La team de Gasoline Radio

Ukraine : la musique monte au front

par Tsugi

Par Lau­rent Bigarella

Déjà plus de sept mois que l’invasion russe de l’Ukraine impacte tout le pays et sa pop­u­la­tion. Mal­gré une sit­u­a­tion tou­jours dra­ma­tique avec de nom­breuses villes détru­ites, des mil­liers de per­son­nes tuées et des vies boulever­sées à jamais, les Ukrainiens et les Ukraini­ennes font preuve d’une grande résilience dans le con­texte actuel. À l’instar d’autres pans de la société, la scène élec­tron­ique aus­si s’illustre par son engage­ment et une forme de résistance.

Le jour se lève à peine lorsque les sirènes reten­tis­sent pour la pre­mière fois à Kyiv le jeu­di 24 févri­er 2022. Depuis l’Occident, les pre­mières dépêch­es tombent, une à une : la Russie lance une inva­sion mas­sive de l’Ukraine. Sur les télé­phones, les noti­fi­ca­tions s’affolent. Les médias s’empressent de relay­er l’information. Dans ce flux, une alerte Telegram attire l’œil. Elle provient du club ∄. Ce pili­er de la scène élec­tron­ique de Kyiv utilise depuis ses débuts cette appli­ca­tion de mes­sagerie instan­ta­née comme canal de com­mu­ni­ca­tion pour échang­er avec sa com­mu­nauté. Mais en ce matin du 24 févri­er, il n’est pas ques­tion de pro­gram­ma­tion artis­tique sur le fil Telegram du club. L’équipe du lieu vient de partager, quelques min­utes seule­ment après le début des attaques russ­es, une carte d’adresses d’abris anti-bombes.

A droite, le club, à gauche l’ap­pel de fond

Épinglé lorsqu’on remonte les mes­sages partagés par le club via l’application, le texte suiv­ant demeure : « Dear com­mu­ni­ty, please remain calm, stay informed, check where the near­est bomb shel­ter are, look after your­self and your loved ones. Togeth­er we will win! » (Chère com­mu­nauté, mer­ci de rester calme, tenez-vous infor­més, regardez où est local­isé le refuge anti-bombe le plus proche, prenez soin de vous et de vos proches. Ensem­ble, nous vain­crons !). Une façon pour le « club qui n’existe pas » – du nom qu’il tire du sym­bole math­é­ma­tique ∄ — de mon­tr­er que, mal­gré l’invasion et les bom­barde­ments, il reste impliqué auprès de sa com­mu­nauté. Un engage­ment qui, plus de sept mois après le début de la guerre, ne s’est pas démen­ti. Et à l’image du club, c’est toute une scène élec­tron­ique ukraini­enne qui, à dif­férents niveaux, s’active depuis plusieurs mois pour soutenir le pays et sa pop­u­la­tion dans ce con­texte de guerre.

Mobil­i­sa­tion générale

Clubs, labels, webra­dios, col­lec­tifs, artistes, médias, promoteur·ices… Depuis le début de l’invasion russe, ils et elles sont nombreux·ses au sein de cette scène, depuis l’Ukraine ou l’étranger où cer­taines ont pu s’exiler, à avoir mis leur pro­jet, leur savoir, leur com­pé­tence ou leur réseau au ser­vice de leur pays. Car désor­mais – comme hier – « tout est poli­tique » comme le décrivait récem­ment dans le New York Times des mem­bres de Cxe­ma. Fondé en 2014, l’année de l’invasion de la Crimée par la Russie, le célèbre col­lec­tif ukrainien organ­isa­teur de raves a vu depuis févri­er son équipe s’investir de dif­férentes façons pour soutenir l’effort de guerre, notam­ment en livrant médica­ments et nour­ri­t­ure sur le front.

Cette forme d’engagement se retrou­ve égale­ment du côté de Mod­ule. Basé à Dnipro, à l’Est du pays, à moins de 100 kilo­mètres au Nord de Zapor­i­jia, ce col­lec­tif gère un club et un label de musiques élec­tron­iques. Peu de temps après le début de l’invasion, ses équipes, ses artistes résident·es et sa com­mu­nauté habituée de son dance­floor, ont con­sti­tué un réseau de bénév­oles. Livrai­son de voitures sur le front, recherche d’équipement mil­i­taire, stock­age de médica­ments, organ­i­sa­tion d’événements car­i­tat­ifs… Chacun·e à Mod­ule s’implique à sa façon. « Nous sommes tou­jours la même struc­ture, nous avons juste un but dif­férent désor­mais » expli­quait à Mix­mag le man­ag­er du pro­jet, Goncharov.

©Yana Franz

Raves citoyennes et clubs bases-arrières

Autre mobil­i­sa­tion citoyenne répon­dant à un enjeu majeur : celle liée à la répa­ra­tion du pat­ri­moine et des infra­struc­tures ukraini­ennes. Depuis mai dernier, Repair Togeth­er incar­ne ce mou­ve­ment. Rassem­blant ini­tiale­ment des cen­taines de jeunes bénév­oles désireux·ses de se sen­tir utiles à l’occasion de l’organisation de six pre­miers événe­ments dédiés à la répa­ra­tion de bâti­ments détru­its, le pro­jet a rapi­de­ment inté­gré une dimen­sion fes­tive à ses activ­ités. « Pour répar­er notre pays pen­dant la guerre, le volon­tari­at est l’une des clés. C’est un mode de vie pour notre généra­tion. Et, pour ça, nous devons en faire quelque chose de joyeux, social et attrac­t­if pour les jeunes. Puisqu’on est des amoureux de la fête, on a décidé de com­bin­er ces deux élé­ments » racon­te Dima Kyr­pa, l’un des ini­ti­a­teurs de la démarche. En quelques mois, les 2000 bénév­oles de Repair Togeth­er ont ain­si con­tribué à répar­er 25 maisons, net­toyé 2 cen­tres cul­turels et plus de 200 lieux de vies impactés par des explo­sions dans 15 vil­lages, retapé une scène d’un lieu artis­tique, organ­isé 10 con­certs et 3 « clean up raves ». Désor­mais, « l’équipe con­stru­it 16 maisons pour des per­son­nes ayant per­du la leur » pour­suit Dima.

Les clubs ukrainiens pren­nent eux aus­si part à l’effort de guerre. L’institution Clos­er a par exem­ple mis à dis­po­si­tion sa cui­sine pour réalis­er jusqu’à 300 repas par jour. La nour­ri­t­ure est des­tinée à des asso­ci­a­tions telles que le Female Pokrov Monastery, l’Institute of Pedi­atrics, Obstet­rics and Gyne­col­o­gy, l’Ohmatdet Chil­dren’s Hos­pi­tal ou encore pour les forces de défens­es ter­ri­to­ri­ales d’Ukraine. Le club sert par ailleurs d’atelier de con­fec­tions de cock­tail molo­tov. Même chose du côté du numéro 41 de la rue Kyrylivs­ka dans le quarti­er Podil de la cap­i­tale. Local­i­sa­tion du ∄, l’endroit a d’abord servi de refuge « pour une cen­taine de per­son­nes le temps de l’occupation de la région de Kyiv par l’armée russe, jusqu’en avril » explique l’une des per­son­nes tra­vail­lant pour le club. Un fonds fut par la suite lancé par cette même équipe, pour venir en aide à dif­férentes asso­ci­a­tions actives sur le front de la guerre, comme Kyiv Angels, Art52 cafe, Help Front UA ou ITshel­ter. Depuis peu, le club – qui avant l’invasion était devenu un haut lieu des cul­tures élec­tron­iques locales – a repris une activ­ité événe­men­tielle. « C’est un lieu de ren­con­tre pour notre com­mu­nauté. Après une longue péri­ode sans pou­voir se voir, ça per­met d’offrir un endroit de retrou­vailles pour ces gens » témoigne la même per­son­ne de l’équipe, avant de pour­suiv­re : « Les événe­ments sont gra­tu­its, chacun·e est libre de faire un don pour les ini­tia­tives que nous soutenons. On y joue de la musique non-dansante ».

Guerre d’influence

Comme c’est le cas en temps de guerre, le rôle de la com­mu­ni­ca­tion, des réc­its et des représen­ta­tions est prépondérant. Dans la péri­ode actuelle, le com­bat est notam­ment mené sur le front des réseaux soci­aux et des médias, où les mots ser­vent par­fois d’armes pour un cer­tain nom­bre d’Ukrainien·nes. Jour­nal­iste, bookeuse d’un club kyvien et co-fondatrice du média TIGHT, Tanya Voytkyo a par exem­ple récem­ment mis son réseau d’acteur·ices de la scène élec­tron­ique ukraini­enne à con­tri­bu­tion pour rédi­ger dans DJ Mag un arti­cle détail­lant com­ment un cer­tain nom­bre d’entre eux et elles con­tin­u­ent leur pra­tique ou l’ont adap­té suite à l’invasion russe.

Sur les réseaux soci­aux, d’autres mènent égale­ment la bataille, rap­pelant avec insis­tance la néces­sité de boy­cotter artistes et promoteur·ices russ­es silenceux·ses sur la guerre menée par leur pays. Récem­ment, c’est le fes­ti­val Sen­sor en Arménie qui en a fait les frais. Accusé d’être relié à un club russe, le Muta­bor – qui depuis le début de l’invasion n’a pas pris posi­tion pour dénon­cer la guerre –, le fes­ti­val a fait l’objet de polémiques sur le réseau social Insta­gram. La jour­nal­iste Maya Bak­lano­va, anci­en­nement chargée de com­mu­ni­ca­tion d’organisations de la scène cul­turelle de Kyiv con­sid­ère les réseaux soci­aux « comme des out­ils pour com­mu­ni­quer sur la guerre ». Elle fait par­tie de celles et ceux qui ont som­mé les artistes programmé·es à Sen­sor de refuser de jouer pour un pro­mo­teur lié à des oli­gar­ques russ­es. Suite à cette cam­pagne en ligne, plusieurs artistes ont décidé d’annuler leur venue au fes­ti­val qui s’est tenu en sep­tem­bre, dont Job Sifre, Ani­mistic Beliefs, Jane Fitz, DJ Bone, Andrew Pekler et Rabih Beai­ni. Active sur la plate­forme sociale, Maya con­sid­ère ce tra­vail de sen­si­bil­i­sa­tion comme un effort qui paiera sur le long terme. Elle con­tin­ue ain­si d’interpeller clubs et fes­ti­vals qui pro­gram­ment des artistes russ­es silencieux·ses face à l’invasion, et observe « de moins en moins d’artistes russ­es sur la plu­part des line-ups de cer­tains clubs ».

Cet activisme en ligne s’était déjà man­i­festé début mars, avec la réu­nion de plus d’une cen­taine d’acteur·ices de la scène élec­tron­ique ukraini­enne. Ensem­ble, ils et elles avaient signé une let­tre (« Let­ters from the Ukrain­ian elec­tron­ic music scene ») appelant notam­ment au boy­cott des « artistes russ­es, pro­mo­teurs, clubs et organ­i­sa­tions qui ne résiste pas active­ment aux actions de leur gou­verne­ment et qui ne mènent pas d’actions pour arrêter l’invasion mil­i­taire russe de l’Ukraine ». Un texte partagé mas­sive­ment sur les réseaux soci­aux de toutes ces struc­tures de l’écosystème élec­tron­ique ukrainien.

Le son comme arme

Les artistes et DJs sont aus­si impliqué·es en ces temps de guerre. En util­isant leur pro­pre moyen d’expression – le son –, ils et elles con­tribuent à par­ler de la sit­u­a­tion, à lever des fonds ou à faire ray­on­ner la cul­ture ukraini­enne par-delà les fron­tières du pays. Cette pro­duc­tion de contre-récits face à la pro­pa­gande russe par la musique s’incarne bien à tra­vers le média Gaso­line Radio. Lancé pen­dant l’été 2022, la webra­dio s’est don­née pour objec­tif de vis­i­bilis­er la scène élec­tron­ique ukraini­enne, comme l’explique Olek­sii Makarenko, l’un de ses co-fondateurs : « Un des prob­lèmes qui nous a amené à lancer la plate­forme Gaso­line est le com­plexe d’infériorité dont souf­fre les Ukrainien·nes ». Il pour­suit : « Ces dernières années, la scène ukraini­enne s’est dévelop­pée à un rythme effréné. Pour­tant, il y avait tou­jours une ten­dance de cen­tr­er l’attention sur les artistes étrangers. Le pub­lic local n’avait pas for­cé­ment con­science de la grande valeur de la scène musi­cale ukraini­enne ».

Un mix @Gasoline Radio

 

Depuis son lance­ment, la webra­dio héberge ain­si de nom­breuses rési­dences d’artistes du pays, cer­taines ayant une dimen­sion car­i­ta­tive. C’est le cas par exem­ple de Illu­mi­nate Ukraine, une émis­sion de l’artiste Vova Siabruk ayant pour but de « lever des fonds pour l’équipe de POD.ALL, un groupe d’ami·es engagé·es dans la recon­struc­tion de maisons dans les régions affec­tées par l’invasion ». Le label ukrainien mys­tic­trax, qui reverse l’intégralité des recettes de ses ventes aux for­cées armées ukraini­ennes, tient égale­ment une émis­sion régulière sur la radio.

Sasha Tes­sio est un autre rési­dent de Gaso­line, via sa plate­forme Kross­fin­gers. Chaîne de pod­cast renom­mée au sein de la com­mu­nauté des dig­gers et diggeuses à la fin des années 2010 (ayant reçue des artistes comme Tolouse Low Trax, DJ Sun­dae, Prins Thomas, Suzanne Kraft, Zal­tan, Heap, The Pilotwings, Lena Wil­likens, Ste­vie Whis­per, Jacques Satre…), elle a con­nu un coup d’arrêt il y a deux ans. Finale­ment, quelques mois après le début de l’invasion, la chaîne se relance, Sasha Tes­sio expli­quant « vouloir soutenir son pays con­tre l’agression russe ». Pour ça, il lance avec Artem Yarmosh un Patre­on via lequel il est pos­si­ble de récolter les track­lists de l’ensemble des sets joués. L’argent reçu per­met de financer des organ­i­sa­tions actives dans l’aide pen­dant la guerre. Par­mi les pre­miers invités : Vladimir Ivkovic, Awe­some Tapes From Africa, Tor­na­do Wal­lace… « On a com­mencé à dig­ger beau­coup de musiques au début de la guerre, c’est devenu une rou­tine pour se libér­er l’esprit. En revenant à Kyiv, on s’est demandés com­ment on pour­rait partager ces trou­vailles. Les Ukrainien·nes faisant beau­coup de dons, on s’est inscrit dans ce mou­ve­ment, et c’est comme ça que j’ai relancé Kross­fin­gers avec des artistes de la scène inter­na­tionale » racon­te Sasha Tes­sio qui revient sur la genèse de la renais­sance de la plate­forme. « L’un de nos plus gros dona­teurs est l’un des invités dans l’émission : les artistes pren­nent donc aus­si part à cette forme de char­ité » fait-il d’ailleurs remarquer.

Sasha Tes­sio, le boss de Krossfingers

 

Plus anci­enne, 20ft Radio est une autre webra­dio ukraini­enne. Quelques semaines après le lance­ment de l’invasion, elle a lancé Grains of Peace, un pro­jet car­i­tatif pen­sé comme une « zone récréa­tion­nelle pour aider l’Ukraine grâce à la musique, avec des mix­es calmes, des per­for­mances apaisantes et des émis­sions en direct de résident·es de la radio ou d’ami·es du monde entier ». Cer­tains labels ukrainiens ont eux aus­si rapi­de­ment réag­it en sor­tant plusieurs com­pi­la­tions car­i­ta­tives. On peut notam­ment citer le pro­jet com­mun de Stan­dard Devi­a­tion et de mys­tic­trax, Stand For Ukraine, ou celui du col­lec­tive Shum.Rave ; Друзі (potes, en ukrainien). Autre forme de mobil­i­sa­tion par le son : le mou­ve­ment lié à la pro­duc­tion de sons patri­o­tiques. L’artiste Koloah en fait par­tie. « J’écris de la musique pour des vidéos de moti­va­tion à des­ti­na­tion de l’armée, j’écris des chants patri­o­tiques » racontait-il en mai dernier. D’autres artistes ont choisi de par­tir au front, comme John Object, qui doc­u­mente quand il le peut ce qu’il s’y passe sur sa pro­pre page Insta­gram.

Pro­mou­voir la cul­ture ukraini­enne hors les murs

Beau­coup d’autres artistes ukrainien·nes jouent pour leur part à l’étranger, con­tin­u­ent de tourn­er. « Ils et elles par­ticipent à répan­dre la vérité sur la sit­u­a­tion en Ukraine » indique Sasha Tes­sio. Une dimen­sion tout aus­si impor­tante dans la guerre actuelle, pour que la com­mu­nauté inter­na­tionale con­tin­ue de se mobilis­er sur ce sujet. Depuis Berlin, la jour­nal­iste Mar­i­ana Bere­zovs­ki s’inscrit elle aus­si dans cette démarche. En sep­tem­bre, elle a organ­isé à la Kan­tine du Berghain (l’une des salles du célèbre club alle­mand) Let­ters to Kyiv : le pre­mier d’une série d’événements dédié à la cul­ture ukraini­enne, pen­sée comme une déc­la­ra­tion d’amour à la cap­i­tale du pays. Avant de devenir une pub­li­ca­tion, le pro­jet se décline sous ce for­mat événe­men­tiel, en musique. Les invité·es de son pre­mier événe­ment étant Space Afri­ka, Nastya Vogan, Lau­re Croft et Maryana Klochko.

D’autres événe­ments se pro­duisent ailleurs, pour faire la pro­mo­tion de la cul­ture ukraini­enne. Ce fut par exem­ple le cas, le 24 août dernier, jour du 31ème anniver­saire de l’indépendance du pays de l’Union sovié­tique. Une rave à Vil­nius vit le jour, coïn­ci­dant avec le six­ième mois d’invasion russe. De quoi faire vivre la mémoire du pays meur­tri, au-delà de ses fron­tières. Un événe­ment qui illus­tre la pos­si­bil­ité pour l’ensemble de la scène élec­tron­ique européenne et d’ailleurs de s’impliquer face à la guerre subie par l’Ukraine. Chacun·e peut pren­dre sa part et agir : en invi­tant des artistes ukrainien·nes sur un événe­ment, par­ler de la sit­u­a­tion, soutenir des pro­jets car­i­tat­ifs liés à la guerre. Un juste retour des choses quand on se sou­vient que Kyiv fut con­sid­éré quelques temps avant la guerre comme le nou­v­el eldo­ra­do de la fête, où nombreux·ses se sont rendu·es pour prof­iter de la qual­ité de sa scène et de ses clubs.

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