© Mathieu Zazzo

u.r.trax, Dylan Dylan, Romane Santarelli et Marina Trench : les 4 fantastiques ⚡

par Tsugi

Elles sont qua­tre. Elles n’ont pas le même âge. Elles n’ont pas les mêmes racines. Elles n’ont pas le même vécu. Elles n’ont pas le même style. Elles ne se con­nais­sent pas vrai­ment. En un mot : elles sont différentes. Pour­tant, une cer­ti­tude. Romane Santarel­li, u.r.trax, Mari­na Trench et Dylan Dylan parta­gent le même amour des musiques élec­tron­iques dans lesquelles, cha­cune à leur manieère, elles sont entreées en “reli­gion”. Mais pratiquée d’une manière ouverte et toleérante, pour que leur art s’exprime pleine­ment. Nous les avons réu­nies car ces derniers mois, leurs noms se sont imposés à nos yeux, et leurs pro­duc­tions, tout autant que leurs lives ou leurs DJ-sets, ont fait souf­fler un vent de fraîcheur sur la scène élec­tron­ique pour­tant foi­son­nante de notre pays. Et nous avions envie de mieux les connaître. Nous n’avons pas été déçus.

 

Retrou­vez notam­ment Dylan Dylan et Mari­na Trench sur scène, pour notre soirée anniver­saire à Nimes ven­dre­di 21 avril !

 

Com­ment avez-vous découvert la musique électronique ? 

Élise (Dylan Dylan) : Dans ma famille, mon père écoutait du rock, mon frère du rap un peu énervé. En sor­tant en club et en voy­ant des DJs, cela m’a intriguée. J’ai voulu savoir com­ment ils fai­saient tech­nique­ment. Grpace à la magie d’In­ter­net, je suis allée fouiller et il y a quinze ans, j’ai com­mencé à mix­er, puis comme je pos­sé­dais des bases de musi­ci­enne, je me suis mise à la production.

Mari­na Trench : À 16 ou 17 ans, c’est la danse qui m’a attirée vers la musique élec­tron­ique. J’ai gran­di en ban­lieue parisi­enne et avec les copains, on dan­sait hip-hop, afro music, house dance. Même si je ne con­nais­sais pas vrai­ment, j’é­tais quand même famil­ière avec ce genre de styles musi­caux parce que ma maman sor­tait en club quand j’é­tais petite. Puis petit à petit, je me suis mise à mix­er. La pro­duc­tion est vrai­ment arrivée bien plus tard.

Romane Santarel­li : Au départ, j’é­tais très rock, ma pre­mière claque musi­cale c’é­tait Arc­tic Mon­keys. Mais j’ai découvert les musiques électroniques il y a dix ans en fouil­lant les playlists de ma grande sœur. J’ai d’abord aimé Birdy Nam Nam et cer­tains morceaux d’Aphex Twin. Mais la révélation est arrivée à 15 ans. Avec ma meilleure copine, nous sommes allées à mon pre­mier gros fes­ti­val, le Paléo Fes­ti­val. J’ai vu Car­bon Air­ways, et la chanteuse, qui avait mon âge, a été ma première représentation féminine sur scène. J’ai eu envie de faire pareil même si je jouais déjà avec des petits groupes de rock à l’époque, puisque j’ai fait de la gui­tare pen­dant neuf ans. J’ai donc voulu me pro­cur­er Able­ton, mais j’habitais dans la cam­pagne pro­fonde. C’était un peu com­pliqué, je ne con­nais­sais per­son­ne pour m’installer ça. C’est bien plus tard, l’année de ter­mi­nale, que j’ai installé le logi­ciel et com­mencé à faire des prods genre EDM. Cela ne me ressem­blait pas trop, mais c’était une phase qui me sem­blait nécessaire. Le jour qui a changé ma vie, c’est le jour des résultats du bac, où je me suis fait un cadeau : l’album Crea­tures de Rone. Au début, j’ai détesté ce disque, je le trou­vais trop bizarre. Mais le CD s’est coincé dans mon lecteur et du coup j’ai poncé ce disque pen­dant trois mois. Cela a été une bénédiction. J’ai fini par com­pren­dre que cette musique était géniale et j’ai voulu pro­duire dans des esthétiques un peu sim­i­laires, plus exigeantes et moins mainstream.

Inès (u.r.trax) : J’ai 19 ans. J’ai démarré la bat­terie à 4 ans puis après je me suis mise à la gui­tare. Mon back­ground, c’est aus­si le rock. À 8 ou 9 ans, en dig­gant sur YouTube, j’ai découvert la cold­wave qui, pour moi, est déjà de la musique électronique. Pour finir je suis tombée sur Skrillex. C’est un peu la honte, mais il a été ma porte d’entrée à la musique électronique. (rires) Par la suite, mon grand frère rap­pait et je lui ai pro­posé pour l’impressionner de lui faire des prods. C’est comme ça que j’ai com­mencé. Mais quand j’ai vrai­ment démarré la musique pour moi seule à par­tir de 12 ans, cela a été unique­ment de la tech­no. Pour le mix, là encore la semaine du bac a été déter­mi­nante puisque c’est à cette époque où j’ai acheté mon pre­mier con­trôleur. Mon pre­mier gig, c’était en décem­bre 2019 sur la Péniche Ciné­ma dans le XIXe à Paris.

 

Vous avez voulu tout de suite être actri­ces et pas sim­ples spectatrices ?

Élise: Dès le début, j’étais fascinée par le DJ et j’avais vrai­ment envie de com­pren­dre com­ment ça mar­chait. Un ami m’a pro­posé de me mon­tr­er, mais chez lui il n’y avait que des platines CD, donc grande décep­tion, mais j’ai com­mencé là-dessus avant de me met­tre au vinyle.

Mari­na: Je suis d’accord avec toi sur le mot “fas­ci­na­tion”. Même avant d’être DJ, j’avais un rap­port par­ti­c­uli­er avec le vinyle. Quand j’arrivais dans une ville, j’allais check­er les petits bacs des dis­quaires. Mais j’ai suivi des études de design aux Beaux-Arts, donc quand tu pos­sèdes ce type de sen­si­bil­ité, je crois que tu as vrai­ment envie d’entrer dans le “faire”. En par­lant ensem­ble aujourd’hui toutes les qua­tre, je com­prends mieux pourquoi on a eu envie de pass­er à l’action.

 

u.r.trax

u.r.trax © Math­ieu Zazzo

Com­ment décririez-vous votre style ?

Mari­na: Si je devais ver­balis­er cela, je dirais: house music.

Élise: House, mais plus breaké, avec des sonorités un peu plus anglais­es, avec un peu de drum. Je varie, je teste…

Inès: On va dire que c’est tech­no, trance, psychédélique.

Romane: C’est entre la tech­no, l’électronica, un peu des influ­ences pop. C’est dif­fi­cile de met­tre un seul mot dessus. C’est un peu à la croisée des chemins. Mon son s’énerve de plus en plus quand même.

 

Avez-vous eu des modèles ?

Mari­na: Ker­ri Chan­dler, K.Hand, les Mas­ters At Work. J’ai pleuré j’ai fait des prières d’amour à la lune sur leurs musiques. (rires) Je ne me suis jamais «fana­tique», mais très curieuse: com­ment produisent-ils? On tra­vaille à affin­er son oreille et cela devient cap­ti­vant. Mais je suis tout autant pas­sion­née par la décou­verte de nou­velles références.

Élise: J’adore Four Tet, Jamie XX, Ross From Friends. Comme DJ, Ker­ri Chan­dler, Der­rick May. Récem­ment j’ai décou­vert Ash Lau­ryn et je regarde ses sets sans m’en lasser.

Inès: Ce ne sont pas des mod­èles musi­caux, mais plutôt des fig­ures qui m’ont don­né envie d’être comme elles. La pre­mière, c’est VTSS. En 2019, j’étais sta­giaire chez Pos­ses­sion, où je m’occupais de l’accueil artiste. C’est comme ça que je l’ai ren­con­trée. J’ai eu une sorte de rap­port d’identification avec cette per­son­nal­ité fémi­nine super “badass”. Par la suite, Hec­tor Oaks, pour son énergie et le rap­port vis­céral qu’il entre­tient avec la musique. Cela m’inspire. Enfin, plus récem­ment, Nina Kraviz.

Romane: Mes mod­èles ont été très mas­culins. C’est quelque chose de glob­al: il y a la discogra­phie et le côté humain. Je vais citer encore Rone dont j’ai lu toutes les inter­views et regardé tout ce qu’il y avait de disponible. Ça reste ma grosse référence. Je peux citer aus­si Paul Kalk­bren­ner et puis, hors musique, Xavier Dolan pour ce qu’il trans­met dans son œuvre.

 

Vous intéressez-vous à l’histoire des musiques électroniques ?

Mari­na: C’est impor­tant de con­naître ce que l’on joue, de savoir référencer sa musique, d’avoir un point de vue sur les choses et de remet­tre en per­spec­tive notre pra­tique dans la société. Cela nous apportera encore plus de légitim­ité en tant que femmes.
Inès: Avant que je ne com­mence à sor­tir, je regar­dais beau­coup de doc­u­men­taires, comme Uni­ver­sal Tech­no, qui est l’un des plus con­nus. J’ai même appris l’allemand pour com­pren­dre cer­tains qui n’étaient pas sous-titrés. Ce qui m’a fait rêver, c’est l’imaginaire de la tech­no, les archives, les doc­u­men­taires… Je vous con­seille de lire Stéphane Ham­part­zoumi­an, un soci­o­logue de la tech­no qui a fait des thès­es sur les raves. Son ouvrage le plus con­nu est Effer­ves­cence tech­no — Ou la com­mu­nauté trans(e)cendantale.

Romane: Nous sommes un chaînon. Il y a ce qu’il y a eu avant, ce qui il y aura après et savoir com­ment on se place par rap­port à cela. Il faut voir au-delà de soi-même.

 

 

À vos débuts, avez-vous eu des mentors ?

Mari­na: Si je n’avais pas ren­con­tré DJ Deep, je n’aurais pas sor­ti mon pre­mier EP avec un remix de Ker­ri Chan­dler. Cela a été une expéri­ence très forte avec Cyril, qui m’a per­mis de pren­dre con­fi­ance dans mon travail.

Élise: Je n’ai pas eu de men­tor, ce sont plus des amis proches qui me poussent. Car j’ai longtemps été dans l’insécurité avec l’envie tous les trois mois d’abandonner ce méti­er. Heureuse­ment qu’ils sont là.

Romane: L’équipe de la Coopéra­tive de Mai, la Smac de Cler­mont. Le pro­gram­ma­teur m’avait écoutée sur Sound­Cloud et il m’a pro­posé de faire la pre­mière par­tie de Petit Bis­cuit. C’est quand même une jauge de 2500 per­son­nes. Quand tu pro­duis seule dans ta cham­bre, tu imag­ines bien sûr le moment où tu joueras devant beau­coup de gens, mais entre le rêve et la réal­ité… Mal­gré tout, je me suis dit que je ne pou­vais pas refuser, sinon je m’en serais voulu toute ma vie. Au final, c’était incroy­able, plein de gens sont venus me voir à la fin pour me dire que la pre­mière par­tie était mieux que Petit Bis­cuit. (rires) C’était encour­ageant, ma musique pou­vait séduire un public.

Inès: Je vais encore citer Hec­tor Oaks. C’est la pre­mière per­son­ne qui a cher­ché à en savoir plus sur ma musique et très rapi­de­ment, il a pub­lié un des mes tracks, puis un EP et main­tenant, j’ai même lancé un sous-label chez lui, KAOS-URTRAX. Plus récem­ment, Nina Krav­iz m’a con­tac­tée par mes­sage sur Insta­gram et ça a été le plus beau jour de ma vie. Elle a sor­ti un de mes tracks sur son label, en atten­dant plus peut-être. J’ai joué plusieurs fois avec elle. La pre­mière fois à Pea­cock en 2021, où elle a pro­gram­mé une scène dont j’ai fait le warm‑up.

 

Aujourd’hui, il y a de plus en plus de femmes dans la musique élec­tron­ique, com­ment l’expliquez-vous ?

Mari­na: L’ère #metoo tout sim­ple­ment. Ce n’est pas aus­si quelque chose de spé­ci­fique­ment rat­taché à la musique élec­tron­ique, c’est la société en général qui a changé. Mais notre milieu porte naturelle­ment en lui toutes ces ques­tions d’égalité et c’est une chance.

Inès: C’est une his­toire de mod­èle comme on vient de le dire. Main­tenant il y a des filles de 16/18 ans qui vont nous voir et qui vont se dire: “Moi aus­si je veux faire pareil.” Je trou­ve cela très important.

Romane: Les out­ils comme les logi­ciels sont aus­si plus accessibles.

Élise: C’est vrai, mais à l’époque les mecs y arrivaient bien eux…

Romane: Oui, mais il y avait la logique du boys’ club. Ils ne voulaient pas mon­tr­er aux femmes com­ment cela mar­chait, parce que c’était quelque chose soi-disant de tech­nique. Aujourd’hui, tu peux par­faite­ment com­mencer seule dans ton coin.

 

Y a‑t-il vrai­ment une volon­té des pro­duc­teurs de soirées ou de fes­ti­vals d’accorder plus de place aux artistes femmes ?

Élise: Oui, car il y a quelques années, c’était très séparé, avec des plateaux 100% filles. Cela par­tait d’une bonne inten­tion, mais c’était mal­adroit. On ne voit plus trop ça aujourd’hui. Il y a une mix­ité et on ne se pose plus trop la ques­tion de savoir si c’est un homme ou une femme.

Romane: Ces line-ups 100% filles, d’un côté, je trou­vais l’idée ridicule, mais de l’autre, je me rendais à ces soirées parce que je trou­vais ça cool de pou­voir enfin voir des DJs filles!

Élise: Romane, tu par­lais de “boys’ club” dans la pro­duc­tion, mais dans la pro­gram­ma­tion, cela reste quand même encore le cas, avec beau­coup de mecs qui choi­sis­sent leurs potes.

Romane: C’est vrai qu’il y a peu de temps, j’ai fait une date où j’étais la seule femme à l’affiche. C’est seule­ment le jour J que j’ai réal­isé que j’étais la seule meuf. C’était très gênant, ce moment de soli­tude. J’en ai par­lé par la suite au pro­gram­ma­teur qui m’a dit qu’il était con­scient du manque de mix­ité, mais les têtes d’affiche comme Amélie Lens ou Char­lotte de Witte étaient trop chères. Cela m’a choquée. Il y a quand même aujourd’hui tout un pan­el de DJs femmes, il faut se réveiller.

romane santarelli

Romane Santarel­li © Math­ieu Zazzo

 

Existe-t-il une forme de con­cur­rence entre les artistes femmes ?

Élise: Depuis quelques années, il y a au con­traire beau­coup de bien­veil­lance entre nous. On se donne beau­coup de force mutuellement.

Inès: Je fais l’effort de jouer plus de tracks de meufs. Et même sur les réseaux, s’il y a une artiste que je kiffe, je vais lui faire beau­coup plus de pub que si c’était un homme. Il y a une soror­ité entre nous. Ce sont plus les mecs qui se tirent des balles entre eux. (rires)

Mari­na: Il y a aus­si dans le cir­cuit des femmes plus âgées que nous, qui n’ont pas été des grandes sœurs. Ce n’est pas parce qu’elles ne le voulaient pas, mais elles n’ont pas eu la pos­si­bil­ité d’ouvrir de portes. Aujourd’hui, comme le dit Inès, il existe une vraie soror­ité entre nous.

 

En tant que femmes, vous heurtez-vous encore à des murs ?

Inès: Les obsta­cles ren­con­trés en tant que DJ sont les mêmes que ceux de la vie de tous les jours. On ne par­le ain­si pas assez des ques­tions de sécu­rité. Par exem­ple, je demande d’avoir des chauf­feurs femmes qui vien­nent me chercher à l’aéroport, car quand il y a 45 min­utes de route pour se ren­dre où tu joues, tu n’es pas à l’abri d’une mau­vaise sur­prise. C’est pareil dans un Uber la nuit, tu vas plus flip­per si tu es une meuf. Et il y a tou­jours des ingénieurs du son qui veu­lent m’expliquer mon métier.

Mari­na: Ah oui, ça arrive encore tout le temps. Il y a aus­si ces pro­gram­ma­teurs qui sem­blent trop con­tents de book­er des nanas, mais on sent que c’est par oblig­a­tion. Leur sincérité n’est pas encore prouvée.

Romane: J’ai remar­qué aus­si que quand tu arrives sur une date et que tu es très pro, on te dit que tu es ten­due. Et dès que tu l’ouvres, on te prend pour une hys­térique. Je me suis ren­due compte égale­ment que si je ne suis pas avec mes tech­ni­ciens sur mes dates, je ne suis pas prise au sérieux. Du genremais qu’est-ce qu’elle veut la petite blonde qui débar­que?”.

 

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Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous excite le plus dans la scène électronique ?

Élise: Post-Covid, les gens sont pleins d’amour et de bonnes vibes.

Mari­na: La scène, le pub­lic… J’ai le cœur qui vibre. Les gens qui dansent, qui lèvent les bras, ils sont récep­tifs. C’est trop beau. Quand je regarde un petit peu en arrière, peut-être qu’avant dans la musique élec­tron­ique, où il y a une his­toire sociale, socié­tale même, le pub­lic venait pour soutenir un mes­sage. C’est tou­jours le cas aujourd’hui, et heureuse­ment, mais il y a aus­si ce truc plus vibra­toire, plus de l’ordre de l’énergie qui cir­cule. Les gens en ont besoin et c’est un peu nouveau.

Romane: Les gens se soucient plus les uns des autres et font plus atten­tion. Les soirées me sem­blent plus safe.

Inès: Depuis la reprise, c’est un peu l’inverse dans les soirées tech­no. Les gens se met­tent beau­coup plus mal et il faudrait faire encore plus de réduc­tion des risques. Une par­tie du pub­lic a décou­vert la fête et mal­heureuse­ment la drogue pen­dant le Covid, et le couvre-feu dans des fêtes qui n’étaient pas encadrées. C’est d’autant plus impor­tant d’avoir des équipes qui vont à sa ren­con­tre et font de la sen­si­bil­i­sa­tion. Dans cer­taines soirées, à minu­it et demi, cer­tains tombent comme des mouch­es à cause du GHB. On ne peut pas empêch­er les gens de faire ce qu’ils veu­lent, mais au moins il faut essay­er de faire de la prévention.

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Dylan Dylan © Math­ieu Zazzo

 

Reste-t-il de la place dans votre vie pour autre chose que la musique ?

Inès: À mon sens, la musique c’est déjà tout un tas de dis­ci­plines réu­nies. Au-delà de la pas­sion de décou­vrir et écouter de la musique, les ques­tions d’ingénierie du son relèvent presque de la physique, la musique c’est égale­ment l’histoire, la musi­colo­gie, etc. Mon intérêt pour la musique, je le vis aus­si à tra­vers mon atti­rance de tou­jours pour les sci­ences humaines. Je suis vrai­ment pas­sion­née de soci­olo­gie, et encore plus de soci­olo­gie de la musique.

Élise: J’ai encore un job “clas­sique”, mais je le quitte en juin car j’arrive à un point où je peux vivre de la musique. Je ne me vois pas faire autre chose, c’est presque une rela­tion pas­sion­nelle et obsessionnelle.

Mari­na: La musique reste mon ter­rain favori, mais je suis émer­veil­lée par beau­coup de choses qui nour­ris­sent d’ailleurs ma pra­tique: l’art con­tem­po­rain, la cui­sine, la marche et les chats!

Romane:Je me pas­sionne pour toutes les formes d’art, le ciné­ma, la 3D, la poésie, et plus récem­ment la BD. Je suis curieuse de plein de formes artis­tiques, mais c’est vrai que je les rac­croche sou­vent à mon pro­jet. En dehors de celui-ci, il y a très peu de place pour autre chose en réalité…

 

Nous sommes dans une péri­ode d’élections, vous vous sen­tez concernées ?

Élise: Je me sens investie d’un devoir de citoyenne, et par respect pour celles et ceux qui ont lut­té pour que je puisse obtenir le droit de vote, je vais vot­er et c’est un engage­ment que je prends au sérieux. En revanche, je ne me retrou­ve pas dans les dis­cours des candidat.e.s. J’ai tou­jours cette impres­sion d’aller vot­er pour “le moins pire”… On vit dans une démoc­ra­tie et c’est une chance dont il faut être con­scient, mais tant que ce sont des élites qui gou­ver­nent, la majorité du peu­ple ne sera jamais enten­due et représen­tée comme il se doit.

Mari­na: En tant que citoyenne qui béné­fi­cie des droits civiques, je me sens for­cé­ment con­cernée par les ques­tions politiques.

Inès: Extrême­ment con­cernée. J’ai de plus en plus de mal à vivre dans une France poli­cière et islam­o­phobe qui nomme des agresseurs et autres crim­inels dans son gou­verne­ment. Si on se reprend cinq ans de Macron ou si Le Pen passe, ça me don­nera enfin la bonne excuse pour démé­nag­er à Berlin… (Inter­view réal­isée avant l’élection prési­den­tielle, ndr)

Romane: À l’heure où les idées fas­cistes gag­nent du ter­rain dans le paysage médi­a­tique et le débat pub­lic, je suis bien sûr con­cernée en tant que citoyenne, j’ai peur pour mes lib­ertés, pour nos droits. Dans un tel cli­mat, les voix pro­gres­sistes appa­rais­sent de plus en plus impor­tantes. Péri­ode élec­torale ou non, il faut se faire entendre.

 

Avez-vous le désir de faire pass­er des mes­sages à tra­vers votre travail ?

Mari­na: Celui d’être libre, indépen­dante et com­mu­ni­quer le plus pos­si­ble des belles éner­gies, qui per­me­t­tent bien­veil­lance et respect dans les échanges relationnels.

Inès: D’abord à tra­vers ce que je suis, plutôt que ce que je fais. En effet, la musique trans­met des émo­tions. Mais ce n’est pas met­tre un sam­ple de dis­cours ou je ne sais quoi qui va don­ner une dimen­sion poli­tique à la musique. En tant qu’artiste, exis­ter fait déjà beau­coup. Surtout étant une fille, descen­dante de l’immigration, queer, etc. J’aimerais trans­met­tre un mes­sage: les gens comme moi aus­si ont le droit de s’exprimer.

Élise: C’est un sujet un peu com­plexe, je sais que beau­coup d’artistes pensent que si l’on a une voix qui porte, il faut faire pass­er un mes­sage. Pour ma part, je préfère dis­soci­er mes engage­ments et mes croy­ances de mon activ­ité artis­tique. Si je peux aider à mon échelle, sur un sujet qui me tient à cœur, je le ferai évidem­ment, mais je ne préfère pas porter sur mes épaules le poids d’une attente quel­conque quant à mes engagements.

Romane: Je ne poli­tise pas mon pro­jet musi­cal. Pour­tant en tant qu’artiste j’ai aus­si le sen­ti­ment d’avoir à ma petite échelle un rôle à jouer dans la société. Déjà le fait d’être là, d’être présente sur cette scène musi­cale, en tant que femme, qui plus est, issue d’une minorité sex­uelle, c’est un peu poli­tique. J’ai man­qué de représen­ta­tions féminines dans la musique, donc je voudrais aus­si don­ner exem­ple à mes futures con­sœurs, aux jeunes filles qui voudraient se met­tre à la musique, celles qui n’osent pas, ou celles qui se sont découragées par exem­ple. De plus en plus, je me rends compte qu’être “vis­i­bil­isée” est très impor­tant. Enfin, d’une manière plus générale, je veux faire une musique qui fasse du bien aux gens, une musique joyeuse, énergisante.

 

Quelle est votre ambi­tion ultime ?

Inès: Artis­tique­ment, maîtris­er mon art, mais c’est impos­si­ble. C’est le chemin qui m’y amène qui con­stitue ma véri­ta­ble ambition.

Mari­na: Don­ner l’envie et la curiosité d’aller au bout de ses envies créa­tives et artistiques.

Élise: Pou­voir faire de la musique toute ma vie, arriv­er à en vivre cor­recte­ment. C’est cliché, mais si j’y arrive, alors je pense que je serais déjà comblée. Plus con­crète­ment, j’ai ten­dance à dire à mon man­ag­er Char­ly que quand j’aurai fait Coachel­la, je serai arrivée au stade ultime!

Romane: Faire de la musique toute ma vie et m’épanouir dedans.

 

Marina Trench

Mari­na Trench © Math­ieu Zazzo

 

Parvenez-vous à vous pro­jeter sur le long terme ?

Romane: Bien sûr, j’aimerais ne jamais avoir à m’arrêter.

Mari­na: J’espère bien, c’est le but. Cela rejoint l’idée de trans­met­tre, s’inscrire dans le temps, ancr­er un pro­jet, don­ner du sens à ce que l’on fait. Je ne vois pas l’intérêt de déploy­er toute cette énergie et toutes ces ressources pour que finale­ment ton plan de vie se lim­ite après 40 ans à être mère au foy­er et bal­ay­er tout ce que tu as construit.

Élise: Mix­er à 60 ans je ne sais pas, mais com­pos­er j’espère bien.

Inès: C’est une voca­tion aus­si. Ce n’est pas que je ne me vois pas faire autre chose: je ne sais rien faire d’autre. (rires) J’ai un rap­port mys­tique à la musique depuis mes 4 ans. Ma mère utilise sou­vent la métaphore de la plante et du tuteur. Le tuteur c’est la musique, et grâce à elle, j’ai pu pouss­er droit. S’il n’y a pas de musique alors je ne sers à rien, autant crev­er. (rires)

 

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