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Soirées warehouse : sont-elles allées trop loin ?

Incar­nant un renou­veau rave bien­venu à une époque où Paris s’endormait, les soirées ware­house sont dev­enues incon­tourn­ables dans le paysage fes­tif et élec­tron­ique de la cap­i­tale française et de sa ban­lieue. Plusieurs affaires et polémiques récentes ont néan­moins mon­tré les lim­ites et les dérives de ce for­mat à moitié clan­des­tin mais com­mer­cial, qui va sans doute devoir se pro­fes­sion­nalis­er pour con­tin­uer d’exister.

Le vrom­bisse­ment des bass­es s’entend au loin. Peu de chances qu’il gêne les voisins les plus proches, morts et enter­rés. En revanche, pour les clients de l’Ibis Bud­get situé à l’entrée de la zone indus­trielle qui longe le cimetière de Bobigny, la per­spec­tive de pou­voir savour­er une grasse mat­inée domini­cale sem­ble com­pro­mise. « L’after des pirates », organ­isé par le col­lec­tif OSHO#, se tient à 200 mètres de là, en plein air, au fond d’une allée entre deux entre­pôts, avec la promesse de pou­voir faire la fête de 8h à 22h. Une voiture de la police munic­i­pale sta­tionne à l’entrée, sans que cela n’émeuve les fêtards qui afflu­ent pour ter­min­er leur nuit — rares sont ceux qui sem­blent com­mencer leur journée. Ils ont reçu l’adresse par e‑mail trois quarts d’heure avant le début de l’évènement. Télé­phone en main, ils présen­tent leur pass san­i­taire, avant d’ouvrir l’application Shot­gun et de faire scan­ner leur place. Une fouille rapi­de, et ils y sont. Le bar est à droite, la tente des pom­piers à gauche, et au fond, un mur d’enceinte crache une tech­no fruste qui tourne à plus de 150 BPM. La plu­part filent se mass­er devant le DJ, quand quelques-uns prof­i­tent des palettes dis­posés sur le sol pour repren­dre des forces. Ils n’en auront pas besoin. À 10h15, le DJ coupe le son et fait signe à la foule d’attendre deux min­utes. Au bout de cinq, l’un des organ­isa­teurs, l’air dépité, prend le micro et annonce que la musique ne repren­dra pas. « La mairie a appelé la pré­fec­ture qui a envoyé les flics. Voilà, on n’a pas le choix. Soit on arrête tout, soit ils ren­trent. » Bravache, une fille lance : « Eh bien qu’ils ren­trent, on les attend ! » L’organisateur tem­père son ardeur : « Oui… bon… le truc, c’est que s’ils ren­trent, ils sai­sis­sent le matos. Et là c’est notre matos, pas de la loc… Et puis ils vont nous faire chi­er sur la licence alcool. » Un type s’étonne : « Vous avez pas de licence ? » L’organisateur, un brin agacé : « Oui, non, enfin, on a une licence d’exploita­tion par un mec qui a une pizze­ria, mais je ne sais pas ce qu’il fout, il n’est pas là… Enfin bref, on est désolé, on va évidem­ment rem­bours­er tout le monde. » Ces dernières paroles ras­surent l’au­di­toire. On entend quelques « Force à vous ! », et la foule se retire dans le calme sous les yeux des forces de l’ordre, plus gar­nies qu’au départ. Dehors, tout le monde cherche un plan pour pour­suiv­re la fête.

La mairie a appelé la pré­fec­ture qui a envoyé les flics. Voilà, on n’a pas le choix. Soit on arrête tout, soit ils ren­trent.” L’or­gan­isa­teur d’une soirée ware­house, deux heures env­i­ron après le début de la fête

« On ne va quand même pas finir dans un bar ! », se lamente Greg auprès de son groupe d’amis, tout en con­sul­tant son télé­phone à la recherche d’un plan de repli. « A l’origine, je devais aller à la soirée Pos­ses­sion, explique-t-il, mais elle a été annulée par la pré­fec­ture. Il paraît que la police a aus­si fait une descente à Insan­i­ty. J’ai l’impression que ça n’arrête pas en ce moment. » De quoi préoc­cu­per cet étu­di­ant en école de com­merce, ama­teur de ce type d’évènements qu’on nomme com­muné­ment “soirées ware­house”, parce qu’organisées dans des entre­pôts ou sur des frich­es indus­trielles, quand on ne par­le pas de soirées hors club, hors les murs, tech­no alter­na­tive ou tout bon­nement de raves, puisqu’il ne s’agit finale­ment que d’une remise à jour des raves telles qu’elles exis­taient dans les années 1990 : des fêtes tech­no à moitié clan­des­tines mais payantes, dans des lieux détournés de leur fonc­tion ini­tiale. S’il ne rechigne pas à aller en club de temps en temps, Greg reste plus attiré par les ware­hous­es. « En club, tu paies 20 balles lentrée, 10 balles ta con­so, les vig­iles te font chi­er à lentrée, à l’intérieur, et même jusqu’en dans les chiottes. On se sent moins fliqués en ware­house. » La remar­que pour­ra sem­bler cocasse, alors qu’une dizaine de policiers se tien­nent à quelques mètres de nous, mais c’est un argu­ment qui revient fréquemment.

Image d’il­lus­tra­tion ©Bence Balla-Schottner

Du rave à la réalité

Le phénomène a démar­ré il y a un peu moins de dix ans, ini­tié par une poignée de col­lec­tifs sous influ­ence berli­noise. « On avait envie de remet­tre un peu en ques­tion la manière de faire la fête, mélanger la cul­ture des raves, des squats et des clubs, racon­te Sina, DJ et pro­duc­teur, mem­bre de Sub­tyl, l’un des col­lec­tifs pio­nniers. On n’était pas anti-clubs, mais opposés à cer­taines choses qu’on voy­ait en club : le juge­ment à lentrée, les car­rés VIP, les bouteilles, la pro­mo­tion un peu sur­faite… On voulait revenir à l’essen­tiel. » Con­comi­tant avec le retour au pre­mier plan de la tech­no, le for­mat prend son envol au milieu des années 2010, sous l’impulsion de col­lec­tifs comme Pos­ses­sion, Fée Cro­quer, Alter Paname ou Myst, qui promeu­vent une fête libre et inclu­sive, générale­ment revendiquée LGBTQIA+, pro­posant des plages horaires étalées, sur douze heures ou plus. Organ­isées la plu­part du temps en ban­lieue, où l’on trou­ve plus facile­ment de grands espaces, ces soirées dépla­cent le sens de grav­ité de la fête parisi­enne, faisant « éclater cette bar­rière physique et men­tale qu’était le périphérique », comme le décrit Sina. « Ça a un peu posé les fon­da­tions du Grand Paris », ajoute-t-il amusé. Comme pour les raves d’antan, le pub­lic est tenu au courant de l’adresse au dernier moment, afin de ne pas éveiller les soupçons des autorités — peu d’organisateurs effectuent les deman­des d’autorisations req­ui­s­es auprès de la pré­fec­ture de police et des munic­i­pal­ités. Le suc­cès est indé­ni­able. Comme le relève une étude pub­liée en 2018 par Shot­gun, bil­let­terie spé­cial­isée dans l’évènementiel élec­tron­ique : « La crois­sance des événe­ments organ­isés par des col­lec­tifs est la plus forte, elle a été mul­ti­pliée par sept depuis 2014, ce qui atteste […] de l’engoue­ment du pub­lic pour les nou­veaux for­mats de sor­tie pro­posés par les col­lec­tifs, sou­vent plus libres et plus expéri­en­tiels. » De quoi redonner, dans le sil­lage de Con­crete, une attrac­tiv­ité à la vie noc­turne de Paris, que Le Monde avait qual­i­fié en 2009 de « cap­i­tale européenne de l’ennui ». La pandémie n’a pas freiné cette dynamique. Il n’est pas rare aujour­d’hui qu’une dizaine de soirées hors club se tien­nent sur un même week-end, cer­taines, comme Pos­ses­sion, pou­vant attir­er plus de 5 000 per­son­nes. Preuve de cet engoue­ment, la plate­forme Boil­er Room, poids-lourd de la musique élec­tron­ique, s’est asso­ciée à Pos­ses­sion pour célébr­er son dix­ième anniver­saire à Paris, le 11 décem­bre prochain, lors d’un grand raout au Bourget.

On avait envie de remet­tre un peu en ques­tion la manière de faire la fête, de revenir à l’essen­tiel.” Sina, mem­bre de Subtyl

Ces derniers mois, pour­tant, c’est moins dans les pages cul­ture que dans la rubrique faits divers que la scène ware­house a fait par­ler d’elle. Il y a eu le procès met­tant en cause le col­lec­tif Feel Free Records, dont le respon­s­able vient d’être con­damné à un an de prison avec sur­sis pour mise en dan­ger de la vie d’autrui, coupable d’avoir organ­isé une fête dans un hangar vétuste et une autre en péri­ode de con­fine­ment, ain­si que des affaires de nui­sances sonores sur­v­enues durant l’été à Stains, Bobigny et au Blanc-Mesnil, qui ont mobil­isés mairies et riverains. D’autres polémiques, moins médi­atisées, revi­en­nent régulière­ment sur les réseaux soci­aux et aux oreilles : organ­isa­teurs qui vendent plus de places qu’ils n’en ont, prob­lèmes de rem­bourse­ments lorsqu’une soirée est annulée, absence de points d’eau sur les sites, prix jugés exces­sifs (plus de 25 euros pour une soirée sur un park­ing), con­flits entre col­lec­tifs, et des ambiances jugées un peu moins safe, en témoigne un com­mu­niqué pub­lié par Pos­ses­sion en août dernier, expli­quant qu’il y aura désor­mais un con­trôle plus strict à la porte. Mais c’est surtout une soirée organ­isée par le col­lec­tif La Toi­lette le 4 sep­tem­bre dernier qui a fait scan­dale, lorsque 1 500 per­son­nes ayant payé leur place 26 euros se sont retrou­vées à danser dans un camp de réfugiés à Vitry-sur-Seine, avant que la police, alertée par des voisins, n’in­ter­rompe la fête. Le lende­main, Nymed, l’un des DJs qui devait jouer ce soir-là, se fendait d’un post pub­lié sur Insta­gram et Face­book, faisant part de son indig­na­tion, vite devenu viral dans la sphère élec­tron­ique. « Le soir même, j’ai une amie qui s’est ren­due sur les lieux et qui m’a dit de ne pas venir, raconte-t-il, que c’était au milieu des migrants, dans un lieu insalu­bre, sans toi­lettes. Je ne la croy­ais pas, alors elle m’a appelé en visio pour me mon­tr­er. J’ai décidé d’annuler ma venue, et 24 heures plus tard, voy­ant que per­son­ne ne com­mu­ni­quait sur ce qui s’était passé, j’ai décidé de tout bal­ancer, parce que ce n’était pas normal. »

 

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Des responsabilités à prendre

« On a fait une con­ner­ie », recon­nais­sent Clé­ment et Vic­tor, les deux organ­isa­teurs de l’évènement, qui font pro­fil bas depuis. Une erreur qui aurait résulté de leurs dif­fi­cultés à trou­ver un lieu pour ce qui devait être leur plus grosse fête, cen­sée dur­er 24 heures. « Au départ, on avait trou­vé une salle des fêtes à Bobigny, expliquent-ils. On s’était mis d’accord avec le pro­prié­taire, mais au dernier moment on s’est fait dou­bler par Anne-Claire de Pos­ses­sion (laque­lle n’a pas répon­du à nos ques­tions, ndr), qui a sor­ti son gros chéquier. Ensuite, on a trou­vé un hangar au Blanc-Mesnil. On voulait faire ça dans les règles, alors on a fait une demande d’autorisation à la mairie, qui nous a reçu deux jours avant l’évènement pour nous dire qu’un arrêté munic­i­pal inter­di­s­ait tout rassem­ble­ment fes­tif dans cette zone de la ville. » Les bil­lets pour la soirée déjà ven­dus, des DJs étrangers déjà bookés, ils ont alors opté pour ce qui leur sem­blait une solu­tion de sec­ours « pas si mau­vaise », pro­posée par un inter­mé­di­aire : « Il nous a dit qu’une asso­ci­a­tion d’aide aux sans papiers, Unit­ed Migrants, était intéressée pour que soit organ­isée une fête dans un squat de migrants en con­trepar­tie d’un don. » Sur les 6 000 euros promis, Unit­ed Migrants n’aurait touché pour l’heure que 2 000. « Ils ont servi à con­stru­ire des douch­es », assurent Clé­ment et Vic­tor, qui esti­ment avoir per­du 25 000 euros dans l’histoire.

« On a fait une con­ner­ie. » Les fon­da­teurs de La Toilette

Cofon­da­teur des col­lec­tifs Micro­cli­mat et Socle, le Syn­di­cat des organ­isa­teurs libres et engagés, qui regroupe des acteurs de la scène tech­no alter­na­tive, Antoine Calvi­no veut croire que Clé­ment et Vic­tor ont plus fait preuve de légèreté que de cupid­ité. « Le côté sym­bol­ique du camp de migrants est ter­ri­ble, ça fait vrai­ment “on prof­ite de la misère des gens”, mais des fêtes dans des squats, qui ser­vent à financer des familles pré­caires qui vivent dans les étages, ça existe depuis tou­jours. La ques­tion que soulève cette his­toire, c’est le manque de lieux pour organ­is­er des fêtes autour de Paris. C’est devenu très com­pliqué d’en trou­ver et ça pousse les organ­isa­teurs à la faute. » Il ajoute que cette pénurie de lieux a per­mis l’éclosion d’intermédiaires dou­teux. « C’est un milieu où il y a beau­coup d’argent en jeu. Si tu te débrouilles bien, tu peux dégager 30 000, 50 000 euros sur une soirée. For­cé­ment, ça attire des mar­goulins. Désor­mais, tu as des sortes de maquignons qui repère des hangars et jouent les inter­mé­di­aires. Ils écu­ment les zones indus­trielles, trou­vent les lieux, font le lien entre organ­isa­teurs et pro­prié­taires et se versent des marges énormes. Les pro­prié­taires, eux, louent leur espace beau­coup plus cher qu’ils ne pour­raient le louer en temps nor­mal. Les organ­isa­teurs se retrou­vent à pay­er 7 000 euros pour un hangar pou­vant accueil­lir 700 personnes. »

Des argu­ments qui ne con­va­in­quent que moyen­nement Christophe Vix-Gras. Fig­ure de la nuit parisi­enne, qui fût à l’initiative de la Tech­no Parade, aujourd’hui asso­cié aux guinguettes Rosa Bon­heur, il est vent debout con­tre les soirées ware­house. « Le prob­lème de La Toi­lette ne se serait pas posé s’il y avait plus de lieux, concède-t-il, mais il n’y aurait pas ce prob­lème de lieux si les organ­isa­teurs fai­saient les choses dans les règles. C’est quand même éton­nant qu’à une époque où il y a des tiers lieux dans tous les sens, ces col­lec­tifs ne puis­sent pas organ­is­er des fêtes dans les règles ! » Il prend les clubs en exem­ple, cite pêle-mêle des défauts d’assurance, de paiement de la taxe sur la bil­let­terie, de déc­la­ra­tions à la Sacem, autant de charges qui incombent aux pro­prié­taires de clubs, lesquels se dis­ent vic­times de con­cur­rence déloyale. « Le Sneg & Co, le syn­di­cat des lieux fes­tifs et de la diver­sité, avait écrit à la pré­fec­ture de police à ce sujet en 2018, rappelle-t-il. Sans effet. » Agent d’artiste (AMS Book­ing) venu des free-parties (Heretik), Max Le Dis­ez va dans ce sens : « Il faut appel­er un chat un chat, quand tu mets 3 000 per­son­nes dans un entre­pôt avec une bil­let­terie, tu es un pro­duc­teur de spec­ta­cle. Et lorsque tu es pro­duc­teur de spec­ta­cle, il faut respecter cer­tains critères de base, comme la sécu­rité de ton pub­lic et de ton équipe, et pay­er les tax­es néces­saires. Je com­prends que ce soit com­pliqué lorsque tu débutes, mais quand tu rassem­bles des mil­liers de per­son­ne dans un évène­ment, tu es qua­si­ment un festival. »

On a par­fois l’impression de tenir un dis­cours pater­nal­iste à des ados.” Tom­my Vaude­crane, prési­dent de l’as­so­ci­a­tion de défense des musiques élec­tron­iques Technopol

« Le prob­lème avec les soirées ware­house, c’est qu’elles ont le côté clan­des­tin des free-parties, mais avec un aspect com­mer­cial, résume Tom­my Vaude­crane, prési­dent de Technopol, l’association de défense des musiques élec­tron­iques. Lorsque tu développes une activ­ité com­mer­ciale qui va génér­er entre 50 000 et 150 000 euros de chiffre d’affaire dans une soirée, il y a quand même un cer­tain nom­bre de choses dont tu devrais t’acquitter. On pense déjà aux artistes. Un DJ qui fait 20 ou 30 dates en ware­house durant une année peut facile­ment attein­dre l’inter­mit­tence. Mais pour pré­ten­dre à cela, il faut que les organ­isa­teurs aient notam­ment une licence d’entre­pre­neur du spec­ta­cle. » De ses échanges avec les organ­isa­teurs, il retient une forme de mécon­nais­sance et de lax­isme. « Il y a beau­coup de con­traintes légales en France pour organ­is­er des évène­ments, que les gens ne con­nais­sent pas for­cé­ment. Dès que tu sors d’un lieu ERP (Etab­lisse­ment rece­vant du pub­lic) qui a déjà toutes les autori­sa­tions pour accueil­lir du pub­lic, ça devient com­plexe. Par exem­ple, il faut un agent de sécu­rité pour 100 per­son­nes, que le lieu soit suff­isam­ment éclairé, qu’il y ait des par­cours défi­nis, des issues de sec­ours, des stands RdRD (Réduc­tion des risques et dom­mages), des points d’eau. Si le lieu n’est pas aux normes, tu ne pour­ras pas être assuré. Et sans assur­ance, s’il y a un inci­dent grave qui touche l’intégrité physique d’un par­tic­i­pant, tu risques du pénal. Beau­coup d’organ­isa­teurs vien­nent nous voir pour nous deman­der de l’aide, mais dès qu’on ren­tre dans les détails, on les perd. On a par­fois l’impres­sion de tenir un dis­cours pater­nal­iste à des ados. »

© Jacob Khrist

Chuter pour mieux se relever

Du côté des poli­tiques, on avance en ordre dis­per­sé. Si en ban­lieue, où les habi­tants fusti­gent une jeunesse parisi­enne venant faire la fête chez eux, les maires dégainent les arrêtés munic­i­paux, à Paris, on joue la carte de l’apaisement. Adjoint au maire de la ville de Paris en charge de la nuit, Frédéric Hoc­quard veut d’abord soulign­er l’aspect posi­tif des soirées hors club. « Quand les soirées ware­house sont apparues, on a dit : “ça va vider les clubs”, ce qui ne s’est pas pro­duit. Au con­traire, ça a amené une offre nou­velle, dif­férente, ça a redy­namisé la nuit. » Il con­sid­ère toute­fois qu’il faut « canalis­er » cette scène pour éviter des dérives telles qu’on a pu en voir lors de la soirée La Toi­lette. En faisant pres­sion sur Shot­gun, par exem­ple, la bil­let­terie par laque­lle con­verge tous les organ­isa­teurs. « J’aimerais bien que Shot­gun, qui est le plus gros pour­voyeur de bil­let­terie dans ce domaine, fasse un peu le tri, qu’ils deman­dent un min­i­mum de cahi­er des charges aux gens avec qui ils tra­vail­lent. Y’a‑t-il un point d’eau ? Un stand de RdRD ? Est-ce que la fête est déclarée ? Ils ont une respon­s­abil­ité. » Pour l’heure, la plate­forme de bil­let­terie se retranche der­rière ses con­di­tions générales de ventes : « L’événement est de l’entière respon­s­abil­ité du pro­duc­teur. » Mis en cause lors du procès de Feel Free Records pour avoir mis en vente des bil­lets pen­dant le con­fine­ment, Shot­gun a finale­ment été relaxé par le tri­bunal cor­rec­tion­nel de Bobigny. Frédéric Hoc­quard déclare avoir prévu de ren­con­tr­er le respon­s­able de la start-up à ce sujet, et lui rap­pel­er, si besoin, qu’il est parte­naire de la ville sur un cer­tains nom­bre d’évènements.

Ceux qui veu­lent dur­er vont devoir se pro­fes­sion­nalis­er.” Sina, du col­lec­tif Subtyl

La posi­tion des pou­voirs publics est en train d’évoluer, pense-t-on chez Technopol. « Il y a quatre-cinq ans, il était rare que la police soit à l’entrée, remar­que Tom­my Vaude­crane. Et même lorsqu’elle était là, tu pou­vais dis­cuter. Ces derniers temps, beau­coup d’évènements ont été annulés ou arrêtés. Il y a un dur­cisse­ment, et ce qu’on craint c’est qu’il y ait une ten­sion sur les musiques élec­tron­iques en général. Quand on a des réu­nions min­istérielles, on ne nous par­le pas encore des ware­hous­es, mais pour nous c’est un peu une course con­tre la mon­tre. Il faut quon arrive à pro­fes­sion­nalis­er le max­i­mum d’acteurs pos­si­bles, parce qu’on aimerait bien que ce for­mat per­dure et vive, qu’il devi­enne notre spécificité en France. Tu as plein d’artistes étrangers qui ont envie de venir jouer chez nous parce qu’il y a ce type d’évène­ments dingues dans des entre­pôts. » « Ceux qui veu­lent dur­er vont devoir se pro­fes­sion­nalis­er, estime Sina, qui affirme avoir tou­jours organ­isé ses évène­ments dans les règles, sans prob­lèmes avec la police. Ça peut amen­er à de jolies choses, comme l’ouverture de lieux gérés par les col­lec­tifs. La Sta­tion est d’ailleurs un lieu tenu par un col­lec­tif. C’est la preuve que c’est un for­mat qui peut marcher. Nexus, à Pan­tin, c’est un club dans un entre­pôt. Je pense qu’on va aller vers une forme d’hybridation, où les univers club et ware­house vont col­la­bor­er de plus en plus. La scène alter­na­tive a poussé les clubs à se remet­tre en ques­tion, un peu comme les VTC avec les taxis. Les VTC ont fait peur aux taxis, et aujourd’hui les taxis sont plus cools quavant. J’espère que la scène alter­na­tive ne va pas mourir. C’est impor­tant pour que les jeunes artistes puis­sent s’exprimer, à un moment où ils n’ont pas encore le réseau pour jouer dans des lieux plus étab­lis. Il faut des lieux de développe­ment artis­tique, et les ware­hous­es font ce boulot de défrichage. »