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© Jason Powers
28 mai 2018

Interview : Wooden Shjips revient avec un album aussi psychédélique que solaire

par Adrien Bertoni

Depuis douze ans, les Californiens de Wooden Shjips ont su s’imposer comme les maîtres du rock psychédélisme. La musique du groupe mené par Ripley Johnson (moitié de Moon Duo) sent bon les années 60 et n’est pas sans rappeler The Velvet Underground. Wooden Shjips est de retour avec un cinquième album sobrement intitulé V. sorti le 25 mai chez Thrill Jockey. Moins furieuse que les précédentes explorations du groupe, la musique de ce long-format se fait solaire et V. a tout de la bande-son idéale pour nous accompagner cet été. Le disque a aussi été pensé comme une bulle de paix et un échappatoire face aux tensions, aussi bien politique qu’économique ou écologique, d’une Amérique à l’heure de Donald Trump. Nash Whalen, claviériste du groupe a accepté de répondre à nos questions.

Votre album est présenté comme un “album de l’été“, comment tu définirais la musique de cette saison ? 

Une musique de l’été c’est n’importe quelle musique qui sonne bien quand tu l’écoutes une nuit chaude sous les étoiles ou sous le soleil au bord de l’eau. Et quand tu l’entends un sombre et froid jour d’hiver, elle te rappelle aussi bien l’été à venir que les joies des étés passés.

Qu’est ce que tu réponds aux gens qui pensent que les musiques de l’été sont des musiques faciles, des musiques faites pour le fun, mais pas de la grande musique ?

Pour moi les musiques de l’été ont toujours été séparées en deux catégories. La première regroupe cette musique facile et idiote qui définit la pop culture de nos jours. Aux Etats-Unis ces morceaux sont souvent immortalisés par les équipes sportives, les équipes de baseball ou de football américain transformant les titres les plus populaires en hymnes victorieux ou en cris de ralliement. Donc oui, il y a clairement de la mauvaise musique de l’été qu’il faudrait mieux oublier. La deuxième catégorie ce sont toutes ces incroyables chansons que j’ai pu découvrir durant mes étés. Entre les jobs d’été, les soirées, les concerts, les road trips, j’associe beaucoup de mes groupes préférés à des étés en particulier car leurs morceaux résonnent avec des périodes particulières. j’espère vraiment que le public associera notre musique à cette seconde catégorie.

Qu’est ce qui fait de l’été une période si particulière de l’année ?

J’ai toujours eu l’impression que l’été offrait de nombreuses possibilités. Avec les nuits chaudes et les couchés de soleil tardifs, il est beaucoup plus facile pour moi d’élargir mes horizons. Je peux faire une randonnée dans la montagne en soirée et savoir que tout va bien aller. Et avec tout le monde qui est en quelque sorte au même moment détaché de sa vie quotidienne, ça créé vraiment une bonne énergie.

Est-ce que vous saviez dès le début que vous vouliez faire un album de l’été ou c’est venu naturellement en commençant à travailler sur les morceaux ?

L’été dernier on a commencé à travailler sur un nouveau disque après notre tournée européenne. Donc on peut dire que dès le début de l’histoire, il était question de faire un album estival. Ensuite Ripley (Johnson le chanteur et guitariste NDR) a composé des chansons dans une vibration très détachée et positive. Nous, en tant que groupe on a développé ces compositions pour refléter la nature insouciante des mois d’été.

En 2010, une journaliste vous demandait comment vous imaginiez votre musique dans dix ans et Ripley a répondu « je serais surement assis devant le porche de ma maison en train de faire de la musique avec ma guitare« . C’est ce qui s’est passé avec cet album non ?

Effectivement ce n’est vraiment pas très loin de ce qui s’est passé. Je sais que Ripley a travaillé sur certains morceaux dans son van pendant sa tournée avec Moon Duo. Mais l’été dernier nous nous sommes retrouvés tous les quatre devant le porche de sa maison à parler de musique ou à en écouter et ça nous a aidé à créer ce qui est devenu cet album.

Votre album est très optimiste. C’est difficile de conserver cet optimiste par les temps actuels ?

Oui c’est vraiment dur !

Tu n’as pas peur du futur ?

Je pense que les gens ont toujours eu peur du futur. Mes craintes peuvent être différentes que certaines personnes ont pu avoir ou que d’autres peuvent avoir en ce moment, mais je pense que le niveau d’anxiété sur cette planète a toujours été très élevé. Et en même temps je pense que nous devons tous affronter nos peurs du futur avant même de pouvoir sortir de notre lit chaque matin. Donc tant que je pourrai faire ça, je pourrai aborder mes journées avec un certain optimisme.

Dans votre album vous défendez la paix et le pacifisme. Tu n’as jamais eu l’envie de te battre ou de te rebeller contre la société ?

Je pense que chacun dans le groupe se rebelle contre la société à sa façon. Mais cela reste de façon pacifiste. Nous exprimons nos idées à travers les boutiques où nous allons faire nos courses, nos votes, les manifestations auxquelles nous participons ou n’importe quelle autre décision que nous prenons chaque jour. D’une certaine façon, faire de la musique comme nous la faisons va aussi à l’encontre des normes sociétales. Défendre la paix et le pacifisme en 2018 semble par de nombreux aspects aller à l’encore de la société américaine.

Qu’est ce qui te préoccupe le plus actuellement ?

Je suis très préoccupé par la concentration des pouvoirs dans les mains de corporations ou d’individus fortunés qui semblent en profiter pour exploiter les vies et les morts d’innocents à travers le monde entier. Les guerres qui ne se finissent plus et la destruction de notre environnement font partie de cette catégorie. Mais une préoccupation tout particulière pour moi est de voir comment encore de trop nombreuses sociétés répriment l’autre, qu’il s’agisse des femmes ou des minorités ethniques ou religieuses. Nous devons vraiment voir tout le monde comme notre égal afin que tous les humains puissent prospérer et que nous puissions nous considérer comme une une vraie espèce avancée.

Ce n’est pas un risque de se créer une « bulle de paix » et de finir par être déconnecté des réalités du reste du monde ?

Chacun créer ses propres bulles pour pouvoir y vivre. Il y a tellement de personnes déconnectées des réalités du monde, mais les réalités de leur monde dictent la façon dont ils voient le reste. Nous devons tous sortir de nos bulles ou les étendre. Si nous étions plus à créer des bulles de paix, peut être que nous pourrions en créer une grande et unique qui recouvrirait l’ensemble de la planète.

Paradoxalement, est-ce que l’arrivée de Trump et le climat ambiant ne sont pas bénéfiques pour la musique et les arts ?

C’est certain que le climat actuel est bon pour créer. Mais selon les statistiques, les Etats-Unis ont été en guerre d’une manière ou d’une autre au cours de 90% de son histoire. Bien-sûr beaucoup de musiques formidables sont nées de ces conflits, mais ça serait super si l’art pouvait se concentrer sur des sources d’inspirations universelles plutôt que sur des peurs. Si les gens ne prennent pas conscience de nos agissements sur la nature en tant qu’individus, consommateurs et citoyens, alors nous allons avoir de plus en plus de leaders comme Trump. Exactement comme nous en avons déjà eu par le passé.

Est-ce que tu as écouté des morceaux en particulier pour trouver l’inspiration pour cet album ?

© Sofia Ahsanuddin

Quand nous travaillons sur les morceaux, j’écoutais les parties que chacun était en train de jouer et ça me rappelait d’autres chansons ou groupes que j’associais avec nos titres. Je me souviens d’artistes comme les Rolling Stones, Funkadelic, Neil Young ou Mudhoney. Des fois j’écoutais ces groupes pour trouver un peu d’inspiration supplémentaire. Mais le plus souvent j’allais juste puiser dans la vibe que le groupe était en train de créer. A mon âge il y a tellement d’inspirations cumulées que c’est difficile de dire que quelque chose de spécifique a inspiré tel ou tel morceau.

Votre musique semble très attachée aux lieux où vous vivez. Tu peux vous imaginer faire de la musique ailleurs ?

Nous avons enregistré notre musique et créer nos disque à San Francisco et Portland. On y retrouve surement des éléments qui viennent du fait que nous vivions là mais je ne pense pas que l’un d’entre nous pense qu’il y ait un seul lieu où nous pouvons créer notre musique. Nous avions parlé d’aller enregistrer dans d’autres lieux, même des endroits exotiques. Non pas parce que nous pensions que nous avions besoin d’espace pour définir notre musique mais parce que nous avions besoin de nous éloigner de nos vies quotidiennes pour mieux explorer notre musique. Je pense que c’est aussi pour ça que nos performances sur scène peuvent apporter une toute nouvelle dimension à nos chansons. Après avoir été en tournée pendant un moment, les morceaux deviennent des reflets de notre vie sur la route, de l’énergie du public et de l’excitation à être constamment en train de jouer. Je pense que notre meilleur album sera celui que nous enregistrerons au milieu ou à la fin d’une tournée.

Avec votre nouvel album, vous aviez la volonté de vous mettre à part de l’agitation de notre monde. Mais n’était-ce pas une façon d’être aussi à part dans l’industrie musicale ? 

Nous essayons de créer une musique intemporelle. J’espère que cela fait sens aujourd’hui et que ça continuera plus tard. Mais sûrement que sortir ce disque maintenant signifie aussi des challenges particuliers pour nous en tant que groupe. Partir en tournée nous permet de nous échapper de certaines réalités de ce monde mais en quittant nos bulles nous sommes aussi confrontés à d’autres réalités. Nous ne pouvons pas contrôler grand chose mise à part le fait de délivrer notre musique de la meilleure façon possible.

Est-ce que vous vous sentez en dehors du monde de la musique actuel ?

Je suis sûr que chacun dans  le groupe ont leur propre vision sur ce qui est à part ou non dans le monde de la musique. Moi je me sens suffisamment déconnecté pour que chaque nouveau groupe que je vois devienne une révélation. C’est ce qui est bien avec la musique : il y a toujours tant de découvertes à faire. Et j’espère vraiment que les gens trouveront une place pour nous dans leur monde musical.

Que répondrais-tu aux personnes qui pensent que le rock est mort ?

A chaque fois que j’entends que le rock est mort, je pense à cette citation de Pete Townsend : “ils disent que le rock est mort, longue vie au rock« . Nous sommes nombreux sur cette planète et le rock continuera à être apprécié par des millions de personnes pour les années à venir. Aux Etats-Unis le mouvement religieux Shakers a bien encore des membres 250 ans après sa création alors qu’il prône le célibat et interdit la reproduction. Le rock devrait donc bien avoir encore quelques siècles à vivre.

 

 

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