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6 octobre 2020

Une (drôle) de nuit avec Michael Mayer en Géorgie

par Léonie Ruellan

DJ, remixeur, producteur, cofondateur du label Kompakt, Michael Mayer n’a jamais succombé aux sirènes berlinoises, préférant rester à Cologne. Après son EP Higher fin avril, il a livré le premier volet de la série de mixes Connecting The Dots dont les bénéfices ont été reversés aux artistes présents sur la compilation et au club local Gewölbe, et il vient de compiler Total 20, le vingtième résumé annuel de l’épopée Kompakt. En mars 2011, c’était quelque part en Géorgie que Michael Mayer se produisait. De cette soirée arrosée de chacha sont nées de belles amitiés, mais aussi et surtout un festival. Il nous raconte.

Article issu du Tsugi 133, toujours disponible en kiosque et à la commande en ligne.

17h : Je suis en route pour l’aéroport, et je me demande ce que ce voyage me réserve. Quelques semaines plus tôt, j’ai reçu un appel de mon amie Thea Djordjadze, une artiste géorgienne qui vivait à Cologne dans les années 2000. Elle m’a parlé d’une invitation à jouer lors d’une soirée privée, organisée par des amis qui lui sont chers, à Tbilissi, capitale de la Géorgie. Thea m’a fortement conseillé d’accepter cette offre, m’assurant que je n’allais pas le regretter. Me voilà donc dans un taxi, à lire la page Wikipédia de Tbilissi. N’y a-t-il pas un conflit armé en Georgie ? Ou bien est-ce en Tchétchénie ? Où vais-je atterrir ?

3h : Atterrissage à Tbilissi. Un seul coup d’œil par le hublot me suffit pour constater que je suis bien dans un ancien pays soviétique. Mais après tout, il n’y a pas beaucoup de couleurs visibles dans la nuit et les aéroports me dépriment toujours. Un petit groupe de personnes très sympathiques vient me chercher et m’amène au Hilton du centre-ville. Je n’arrive pas à trouver le sommeil, je suis trop impatient de découvrir de quoi sera fait demain.

12h : On vient me chercher pour déjeuner. Je vis ma première et mémorable expérience avec l’incroyable cuisine géorgienne, avec un passage obligé par le chacha, ce spiritueux comparable à la grappa (eau-de-vie de marc de raisin, ndr), qui jouera un rôle primordial dans les heures à venir. Mes adorables hôtes Nika, Oto et Abel m’en disent plus sur l’évènement de ce soir. Il s’agit d’une soirée en hommage à Gio Bakanidze, DJ local mort tragiquement dans un accident de voiture un an plus tôt. Gio était le premier à jouer les sons des labels Kompakt, Playhouse ou Perlon à Tbilissi. Apparemment, j’étais une sorte d’idole pour lui. C’est pourquoi ça devait être moi, le DJ de cette soirée. J’ai découvert plus tard que je lui ai même serré la main sans le savoir, une nuit au Flex Club à Vienne. Mes hôtes me racontent histoire sur histoire à propos de Gio, et chaque histoire est accompagnée par des larmes et toujours plus de chacha. J’adore mes hôtes. Je suis profondément touché, et un peu ivre.

 

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00h : La soirée se tient dans un théâtre abandonné dans la vieille ville pittoresque de Tbilissi. Environ 300 visages bienveillants sont à peine visibles sur le dancefloor. L’air est empli d’émotions, de grandes attentes et, bien sûr, de vapeurs de chacha. Je ne peux même pas me souvenir combien de temps j’ai joué, mais je l’ai fait avec le cœur, plus que jamais. Des personnes viennent sans cesse près de la cabine de DJ me raconter une autre histoire sur le trop jeune défunt Gio, et il y a une avalanche d’embrassades, de l’amour, des larmes, une sensation de bonheur profond, et toujours plus de chacha : tout cela fait de cette nuit l’une des plus belles soirées où je n’ai jamais joué. Malheureusement, mon vol retour vers Cologne m’attend juste après la fête. Dans l’avion, je m’endors, le sourire aux lèvres.

« Je ne peux même pas me souvenir combien de temps j’ai joué, mais je l’ai fait avec le cœur, plus que jamais. »

Épilogue : Qui aurait pensé que cette nuit allait marquer le début du festival annuel 4GB (For Gio Bakanidze), qui a rassemblé 15 000 personnes en 2019 dans un ancien centre spatial soviétique quelque part dans la périphérie de Tbilissi ? La passion et l’amour que transmettent l’équipe et le public du 4GB sont sans précédent sur cette terre. Je suis profondément reconnaissant d’avoir l’honneur de clôturer ce festival chaque année. L’édition 2020 aurait dû être le dixième anniversaire du 4GB. Ne pas pouvoir retrouver mes amis géorgiens et célébrer avec eux ce rituel est pour moi un réel déchirement.




Article issu du Tsugi 133, toujours disponible en kiosque et à la commande en ligne.

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