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27 mars 2018

TTC : retour d’une bande de mecs sympa

par Alice Lanneluc

Ils reviennent ! La joyeuse bande de TTC fête cette année ses vingt ans de carrière et pour célébrer l’anniversaire de leur formation, Tido Berman, Teki Latex et Cuizinier accompagnés de DJ Orgasmic nous donnent rendez-vous dans les clubs. Alors que « Girlfriend », « Dans Le Club » ou encore « Antenne » sont encore dans toutes les têtes, les « moitié thugs moitié nerds »  que sont Teki Latex et Cuizinier reviennent pour Tsugi sur l’histoire du groupe entre rap indé, musique électronique et machines à tubes. Avec cette tournée, la boucle est bouclée.

Vous fêtez cette année les vingt ans de TTC, comment est née cette envie de faire une tournée anniversaire des clubs ? Pourquoi pas des concerts ?

Teki Latex : Sous la forme de concert, cela ne m’intéressait pas. On ne voulait pas faire le coup du vieux groupe qui repart sur les routes, ce genre de tournée comme on en voit beaucoup actuellement. Cela ne correspond pas à la vision de TTC, on est plutôt du genre à ne jamais regarder en arrière. Si on met un peu de nostalgie, c’est plutôt pour informer et faire comprendre ce qu’il va se passer ensuite. Depuis notre première compilation en 1998, on a parcouru un long chemin, jusqu’à la fin de TTC en 2007 et même au-delà. Tout un monde s’est créé depuis, que ce soit avec les labels Institubes ou Sound Pellegrino. On s’est alors tous dit « Si on faisait une tournée DJ-sets ? » car nous sommes tous DJ aujourd’hui, donc cela avait beaucoup de sens de faire ça.

Cuizinier : Durant cette tournée, nous avons envie de placer quelques morceaux marquants de TTC puis nous allons tâcher de faire le lien avec les artistes qui nous ont influencé à l’époque et ceux qu’on aime aujourd’hui. Nous avons déjà discuté de deux formules : une pour les clubs et une autre pour des festivals.

Teki Latex : On souhaite donner tous les détails de nos influences, en faisant le lien avec ce qu’on fait maintenant. Dans le public, j’aimerais qu’il y ait un mélange entre ceux qui nous écoutaient à l’époque et ceux qui ont raté le coche du groupe. On a envie de donner les clés aux gens  pour qu’ils comprennent pourquoi « Girlfriend » est un hommage à la ghettotech et « Codéine », une référence à DJ Screw.

Expliquer ce qui n’a pas été compris à l’époque ?  

Teki Latex : Oui, on a toujours eu ce besoin de donner les clés au public pour comprendre le langage un peu codé de TTC. Durant notre carrière, on a réussi à fidéliser un public, mais on a aussi fermé des portes à un autre.

Votre premier maxi Game Over’99 date de 1999. A cette époque vous vous étiez tourné vers des influences rap assez underground. Quels sont les artistes qui vous ont le plus marqués à cette époque ?

Teki Latex : On baignait dans une sorte de fantasme du rap indépendant américain. Peu à peu, la version française s’est construite en même temps que nous, on appelait ça le « rap alternatif », même si c’est un mot que je n’apprécie pas car il renvoie au rock alternatif et ce n’est pas du tout notre culture. Si on devait choisir, ce serait « rap expérimental » par exemple. Quant à nos influences, il y en a plusieurs. Tout d’abord celles venant de l’East Coast des Etats-Unis et particulièrement de New-York comme le label Fondle ‘Em Records de Bobbito Garcia. Il avait une émission de radio et passait les démos de Nas avant tout le monde ! On écoutait aussi Company Flow avec le rappeur El-P (aujourd’hui membre de Run The Jewels, ndr) qui fut un fondateur pour ce type de rap car il était très inspiré par la musique industrielle et expérimentale. Et, pour savoir d’où vient le côté salace de TTC, il faut aller chercher du côté de Cage (rappeur new-yorkais provoc’, membre de feu le supergroupe The Weathermen, ndr.).

Sans oublier la West Coast ! Là-bas, il y a une scène underground qui est née avec la scène open-mic et freestyle. C’est une famille commune de MCs et beatmakers qui traitent le rap comme on traite un solo de jazz, avec l’envie d’innover. On peut aussi citer Living Legends, Saafir et toute la Bay Area. Toute cette scène underground californienne me fascinait car elle mettait en avant le styling, c’est à dire la technicité dans le rap comme imiter des instruments avec sa voix. Je pense que Kendrick Lamar découle de toute cette sphère.

Tout ce que vient de citer Teki Latex sont des influences communes ?

Cuizinier : Oui globalement. La musique était difficile d’accès, Orgasmic nous ramenait des vinyles. Chaque semaine, il récupérait les nouveautés et on se rassemblait autour de ça.

Teki Latex : Nous n’avons pas découvert le rap par ces scènes. Quand nous avions ces influences, c’était l’heure de la maturité. Ecouter du rap underground était une forme de réaction car nous voulions être un peu spéciaux. A cette époque on était une poignée, on se retrouvait lors de concerts et on tissait des liens dans toute l’Europe grâce à cette musique.

A partir de votre deuxième album Bâtards sensibles, on sent une ouverture vers la musique électronique. Comment s’est-elle invitée dans vos productions ?

Teki Latex : Cette ouverture s’est faite entre le premier et le second album. A cette époque, on écoutait la French Touch et Aphex Twin, comme tout le monde. On s’est rendu compte que les rappeurs new-yorkais et californiens ont commencé à apparaître sur des labels comme Warp. Certains flirtaient avec la musique électronique. Puis de notre côté, nous avions fait la connaissance de Jean-René Etienne, avec lequel on a fondé le label Institubes en 2003, et le journaliste Etienne Menu. Ces deux-là, on les voyait comme des scientifiques car ils nous invitaient à écouter les artistes de labels comme Planet Mu. En 2004, nous avons retourné notre veste très consciemment en se disant « nous sommes allés au bout de l’underground, est-ce qu’on n’irait pas vers de la musique plus tournée vers le club ?« .  Nous avions aussi évolué dans nos goûts, puis on vu arriver des mecs comme Dizzee Rascal avec des sonorités plus clubs. Par exemple, avec « Dans Le Club », on a repris l’exigence du rap underground en essayant de le simplifier pour en faire de la pop. Le but était de créer quelque chose de bizarre tout en étant accessible. A cette époque, nous avions envie de faire de la musique que les DJs pourraient passer et c’est dans ce contexte que Bâtards sensibles à vu le jour.

Cuizinier : On s’est tourné naturellement vers quelque chose de plus mainstream parce que les MCs qu’on écoutait de la scène underground étaient uniquement dans la performance, dans le « trop compliqué ». Quand tu commences à mettre un pied dans la musique électronique, tu ne veux plus retourner au rap indé.

Teki Latex : Je pense aussi que nos hormones ont joué un rôle (rires). On avait envie de voir des filles à nos concerts, de vivre un peu ce que nos rappeurs racontaient dans leurs paroles.

Et l’état d’esprit de 3615 TTC, votre troisième et dernier album ?

Teki Latex : C’était encore une version encore plus poussée que le second. Le public n’avait pas compris Bâtards sensibles alors on s’était dit qu’on allait enfoncer le clou. A côté, le rap qu’on écoutait se simplifiait de plus en plus… Par exemple, j’adorais « Drop It Like It’s Hot » de Snoop Dogg et Pharrell et je me disais « il y a trois éléments et ils arrivent à faire un truc génial« . Avec cet album, on souhaitait briser le malentendu comme quoi TTC était un groupe pour un public qui n’aimait pas le rap et tout cela en essayant de faire des hits. Dans nos productions, on tentait de faire de la pop, mais il y avait toujours de côté bizarroïde qui ressortait. En même temps, on ne pouvait pas totalement renier nos influences venant du rap indé. Je ne veux pas dire qu’on était en avance, mais si notre musique sortait en 2018, elle serait plus acceptée. 

Vous reconnaissez-vous dans certains artistes de la scène actuelle ?

Teki Latex : Dans les artistes d’aujourd’hui, je pense à Kekra qui rappe sur du UK Garage. Je vois en lui ce qu’on a pu défendre à l’époque. On préfère dix fois des artistes qui ont réussi à se nourrir d’influences pointues en essayant d’aller plus loin que ceux qui voient le futur du rap dans le passé de la chanson française. Je citerais aussi Slimka qui tombe juste mais aussi l’Ordre du Periph.

Cuizinier : Les petits du 667 aussi

Teki Latex : Oui tout à fait ! Ils s’inscrivent dans cet héritage de DJ Screw, très lancinant, très codéiné. C’est un peu la déprime parfois, mais ils ont le mérite d’être le reflet de la jeunesse aujourd’hui. C’est un secret pour personne, tout le monde est sous anti-dépresseurs aujourd’hui, en s’identifiant plus à Kurt Cobain qu’à Puff Daddy. C’est la musique de cette génération. 

Si vous deviez tout recommencer aujourd’hui, que diriez-vous à de jeunes rappeurs ? 

Teki Latex : Faites quelque chose qu’on n’a pas fait. TTC avait cette boulimie de sorties mais si on s’était économisé, on aurait affiné notre vision. Le problème est qu’on s’est trop éparpillé. Pour les jeunes qui se lancent dans le rap, je leur dirais de faire leurs armes dans l’underground, de se créer une réputation, pour ensuite sortir des titres tout en ayant déjà un public. 

Cuizinier : Pour ma part, je leur dirais « sois toi-même, mais saches que si tu te lances dans le rap, tu ne seras jamais meilleur que TTC » (rires).

Teki Latex : une réponse typique de TTC version 2004 (rires).

 

Retournez dans le club de TTC le 30 mars à la Machine du Moulin Rouge (Paris), le 13 avril au Fuse (Bruxelles), le 14 avril au Sucre (Lyon), le 21 avril au Turfu Festival (Rouen) et le 8 juin aux FrancoFolies de Montréal.

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