­me­ment à sor­tir un album. Mais à la fin de nos galères, nous sor­tirons ren­for­cés de cette expéri­ence et fon­cière­ment heureux.

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