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©Sam Christmas
5 juillet 2021

Utopian Ashes : le premier album du duo Bobby Gillespie et Jehnny Beth

par Marie Solvignon

Le chanteur et leader du groupe de rock Primal Scream, Bobby Gillespie s’est associé à l’artiste solo et chanteuse de Savages, Jehnny Beth pour leur album Utopian Ashes sorti le 2 juillet dernier.

Les deux artistes se sont rencontrés il y a quelques années, l’assemblage de leurs voix a directement fonctionné. Ce fut comme une évidence. Cette alliance permet aux deux artistes de proposer des titres forts de sens. Les morceaux aux sonorités soul, country, blues et rock évoquent des thèmes liés à la perte, aux difficultés de l’amour, aux choses inévitables apparaissant avec l’âge, à la séparation d’un couple, etc. Antoine Dabrowski a interviewé le duo pour Tsugi Radio afin d’en savoir plus sur eux et sur leur projet. Diffusion mercredi à 17h, Mais en avant-première un extrait de leur longue conversation.

Antoine Dabrowski : Quelles ont été vos influences pour cet album ?

Bobby Gillespie : L’une des inspirations pour cet album, c’était Volunteers par Jefferson Airplane. J’adore l’énergie de cet album, son esprit révolutionnaire et l’interaction entre les voix de Grace Slick et de Marty Balin. J’aime comme ils chantent parfois à l’unisson, et parfois séparément, les harmonies qu’ils font parfois. J’adore leur sens de la musique et les arrangements du disque. C’était une source d’inspiration pour moi, un but à atteindre. Je me disais que ce serait bien de faire un album rock aussi puissant, tout en étant dans la retenue. Avec le titre Stones of Silence, Jehnny chante le premier couplet, puis je la rejoins pour le refrain, et on harmonise. Et quand on a réécouté ça sur les enceintes, le groupe était secoué. On sonne comme Jefferson Airplane ! Je crois que personne n’avait la référence. Et je me disais, putain ! Je nous voyais chanter la chanson avec des projections psychédéliques, sur une piste de danse psychédélique. C’était excitant ! J’avais cette vision de nous en train de chanter cette chanson sur scène.

Jehnny Beth : Comme Bobby, je n’avais aucun duo en tête au moment d’enregistrer. Ce qui est étrange en fait : pourquoi donc ? On était dans l’instant quand on a enregistré. J’ai écouté beaucoup de duos, j’adore ça. En France, où j’ai grandi, c’est une grande tradition. J’étais obsédée par Johnny Cash et June Carter quand j’étais jeune, j’ai eu une grosse phase, j’ai lu des biographies. Je me voyais vraiment dans un duo, avec John et Jehn au début de la vingtaine. Je sais ce que c’est de chanter avec un homme, parce que j’ai beaucoup chanté avec Johnny (Hostile avec qui elle chantait alors NDR). J’avais ça dans mon ADN, ça ne m’a pas paru étranger, je n’avais pas l’impression d’imiter quelqu’un.

BG : Avec les duos, la formule, la tradition, c’est assez sexy. Les fans peuvent projeter ce qu’ils veulent. C’est un peu comme une page blanche, l’homme et la femme. C’est comme dans un film quand y’a un homme et une femme comme personnages principaux, les gens imaginent toujours autre chose.

JB : Aussi attirant que le feu.

BG : C’est ça !

AD : Bobby tu as dit que tu voulais remettre de la souffrance dans la musique : pourquoi il n’y en a plus assez ?

BG : La musique de Blancs, c’est de ça dont je parle.

AD : Si tu n’entends pas de souffrance, qu’entends-tu dans la musique d’aujourd’hui ?

BG : Il y a plein de trucs bien, je n’ai jamais dit le contraire. Mais pour ce qui est de la douleur

émotionnelle profonde d’un adulte plus vraiment… Quand j’écoute de la soul des années 70, If Loving You Is Wrong, I Don’t Wanna Be Right, de Luther Ingram. C’est l’histoire d’un mec qui dit à sa maîtresse, je suis marié avec deux jeunes enfants, mais je reviens toujours à toi. If Loving You Is Wrong, I Don’t Wanna Be Right. Je n’arrive pas à croire que ce mec dise cela. J’arrive à sentir le dilemme existentiel de ce type, et ça me fait un peu mal. Il y a beaucoup de choses solipsistes, nombrilistes et narcissiques. Peut-être que c’est un truc de génération.

JB : C’est important de se connecter à la douleur. Quand t’as l’impression que quelqu’un a traversé les mêmes épreuves que toi. Je ne trouve pas que ça forcément sexy, mais c’est attirant. Ça nous attire parce qu’on a besoin de ce lien, de cette connexion.

BG : Quand quelqu’un part de son expérience, de ses épreuves pour écrire, il a une histoire. C’est ce que j’essaie de dire. Et dans la musique de Blancs que j’entends, je ne pense pas qu’il y a une histoire très intéressante derrière tout ça. En règle générale, je peux juste voir ça à partir d’une photo. Le nom du groupe. Tu vois, Cat Power, y’a une profondeur soul, une lutte, c’est attirant. Je veux être intrigué par quelqu’un, et c’est rare que quelqu’un m’intéresse dans la musique de Blancs. On manque de personnalités. Et dans la musique de jeunes Blacks aujourd’hui, il y en a plein, sans limites par rapport aux conventions musicales. Ce sont eux qui font vraiment la musique d’aujourd’hui. Et il faut admirer ça. Je ne veux rabaisser personne, mais je veux croire en un artiste quand il chante.

JB : Être plausible, c’était vraiment quelque chose dont je me suis souciée pour cet album. On parle toujours de fiction pour cet album, de cette idée de personnage. Mais je ne pense pas en ces termes quand je chante. Le personnage pense comme ci, ou comme ça. On ne peut pas tricher, parce que ça s’entend dans la voix. J’ai dû trouver un moyen d’y mettre ma propre expérience, que j’ai, même à mon âge. On ne joue pas un rôle, même quand je chante sur le fait d’avoir des enfants. J’en ai pas, mais c’est pas grave : j’ai trouvé un moyen de me relier à ça, pour que ça sonne plausible. C’est pareil pour Bobby quand il dit « Tu peux me faire confiance, à présent ». Comment je peux rendre ça plausible si je n’y crois pas moi-même ?

AD : Comment est-ce qu’être artiste, écrire des paroles, faire de la musique, vous aide à mieux comprendre la condition humaine ?

JB : Très bonne question. Je vais me la poser jusqu’à la fin de ma vie. La question, c’est comment. C’est une conversation avec son travail. C’est pour ça que j’adore travailler avec Bobby. J’ai su que ça n’aurait rien à voir avec ce que j’avais fait auparavant. C’était l’occasion de créer un objet qui allait me répondre différemment. Il y a toujours une conversation avec son travail. C’est comme un écho, ou un boomerang. Mon émission sur Arte s’appelle Echoes. Et c’est l’idée : entre les conversations que j’ai avec les artistes, et leur performance, il y a ce lien. Comme le dit Bobby, ce n’est pas que la musique. Ce sont les personnalités, c’est le live, c’est l’expérience. (Le vécu). Ce que tu as traversé. Il n’y a pas que la musique.

BG : Tu écris sur le tempérament, les défauts, les faiblesses d’un personnage. Mais pour moi c’est une chanson sur l’expérience. Et en même temps, ça m’aide à me pardonner, et à pardonner les autres.

JB : J’ai appris beaucoup de choses sur toi en faisant cet album avec toi.

BG : Intéressant…

JB : Je ne pense pas que je te connaîtrais autant si on n’avait pas fait cet album.

BG : Tout le monde a des murs. Mais j’ai la chance de pouvoir écrire sur mes peurs, en discuter avec moi-même.

JB : Quand j’y pense, t’en as plus dit dans les chansons qu’on a écrite ensemble que pendant nos conversations directes. Et c’est pour ça que je me suis mise à pleurer quand j’ai entendu le premier couplet de Chase It Down. C’était la première fois que tu me parlais de manière si honnête. Et c’était à travers une chanson qu’on a écrite ensemble.

BG : Merci.

AD : Votre amitié s’est renforcé avec ce disque on dirait !

JB : Avec les interviews aussi, je dois avouer !

BG : On est un duo comique. Laurel et Hardy, Abbott et Costello. Oublie Nancy Sinatra & Lee Hazelwood. Ce n’est pas nous ça. Nous les chanteurs et compositeurs, on a la chance de pouvoir résoudre des choses profondes de nos vies par le biais d’une catharsis créative. Y’a beaucoup de choses qui ressortent, pour moi. Et j’essaie de régler des choses comme ça. Parfois, quand j’ai quelque chose sur la conscience, le fait d’écrire une chanson, d’y mettre des mots, une mélodie, des accords, et de le chanter avec un groupe, c’est purificateur ! C’est une soupape, un exorcisme. Les problèmes s’envolent. Ou ça m’aide à me rendre compte du problème. C’est la beauté de l’art et de la musique. La poésie et les chansons, c’est essentiel.

Utopian Ashes

©Sam Christmas

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