Un bon film sur Johnny Hallyday plutôt qu’un mauvais film sur les Ramones”

L’interruption du fes­ti­val Filmer la Musique a fait bien des orphe­lins. Sans réels moyens mais avec beau­coup de pas­sion et de goût, ses cinq édi­tions chao­tiques auront per­mis d’attirer l’attention sur de nom­breux doc­u­men­taires musi­caux, aux formes flot­tantes et aux qual­ités iné­gales, mais tou­jours orig­in­aux et intri­g­ants. Mal­gré l’existence de quelques ini­tia­tives salu­taires, notam­ment les pro­gram­ma­tions organ­isées par Benoit Hické à la Gaité Lyrique, cette fenêtre sur un ciné­ma tour­nant le dos aux biopic for­matés dont Hol­ly­wood nous abreuve, man­quait cru­elle­ment. C’est donc avec joie que Tsu­gi salue la nais­sance d’une nou­velle man­i­fes­ta­tion dédiée au ciné­ma et à la musique sous toutes leurs formes. Le F.A.M.E, pour Film And Music Expe­ri­ence (belle déc­la­ra­tion d’intention), débute ce soir à la Gaîté Lyrique. Der­rière cette pre­mière édi­tion on retrou­ve Olivi­er For­est, l’un des ani­ma­teurs de Filmer la Musique (et par ailleurs col­lab­o­ra­teur de Tsu­gi), et Benoît Hické, con­nu lui aus­si pour ses pro­gram­ma­tions tout azimut, chaleureuse­ment soutenues par Jérôme Delor­mas, le directeur de la Gaîté Lyrique. Par­mi la quin­zaine de films en avant-première à décou­vrir jusqu’à dimanche, on notera Le Pro­jet Sex­toy, por­trait intime de la regret­tée Del­phine Palat­si, fig­ure mar­quante et tour­men­tée du Pulp. Mais aus­si Big Star : Noth­ing Can Hurt Me, sur le plus grand groupe de losers dépres­sifs du monde, Silk qui suit le quo­ti­di­en en tournée des divas house du label de Los Ange­les, 100% Silk, Teenage, un film sur l’invention de la cul­ture jeune basé l’essai de Jon Sav­age ou encore You’re gonna miss me, un (beau) por­trait du rock­er psy­chopathe Rocky Erick­son. Mais notre film d’ores et déjà favori reste Naked Opera, sorte d’auto-biopic d’un (très) riche et (très) gay ama­teur d’opéra Lux­em­bour­geois, Marc Rollinger, qui traîne ses névros­es et son ennui exis­ten­tiel d’une représen­ta­tion de Don Gio­van­ni a une autre, à tra­vers le monde et les escort boys. Le film, décon­seil­lé au moins de 16 ans, sera pro­jeté same­di à 16h, en sa présence. On a hâte.

En atten­dant, nous avons demandé à ses organ­isa­teurs de nous présen­ter le F.A.M.E plus en détails.

Tsu­gi : Quelles dif­férences y a‑t-il entre Filmer la Musique et le F.A.M.E ?

Olivi­er For­est : Filmer la Musique a été ma vie durant six ans et je regrette encore la manière dont il s’est ter­miné. Une his­toire douloureuse qui doit encore se sol­der au tri­bunal des prud’hommes. Mais il fal­lait rebondir. C’est tout naturelle­ment que j’ai cette fois col­laboré avec Benoît dont je con­nais­sais le tra­vail et notam­ment les pro­jec­tions régulières, Musique­point­doc, à la Gaité.

Benoit Hické : F.A.M.E n’est ni une nou­velle ver­sion de Filmer la Musique, ni une édi­tion spé­ciale de Musique­point­doc, c’est un fes­ti­val com­pléte­ment nou­veau. Mais on assume volon­tiers d’être dans la con­ti­nu­ité de ces deux man­i­fes­ta­tions. Le F.A.M.E est la réu­nion de nos envies et de nos dif­férences. Nous nous retrou­vons en tout cas pour dire que nous ne nous voyons pas comme des his­to­riens des doc­u­men­taires musi­caux. Avant tout, nous avons envie de mon­tr­er un ciné­ma qui explore, qui se pose des ques­tions, qui invente des formes, un ciné­ma doc­u­men­taire mais pas seule­ment. La musique est le sujet par­fait pour inspir­er ce genre de films hors-format. Au-delà de nos pro­pres goûts, la musique nous intéresse parce qu’elle est un excel­lent révéla­teur de son époque. Faire un fes­ti­val de films autour de la musique c’est pour nous une manière de mon­tr­er un air du temps, sex­uel, poli­tique ou sociétal…

Des films sur le skate, sur des cham­pi­ons de jeux vidéo ou des gang de bik­ers, de fait, il y a de tout au F.A.M.E…

Olivi­er : Il nous sem­ble impor­tant de mon­tr­er des films qui témoignent de la pop cul­ture. Quel autre sport est aus­si proche de la musique que le skate ? Quant aux cham­pi­ons des jeux vidéo ils sont adorés comme des rock stars en Corée. En ouver­ture nous avons choisi un film, Bloody Beans, sur la révolte d’enfant algérien qui n’a rien à voir avec le rock, mais dont  la musique a été com­posé par Zom­bie Zom­bie. Ils joueront leur com­po­si­tion ce soir lors de la pro­jec­tion. De la même manière, la pro­jec­tion du film Un jour peut-être, dédié à la scène hip hop alter­na­tive autour du Klub des Loosers, Grems ou TTC, sera suiv­ie d’un con­cert. Le fes­ti­val ne s’appelle pas pour rien Film And Music Experience.

Benoît : Il faut mieux par­ler d’un fes­ti­val de ciné­ma autour de la musique que d’un fes­ti­val de films musi­caux. Le film sur Big Star est peut-être l’exception qui con­firme la règle dans une pro­gram­ma­tion où il y a finale­ment très peu de films sur des groupes. Comme par hasard c’est le film dont la forme est la plus clas­sique. Tant mieux, mais on n’en passe qu’un seul dans ce genre. Nous, nous avons envie de mon­tr­er des films qui pro­posent des formes plus inter­sti­tielles, sans se pos­er la ques­tion du bon goût, ni musi­cal, ni filmique. Dans notre fes­ti­val on passe de l’opéra à la tech­no, à la pop et au funk. Beau­coup de films risquent d’irriter les gens et c’est très bien comme ça.
Olivi­er : Franche­ment, nous préférons mon­tr­er un bon film sur John­ny Hal­ly­day qu’un mau­vais film sur les Ramones.

Le F.A.M.E c’est aus­si une compétition ?

Olivi­er : Avec un prix de mille euros offert au réal­isa­teur du film lau­réat, oui. Filmer la Musique mon­trait des films de toutes les épo­ques. Cette fois nous avons voulu sor­tir de cette forme de con­fort qui con­siste à pou­voir piocher à droite à gauche pour nous con­fron­ter à la pro­duc­tion actuelle. Nous avons vision­né deux cent cinquante films pour en retenir dix en com­péti­tion et cinq hors com­péti­tion. La com­péti­tion va servir le film qui aura le grand prix et ne desservi­ra pas les autres.

Benoît : Nous con­sid­érons que les films que nous mon­trons sont des films aux formes fortes et qu’ils ont droit à une véri­ta­ble com­péti­tion comme n’importe quels autres films. Don­ner un prix, réu­nir un jury inter­na­tion­al, c’est pour nous une manière de requal­i­fi­er ces films trop sou­vent aban­don­nés dans les marges.

De DIG au suc­cès de Sug­ar Man, sans par­ler des biopics d’Hollywood, on a le sen­ti­ment que les films autour de la musique sont plus nom­breux à voir le jour aujourd’hui. Com­ment l’expliquez-vous ?

Benoît : De la même manière que la démoc­ra­ti­sa­tion de la vidéo et de moyens tech­niques minia­tur­isés et pro­fes­sion­nels ont per­mis la nais­sance de nom­breux films, le finance­ment grâce au « crowd­fund­ing » a favorisé l’essor de ce cinéma. 

Olivi­er : Beau­coup des films que nous avons vus ou pro­gram­més sont financés en total­ité ou en par­tie par ce sys­tème de par­tic­i­pa­tion du pub­lic. Le crowd­fund­ing fait doré­na­vant par­tie du plan de finance­ment d’un film. Cela devient même un levi­er. Le CNC (cen­tre nation­al du ciné­ma) prend en compte le crowd­fund­ing. Si on vient les voir avec un dossier, ils appré­cient qu’il y ait déjà un gros mon­tant apporté par le pub­lic, ils se dis­ent que le film est intéres­sant.  Le film sur Sex­toy, 12 o’ Clock Boys sur les gangs de bik­ers de Bal­ti­more ou encore Silk, ont eu recours à ce mode de finance­ment. Durant de longues années, peu de films sur la musique ont été réal­isés parce qu’ils étaient très dif­fi­ciles à financer. Ils n’intéressaient pas les chaînes de télé et le milieu du ciné­ma est notoire­ment peu musi­cal. Ces films, ils ne les com­pre­naient pas. Quand tu vas voir le CNC avec un pro­jet de film sur Devo on ne te donne pas un cen­time, aucun chaîne ne va pro­duire un film sur Devo, en revanche si tu dépos­es sur le net un dossier de crowd­fund­ing pour un film sur Devo, dans le monde entier il y aura des gens volon­taires pour don­ner vingt dol­lars pour le voir. Cela ouvre bien des per­spec­tives et c’est évi­dent dès cette pre­mière édi­tion. Il y a eu la révo­lu­tion des moyens tech­niques avec les tour­nages légers en numérique, celle de la dif­fu­sion avec YouTube et main­tenant celle du finance­ment. Tout cela explique que beau­coup plus de films exis­tent aujourd’hui qu’il y a dix ans.

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