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24 septembre 2021

đŸ€ Zdar x de CrĂ©cy : « Motorbass, c’Ă©tait de la techno mixĂ©e par des mecs qui faisaient du hip-hop »

par Patrice BARDOT

En 2003, Patrice Bardot, notre directeur des rĂ©dactions alors journaliste Ă  Trax, rencontrait la paire Étienne de CrĂ©cy et Philippe Zdar qui envisageait de rĂ©activer leur projet Motorbass dont le mythique album Pansoul, ovni incontournable des annĂ©es French Touch, venait de faire l’objet d’une rĂ©Ă©dition. Une prĂ©cieuse archive que nous vous offrons aujourd’hui puisque ce chef-d’Ɠuvre Ă©lectronique va ĂȘtre de nouveau disponible le 21 octobre en format vinyle Ă©dition limitĂ©e chez Ed Banger, mais aussi pour la premiĂšre fois sur les plateformes de streaming. Avec une grosse pensĂ©e pour Zdar


Comme le dit plus loin dans cette interview Philippe Zdar [disparut tragiquement en 2019, ndlr] : “C’était un autre monde, une autre vie”. Dans laquelle les ambitions artistiques balayaient tout aspect financier, oĂč l’excitation de vivre un instant magique illuminait les perspectives d’un avenir supposĂ© radieux. En clair, c’était le temps de la jeunesse, de la naĂŻvetĂ©, de la rave, et les “vieux de la musique Ă©lectronique” Ă©taient encore des ados tout juste pubĂšres qui s’extasiaient, au propre comme au figurĂ©, sur Frequencies de LFO, “Jupiter Jazz” d’Underground Resistance ou “Red One” de Dave Clarke. Laurent Garnier enflammait les Wake Up du Rex, DJ Cam faisait pleurer les platines, les Daft n’étaient pas retombĂ©s en enfance, Dimitri From Paris ne cachetonnait pas pour Playboy, Bob Sinclar kiffait le hip-hop sous pseudo Mighty Bop, Air abandonnait l’architecture pour le vocoder, et Gilb’r incendiait le dancefloor des Bains (!) Ă  grand coup de jungle naissante.

À la pointe de cette effervescence Ă©lectronique oĂč la France se dĂ©couvrait, surprise, nouvelle maĂźtresse du monde musical : Philippe Zdar et Étienne de CrĂ©cy. Deux hommes clĂ©s d’un mouvement baptisĂ© French Touch par quelques plumitifs anglo-saxons. « La Funk Mob », « La Chatte Rouge », « Main Basse Sur la Ville », « L’Homme Qui Valait 3 Milliards », les productions Solid, ensemble ou sĂ©parĂ©ment, Zdar et de CrĂ©cy crĂ©aient la sensation Ă  chacune de leurs apparitions discographiques. Le plus beau joyau des deux complices se nommait Pansoul signĂ© sous le pseudo de Motorbass. Vite Ă©puisĂ© aprĂšs sa sortie en 1995 en format CD, cet album mythique qui garde Ă©tonnement toute sa fraĂźcheur et son innovation sept ans aprĂšs, est rĂ©Ă©ditĂ©, augmentĂ© d’un CD bonus regroupant les deux premiers EPs (001 et Trans-Phunk de Motorbass). Et il n’y a pas que le public qui se rĂ©jouit de cette rĂ©surrection.

« Personne ne faisait ça. C’est d’ailleurs ce qui me plaisait. »

©Mélanie Elbaz

Étienne de CrĂ©cy : C’est gĂ©nial, nous allons enfin pouvoir avoir un exemplaire de Pansoul (rires).

Comment est né Motorbass ?

Étienne : Cela remonte au tout dĂ©but des annĂ©es 90. Nous nous sommes rencontrĂ©s dans un studio oĂč Philippe Ă©tait ingĂ©nieur du son, j’Ă©tais assistant-stagiaire. Nous avons beaucoup travaillĂ© sur divers projets, ce qui nous a rapprochĂ©s.

Philippe : Étienne Ă©tait Ă  fond dans le rock. On dĂ©couvrait ensemble le rap et De la Soul notamment.

Étienne : J’avais formĂ© un groupe qui s’appelait The Rapture, c’est con je me suis fait piquĂ© le nom (rires). Et puis en 1991 on a pris “la” claque dans une rave. Pour la premiĂšre fois, on n’entendait la musique du futur, celle que tu imaginais pour un film de science-fiction. Pas de celle de Star Wars oĂč quand les mecs entrent dans un bar, tu as un ewok qui joue du piano. (rires)

Philippe : C’était une rave Trance Body Express sur une pĂ©niche. Un type nous a filĂ© un X, et on a pĂ©tĂ© les plombs. Nous Ă©tions une bande de six, sept et aprĂšs cette premiĂšre rave, il y a eu une pĂ©riode assez bizarre de notre vie oĂč quand nous faisions des dĂźners, nous ne parlions que de ces soirĂ©es. Toute la semaine, nous attendions le week-end avec impatience. Logiquement, nous avons trĂšs vite dĂ©cidĂ© d’acheter des platines. Étienne avec une bassline et une TR-808 s’est mis Ă  faire des morceaux trĂšs acid-house minimaliste.

Étienne : Cela correspond aux titres de nos deux premiers maxis que nous avons ajoutĂ© en bonus pour la rĂ©Ă©dition. Hubert (Boombass, partenaire de Zdar au sein de La Funk Mob) nous avait montrĂ© comment fonctionnait un sampler, mais cela ne nous branchait pas, car il y avait trop de possibilitĂ©s.

 

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Musicalement, quelles Ă©taient vos influences ?

Philippe : Nous Ă©tions Ă  fond dans la techno de Detroit genre Underground Resistance, ou bien les productions venues de Hollande et de Belgique. Nous sommes entrĂ©s dans la house parce que nous nous sommes mis Ă  dĂ©couvrir Blake Baxter, Eddie “Flashin” Fowlkes, Terrence Parker, de la techno soul. Un maxi français nous a aussi sĂ©rieusement influencĂ© : c’est Salinas de Guillaume La Tortue. La rĂšgle absolue Ă©tait de n’utiliser que des synthĂ©s et Guillaume dĂ©boule avec un truc avec des samples, une boucle, et des sons futuristes. Il nous fait Ă©couter et ça a tout changĂ© pour Motorbass.

Étienne : Avec Pansoul, nous avons trouvĂ© le son que nous voulions dĂ©velopper. Il faut dire aussi que nous avions arrĂȘtĂ© de sortir et de nous droguer (rires).

Philippe : DĂšs le second maxi, nous n’avions plus envie de la musique pour la rave, nous Ă©tions passĂ©s Ă  un autre stade. Nous avions dĂ©couvert les clubs et j’achetais de plus en plus de house.

L’originalitĂ© de Pansoul tient beaucoup dans l’influence du hip-hop.

Étienne : C’est simple : Motorbass, c’Ă©tait de la techno mixĂ©e par des mecs qui faisaient du hip-hop.

Philippe : Boombass nous avait ouvert sur la culture hip-hop. Beaucoup de titres du deuxiĂšme maxi ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s pendant les sĂ©ances de Solaar sur lesquels j’étais ingĂ©nieur du son et je taxais des samples (rires). Et il ne faut pas oublier non plus l’importance des scratches de Jimmy Jay.

Étienne : Hormis Kenny Dope, personne ne faisait ça. C’est d’ailleurs ce qui me plaisait.

Philippe : Techniquement, nous Ă©tions dans un gros studio pour le mixage de certains morceaux alors que la house d’habitude cela se fait Ă  la maison.

Étienne : Avant tout, nous savions nous servir de machines. Nous avions vu des mecs faire de la musique en studio. On connaissait la mĂ©thode Ă  utiliser et cela nous a donnĂ© un petit plus. Tout ce son en profondeur provient de ces expĂ©riences.

Encore aujourd’hui, Pansoul a un cĂŽtĂ© OVNI et intemporel. C’est un album qui n’a pas vieilli.

Étienne : Ce n’Ă©tait pas rĂ©flĂ©chi. Notre dĂ©marche Ă©tait totalement spontanĂ©e. L’ambition de dĂ©part est venue d’un double maxi amĂ©ricain de Nature Boy : tous les morceaux Ă©taient mortels. Nous nous sommes dit, il faut faire pareil.

Philippe : C’Ă©tait un producteur de New York que Romain du magasin BPM m’avait fait dĂ©couvrir. Sa production tourne beaucoup sur des samples de disco. Aujourd’hui, c’est un peu cramĂ©, vu tout ce que l’on s’est tapĂ© dans le style, mais en 1993-94, tu n’avais quatre-cinq disques house avec des boucles disco comme Injection, Paul Johnson.

Si au niveau de la critique, ce fut un succĂšs, commercialement c’est restĂ© une affaire d’initiĂ©s, non ?

Philippe : Oui, mais nous Ă©tions dĂ©pourvus de toute volontĂ© commerciale. Avec Étienne nous aimions tous les trucs les plus obscurs de la techno de Detroit oĂč le mec, moins il en vendait, plus c’Ă©tait fabuleux (rires). C’Ă©tait un autre monde, une autre vie. Il n’y avait pas de maisons de disques derriĂšre, les disques venaient directement du coffre de la bagnole. Il ne faut pas oublier qu’à l’origine, Pansoul Ă©tait sorti comme un double maxi vinyle. Nos deux premiers EPs se sont vendus Ă  3 000 exemplaires et lĂ  tout d’un coup on a Ă©coulĂ© 20 000. Pour nous, c’Ă©tait incroyable.

Étienne : Les maisons de disques qui se sont intĂ©ressĂ©es Ă  Pansoul ne se comptent mĂȘme pas sur les doigts de la main. Seul PIAS, nous a dit : “Ok, je vous distribue”.

Philippe : Il a fallu sept ou huit bons mois avant que nous ayons des retours positifs. La premiĂšre fois, j’ai amenĂ© des exemplaires chez Rough Trade, ils ne voulaient pas les prendre. (rires)

« Je disais souvent : “Motorbass, c’est du jazz.”

Que s’est-il passĂ© aprĂšs Pansoul ?

Philippe : Étienne a rencontrĂ© sa copine, nous avons arrĂȘtĂ© d’habiter ensemble or le fonctionnement de Motorbass tenait beaucoup Ă  cette intimitĂ©. AprĂšs nous sommes partis sur d’autres projets, Étienne a fait Super Discount, moi j’ai crĂ©e Cassius avec Hubert.

Étienne : On s’était dit : “Nous sommes comme le Wu-Tang Clan, on lance des trucs Ă  gauche et Ă  droite”. Ce n’était pas du show-biz classique, nous ne montrions pas notre gueule, nous n’étions pas un vrai groupe. C’Ă©tait plutĂŽt une affaire de collaborations un peu comme dans le jazz. D’ailleurs je disais souvent : “Motorbass, c’est du jazz.”

Qu’est-ce qui vous a dĂ©cidĂ© Ă  retravailler ensemble ?

Étienne : Pendant sept ans, chaque fois que l’on se voyait, on se disait : “Tiens la semaine prochaine, t’es libre ? Bon tu viens, on fait un morceau”, et puis la veille on se tĂ©lĂ©phonait : “Ha, non lĂ  je ne peux pas », et on reportait Ă  quinze jours. Nous n’avons pas pris la dĂ©cision de tout d’un coup s’y remettre, c’est arrivĂ© naturellement.

Philippe : On a commencĂ© sept minutes avant que tu n’arrives donc c’est un peu frais pour en parler (rires). Six annĂ©es se sont Ă©coulĂ©es depuis Pansoul et nous n’avons vraiment aucune pression. Si c’est nul, tant pis on gardera ça dans les placards.

« Tu ne peux pas avoir toute ta vie vingt ans. »

Est-ce que ce n’est pas dur de retrouver la spontanĂ©itĂ© des dĂ©buts ?

Étienne : Nous serons spontanĂ©s, mais en tenant compte des expĂ©riences que nous avons vĂ©cu depuis Pansoul.

Philippe : Tu ne peux pas avoir toute ta vie vingt ans. C’est Ă  toi de faire un cocon pour que ce soit spontanĂ© mĂȘme d’une maniĂšre rĂ©flĂ©chie.

Vos influences ont forcément changé depuis Pansoul

Philippe : Ces temps-ci, j’Ă©coute pas mal Pharoah Sanders et Alice Coltrane. Mais contrairement Ă  ce que tu dis, il y a un truc bizarre : nous nous retrouvons Ă  travailler ensemble au moment oĂč nous recommençons Ă  aimer les disques que nous Ă©coutions Ă  l’époque. Lorsque nous achetions les disques, nous Ă©tions tous ensemble, c’Ă©tait comme une messe. On se disait : “Dans quinze ans quand on Ă©coutera cela, on pleurera”. J’ai gardĂ© religieusement tous ces disques, je m’Ă©tais dit que je ne les Ă©couterais jamais, que j’aurais trop de frissons. Finalement l’autre jour, on les a tous rĂ©Ă©coutĂ©s, donc en ce moment les grosses influences sont Deko, sorti sur Probe, le second label de Richie Hawtin ; Vainqueur sur Chain Reaction, ; Accelerate, le premier label de Daniel Bell. Mais on Ă©coute aussi des trucs plus modernes comme les Neptunes ou Timbaland qui sont incontournables lorsque tu es producteur. Et puis Metro Area qui me fait penser Ă  Motorbass pour le tempo. J’ai vu leur live Ă  Villette NumĂ©rique et j’ai pris une grosse claque. On me parlait de ce groupe depuis des mois et pour une fois le buzz Ă©tait justifiĂ©, mĂȘme si ça n’avait pas le cĂŽtĂ© Aphex Twin oĂč tu vois le futur de la musique.

Tout comme la premiĂšre fois oĂč l’on a Ă©coutĂ© Pansoul de Motorbass.

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Motorbass – Pansoul (Ed Banger) rĂ©Ă©dition le 21 octobre.

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